Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 11 : l'Eté embrasse l'amour

5412 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:11

Après cette regrettable affaire, Miyuki-chan ne me parla plus pendant des semaines. Elle m’évita le plus possible et lorsqu’il arrivait que l’on soit tous deux de corvée de ménage, la conversation se limitait exclusivement à un « s’il te plait » ou un

« Merci ». J’avais le sentiment que je ne pourrai jamais faire marche arrière et çà me désolait. Pour un malentendu aussi stupide !

 

 

Je voulais faire évoluer la situation en tentant de lui expliquer, mais je redoutais de faire envenimer les choses, ce que j’étais le plus susceptible de provoquer… pendant tout le mois suivant, je faisais grise mine, je n’avais pas le moral et mes résultats en pâtissaient. Je laissais mon père me blâmer, çà lui faisait tellement plaisir…

Et les choses n’allaient certainement pas s’arranger avec mon retour au café Dragon. Je devais renfiler la chemise et le tablier de la maison, porter sept plateaux à la fois, supporter la mauvaise humeur des clients qui s’impatientaient de ne pas voir arriver leur café et ce, sous la poigne de fer de Ryuichi. Mais à peine arrivé, je devais déjà contrôler ma fureur en apercevant sur le perron du café, droits comme des i, Muraki et les deux compères, Toshio et Tôma.

 

-Ah et bien pour quelqu’un qui n’a pas été capable d’embaucher du personnel, tu t’en ais bien tiré je trouve ! ais-je bougonné en grinçant des dents.

 

   

-HoHoHo, tu me flattes ! A-t-il répondu avec son traditionnel sourire niais.

 

Aussitôt il rhabilla son visage d’un air dur et sérieux.

 

-Maintenant assez rigolé ! Dépêchez-vous de vous mettre au boulot si vous tenez à votre pause de l’après midi.

 

Puis il se réfugia dans sa cuisine où l’attendait sa mère, paniquée de voir le monde

qui se trouvait dans la salle. Cette dernière était bien trop petite pour autant de clients. Elle convenait tout à fait pour un petit café familial, pouvait aussi l’être pour un salon de thé, mais difficilement pour un restaurant. L’intérieur regroupait dans les coins quelques guéridons où s’épanouissaient diverses sortes de plantes, une huitaine de canapé servant de sièges principaux et pour finir, quelques petites tables rondes dont certaines étaient disposées à l’extérieur. Un ensemble bien maigre pour la foule qui peuplait le lieu ce jour là.

 

Le cauchemar commença alors. Les commandes qui pleuvaient de tous les côtés, les plats servis, parfois renversés et l’heure qui tournait lentement… On la regardait passer au ralenti à en pleurer…

Dès que je quittais une table, je jurais entre mes dents et maudissais cent fois mon père.

On n’avait même pas eu le temps d’échanger un mot avec Muraki tellement la clientèle envahissait la salle.

 

-Un autre yakiba ! Un !

 

-Alors ils viennent mes ramens ?

 

-Çà fait un quart d’heure que j’attends de l’eau !

 

Nous arrivons messieurs mesdames ! Nous arrivons !

 

-C’est le premier jour et j’en peux déjà plus… a soupiré Muraki lorsqu’enfin, nous pûmes souffler un coup sur la plage durant la pause de l’après midi. Il tapotait ses maigres genoux endoloris comme s’il voulait tester ses reflexes.

 

-Je n’aurais pas dû être là déjà, ais-je ajouté en ponctuant le mot « déjà » d’un violent coup de pied dans le sable.

 

-Le pouvoir de l’argent serait-il le plus fort ?

 

-Bien sûr que non andouille ! Mon père m’a forcé la main…

 

-Ton père ? s’est exclamé Tôma. Il n’est toujours pas retourné à son travail ?

 

-Je dois dire que çà m’étonne aussi. Il est en congé depuis l’hiver dernier et il ne donne jamais de vraies raisons pour expliquer son retour.

 

-Mouais, à mon avis il y a anguille sous roche, songea Muraki d’un air soupçonneux en ajustant ses lunettes.

