Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre XXVII
Maintenant, dans ces mains, dans ce cœur,
il y a plusieurs choses qui me sont précieuses.
Juste celles que j’ai perdues. Juste celles que j’ai brisées.
Et je sais ce que veut vraiment dire « aimer ». *
– Sublimes souvenirs – amazarashi
« Marinette ?
– Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as un problème ?
– Oui. Tigresse et le Papillon sont en train de se parler sur le toit de chez moi. »
L’adolescente avait laissé un blanc, interdite.
« Je vais chercher de l’aide, et je te rejoins. On va les coffrer tous les deux.
– Je vais voir ce qu’ils disent. Je resterai discret.
– Fais attention à toi. Qui sait de quoi ils sont capables à deux. »
Adrien avait raccroché, et s’était empressé de se transformer. Profitant de la position de sa chambre par rapport à celle du duo qui complotait au-dessus, il se glissa dans les arbres voisins, se concentrant pour bien entendre tout ce qui se disait.
Des cris l’avaient réveillé. Il n’avait pas fallu beaucoup de temps pour qu’il reconnût la voix qui hurlait de toutes ses forces là-haut. Et au-delà des pleurs de Lila – qui semblait cruellement souffrir – lui étaient parvenues les voix de Tigresse, et du Papillon. Malgré la fenêtre ouverte, il était trop loin pour comprendre ce qui se racontait, mais une fois transformé et plus proche de la scène, il pouvait tout entendre. Et tout voir.
Et ce qu’il voyait ne lui plaisait pas.
Tigresse suspendait Volpina dans le vide, par les cheveux. Elle devait tellement souffrir… Elle appelait à l’aide, et ses supplications semblaient adressées au Papillon. Était-ce possible qu’il eût demandé son aide et qu’il l’eût abandonnée aux griffes de Tigresse après cela ? On n’était jamais à l’abri de ce genre de cas de figure avec cet individu…
« Libérez-moi, pleura l’akumatisée en reniflant et en gémissant de douleur. Je vous en supplie, faites quelque chose ! »
Adrien vit la scène se dérouler au ralenti. Le Papillon libéra Volpina – Lila – de son akuma, et elle hurla de plus belle tandis que Tigresse continuait à la garder au-dessus du vide. Les jambes de l’adolescente s’agitaient dans tous les sens, cherchant à atteindre le toit qui, malheureusement, était bien trop loin pour elle. Sa ravisseuse lui susurra quelque chose à l’oreille, avant de lâcher sa prise.
Sans réfléchir, l’adolescent se précipita vers elle, et l’attrapa au vol, avant de rebondir sur le mur du manoir, et de repartir dans l’autre sens, mettant la pauvre jeune fille en sécurité.
Elle ne cessait de pleurer. Le choc était encore frais, et la frayeur avait été bien trop grande. Même une fois les pieds au sol, elle ne s’arrêtait plus. Là-haut, sur le toit, Tigresse et Papillon continuaient à discuter, comme si cette tentative de meurtre avait été parfaitement normale.
Marinette arriva peu après, en costume de Ladybug. La revoir sous cette apparence fit sourire Adrien, bien qu’il sût que c’était plutôt dangereux face à Tigresse, et encore plus si le Papillon était à côté. Que feraient-ils si elle révélait leurs identités à leur pire ennemi ? Il n’osait l’imaginer.
Aux côtés de la brunette, Rena Rouge et Carapace se tenaient prêts à en découdre. Ils avaient visiblement été informés de la situation. Ils n’étaient pas de trop à quatre contre deux.
« Qu’est-ce qu’elle fait là ? fit Ladybug en faisant un signe en direction de Lila, qui commençait peu à peu à reprendre le contrôle de ses émotions.
– Le Papillon s’en est servi en tant que Volpina. J’ignore pour quoi, peut-être pour attirer Tigresse ? Quoiqu’il en soit, Tigresse la suspendait dans le vide, le Papillon l’a désakumatisée, et elle l’a jetée dans le vide.
– Dans le vide ? Elle a failli la tuer, oui ! » grogna Carapace en croisant les bras sur son torse.
Le blondinet acquiesça tristement. Une quinte de toux secoua Lila, ce qui fit se tourner tous les visages dans sa direction.
« Qu’est-ce qu’il voulait que tu fasses pour lui ? demanda gentiment Chat Noir, en tentant de ne pas la brusquer.
