Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre XXV
« Arrête, tu vas mourir ! » me dis-tu comme si c’était drôle.
« Arrête, tu vas mourir ! » ; sans aucun doute, sans aucun doute. *
– Fini de chahuter – amazarashi
Marinette s’éveilla dans un sursaut. Avait-ce été à cause d’un cauchemar ? Peut-être bien.
Un mauvais pressentiment la gagna dès le saut du lit, et ne la quitta plus pendant toute la journée. Elle aurait bien aimé en parler à Adrien au travers de quelques messages, mais elle n’en eut pas le temps ; trop retardée par ses pensées quelque peu paniquées, elle dut se dépêcher de se rendre en cours.
C’était le dernier jour avant le week-end. Une longue journée, mais après ça, elle serait libre de se reposer autant qu’elle le voudrait. Peut-être pourrait-elle passer du temps avec Adrien ? À présent qu’ils étaient ensemble – elle frémissait encore à cette idée, elle n’en revenait toujours pas –, ils devraient pouvoir faire quelques activités ensemble. Aller au cinéma, ou au musée, ou bien déjeuner ensemble quelque part…
L’enseignant la rappela à l’ordre, la tirant de ses rêveries. Elle croisa le regard amusé d’Adrien, qui lui faisait un signe. Elle le lui rendit, tout naturellement. Elle n’avait plus qu’une hâte, c’était de le retrouver à la pause…
Si seulement ce pressentiment ne la hantait pas avec autant d’acharnement…
*
Valentine jeta un dernier regard à sa cicatrice. Elle fit quelques étirements, et afficha une mine grandement satisfaite en voyant qu’elle n’avait plus mal désormais. Était-ce grâce aux analgésiques, ou bien sa plaie était-elle enfin guérie ? La réponse lui importait peu. Elle était en parfaite forme pour passer à la première phase de son plan. Elle aurait sa vengeance en ce jour.
Elle sortit de chez elle en tenue de civil. Son sac à main, porté en bandoulière, cognait doucement contre sa cuisse à chaque pas qu’elle faisait. Elle était déterminée, mais une part d’elle doutait. Et plus elle avançait vers sa destination, plus l’angoisse grandissait. Que ferait-elle si elle n’était pas à la hauteur ? Qu’adviendrait-il d’elle ? Voilà qu’elle rongeait nerveusement l’ongle de son pouce droit. Non, il fallait se ressaisir. Reprends-toi, idiote. Si elle vacillait, tout serait perdu. Et elle ne pouvait se permettre de perdre. Pas après s’être autant battue pour parvenir jusqu’ici.
Il fallut trouver un endroit discret. Un toit sur lequel se poser, où elle pourrait faire apparaître Tigresse sans que nul ne la vît. Elle ne voulait pas faire dans l’extravagance ; le premier idiot aurait songé se poster sur la Tour Eiffel ou encore l’Arc de Triomphe, comme un héros admirant la splendeur du territoire qu’il a conquis, mais ce n’était pas son genre. S’exposer tout en restant dans l’ombre était une drôle d’idée ; on parlait tant de Tigresse – plus en mal qu’en bien, mais soit – que c’était presque comme si des badauds ne s’attroupaient pas pour la filmer ou la prendre en photo lors de ses apparitions publiques. Qu’il était dur d’être une star, ricana-t-elle.
Son choix s’était porté sur la cathédrale de Notre-Dame, pour finir. Quelle ironie, elle qui disait ne pas vouloir faire dans l’extravagance. Mais il serait facile de faire appel à Roarr sur le chemin, et de se poster sur les toits, à guetter la venue de son invité.
« Roarr, glissa-t-elle au kwami alors qu’elle forçait la serrure d’une des portes menant aux locaux privés de l’édifice religieux, je risque de faire quelque chose de très, mais alors très stupide.
– C’est pour accomplir ta vengeance, non ? souffla le petit tigre en se glissant à son oreille. Ne t’en fais pas pour ça, et laisse-moi faire. »
Roarr traversa la porte, comme si ça n’avait été qu’une vulgaire baie vitrée ouverte, et défit le verrou coulissant de l’autre côté. Valentine poussa le battant en bois en jetant de rapides coups d’œil de chaque côté, s’assurant que nul ne l’avait vue, avant de s’y faufiler. Remerciant à de nombreuses reprises le petit être pour son aide précieuse, elle lui ordonna pour finir de la transformer. Dans un éclat lumineux, la jeune femme laissa place à son alter ego et, d’un pas décidé, commença à explorer les lieux à la recherche d’un accès pour le toit.
