Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)
Chapitre 10 : Une sortie comme celles que l'on oublie pas
2773 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 19/02/2015 14:24
Lorsque j’ai ouvert la porte, Kashima Miyuki me faisait face, vêtue d’une belle robe bleue marine. Ses cheveux bruns bien coiffés brillaient de bien-être et dégageaient un parfum délicieux.
Elle fit une timide révérence et esquissa un sourire que j’aurais croqué s’il avait s’agit d’un plat.
« Excusez-moi du dérangement.. »
-Mais non tu ne déranges pas, entre donc !
Elle s’exécuta mais préféra rester dans le hall d’entrée. Je l’ais vu devenir aussi rouge qu’un coquelicot lorsque mon père a fait irruption devant elle en peignoir de bain pour faire sa connaissance.
Elle s’est à nouveau inclinée.
« Masato-kun m’a raconté que vous étiez finalement revenu, monsieur Wakamatsu. Je suis Miyuki Kashima, une de ses amis. Enchantée ! »
-Je savais que tu avais une petite amie fiston, mais je ne l’imaginais pas aussi jolie ! s’est exclamé mon père en regardant Miyuki-chan des pieds à la tête comme s’il s’agissait d’un mannequin figurant sur la première page d’un magazine. Tout le plaisir est pour moi mademoiselle ! Merci d’accorder autant d’intérêt à mon fils, c’est trop pour ce qu’il mérite !
Est-ce vraiment possible d’être aussi con ?
-Vous…Vous vous méprenez Monsieur ! a balbutié Miyuki-chan de plus en plus rouge. Nous ne sommes que des amis vous savez…
-Mais il le sait Miyuki-chan, il le sait, suis-je intervenu en l’entraînant dans le salon loin de lui. Excuse-le sincèrement, il n’est un gentleman qu’auprès des adultes…
-Ce…n’est rien ne t’en fais pas. Oh, bonsoir !
Elle venait de remarquer ma petite sœur, toujours collée devant la télé. Celle-ci se retourna en lui adressant un sourire lumineux.
-Bonsoir Miyuki-chan ! Tu es ravissante, comme toujours !
Puis aussitôt, son attention se reporta une nouvelle fois sur le lanceur qui en était à son deuxième strike. J’ai laissé échapper un soupir.
-Et bien ! Je ne savais pas qu’elle était aussi captivée par le baseball. Vous n’êtes pas frère et sœur pour rien, remarqua mon amie visiblement amusée de voir l’état hypnotique dans lequel elle se trouvait plongée.
Je me suis forcé à rire.
-Oui…Bon, le temps de prendre ma besace et on y va ?
Je me suis prestement emparé de la sacoche où je gardais mon portefeuille avec la hâte de me retrouver dehors. Une fois sur le pallier, je pouvais voir le visage idiot de mon père collé contre le carreau de la fenêtre avec celui d’Anna. Tout deux affichaient un sourire qui leur montait jusqu’aux oreilles et faisaient de grands gestes pour me souhaiter bonne chance. J’invitai Miyuki-chan à partir dans la peur secrète qu’elle ne les aperçoive.
Alors que nous prenions le bus pour nous rendre jusqu’au cinéma, je songeais aux multiples tournures que pourrait prendre cette soirée ; si je l’invitais au restaurant, si je lui disais les sentiments qu’elle m’inspire…
Je contemplais la foule qui se ruait sur les trottoirs, l’animation, cette activité qui fait de notre ville l’une des plus attrayantes du monde. Mais l’on peut particulièrement souffrir de l’été que nous subissons chaque année. Nous avions beau être en fin de journée, le soleil tapait encore fort contre la vitre.
C’est drôle, pensais-je, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il fasse beau, rien n’empêche Tokyo d’être aussi vivant.
Je me suis tourné vers Miyuki-chan qui scrutait sa montre.
« Nous avons vingt minutes, çà va on est dans les temps. »
J’ai souri en la regardant.
-Nous allons téléphoner à tes parents, Tu leur diras que je t’invite à dîner et que je te raccompagnerai sans risques jusqu’à chez toi. Ce sera ma façon de te remercier.
