Sous l'affiche d'un film pornographique

Chapitre 26 : Chapitre XXVI

5575 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/03/2021 20:13

Chapitre XXVI

 

 

Nous écrivons l’acharnement comme « certain de mourir » ;

nous écrivons la frénésie comme « dans un rêve » ;

précisément, acharnés et pris de frénésie,

nous avons traversé en toute hâte les saisons. *

 

Écrasé par un ciel vide – amazarashi

 

 

Le message était-il passé ? Valentine l'ignorait.

Mais pour ce qu'elle s'apprêtait à faire, elle espérait grandement ne pas s'être trompée. Un seul faux pas et tout était fichu. Ils auraient sa peau comme une bleue.

 

« Roarr, articula-t-elle en s'essuyant le visage, sur lequel elle venait de se passer un coup d'eau, je vais faire une énorme connerie.

– Tu m'as dit la même chose ce matin-même, avant de te faire akumatiser et de te débarrasser du Papillon comme si ça avait été un vulgaire insecte, railla le tigre en la regardant faire. Alors permets-moi de douter que ta conception des conneries, comme tu dis, soit la même que la mienne. »

 

La jeune femme ne put se retenir de rire. Son nez se fronça, et le son rude que produisit cette soudaine expiration d'air fut plutôt communicatif. Roarr s'esclaffa à ses côtés, se tenant les côtes – bien que Valentine ne sût si les kwamis disposaient d'un squelette – et réchauffant la pièce de sa voix claire.

 

« Prions pour que tout se passe comme prévu, soupira-t-elle. Je dois juste le convaincre de s’allier avec moi, rien de plus.

– Tant que tu n’es pas menaçante ou pressante, ça devrait le faire, non ?

– Je l’espère. »

 

Elle regarda une dernière fois le visage pâle que lui reflétait le miroir de sa salle de bain. Depuis combien de temps n’avait-elle pas eu de vraie nuit de sommeil ? Entre les insomnies, la douleur de sa cicatrice et ses virées nocturnes…

Sans compter toutes ces heures perdues devant son écran à fouiller chaque recoin d’internet à la recherche d’indications pouvant la mener jusqu’au nom véritable de Roarr. Elle avait bien des idées, une petite liste qu’elle retenait tant bien que mal – elle avait donc décidé de la coucher sur papier pour éviter tout oubli –, mais rien ne lui assurait que le nom fût l’un d’eux. Et dans tous les cas, elle ne voulait pas utiliser sa carte maîtresse aussi tôt. Non, elle ne ferait appel à cet atout qu’en cas de besoin. Qu’en cas de nécessité.

 

« Tu sais ce qu’il te reste à faire, encouragea le tigre en se glissant sous sa veste. Fonce, ou tu vas être en retard à ton rendez-vous. »

 

Sans répondre, Valentine enfila une paire de baskets. C’était toujours plus confortable pour se déplacer que des bottines. Même si, en théorie, elle n’aurait pas à les porter bien longtemps.

 

« D’ailleurs, pourquoi le toit du grand Agreste ? glissa Roarr en souriant largement tandis qu’elle descendait les escaliers de la résidence. C’est un peu bizarre, non ?

– Je voulais être sûre qu’il sache où je voulais l’emmener. Au moins il ne se plantera pas dans l’adresse. Et si jamais Adrien nous surprend, ça pourrait être drôle qu’il tente d’intervenir. »

 

Quoique, elle se doutait que le blondinet n’oserait jamais pointer le bout de son nez dans une telle confrontation. Même s’il voulait mettre la main sur le Miraculous du Tigre pour le rendre au Gardien, il rebrousserait chemin en voyant la jeune femme et le Papillon ensemble. Peut-être serait-il accompagné par Mayura ? Non, elle lui avait ordonné de venir seul au point de rendez-vous. Si elle apercevait la Paonne à ses côtés, elle rebrousserait chemin. Mais il fallait absolument qu’elle obtînt son aide. Elle détestait l’idée de s’allier à cet homme, mais s’il s’opposait lui aussi à elle, elle serait bien trop acculée par les ennemis pour pouvoir faire ce qu’elle voulait dans les règles de l’art.