Elle le trouva bien rapidement, non sans devoir assommer une ou deux personnes croisées là. Pour leur sécurité. Ou pour la sienne, à elle. Qui pouvait savoir ?
Une bourrasque l’accueillit lorsqu’elle parvint aux galeries des chimères, faisant un peu plus s’emmêler ses cheveux ébouriffés qui viraient toujours plus au roux sous les rayons du soleil. Elle ne s’était toujours pas habituée à cette modification physique aussi radicale malgré toutes ses transformations ; ne pas reconnaître son propre visage devant un miroir était assez déroutant. En contrebas, personne ne l’avait aperçue, tous étaient bien trop occupés à pénétrer au cœur de la cathédrale pour la visiter. Tant mieux, elle serait tranquille.
C’est ici que tout se joue, se dit-elle en serrant les poings. C’est moi contre toi, Papillon.
Elle ferma les yeux, inspira profondément et fit le vide en elle. Les seules pensées qui restèrent, et qui tournèrent dans sa tête, furent concentrées autour de son père, de sa colère. La tristesse, la haine et la rage commençaient à la gagner, et se faisaient de plus en plus fortes. Elle s’imaginait le visage innocent de Marinette, inconsciente de tous ces actes répréhensibles qu’elle avait commis, et la petite flamme qui était née dans son cœur se changea en un brasier consumant tout sur son passage.
Valentine se changeait peu à peu en furie.
Elle entendit un battement d’ailes anormal près de là. Pas celui d’un pigeon. Non, celui d’un papillon. En rouvrant les yeux, elle la vit, cette petite créature qui semblait l’observer, envieuse de se loger dans son corps. Un parasite désireux de se blottir dans un nouveau cocon. Un démon épiant sa victime en devenir, savourant l’appréhension qui se dessinait sur le visage de celle-ci.
Mais plutôt que de paniquer ou de fuir, la jeune femme afficha un large sourire. Elle étendit les bras, et parla à l’akuma.
« C’est moi que tu veux. Et je te veux aussi. Tu vas sagement devenir mien, et on verra qui de toi ou moi est le plus puissant. »
Sans perdre une seconde de plus, elle saisit l’émissaire du Papillon à pleine main, l’enserrant de ses doigts protégés par le gantelet. L’akuma s’y logea, et rapidement elle ressentit les mêmes tremblements, les mêmes vibrations dans son cœur que la fois précédente. La douleur irradiait son corps plié en deux, brûlant sa peau d’un feu imaginaire, mais ça n’était pas aussi violent que la fois dernière. Non. Cette fois-ci, elle savait ce qu’elle faisait, et ce qu’elle voulait.
Et elle ne voulait pas se laisser posséder.
« Papillon, grogna-t-elle en serrant les dents – une nausée commençait à la gagner – avant de haleter. Je suis là pour répondre à votre offre ! J’accepte votre aide ! »
La voix de l’homme mit un temps à lui parvenir. Elle l’imaginait surpris. Il ne devait pas s’attendre à une telle situation. Une humaine – même détentrice d’un Miraculous – ne lui avait jamais résisté aussi longtemps. C’était… curieux. Mais les mots qui lui parvenaient par télépathie étaient empreints de sincérité – et de douleur –, si bien qu’il ne put laisser patienter son « invitée » bien longtemps. Passant rapidement sa langue sur ses lèvres, choisissant avec assurance ses mots, il répondit à la jeune femme qui venait de l’appeler.
« Comme on se retrouve, Tigresse, ricana l’homme. Tu es finalement revenue sur ta décision.
– Je m’excuse pour la dernière fois, ahana la jeune femme en reprenant son souffle ; la douleur avait disparu, et elle était toujours elle-même, c’était parfait. Comprenez que vous ne m’aviez pas vraiment laissé le choix, vous étiez à deux contre moi, j’étais en position de faiblesse.
– Oh, mais je ne t’en veux pas. Ma proposition tient toujours, si tu es digne de confiance.