 

- Si ca se trouve, il a été tout simplement renvoyé par son patron.

 

-Alors là, je ne vois vraiment pas comment il aurait pu ! Son employeur est aussi fêlé que lui…

 

-Ou alors il a tout simplement décidé de prendre de très longues vacances. De toute manière il est riche comme Crésus ton père.

 

-Il a une bonne paye, de gros moyens, de grosses économies, mais il ne pourrait pas se permettre de cesser de travailler. Je pense qu’il y a autre chose. Après le temps qu’il a mis pour revenir, je le vois mal le faire sans raison.

 

-Oh détend toi avec çà Masato ! s’est mis à râler Toshio. Comme si on n’avait pas assez de quoi se prendre la tête en ce moment !

 

-Pas faux, a renchéri Tôma. Pour l’instant il nous faut bosser et supporter cette plaie de Masaki.

 

-Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour le pognon hein ?

 

Muraki fixait Tôma avec insistance après avoir prononcé ses paroles, comme s’il espérait recevoir une réaction. Mais il n’obtint qu’un long bâillement et la voix tonitruante de Ryuichi ne se fit pas attendre davantage :

 

«  La pause est finie ! Remuez-vous le fessier si vous voulez partir à 18h ! »

 

La suite de la journée fut plus calme. L’heure du déjeuner passée, les gens pullulaient à présent sur les plages dans le désir de profiter du soleil et de la température idéale de l’eau. Moins débordés, nous pûmes prendre le temps de nettoyer les tables, installer les cartes des desserts glacés sans être dans la précipitation. La pression avait doublement diminué, et ce à notre plus grand plaisir.

 

 

 Parmi nous quatre, c’est moi le malheureux qui fut désigné pour faire la plonge. Désigné parce qu’aucun des trois poltrons derrière moi ne s’est dévoué pour assumer la tâche…

 

     Quand je prenais de l’avance sur ma vaisselle, on m’en amenait encore. Mme Masaki, la mère de Ryuichi, s’est avancé vers moi avec un sac plastique dans les mains. Elle en sortit deux belles nèfles et me les tendit avec un sourire chaleureux.

 

-Je ne sais pas si tu aimes ces fruits, mais si ta famille peut les apprécier…

 

-Oh c’est très aimable à vous, Madame ! Nous adorons les nèfles, je suis sûr que mon père sera content.

 

-Ah et bien le hasard fait bien les choses ! C’est un client habituel qui nous en a fait cadeau, mais nous n’en sommes pas très friands. Autant que toi et ta petite famille vous en profitiez !

 

C’est fou comme elle ne ressemble pas à son fils. C’est pour des personnes comme çà qu’on pourrait éprouver l’envie de bosser.

 

Mme Masaki posa les nèfles sur le buffet non loin de moi.                                         

 

- Tu bosses dur mon garçon, c’est bien ! A-t-elle repris. Bon, Je retourne aider mon petiot aux cuisines.

 

      Et à ce moment là, Muraki a failli lui rentrer dedans et renverser les assiettes qu’il tenait au passage tellement il avait l’air pressé. Après avoir lâché sa pile dans l’évier et m’éclaboussant de la tête au poitrail, il me fit des yeux ronds qui paraissaient encore plus énormes derrière ses verres épais. Il semblait excité comme une puce.

 

-Kashima est là ! Elle est à l’entrée !

 

J’ai laissé se noyer le verre que j’étais en train de frotter pour laisser dépasser ma tête de  l’ouverture de porte. Miyuki-chan était bel et bien là, dans le hall avec Yuko et Kiyomi derrière elle telles de véritables dames de compagnie. Mais elle discutait avec une autre fille que je ne pus voir que lorsqu’elle fut à côté du comptoir.

 

-Mais ce ne serait pas ta sœur avec elle ? Me demanda Muraki avec un écœurant sourire.