Je vis réapparaître avec plaisir le rose soutenu sur ses joues. Après avoir hésité quelques instants, elle me prit le bras et m’adressa un regard plein de douceur, le plus beau des remerciements.
Après un geste aussi audacieux, ma confiance était devenue inébranlable. Ce soir serait le grand soir et je pouvais réussir !
Nous étions enfin descendus à notre arrêt et il ne nous restait plus qu’à emprunter le quartier Hisada pour arriver au cinéma Koji où le film allait bientôt commencer.
Il y avait déjà foule à l’entrée. Une queue impressionnante dépassait du bâtiment et l’on pouvait vraiment espérer que la séance en vaudrait la chandelle.
Une quinzaine de minutes passa pendant lesquelles nous attendions avec les autres dans la file. Durant un instant, je désirais admirer les affiches des films qui étaient projetés en salle et je peux affirmer que pas mal avaient de la gueule. Un film d’horreur qui mettait en scène un monstre hybride mi homme mi taureau attira tout particulièrement mon attention. On le voyait perché au sommet d’une montagne, il surplombait une ville en feu tout en brandissant son gourdin d’acier tandis qu’il maintenait une jeune femme prisonnière. Celle-ci se débattait, naturellement horrifiée par la bête et sa chemise blanche était déchirée, si bien déboutonnée que l’on pouvait presque totalement voir son sein gauche.
Je n’ais pas pu m’empêcher de sourire : Aaaah ces illustrateurs !
Sur ces pensées, j’ai tenté de voir combien de personnes il restait devant nous, commençant à m’impatienter et à frétiller du bout du pied. En voulant mettre mes mains dans mes poches, je constatai effaré que l’une d’elles était pleine. Mais qui avait-il dedans ?
La mauvaise surprise que j’ai eu…J’étais à mille lieux de m’imaginer sortir une chaussette bleue et une culotte blanche de mon pantalon ! J’ai repensé en une fraction de seconde à l’incident de l’été dernier qui m’avait rapporté une bonne gifle de la part de Miyuki-chan, après avoir gardé malencontreusement le bas de son bikini noir –je dis bien malencontreusement- et je redoutais qu’une scène semblable se reproduise en plein dans l’enceinte du cinéma…
Quelle poisse ! Qu’est ce que çà peut bien faire là dedans !?
Sans doute s’étaient-elles mélangées dans la machine ; bien que je trouvais cela un peu gros, je ne voyais pas d’autres explications plus rationnelles…Peu m’importait, il ne fallait surtout
pas que Miyuki-chan me surprenne avec çà !
J’ai enfoncé la culotte autant que possible au fond de ma poche. Elle ne me regardait pas et j’en étais soulagé. Mais juste derrière nous, un petit garçon blond coiffé d’une casquette rouge et qui faisait la queue avec sa mère m’observait silencieusement. Il me fixait de cette manière agaçante qu’ont les enfants à dévisager tout le monde et j’attendais qu’il détourne le regard pour ne pas avoir à lui dire de zieuter ailleurs. Mais il continuait inlassablement et je devenais de plus en plus nerveux ; je me disais qu’il fallait vraiment qu’on soit dans la salle obscure au plus vite pour être loin de ce diable de môme et penser à autre chose…
Enfin, nous avions pris place sur deux sièges qui se trouvaient suffisamment éloignés de l’écran pour ne pas avoir mal aux yeux. Miyuki-chan me tendait le paquet de pop-corn qu’elle avait décidé d’entamer pendant les bandes-annonces. J’étais presque à mon aise, en train d’oublier la fâcheuse découverte de tantôt… Nous étions deux jeunes mêlés à un vaste public, personne faisait attention à nous ; et le film a commencé.
Vous allez penser que je suis un peu trop sensible, mais j’ai été ému de voir les personnages de manga dont j’adorais lire les aventures bouger, rire et vivre comme nous grâce à de bons acteurs. Ces derniers avaient vraiment leur rôle encré dans la peau.