– Je ne vous parlerai qu’en face à face. Je refuse que ce soit par télépathie. Retrouvez-moi ce soir, à minuit, sur le toit du manoir de Gabriel Agreste. Vous devrez être seul. »
Sans lui laisser le temps de lui répondre, ni même de réfléchir à ce rendez-vous qu’elle lui ordonnait, elle concentra tout son esprit sur l’akuma venu se mêler à son gantelet. Se l’imaginant sous l’apparence habituelle de ces maudits papillons violacés, elle se le représenta grouillant sous son armure, léchant sa peau de ses ailes rêches. Une fois que l’image fut parfaitement imprimée dans son esprit, jusque dans les moindres détails, elle s’imagina l’extirper de son corps d’un revers de main.
L’instant d’après, l’akuma était délogé, et retournait fébrilement à son expéditeur.
Un sourire satisfait étirant ses lèvres, Valentine s’imagina pourchasser la créature pour retrouver son propriétaire. Alors qu’elle voulut s’élancer en prenant appui sur la rambarde pour suivre l’insecte magique, un vertige la prit, tandis que les contrecoups de cet effort monumental se faisaient ressentir. Un violent mal de crâne la prit, et sa tête lui donnait l’impression d’être prête à exploser à tout moment. Une nausée désagréable menaça de forcer son passage à travers ses tripes, le goût de la bile commençait déjà à envahir sa langue. Et pour couronner le tout, sa cicatrice la lançait.
Elle se laissa tomber par terre, s’adossant à la rambarde, en se cachant quelque peu des regards. Tant pis si on la voyait. Ce n’était pas comme si ces maudits héros pouvaient intervenir, ils étaient en cours. Et même si elle ignorait qui était Porte-Bonheur – bien qu’elle eût une idée à ce sujet –, elle devait forcément être du même lycée qu’eux ; elle était donc hors d’état de nuire elle aussi. Pour l’instant.
« Merci, Roarr, murmura-t-elle à l’attention de son kwami, bien que celle-ci ne l’entendît probablement pas. Grâce à toi, je vais bientôt retrouver mon père… »
Sa tête se renversa en arrière. C’était une belle journée. Le ciel s’étendait à perte de vue au-dessus d’elle, de sa belle teinte d’azur, parfois entachée de nuages blancs. Quelques doux rayons de soleil virent réchauffer son corps gelé. Cette confrontation avec l’akuma l’avait bien plus épuisée que ce qu’elle n’aurait cru.
Elle ferma doucement les yeux, se laissant porter par les bruits de ville. Le brouhaha des gens, en bas. Les bourrasques de vent qui venaient l’ébouriffer un peu plus à chaque fois. Le roucoulement des pigeons à la recherche de morceaux de pain à grignoter. Sa respiration qui s’apaisait un peu plus…
*
Le Papillon était un homme prudent. Lorsque lui revenaient ses akumas – bien que cela n’arrivât pas souvent – ils empruntaient toujours un chemin hasardeux, passant par mille et une ruelles ou à travers tout autant de bâtiments, afin de semer d’éventuels poursuivants. On ne faisait jamais trop attention à ce genre de choses.
Le seul problème était que, à l’opposé des kwamis et de leur intangibilité, les papillons qu’il envoyait ne pouvaient traverser les objets. Ils ne pouvaient que se faufiler à travers les interstices, comme les trous de serrure, pour venir s’infiltrer dans le corps et l’esprit des victimes de sa possession. Ou de sa « transmission », c’était selon le point de vue. Si bien qu’une fois dans les environs du manoir, ils prenaient toujours plus ou moins la même trajectoire ; arrivant par la voie des airs à travers la fenêtre de l’observatoire, pour regagner la canne de l’homme.
Dans sa précipitation, ce matin-là, Adrien avait oublié son manuel d’anglais. Impossible de se partager celui de Nino en cours, c’était du cahier d’exercices dont il avait besoin. Parfois, Mme Bustier s’amusait à en ramasser au hasard pour vérifier que tout était bien fait ; que penserait-elle de lui s’il admettait avoir laissé le sien chez lui ? Non pas qu’il tenait à sa réputation de bon élève, mais cela pouvait remonter aux oreilles de son père et…
Il se figea. Quelque chose l’avait tiré de ses réflexions internes tandis qu’il approchait du domicile familial – il n’avait prévenu personne, pas même le Gorille, il avait voulu faire vite, quitte à sauter le déjeuner – et voilà que la panique le gagnait.