 

-Oui on dirait bien…

 

Sur ses mots, je suis retourné à ma plonge d’un air totalement indifférent qui j’espérais parvenait à masquer ma contrariété. Je me sentais presque heureux d’être de corvée de vaisselle après çà. Mais Muraki m’a suivi et a continué de me parler de son obsession pour la fille que j’aimais tout autant et qui m’avait giflé.

 

     «  Je ne pensais pas qu’elles s’entendaient aussi bien toutes les deux ! » s’exclama Muraki.

 

-Et bien, comme tu vois…

 

-Bon je te laisse vieux frère, je vais m’occuper du service de ces deux canons !

 

Et aussitôt, il a déguerpi. Je le laissais aller à ses espoirs sans lendemain. Je voulais l’oublier et me faire oublier, ne pas quitter mon poste jusqu’à l’heure de fermeture. De plus, le boulot ne manquait pas et d’autres piles ne tardèrent pas à s’entasser sur le plan de travail.

De là, je pouvais entendre la voix portante de Ryuichi qui les accueillait avec chaleur et les exclamations de joie de Muraki qui leur donnait la carte des crèmes glacées. Mais dans ce tohu-bohu, une autre voix parvenait à mes oreilles. Une voix masculine qui fit battre mon cœur de nervosité : Kenji Kosaka !

 

J’ai à nouveau sorti la tête de l’ouverture de la porte et je l’ais vu, tout fier et tout beau dans son tee-shirt Adidas, son short assorti de la même marque avec sous son bras gauche une immense planche de surf. J’observais de ma place avec inquiétude et dépit la triste réunion de ce trio de boulets, entassés comme des hyènes autour de leur trophée de chasse, intéressés comme des fauves traquant sans relâche leur proie, jusqu’à l’épuisement à croire… Face à autant de difficulté en une seule fois, je me sentais plus qu’impuissant. Incapable de récupérer Miyuki-chan, incapable de protéger ma petite sœur. J’étais plus tranquille pour cette dernière que pour ma camarade qui ne possédait pas le caractère qu’il lui fallait pour refouler leurs avances.

 

Bon, j’ai toujours eu tendance à exagérer. Ils sont plus stupides que menaçants. Ce sont de « gentils pervers », comme ils se décriraient eux-mêmes…

 

L’horloge affichait 17h45 quand je commençai à nettoyer les tables peu à peu abandonnées par les clients qui sentaient approcher la fermeture. Il ne restait plus que moi et Tôma pour le nettoyage. Le reste de la petite troupe s’en ait tranquillement allé bronzer sur la plage, comme s’il était légitime que ce soit nous seuls qui finissions le reste du travail.

Tôma rageait entre ses dents.

 

-Je vais le peler vif cet enfoiré…

 

J’approuvais ses menaces d’un regard blasé et épuisé, mais je serrais les poings. Pourquoi j’avais le sentiment constant que le même scénario se répétait, encore et encore ?

 

Une vieille dame remarqua notre détresse et c’est sûrement par compassion qu’elle décida de nous remettre un pourboire avant son départ. Je n’eus pas la moindre honte de lui avouer que son geste avait sauvé notre journée !

 

Lorsqu’enfin la pendule sonna six coups, je mettais avec plaisir la petite pancarte « fermé » sur la porte du café. Je soupirais de soulagement tout en passant la main sur mon front humide de transpiration. Je me disais que la première journée est toujours la plus dure, aussi j’insinuais par là que le plus dur était passé. Le soleil devenu orange se couchait dans la mer. Un crépuscule magnifique auquel j’aurais sans doute été sensible si la fatigue n’avait pas semé un tel brouillard dans mes yeux. Quelques jeunes se trouvaient encore sur la plage, les enfants jouaient avec les vagues et les adultes veillaient au grain, rangeant leurs parasols et leurs boîtes à pique-nique.

 

-Alors, cette première journée de boulot ?

 

Mon père avait dévalé une pente de sable pour me rejoindre. De toute évidence il sortait de l’eau car il était trempé et en maillot de bain ; quelques grains de sables brillaient sur sa peau rouge de coups de soleil.

 

-Oh ! Excuse moi, lui répondis-je avec une grande envie de rire, je t’ais pris pour une écrevisse en te voyant.