 

« Tu n’aurais jamais pu proposer un meilleur point de rendez-vous que celui-là.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? grimaça Valentine en fronçant les yeux ; elle était déjà suffisamment concentrée pour faire le moins de bruit possible, elle n’avait pas envie de se creuser la tête avec les énigmes de Roarr.

– Secret de kwami, je ne peux pas en dire plus. Mais tu le comprendras bien vite, crois-moi. »

 

La jeune femme haussa les épaules. Glissant doucement la porte d’entrée dans son emplacement, refermant derrière elle le seul accès qui permettait d’entrer dans le bâtiment, elle embrassa l’air frais de la soirée. Le trajet serait long jusqu’au manoir, et elle regrettait presque de s’être si légèrement vêtue. Elle aurait dû enfiler un foulard aussi.

L’idée de sauter dans un métro pour gagner du temps était intéressante, mais à bien choisir, elle préférait presque sauter de toit en toit jusqu’à sa destination. Se glissant dans une ruelle, là où personne ne la verrait, comme à chaque fois, elle ordonna au kwami de la transformer. Prenant une impulsion, elle fit un bond colossal qui la mena jusqu’aux côtés d’une cheminée de toit encore fumante. Apercevant au loin sa destination, elle fit quelques détours afin de l’atteindre, préférant brouiller les pistes si toutefois le Papillon cherchait à la voir sauter de toit en toit.

 

Lorsqu’elle arriva enfin au manoir, l’homme était déjà là.

 

Il l’attendait patiemment, sagement, le dos droit et les mains jointes dans son dos, abrité par la coupole qui ornait le toit de la demeure. De petites barrières assuraient une forme de sécurité, bien qu’il fût aisé de sauter par-dessus pour quitter la minuscule terrasse octogonale que cela formait.

Valentine craignait de s’approcher de lui. Elle n’avait pas prévu que la distance les séparant serait aussi courte. Mais il ne fallait pas montrer de signes qu’elle vacillait. Il fallait être ferme.

 

« Bonsoir, salua l’homme de sa voix grave lorsqu’elle parvint jusqu’à lui. Vois, j’ai respecté tes consignes. Minuit, seul, sur le toit de cette maison. Tâche de rester discrète pour ne pas en réveiller les occupants.

– Je suis ravie de le constater, grimaça la jeune femme. Votre alliée doit se sentir bien délaissée.

– Elle comprend que le courant ne passe pas trop entre vous. Ne t’en fais pas pour elle, je lui raconterai tout de notre entrevue nocturne. »

 

À bien l’observer, il semblait bel et bien inoffensif. Il n’avait pas sa canne dans les mains. Pouvait-il l’invoquer comme par magie ? Ou bien l’avait-il volontairement laissée de côté ? Le doute planait.

 

« Je dois admettre que ton tour de passe-passe m’a quelque peu… surpris, ce matin. Je ne m’attendais vraiment pas à ce que tu m’appelles d’une telle manière, et encore moins que tu te débarrasses de mon akuma aussi facilement.

– Tous les moyens sont bons pour parvenir à nos fins. Ne pensez-vous pas comme cela vous aussi ? »

 

L’homme afficha un large sourire et acquiesça. Il semblait particulièrement détendu, et sûr de lui. Valentine espérait donner la même impression, mais était convaincue que son stress se sentait à des kilomètres à la ronde. Elle ne se sentait pas en sécurité ; elle avait l’impression d’être une proie sur laquelle se refermait peu à peu un piège.

 

« De quoi voulais-tu que nous parlions ? relança-t-il sans perdre ce sourire presque trop charismatique pour être réel.

– Je souhaiterais d’abord des excuses de votre part.

– Des excuses ? »

 

Il semblait presque confus. Comme s’il ne comprenait pas de quoi elle voulait parler.