Tous mes copains me reprochent de ne pas être assez critique envers les films que je regarde. Disons plutôt que contrairement à eux, je ne suis pas trop difficile. On ne va pas réprimander quelqu’un s’il apprécie facilement tout ce qu’on lui fait visionner…
S’ils avaient été là, ils auraient été de mauvaise foi en disant que le film sentait le nanar. Beaucoup de spectateurs sont ressortis de la salle avec les yeux rouges.
-Tu as aimé ? m’a demandé Miyuki-chan une fois dans le hall.
- J’ai adoré, ais-je répondu. Trop court à mon goût même.
-Je suis quand même surprise que le film ait ému autant de gens dans la salle. Mais c’était une agréable surprise. J’aurais été trop déçue s’il n’avait pas adapté fidèlement le manga.
-C’est un défi qui est dur à relever pour les réalisateurs de film. On dit toujours qu’adapter une œuvre est plus facile que de la créer, mais je pense au contraire que c’est une tâche plus pénible. Il faut tenir compte de l’avis de l’auteur, avoir son accord, sans parler des retombées qu’il peut y avoir par la suite…
-Si les critiques de presse ont les mêmes goûts que nous, il n’y en aura pas pour ce film.
-Je l’espère ! J’ai vu de vrais navets et çà me dégoûterait.
-Tu m’attends ici ? Je vais téléphoner à mon père pour lui dire que je rentrerai plus tard que prévu.
-Pas de problème.
Et je l’ais regardé s’éloigner vers les portes d’entrée où se trouvait un combiné téléphonique. Je contemplais durant ces minutes les quelques cochonneries qu’on ne se lassait pourtant pas d’acheter dans le distributeur. Barres chocolatés, muffins industriels, cannettes de coca…Toutes ces friandises qu’on ne connaissait pas il y a vingt ans et qui nous arrivaient tout droit des USA. J’ai soupiré mais cependant, je me suis laissé prendre au piège et j’ai cherché au fond de ma poche la petite pièce indispensable pour satisfaire cette tentation hâtive qui me prenait juste avant de dîner.
Ce n’est pas sérieux Masato, vraiment pas sérieux…
Et lorsque je me suis penché pour récupérer mon mars, Miyuki-chan revenait vers moi en levant le pouce comme pour me dire : c’est ok.
Je n’ais pas eu le temps d’entamer mon en-cas ce qui était ma foi tant mieux. Çà m’épargnera le dessert hors de prix du restaurant.
Miyuki-chan me prit à nouveau le bras et tandis que nous nous dirigions vers la sortie, je me suis senti cloué sur place, comme si un quelconque poids me retenait à terre. Une petite main agrippait le pan de ma veste.
-Monsieur, vous avez laissé tomber çà dans le hall.
Je voyais, catastrophé, le gamin de tout à l’heure agiter sous mes yeux le sous-vêtement de ma sœur et me lancer un regard plein de satisfaction, tout fier d’avoir pu me rattraper à temps pour me rendre mon dû. Quelques curieux se tournaient vers nous et l’écho de leurs rires me faisait mal aux oreilles. Si j’avais été seul, je me serai enfui comme un pilleur de banque, aurais changé d’adresse, me serais réfugié au Texas et aurait changé mon nom pour celui de Billy Badluck…..hmm non, j’en fais un peu trop là quand même. Mais je mourrais de honte.
Miyuki-chan a d’abord regardé l’enfant et la culotte d’un air horriblement embarrassé... Puis elle s’est tournée vers moi sans comprendre.
J’ai tenté un mensonge, si mauvais, si malodorant, que l’expression de mon amie devint colère.
-Je…Ce…Ce n’est pas à moi.
CLAC !
Ma tête, si elle n’était pas si bien vissée se serait décollée du reste du corps. La gifle fut si rapide et si violente que je lui aurais donné le statut d’expert s’il avait existé un championnat. Elle m’adressa ensuite un regard accusateur qui faisait plus mal que la claque elle-même. On pouvait clairement y entrevoir les mots « tu me dégoûtes » sans qu’elle n’ait eu à les prononcer.
Puis elle m’a planté là…Je suis resté immobile, con comme jamais, tandis que l’enfant à qui je devais cette horrible scène recevait son châtiment, la fessée que voulait lui attribuer sa mère pour avoir « fréquenté un pervers »…