C’était son esprit qui lui jouait des tours. Oui, assurément. Ou peut-être que non. Non, il ne se trompait pas.
Oh, non, il ne se trompait absolument pas.
C’était bien un akuma qu’il venait d’apercevoir là-haut, s’approchant du manoir du côté de l’aile occupée par son père ; c’était là que se trouvait sa chambre, son bureau, et son atelier. Oh misère, son père était la cible du Papillon !
Il eut à peine le temps de réfléchir, et se précipita à toute hâte à l’intérieur de la maison, faisant fi de la discrétion qu’il avait pourtant désirée dans un premier temps. C’était une situation d’urgence, les explications viendraient après !
« Père ! » hurla-t-il à pleins poumons en se ruant vers l’auditorium, dont les lourdes portes s’ouvrirent difficilement, pour mener à une pièce vide de monde.
Il étouffa un juron – Plagg s’était permis une petite remarque taquine au sujet de cette impolitesse qui ne lui ressemblait guère – et se rua dans les escaliers. S’il n’était pas dans l’auditorium, c’était dans son bureau qu’il se trouvait, au premier étage. Gravissant les marches quatre à quatre – s’il avait pu, il aurait bien doublé ce nombre –, il arriva rouge et essoufflé devant la porte de la pièce privée de son père. Sans prendre la peine de frapper, il tourna la poignée. Fermée à clé. Il ne manquait plus que ça !
Il recula de quelques pas, et prit de l’élan. Si la porte était fermée, il n’aurait qu’à l’enfoncer !
« À la une… À la deux… »
Il rassemblait tout le courage et toute la force qu’il pouvait mobiliser en cet instant. Oh, il aurait dû prévenir Marinette, pour qu’elle transmît le message à Porte-Bonheur. Il serait dur de faire intervenir Chat Noir dans de telles conditions…
« À la trois ! » s’exclama-t-il avant de courir de toutes ses forces, visant précisément l’endroit où son épaule gauche viendrait cogner le bois de la porte pour l’enfoncer.
Porte qui s’ouvrit innocemment lorsqu’il arriva à quelques centimètres d’elle. Là où aurait dû se trouver l’obstacle tant redouté qui le coupait de son père ne figurait plus qu’une ouverture béante, l’entrée du bureau.
Il évita de justesse l’accident en se stoppant à temps, uniquement pour faire face à son père et à Nathalie qui quittaient les lieux en discutant. Gabriel fixa son fils avec un mélange d’incompréhension et d’agacement. Adrien ne put que rougir de plus belle – bien que ses joues eussent déjà une belle teinte de pivoine à cause de sa course effrénée – et se sentir mal à l’aise, comme à chaque fois qu’il faisait face à son père.
« Que fais-tu ici, Adrien ? grinça la voix sèche de l’homme. Ne devrais-tu pas être au collège ?
– Je devais récupérer quelque chose dans ma chambre, murmura l’adolescent à mi-voix, incapable de s’exprimer clairement tant il était intimidé.
– Alors dans ce cas, pourquoi te trouves-tu devant mon bureau ? Pourquoi courrais-tu comme un sauvage dans notre demeure ?
– J’ai vu un akuma du Papillon rôder autour du manoir, Père, expliqua-t-il, un peu plus d’assurance dans sa voix. J’ai eu peur qu’il vous prenne pour cible, je voulais vous protéger.
– C’est bien gentil, mon fils, mais je ne vois pas comment tu aurais pu me protéger. Regarde-toi. Tu es essoufflé, à bout de forces, et tu n’as pas d’armes. Quoi qu’il en soit, tu ferais mieux de te calmer et de retourner en cours. Ta place n’est pas en ces lieux. »
Le blondinet ne put qu’acquiescer timidement, baissant la tête et les yeux, autant par respect que par intimidation. Il s’excusa encore et encore – pour peu il se serait mis à genoux – avant de tourner les talons et se diriger vers sa chambre. Fouillant sous le tas d’affaires laissées en plan sur son bureau, il extirpa son cahier d’exercices de tout ce bazar, et quitta les lieux sans faire plus d’histoires, récupérant son sac de cours qu’il avait lâché dans sa précipitation en entrant dans le hall du bâtiment.