 

« Des excuses pour la dernière fois. Ce n’était pas vraiment sympa de traiter une alliée potentielle de la sorte. Et de douter de mes capacités physiques. »

 

Une fois encore, il ne voyait pas où elle voulait en venir. Tout du moins, c’était l’impression qu’il donnait.

Valentine tenta de bluffer.

 

« La moindre des choses, lorsqu’on tente de rallier quelqu’un à sa cause, c’est de lui parler avec respect. Vous savez, les mots que vous avez employés m’ont profondément blessée. Alors si vous voulez que je vous dise tout ce que j’aimerais vous dire, je souhaiterais que vous vous excusiez.

– Très bien, » soupira l’homme, sans faire le moindre mouvement.

 

Toujours dans cette position fort désagréable, raide comme un piquet, il sembla vaguement clore les yeux dans un semblant de solennité avant d’entrouvrir les lèvres.

 

« Je m’excuse d’avoir proféré à ton égard des paroles qui ont pu t’offenser. Je retire ce que j’ai dit, je reconnais que tu es une adversaire de grande valeur. »

 

La jeune femme fronça les sourcils. C’était exactement ce qu’elle attendait. Et ce qu’elle ne voulait pas entendre. Elle serra les dents, et avança vers le Papillon.

Une fois suffisamment proche de lui, elle resta un instant statique, l’observant de haut en bas. Sa cape fouettait l’air, comme si elle eût été contrariée, et au détour d’un claquement de tissu, elle vint frapper l’homme en plein estomac.

Il afficha une expression de surprise, ses yeux glacés s’écarquillant sous le masque qui lui recouvrait le visage, avant que sa silhouette ne disparût tel un écran de fumée.

 

C’était donc ça.

 

Le Papillon qu’elle avait eu en face d’elle n’était qu’un mirage.

 

Sans attendre un instant de plus, elle sortir de la coupole, pour se dresser sur son toit et observer en contrebas, à la recherche de l’origine de cette illusion qui avait, il fallait l’avouer, plutôt bien marché. Tout du moins, jusqu’à ce qu’elle comprît la supercherie. À sa connaissance, il n’y avait que Rena Rouge – ou son équivalent akumatisé – pour faire cela. À moins que le Papillon eût de nouveau fait appel à son héroïne malfaisante aux capacités similaires ? Quel était son nom, déjà… ?

 

Volpina.

 

Elle se trouvait juste là, en contrebas, sur un balcon. Elle pouvait ainsi entendre ce que la jeune femme disait, et faire répondre à son pantin les phrases qu’elle désirait. L’adolescente avait bel et bien une allure de renarde, trahissant son caractère sournois. Ses cheveux châtain, raides et soigneusement coiffés, se terminaient en quelques mèches blanches rappelant l’extrémité de la queue d’un renard. Mais ces canidés sauvages et quelques peu mignons étaient bien plus agréables à l’œil que cette sotte qui se tenait là, d’un air ébahi. Elle semblait surprise d’avoir été démasquée, et restait pétrifiée. Valentine ne perdit pas un instant de plus, et se jeta sur elle, abîmant quelques tuiles du toit au passage.

 

« Ça ne devait pas se passer comme ça, balbutia l’adolescente en tentant une esquive maladroite. Papillon ! Ça ne devait pas du tout se passer comme ça ! »

 

Alors comme ça il avait fait appel à elle et à ses pouvoirs d’illusionniste pour la berner. Parfait.

C’était décidé, cet homme venait de pleinement perdre sa confiance. Déjà que Valentine ne le portait pas vraiment dans son cœur… La simple perspective d’une alliance, même de courte durée, se faisait de plus en plus maigre.

 

« Dis à ton très cher ami de ramener ses ailes ici presto, sinon ta jolie petite tête va finir là-bas, fit-elle en désignant le sol, à plusieurs mètres de là, tandis que ton corps restera juste ici, entre mes bras. Compris ? »

 

Volpina acquiesça timidement, avant de déglutir. La silhouette lumineuse d’un papillon se dessina sur son visages quelques secondes, pour disparaître aussi étrangement qu’elle était apparue.

 

« Il dit qu’il arrive bientôt, souffla-t-elle. Vous n’allez pas me faire de mal, hein madame ?