 

-Tu te crois drôle ! a-t-il répliqué avec une petite moue. Bon, tu vas finalement me répondre ?

 

-Ben, comme tu vois je suis vivant. Mais j’ai travaillé beaucoup pour ce que je vais être payé…

 

      Il s’est approché de moi et m’a donné une tape dans le dos qui aurait pu me décoller les poumons.

 

-Je suis fier de toi ! Allez, respire un coup maintenant. Et tiens !

 

Et là, je vis qu’il me tendait mon propre maillot.

 

-Avec le matin, le crépuscule est le meilleur moment de la journée pour piquer une tête, reprit-il. Allez, à l’eau !

 

J’ai levé les yeux au ciel mais je n’ais opposé aucune résistance. Et après m’être changé dans les vestiaires, je me suis jeté à l’eau. La douce fraîcheur de ces vagues salées venant heurter mon visage agissaient sur moi comme un remède, calmaient la douleur de mes muscles et ragaillardissaient mon corps tout entier. Je me laissais d’abord flotter sur dos, bercé par le mouvement de l’eau comme un nourrisson dans les bras de sa mère. Je fermais les yeux et me débarrassais de toute pensée. Juste, j’écoutais. Un sentiment de bien-être profond m’envahissait pour la première fois depuis longtemps. Et ça avait le mérite de durer. Lorsque j’en eus assez, je fis quelques brasses puis me suis dirigé vers la plage ensablée où mon père méditait, étendu sur sa serviette. Je le rejoignis tout en laissant un petit chemin sur le sable chaud derrière moi. Je me suis approché et j’ai vu qu’il ne dormait pas.

 

-Où est Miyuki ? Lui ais-je demandé en réalisant tout d’un coup que çà faisait un moment que je l’avais vu partir avec la smala. Je songeais aussi aux nèfles que je devais lui remettre.

 

-La -bas, s’est-il contenté de me répondre en me pointant du doigt un petit groupe à droite de notre emplacement, à une distance assez éloignée de nous.

 

 Je ne parvenais pas à distinguer qui était qui. Tout ce dont je pouvais m’apercevoir, c’est qu’ils s’agitaient, s’éclaboussaient, faisaient les fous en bref. Bon.

 

-Elle est belle ta petite sœur, hein ?

 

Je me suis tourné vers le vieux. A présent il se tenait assis, contemplait sa fille d’un regard aimant et fier.

 

-Je suis sûr que tu as du ne pas en revenir lorsque vous vous êtes revus, me fit-il remarquer amusé.

 

Je ne te le fais pas dire. Je ne l’ais même pas reconnu…

 

C’est vrai que si l’on veut s’échiner à cacher la vérité, la génétique, elle, ne peut mentir. Les premiers mois où nous avons tout deux partagés la maison, je réalisais que dans sa transformation de femme, Miyuki prenait beaucoup de l’apparence de maman et par moment, j’étais perturbé. Perturbé de ne pas avoir fait le rapprochement le jour où nous nous sommes retrouvés. 

 

 

 

-Tu ne lui as pas dit qu’elle et toi n’étiez pas liés par le sang, n’est ce pas ? me demanda t-il avec sérieux.

 

-Non, j’ai suivi ce que tu m’as indiqué dans ta lettre avant son arrivée. Mais tôt où tard il faudra bien qu’elle le sache.

 

-C’est moi et moi seul qui le lui dirai, quand le moment sera venu c’est moi qui m’en chargerai, c’est compris ?

    

 Soudainement il était comme piqué au vif. Je n’ais rien répondu ; cette conversation m’agaçait. Après une journée de dur labeur je préférai chasser les sujets sérieux et autres préoccupations de mon esprit tout en regardant le soleil peu à peu disparaître. Puis j’observais les derniers occupants de cette plage qui retrouverait certainement demain tout son public.

 

 

-Si c’est ta chère amie que tu cherches, elle s’en est allée chez elle avec un garçon il y a déjà un petit moment. Tu t’es fait devancer mon petit !