« C’est louche. Très louche, fit Plagg en ingurgitant un morceau de camembert qu’il extirpa de nulle part – et il valait mieux ne pas se poser de questions avec lui. Pourquoi un akuma viendrait-il rôder dans les environs si c’est pour ne livrer personne au Papillon ? Ça n’a aucun sens…
– Comme tu le dis, Plagg, soupira Adrien. Je n’y comprends rien. J’ai bien quelques idées en tête, mais… elles ne sont pas plaisantes du tout… »
Il passa sa main dans ses cheveux, remettant quelques mèches ébouriffées en place. À pied, le collège paraissait tellement loin lorsqu’on était épuisé…
« Ma théorie c’est que ton père a été encore une fois agacé par un problème quelconque, et le Papillon, en manque d’action et de sensations fortes, en a fait sa cible. Mais comme c’était passager, il n’a pas eu le temps de lui transmettre des pouvoirs que ses émotions négatives étaient déjà parties, envolées dans les airs, comme cet akuma !
– Tu as peut-être raison Plagg. Ce doit sûrement être ça. »
Même si, au fond de lui, Adrien nourrissait une inquiétude angoissante. Il refusait d’y croire, il ne voulait y croire, et pourtant… Cette idée était là, et le tenait entre ses mandibules et l’enserrait, l’étouffait presque. Mais il ne pouvait se résoudre à y adhérer.
Devait-il douter de tous ses proches ? Impossible.
Mais si Valentine était bel et bien Tigresse…
Alors il devait sûrement y avoir une chance, même infime, pour que le Papillon fût son père.
Et cette idée, il refusait d’y croire. Rien ne reliait son père à ce monstre. Son père ne croyait plus en la magie, et à ces contes pour enfants que sa mère lui racontait pour l’aider à dormir la nuit. Il n’y avait jamais cru. Son père avait toujours vécu dans ce monde d’adultes, froid et cruel, insipide et fade. Les seules fois où il l’avait vu heureux… c’était en présence de sa mère.
Et depuis que sa mère les avait quittés… Il n’avait plus jamais souri sincèrement.
Maintenant qu’il y repensait, il voyait que la santé de Nathalie déclinait de jour en jour. Elle devait être gravement malade, mais semblait tout autant déterminée à ne pas laisser son poste vacant, et à remplir ses fonctions jusqu’au bout. Cela lui rappelait étrangement sa propre mère. Peu avant qu’elle ne décédât, elle aussi montrait des symptômes similaires. Des toux, des vertiges, et bien plus encore.
Fu n’avait-il jamais mentionné quels effets négatifs un Miraculous pouvait avoir sur le corps ? Il avait parlé d’une étrange maladie, le plus souvent mortelle, qui ôtait peu à peu ses forces au porteur d’un Miraculous endommagé. Si tel était le cas, alors peut-être Nathalie pouvait-elle être Mayura. Cela collerait. Elle était autant fidèle au Papillon que la femme ne l’était envers son père.
Non, c’était forcément une coïncidence.
Peut-être le Papillon et Mayura avaient-ils connaissance de ces histoires de « camouflage » et avaient volontairement choisi des apparences pouvant induire en erreur. Un duo de femme et d’homme aveuglément fidèle l’un à l’autre – quoique, il était difficile de savoir combien le Papillon tenait à Mayura –, ce devait être commun.
Oui, c’était impossible que son père cachât un si lourd secret. Impossible qu’il fût mêlé à de telles histoires.
Mais dans ce cas… Si par malheur ce venait à être lui, Gabriel Agreste, sous le masque du Papillon… Que chercherait-il à accomplir ?
Quiconque mettrait la main sur les Miraculous de la Coccinelle et du Chat Noir se verrait octroyé un pouvoir incommensurable, capable de déformer la réalité, invoquant ainsi une entité que l’on pourrait comparer à un « Dieu » parmi les kwamis. D’après Fu, une incantation – tenue secrète – permettrait la réalisation d’un seul et unique vœu. Que comptait faire le Papillon de ça ? Dominer le monde ? Et à quoi bon ? S’il cherchait vraiment le pouvoir, il n’avait qu’à manipuler les dirigeants du pays pour en gagner le contrôle. Non, ce devait être autre-chose.
Et si par malheur le Papillon était son père… Adrien ne voyait qu’une possibilité. Faire revenir sa femme, la mère du blondinet. Il savait combien cette perte avait été dure pour lui ; il avait radicalement changé depuis le jour où elle ferma les yeux pour ne plus jamais les rouvrir.