– Tu ne me sers à rien. Regarde-toi, tu n’as même pas de kwami. Tu n’es qu’une pâle copie inutile. Je ferais mieux de te tuer maintenant, tu ne manquerais à personne. Pas vrai, ma petite Lila ? »

 

Le teint de la gamine blanchit un peu plus. Elle semblait tout bonnement terrorisée. Son visage trahissait entièrement ses pensées. Et Valentine commençait à perdre le contrôle d’elle-même. Voilà qu’elle désirait mettre tout bonnement fin à l’existence de sa proie. Après tout, n’était-ce pas elle qui avait nui à sa carrière ? Elle avait toutes les raisons de la haïr et de vouloir s’en venger.

Mais pas en tant que Tigresse.

 

« Laisse-moi deviner, tu te demandes comment je connais ton nom, et jusqu’où je pourrais aller comme ça, pas vrai ? C’est simple. Ceux qui ne me servent à rien, je m’en débarrasse. Tu n’es qu’un déchet, Lila. »

 

Un sourire carnassier s’affichait sur les lèvres de la jeune femme. Les pauvres éclairages publics, ainsi que ceux de la nuit, projetaient sur son teint d’étranges ombres qui lui donnaient un air des plus terrifiants. Lila, ou Volpina comme elle aimait se faire appeler lorsque le Papillon lui transmettait ses pitoyables pouvoirs, se débattait de toutes ses forces, cherchant à se libérer de l’étreinte de l’horrible Tigresse. Rapprochant un peu plus son visage de celui de l’adolescente, jusqu’à ce qu’elle pût entendre clairement son souffle, même le plus imperceptible des soupirs de désolation, elle murmura :

 

« Je comprends que personne ne t’apprécie réellement, ni ne croie à tes mensonges.

– D’où vous me connaissez ? D’où vous savez tout ça sur moi ?

– Oh, mais je sais des tas de choses à ton sujet. Tout bonnement parce que je suis n’importe qui, je suis n’importe où. Tu ne me vois pas, et pourtant je suis là. J’ai des yeux et des oreilles partout, de petits espions qui me disent tout ce qu’il y a à savoir sur chaque personne qui s’opposera à moi. »

 

Voyant que l’homme ne venait toujours pas, Valentine commença à perdre patience. Cette gamine n’avait, au départ, rien à voir avec sa mission de ce soir. Et pourtant, maintenant qu’elle la tenait entre ses griffes, une envie pressante de la faire souffrir monta en elle. Une rage sourde, qui se déversait jusqu’à chaque extrémité de son corps, bouillonnait dans ses veines.

 

Valentine saisit la gamine par le col. Mais comme cela n’était pas assez humiliant ni douloureux à son goût, elle la déposa au sol une fraction de seconde, avant de l’empoigner violemment par les cheveux, et de la soulever ainsi, laissant le corps terrorisé de l’adolescente se balancer dans le vide. Protégeant son propre bijou de toute tentative de vol, elle avait uniquement tendu le bras gauche. Les cris que poussait Volpina étaient diablement jouissifs.

Elle la suppliait de la reposer sur le toit – elle n’était pas assez stupide pour lui demander de la lâcher, ce qu’elle aurait bien pu faire si elle ne possédait pas quelques pouvoirs de héros – et tentait malhabilement de griffer sa main gantée. Sa voix désagréable perçait la nuit, et bientôt, les résidents du quartier finiraient par rappliquer. Tant mieux, Valentine voulait qu’Adrien vît cela.

La jeune femme se demanda combien de temps ses cheveux pouvaient la tenir ainsi, et s’ils s’arrachaient, s’ils reviendraient à la normale une fois l’adolescente libérée de l’akuma. L’envie de mener une petite expérience était fort plaisante, mais s’il lui fallait supporter les cris et les pleurs de la gamine, alors elle aurait bien préféré s’en passer.

 

« À ton avis, qui viendra à ton secours en premier. Le Papillon, ou bien ce cher duo de héros que tu apprécies tant ?