 

-Qui çà ?! Lequel ? me suis-je écrié, tenant mon père par les épaules dans la panique.

 

-Euh…Et bien un fort beau garçon avec une planche de surf sous le bras, cheveux mi-longs et euh voilà…

 

-Mais c’est pas vrai !

 

Et comme un fou, j’ai filé droit devant moi en direction de la ville avec pour seule préoccupation, seul but, seul désir, retrouver Miyuki-chan saine et sauve. Je n’ais même pas répondu aux appels de ma sœur qui voulait sans doute que je la rejoigne, elle et ses joyeux turlurons. Le moins que je puisse dire, c’est que je n’avais pas couru comme çà depuis les épreuves sportives. Je filais la côte, conscient de chaque minute qui s’écoulait. Je songeais avec un regret indéfinissable à notre dernier rendez-vous, ce stupide quiproquo, la gifle sur laquelle elle m’avait quitté…Et tout au fond de moi, je suppliais :

 

 

 Miyuki-chan, reviens-moi ! Excuse-moi pour ce malentendu ! Miyuki-chan !

 

Faute de surestimer mes capacités d’endurance, je sentais que peu à peu je m’essoufflais et me sentais contraint de ralentir l’allure. Coup de pouce du destin, mon pied se heurta à une pierre qui n’avait sûrement pas sa place sur un tapis de sable et ma course s’arrêta nette sur une lamentable chute.

Je crachais tout le sable que j’avais failli manger avant de me lever. Une douleur cuisante attira mon attention sur mon gros orteil. Il était en sang. J’ai poussé un hurlement quasi animal, crachant sur le visage de la vie toute ma rancœur et tant bien que mal essayant de me lever, j’ai ravalé un gémissement de douleur sous l’effet brûlant qu’opérait le sel sur la plaie ouverte.

J’étais encore penché sur mon pied quand je vis s’arrêter à un mètre de moi ceux d’une autre personne. Je les contemplais quelques instants dans le silence comme si j’avais besoin de les observer pour identifier ce quelqu’un. Ils étaient petits et fins, gracieux et beaux. Les malléoles ne ressortaient pas trop, ce qui était propre aux pieds d’une femme. De jolies petites sandales bleues épousaient la plante de ces pieds et mon regard se porta sur des jambes sveltes et blanches. Réalisant soudain que ma longue contemplation tournait au fétichisme, je me suis décidé à lever complètement la tête et là, je laissai échapper un cri de surprise. Une surprise agréable qui sur l’instant me fit oublier toute douleur.

 

Miyuki-chan se tenait devant moi légèrement penchée, avec un visage étrangement doux qui semblait totalement libéré des reproches dont il était chargé des semaines auparavant. Elle a du s’en rendre compte car lorsque mes yeux ont cherché la lumière qui brillait dans les siens, elle a détourné la tête en fronçant légèrement les sourcils, presque comme si elle était contrariée.

 

-Miyuki-chan !

 

-Oui, ce n’est pas une autre je te rassure…

 

-Tu…tu es…Tu n’étais pas avec Kosaka ?

 

-Il est parti chez lui...Ca ne s’est pas très bien terminé…

 

Je me suis brusquement levé.

 

-Ah bon ? Mais…Ne me dis pas que…

 

Je me suis senti blanchir.

 

-Oh non non ne t’inquiète pas ! Il m’a emmené de l’autre côté de la plage, pas loin du petit parc de jeux. Il m’a d’abord demandé si je voulais sortir avec lui et j’ai refusé. Il a insisté, il a essayé mais…je ne me suis pas laissée faire.

 

 

-Il a osé…Je vais l’étriper…

 

Elle m’a dit d’une voix sévère :

 

-Laisse le, c’est mieux comme çà. Je pense qu’il a compris et qu’il ne recommencera pas.

 

-Tu l’as giflé ?