Mais que se passerait-il alors ?
Adrien refusait d’y penser.
Car si le Papillon était son père, et s’il tentait réellement de ramener sa mère à la vie…
Alors il n’était plus si sûr de vouloir l’en empêcher.
*
Gabriel avait longuement suivi son fils du regard. Il avait presque craint qu’il eût compris son lien étroit avec l’akuma, mais il sembla qu’il n’en était rien. L’adolescent avait quitté les lieux sans faire d’histoire.
Jusqu’à ce qu’Adrien eût quitté la demeure de nouveau, l’homme parut vaquer à ses occupations. Parlant affaires avec Nathalie – il avait tout de même une entreprise à gérer et une image à entretenir ! –, il lui fit discrètement signe de venir s’entretenir avec lui dans son bureau lorsqu’ils se retrouvèrent de nouveau seuls.
Fermant la porte à double tour, s’assurant que nul ne venait écouter aux portes, Nathalie semblait tendue. Quelque chose semblait la travailler.
« Que s’est-il passé tout à l’heure ? demanda-t-elle. Pourquoi l’akuma est-il revenu ?
– Ne vous affolez pas, Nathalie, répondit-il en essuyant ses lunettes à l’aide d’un chiffon prévu à cet effet. J’ai la situation sous contrôle, et rien de mieux ne pouvait nous arriver. »
Prise d’un vertige et d’un mal de crâne virulent, elle s’était absentée quelques minutes afin de mettre la main sur des comprimés. Le temps de revenir dans le bureau de son employeur, il avait disparu ; elle avait rapidement compris qu’il s’agissait là d’une intervention du Papillon, et avait patiemment guetté son retour. Et elle non plus n’avait pas été aveugle face au petit papillon longeant les vitres jusqu’à trouver l’ouverture du repaire de l’homme.
Elle s’assit dans un des fauteuils qui se trouvaient en face du bureau de Gabriel, et garda soigneusement les mains posées sur ses genoux joints. Ses yeux fatigués s’arrêtèrent sur le visage de l’homme, qui afficha un large sourire ravi.
« Notre très chère Tigresse a accepté notre proposition.
– Alors qu’elle a tenté de nous attaquer ? Ne pensez-vous pas qu’il s’agisse d’un piège ?
– Voyons, Nathalie, ricana-t-il, étirant ses lèvres en un rictus tordu. Nous le verrons bien. Je compte me rendre à son rendez-vous de ce soir, voyez-vous.
– Vous voulez rire, monsieur, n’est-ce pas ? Que feriez-vous si elle tentait de vous arracher la broche ? Et si elle y parvenait ? J’ignore si je pourrai vous venir en aide…
– Calmez-vous, calmez-vous. »
Il s’enfonça un peu plus dans l’immense dossier de sa chaise de cuir. Son air suffisant rassura son assistante, un peu trop nerveuse à son goût.
« Je compte faire appel à une vieille amie. Cela nous permettra de voir si Tigresse est pacifique ou non. Si elle est sincère, ou si elle nous ment pour parvenir à ses propres fins. Et si son marché est honnête… »
Son sourire s’agrandit de plus belle. Si Nathalie n’y était pas habituée, et si elle n’était pas autant aveuglée par sa fidélité envers cet homme, elle aurait certainement ressenti une forme d’effroi la gagner.
« Volpina sera notre pièce maîtresse. En bernant Tigresse grâce à ses illusions, nous saurons s’il nous faut intervenir ou non. Et si toutefois Ladybug et Chat Noir…
– Vous voulez dire « Porte-Bonheur » et Chat Noir…
– Qui que ce soit. S’ils tentent de nous en empêcher, nous créerons toujours plus de discorde pour atteindre notre but. Tigresse se battra pour nous. Et lorsqu’elle mettra la main sur les Miraculous pour nous, nous les récupérerons. »
Oui, l’idée était parfaite. Leurrer Tigresse pour mieux l’utiliser, lui faire croire qu’elle avait des alliés dans sa cause, c’était la meilleure des options qui s’offraient à eux.
Gabriel sentait que sa quête parvenait à sa fin.
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* 『「止めておきな 死んじまうよ」 君が可笑しそうに言う
「止めておきな 死んじまうよ」 確かにね 確かにね』
「馬鹿騒ぎはもう終わり」- amazarashi