– S’il vous plaît, hurla Volpina, laissez-moi rentrer chez moi ! Je n’ai rien à voir avec tout ça !

– Oh mais si, ma petite. Vois-tu, si tu n’avais pas obéi au Papillon, tu n’en serais pas là.

– Je n’ai pas accepté de lui obéir ! sanglota la fausse renarde. C’est lui qui décide qui entre à son service, qu’on soit d’accord ou non ! »

 

Ça, Valentine en avait bien conscience. Mais l’envie de torturer un peu plus sa pauvre victime était si prenante qu’elle ignora pleinement ses jérémiades.

 

« À ton avis, pourquoi ton père vous a abandonnées, ta mère et toi ? Tout simplement parce qu’il savait très bien que tu n’étais qu’une petite conne, égoïste et mythomane. Tu ne devais probablement pas avoir été désirée. Qui voudrait d’un enfant comme toi ?

– C’est faux ! Mon père travaille à l’ambassade !

– Regarde-toi. Avale ta honte. »

 

Valentine secoua un peu sa proie, accentuant le mouvement de balancier qui la faisait tanguer de droite à gauche. Les hurlements de terreur et de douleur de la gamine étaient extrêmement plaisants.

 

« Tu devrais avoir compris pourtant que mentir ne sert à rien avec moi. À vrai dire, à chaque nouveau mensonge, j’ai un peu plus envie de te trancher la gorge. En as-tu vraiment envie ? »

 

Ajoutant de l’effet à ses paroles, elle lui montra son gantelet aiguisé, dont les côtés, aussi coupants que des dagues, reflétaient les lumières voisines. L’image de son équipement se réfléchit dans les yeux olive de l’adolescente, avant que de nouvelles larmes ne vinssent les troubler.

 

« Tigresse ! tonna une voix grave à plusieurs mètres de là, de l’autre côté du toit. Je suis venu pour toi. Libère cette pauvre fillette.

– Tiens, tiens, tiens. Regardez qui daigne enfin me rendre visite. »

 

Sans se retourner vers son interlocuteur, Tigresse ricana. S’agenouillant au sol, elle plaqua sa main droite contre les tuiles, faisant surgir quelques mètres plus loin d’autres carreaux d’ardoise, dans le simple but de les faire se fracasser contre les pieds de l’homme. Comprenant, au bruit émis par le semi-affrontement, que c’était le véritable Papillon qui était apparu, et non pas une illusion, elle fit cesser cette attaque à distance.

 

« Excusez-moi, lança-t-elle en se relevant et en adressant un regard distant à l’homme, je voulais juste m’assurer que votre chère renarde ne tente pas de me berner une fois de plus. Simple précaution.

– Comme tu le vois, c’est bien moi. En chair et en os. Pardonne-moi pour cette « trahison », je voulais juste m’assurer que tu ne tenterais pas de m’attaquer. J’ai eu raison de m’écouter, n’est-ce pas ?

– Je n’aurais pas attaqué son illusion de vous si vous aviez vraiment été là. C’est parce qu’elle ne répondait pas comme vous l’auriez fait que j’ai compris la supercherie. »

 

Se tournant de nouveau vers sa proie, elle reprit à voix basse.

 

« Tu as encore beaucoup à apprendre avant de jouer dans la cour des grands. »

 

Lila tentait encore et toujours de se libérer. Chaque mouvement qu’elle faisait ravivait son balancement précaire, ainsi que la douleur qui irradiait. Se faire suspendre par les cheveux était tout sauf agréable, il fallait l’admettre.

 

« Libérez-moi, pleura-t-elle. Je vous en supplie, faites quelque chose ! »

 

Le Papillon lui jeta un regard dédaigneux, avant de claquer des doigts. En un instant, l’akuma s’extirpa du corps de la gamine, lui ôtant ses pouvoirs ainsi que son apparence de renard. Elle hurla de plus belle tandis que ses capacités et sa résistance surhumaines l’abandonnaient et, lassée par tout ce raffut, Valentine se pencha vers elle.