 

Cette question m’a échappé. Je pensais sur l’instant à celle que j’avais reçu et pour la première fois, je compatissais pour Kosaka qui je pense, avait eu droit à la plus douloureuse des deux. Miyuki Kashima m’a d’abord regardé avec étonnement puis est devenue rouge de honte. Elle a fait oui de la tête et elle aussi devait très certainement penser au jour où elle avait eu raison de sa première victime.

 

-Alors c’est sûr qu’il ne recommencera pas !

 

J’ai ri, vraiment de bon cœur. Tellement que je l’ais entraîné avec moi. Ais-je eu tort d’interpréter çà comme un pardon ?

Je sentis la douleur cuisante de mon pied revenir et mes rires se finirent par une grimace. Miyuki-chan comprit en regardant mon orteil.

 

-Ca saigne beaucoup ! Il faut que tu rentres chez toi pour te désinfecter. Oh je suis désolée de ne pouvoir rien faire !

 

-Si une blessure de ce genre était mortelle, je ne serais plus là depuis des années, dis-je avec ironie pour la rassurer.

 

Je sentais que j’arrivai à un stade où je ne pouvais plus reculer ni feindre de rien. Pour rétablir l’ordre des choses, je  devais lui présenter mes excuses.

 

-Pardon Miyuki-chan…Je comprendrais que tu ne me croies pas, mais j’espère qu’en tant qu’ami tu me feras confiance.

 

J’étais lancé. Je lui devais la vérité. J’ai continué :

 

- C’était un malentendu. La lingerie provenait de ma poche c’est vrai, mais ce sont des vêtements qui appartiennent à Miyuki et qui se sont sûrement entremêlés dans la machine. Je t’assure, il n’y a aucune autre fille qui compte dans ma vie. Tu es la seule qui me plaise…

 

Son teint passa directement du rose à celui du rouge vif. Ses sourcils tremblaient légèrement comme si elle était secouée d’émotion. Je l’avais embarrassé sans doute, mais je devais être franc envers elle. Et puis après tout, en lui déclarant mes sentiments, je me mettais dans la même situation qu’elle. Je me sentais tout aussi mal à l’aise et j’appréhendais beaucoup sa réaction.

 

 

-Ne te préoccupe plus de çà, me dit-elle enfin. Tu sais, j’ai souvent pensé que çà pouvait être accidentel, même si je me suis trouvée stupide à chaque fois que l’idée me venait. Mais j’en parlais à Yuko et elle me disait que j’avais raison de le croire, car dans le fond, elle sait comme moi que tu es un gentil garçon.

 

-Ah ? Ce n’est pas comme çà que j’imaginais l’avis de Yuko à mon égard ! dis-je complètement effaré.

 

-Tu te trompes sur son compte tout comme les autres se trompent sur le tien. Mais je te fais vraiment confiance et de ce fait, je suis sûre que tu es sincère…

 

Il y a eu un moment de silence. Un silence plutôt gênant dans lequel je n’osais pas reprendre la parole. Chose bien faite car elle reprit, de plus en plus rouge :

 

-Je suis vraiment…vraiment désolée de t’avoir giflé sans chercher à t’écouter. Je n’ais pas réfléchi et j’ai été plutôt dure.

 

-Ce n’est rien.

 

On s’était tout dit. On se sent vraiment mieux après avoir vidé son sac. Après tant d’attente à rester dans notre coin l’un et l’autre, à soigneusement s’éviter et garder nos distances, une page s’était tournée et l’on pouvait tout deux autant se désoler sur le passé qu’en rire.

 

Miyuki-chan me regarda cette fois avec une expression toute nouvelle. Elle gardait néanmoins cette tendresse, cette délicatesse qui lui était propre et qu’aucune autre fille ne parvenait à imiter. Elle s’est encore rapprochée de moi et à ma grande stupéfaction, elle a passé ses bras autour de mon cou puis m’a embrassé en plein sur la bouche. Hébété mais heureux, je lui ais rendu son baiser avec toute l’affection que depuis si longtemps je retenais en moi et qui ne demandait qu’à éclater au grand jour.

 

C’est en cet été brûlant, celui de mes dix-sept ans, que pour la première fois nous nous sommes tenus la main.

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