 

« La prochaine fois, réfléchis-y à deux fois avant de t’engager sur des sentiers dangereux, cracha-t-elle. Tu ne sers à rien. »

 

Sans plus de scrupules, elle la lâcha dans le vide. Le hurlement strident de Lila ne cessa que plus bas. Heureusement pour elle, son corps ne fit pas un immonde bruit lorsqu’elle s’écrasa au sol. Non, au contraire, tout avait été des plus silencieux.

Elle avait été secourue in extremis par un preux chevalier vêtu de noir ; Valentine aperçut sa silhouette disparaître dans les arbres voisins. Tant mieux, et tant pis à la fois. Bien que Lila eût été des plus horripilantes, elle n’avait pas envie d’être considérée comme un assassin. Mais elle n’irait pas jusqu’à remercier le blondinet d’avoir sauvé la vie de cette stupide fillette, ainsi que sa propre réputation.

 

« Tu n’as pas osé ? grimaça l’homme, qui était resté immobile face à la scène qui venait de se dérouler. Tu n’as tout de même pas tué cette gamine de sang-froid ?

– Oh, non, ne vous en faites pas. Quelqu’un que vous connaissez bien est venu lui porter secours. Tant mieux pour elle. Et tant mieux pour vous. Que feriez-vous sans votre précieuse alliée ? » ricana-t-elle.

 

Elle se releva, épousseta ses vêtements, et s’approcha d’un pas tranquille jusqu’à l’homme. Sa silhouette se détachait clairement de l’obscurité. La broche en forme de papillon brillait sous les rayons que reflétait la lune, tout autant que les yeux d’un bleu clair et pénétrant qui la fixaient comme s’ils tentaient de percer le mystère qui l’entourait.

Le bruit de ses talons résonnait. Celui des derniers bus de nuit aussi, se répercutant et s’amplifiant à chaque mur qu’il rencontrait. Elle entendit des cris de fêtards, sûrement quelques ivrognes qui rentraient chez eux. Ils s’étaient arrêtés devant le manoir et donnaient l’air de vouloir observer cette confrontation qui avait lieu. Contrôlant son irritation du mieux qu’elle put, Valentine se stoppa pour toucher la pierre qui composait les hauts murs de la demeure, afin de leur envoyer quelques cailloux pour les repousser. Cela eut l’effet escompté ; il n’y eut bientôt plus qu’elle, le Papillon, et probablement un petit Adrien déguisé qui les épiait.

 

« Je ne sais que penser de vous, Papillon, fit-elle en se dressant de toute sa hauteur avec fierté. J’étais prête à vous accorder ma confiance, à vous donner mon aide. Je vous avais demandé de venir seul, et à la place vous avez tenté de me berner avec cette… gamine. Je comprends que vous vouliez être prudent. Vous comme moi avons une identité à protéger, peut-être même une famille. Avez-vous une femme, des enfants ? »

 

Le visage de l’homme se tordit. Valentine prit cela comme une affirmation. Elle voulut tirer un peu plus sur cette corde visiblement sensible.

 

« Mayura est-elle votre femme ? Non, je ne pense pas. Elle ressemble plus à une sorte d’assistante, de second couteau. Je me trompe ?

– Elle ne fait que m’aider. Ma femme n’a rien à voir avec elle. »

 

Elle le voyait clairement serrer les dents, et ses doigts se crispaient de plus en plus autour de la tête de sa canne. Ses gants de cuir émettaient ce petit bruit de frottement caractéristique de la matière. Visiblement, ça n’était pas seulement un sujet sensible.

 

« Et votre femme, c’est quel genre de personne ? Une dame fort jolie, fort aimante, qui vous suivrait aveuglément jusqu’au bout du monde ? Vous lui cachez vos agissements ? Vous lui dites que c’est vous qui causez tous ces problèmes, allant jusqu’à affronter deux pauvres adolescents qui n’ont rien demandé à personne ?

– Il suffit ! tonna-t-il en enfonçant d’un coup sec la pointe de son arme dans la toiture ; une ardoise sauta hors de son support, et glissa jusqu’en contrebas où elle s’écrasa avec fracas. Cesse ces divagations, et viens-en au fait.

– J’y viens, Papillon, j’y viens. Votre discrétion au sujet de votre entourage m’intrigue seulement. J’aime connaître mes alliés, voyez-vous.

– Nul besoin de connaître ma vie privée pour s’associer à moi, » grommela-t-il.

 

Valentine comprit qu’elle n’irait pas plus loin en continuant à se frayer un chemin de ce côté-ci. Devait-elle tenter d’aborder le sujet des enfants ?

 

« Combien avez-vous d’enfants ? Un ? Deux ? Vous n’avez pas l’air d’être un père, ils doivent être jeunes, non ?

– Il n’a rien à voir avec ça ! » hurla-t-il, hors de lui.

 

La jeune femme recula instinctivement ; pour peu, elle aurait bien cru qu’il se serait jeté sur elle, et l’aurait de nouveau assaillie avec sa canne. Le souvenir de la douleur la hantait encore, et elle se passerait bien d’un nouveau chapitre sur une désagréable convalescence, si bien qu’elle mit de la distance entre l’individu et elle, préférant presque s’éloigner jusqu’à l’autre bout du toit pour être sûre d’être inatteignable.

 

« Désolée pour cette offense, sourit-elle d’un air quelque peu moqueur. Je calmerai ma curiosité pour ne plus vous importuner. »

 

En réalité, elle avait eu l’information qu’elle voulait. L’homme avait un fils, unique, qui plus était.

Un homme dont la femme n’était plus – s’il s’agissait d’un divorce, c’était elle qui l’avait quitté ; s’il s’agissait d’un décès, il l’avait encore en travers de la gorge – et dont le fils unique semblait précieux.

 

« Parlons affaires, lança la jeune femme en donnant forme à une sorte de fauteuil d’ardoise, avant de s’y installer, et d’inviter son vis-à-vis à faire de même avec le second siège ainsi créé. Je pense que vous pourriez grandement avoir besoin de mon aide pour atteindre votre but.

– Et pourrais-je connaître la raison d’une telle affirmation ? fit-il avec distance, et une pointe d’hésitation, ce qui surprit quelque peu Valentine.

– Eh bien, pour commencer, il se trouve que je dispose d’informations non négligeables, qui pourraient grandement vous aider à mettre la main sur les Miraculous de la Coccinelle et du Chat Noir. »

 

Il parut dubitatif. Il avait de quoi, à vrai dire. Mais c’était mal connaître Tigresse que de douter de sa parole.

 

« Je connais ce regard, vous me prenez pour une menteuse. Vous devez vous dire que mes informations ne sont que partielles, que vous connaissez déjà ce que je m’apprête à vous dire. Et je vous assure que vous vous trompez à mon sujet, Papillon. »

 

Elle se pencha en avant vers lui, et posa ses coudes sur ses genoux. Ses mains soutenaient son visage lascivement posé là, et ses yeux dont la couleur rappelait celle du grenat, quoiqu’un peu plus claire, observaient avec amusement l’homme peu à l’aise, qui semblait hésiter entre adopter une tactique offensive ou rester sur la défensive.

 

« Je ne suis pas n’importe qui, souffla-t-elle à mi-voix, de sorte à ce que lui seul entendît ses paroles. Je suis Tigresse, la seule et unique personne à avoir découvert l’identité de Ladybug et Chat Noir, ainsi que celle du Gardien. »

 

Il fronça les sourcils. Son sourire ne put que s’agrandir. Il affichait dès à présent un air confus, comme s’il voulait croire ses paroles mais gardait une once d’hésitation qui lui intimait l’ordre de rester prudent.

 

« N’en rêvez-vous pas ? Connaître leurs noms, leurs visages, serait un grand avantage pour vous. Plus besoin d’akumas pour vous battre, vous n’avez qu’à profiter de leur inattention pour leur voler les Miraculous qui vous intéressent tant.

– Mais si tu sais qui ils sont, pourquoi cherches-tu tant à les traquer ? souleva-t-il en croisant les bras sur son torse, gardant toujours cependant sa canne fermement serrée entre ses doigts. Pourquoi avoir besoin de mon aide ? »

 

Tigresse répondit par un doux rire secouant ses épaules ; la structure maintenant sa cape en place tinta doucement, et son gantelet émit lui aussi un petit bruit en entrechoquant ses quelques parties lorsqu’elle croisa les bras sur ses genoux, approchant un peu plus son visage de celui de l’homme en face d’elle.

 

« Votre question est bien pertinente, très cher. Vous faites bien de la poser. Voyez-vous… »

 

Elle marqua une pause, laissant durer le suspense. Il attendait ses paroles, et se savoir ainsi désirée pour la connaissance qu’elle possédait la fit frémir.

 

« Je ne cherche pas seulement à les affronter. Je veux les détruire. Quant au pourquoi du comment, il se trouve que je porte une certaine rancœur à ce duo.

– Mais de ce que j’ai vu, Ladybug a passé le flambeau à quelqu’un… Porte-Bonheur, si je ne me trompe.

– Et cette chère petite n’a rien à voir avec cette histoire. Seulement, son bijou vous intéresse, n’est-ce pas ? Pour accomplir vos desseins, quels qu’ils soient. »

 

Bien qu’elle-même les convoitât tout autant que l’homme, voire peut-être plus. Que voulait-il en faire de toute façon ? Obtenir plus de richesse, plus de pouvoir ? À moins qu’il ne voulût retrouver son amour perdu ? Peu importait aux yeux de Valentine. Ces bijoux lui reviendraient à elle et elle seule.

 

« J’ai un plan, souffla-t-elle. Si vous voulez obtenir ces Miraculous, faites-moi confiance et devenez mon allié. Vous n’avez rien à y perdre, tout à gagner. Il ne suffira que de piéger ces adolescents, je vous dirai où frapper et quand. Ils seront si vulnérables que ça sera bien trop simple à vos yeux. Mais vous êtes un homme de l’ombre, qui attaque dans la distance, alors cela ne vous posera pas trop de problème, j’imagine ? »

 

Il acquiesça, un sourire aux lèvres. Dressé de toute sa hauteur dans son siège d’ardoise, il gardait toute sa splendeur et l’observait de haut. L’air hautain que Valentine décela dans son regard lui rappela désagréablement quelqu’un.

Ce fut à ce moment-là que les paroles de Roarr lui revinrent à l’esprit.

 

« Tu n’aurais jamais pu proposer un meilleur point de rendez-vous que celui-là. » 

 

L’idée était saugrenue. Parfaitement saugrenue. Mais pas aussi improbable qu’elle aurait pu en avoir l’air.

Après tout, pourquoi pas ? Les coïncidences étaient trop nombreuses.

Et surtout, cet air méprisant adopté par le Papillon en cet instant lui rappelait exactement celui adopté par cet homme lors de leur entrevue.

 

Le Papillon, sous son masque, ne serait-il pas en réalité Gabriel Agreste ?

 

Voilà qui devenait extrêmement intéressant.

 

Donner rendez-vous à son rival sur son propre domaine, voilà qui était osé. Adrien surveillait-il encore les lieux ? Elle espérait que non. Voilà pourquoi elle avait adopté un ton plus calme, et progressivement baissé le son de sa voix. Mais savoir que le père et le fils se battaient inlassablement sans le savoir depuis tout ce temps avait une saveur particulière.

 

« Très bien, sourit-il. J’accepte que nous unissions nos forces. Je compte sur vous pour être d’une grande aide, Tigresse.

– Je ne vous décevrai pas, » répondit-elle en dévoilant son sourire carnassier, impatiente de prendre sa revanche sur tous ceux qui l’avaient menée à cette odieuse situation, y compris celui qui se tenait en face d’elle.



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* 『必ず死ぬと書いて必死 夢の中と書いて夢中

まさに必死で夢中になって 僕らは季節を駆け抜けた』


「空っぽの空に潰される」- amazarashi

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