– Je crois… qu’il voulait que je l’attire, elle, souffla-t-elle en se massant la gorge, et en montrant distraitement Tigresse du doigt. Il fallait que je l’occupe, que je récupère des informations, je crois… Je ne me souviens pas du reste…
– C’est amusant, grimaça Marinette, dont les bras se croisèrent sans qu’elle ne le voulût, parce que les personnes qui se font akumatiser par accident ne se souviennent de rien. Seuls ceux qui acceptent de leur plein gré l’akuma gardent des souvenirs de la transmission de pouvoir. »
Rena Rouge posa sa main sur son épaule, et lui fit signe de ne pas en ajouter. Alya connaissait elle aussi la tendance de Lila à mentir à tort et à travers pour faire son intéressante, mais n’avait pas conscience de l’étendue de sa toile de mensonges. Elle lui faisait clairement comprendre qu’il fallait laisser couler car la pauvre petite chose venait de vivre une expérience traumatisante.
« Carapace, raccompagne-la chez elle, fit-elle finalement. Nous trois, on va continuer à observer, et on agira quand l’occasion se présentera. Je te recontacte au besoin pour te tenir au courant de la suite.
– Compris. Je fais au plus vite. »
Désolée Nino, songea la brunette, mais tu n’es pas indispensable ce soir.
Les deux là-haut semblaient bien s’entendre. Tigresse avait fait se former à partir de la toiture deux fauteuils d’ardoise peu confortables à vue d’œil, et ils discutaient comme de bons amis, ou de bons collaborateurs. S’ils formaient une alliance, elle ne donnait pas cher de leur peau. Il faudrait à tout prix dans ce cas qu’elle et Adrien transmissent leurs bijoux à d’autres, et qu’ils missent le Gardien à l’abri. Sans quoi, tous les Miraculous leur tomberaient entre les mains… Et le monde ne voulait pas de ça.
« Rena Rouge, il faut que tu crées un mirage de Chat Noir et moi, pour les détourner. Tigresse se jettera sûrement sur les faux nous, tu dois leur faire esquiver chacun des coups qu’elle tentera de porter. Chat Noir et moi attaquerons le Papillon pour lui arracher sa broche.
– Si nous récupérons la broche du Papillon, nous n’aurons plus à craindre Tigresse, réfléchit l’adolescent à voix haute. Il suffirait de jouer aux vilains pour une fois et de la posséder, pour la contraindre à nous rendre le Miraculous du Tigre. Nous règlerions plusieurs problèmes à la fois.
– Il ne restera plus que la broche du Paon, et nous pourrons probablement rendre les armes une bonne fois pour toutes, » conclut Ladybug.
La renarde les observa tour à tour, et énonça la question qui lui brûlait les lèvres.
« Quel rôle a Carapace dans tout ça ?
– Aucun. Mettre Lila en sécurité. Nous aider au corps à corps s’il revient à temps.
– Sympa pour lui.
– Il a fallu réfléchir vite, je savais que lui et toi seriez présents. Et je ne pouvais pas me permettre de faire appel à tous les porteurs de Miraculous, certains ne les maîtrisent pas autant que vous deux. D’autant plus que, si par malheur nous perdions, cela ne ferait que les rendre encore plus forts.
– Lady a raison, acquiesça Chat Noir. Nous savons qu’à deux contre elle, nous n’avons aucune chance. Mais avec tes mirages, nous pouvons faire pencher les choses en notre faveur ! »
Marinette aperçut Tigresse et le Papillon se serrer la main. Elle n’attendit pas plus longtemps, et ordonna le début de l’opération.
Un bruit attira l’attention de Valentine. Quelqu’un venait d’arriver sur les lieux du crime, dans son dos. Le Papillon semblait surpris de voir cet invité surprise débarquer. Redoutant qu’il s’agît de Mayura, venue lui planter une épée dans le dos, elle se retourna avec un soupçon d’inquiétude. Mais la peur laissa bien rapidement place à un large sourire lorsqu’elle vit qu’il ne s’agissait de nul autre que ces chers Ladybug et Chat Noir.
« Bonsoir, lança-t-elle calmement à leur attention. Navrée, mais vous nous dérangez en pleine réunion d’adultes. Voyez-vous, ce n’est absolument pas pour les enfants. »
Elle fit discrètement signe au Papillon de la laisser faire. L’homme haussa les épaules et resta confortablement installé dans son siège, bras croisés sur le torse et un air ravi dessiné sur son visage.
« Alors faites plaisir à une vieille amie et fichez le camp de ce manoir. Ou alors j’emploierai la manière forte, grinça-t-elle.
– C’est dommage, lança le pseudo-félin, parce qu’on avait envie de se joindre à votre petite fête. C’est dommage de ne pas nous y avoir invités. »
Valentine aurait bien aimé le faire taire, mais quelque chose lui paraissait bizarre.
Que Marinette décidât remettre la main sur le Miraculous de la Coccinelle pour prendre sa revanche – c’était entre elle et eux deux, après tout, « Porte-Bonheur » n’avait rien à voir avec cette histoire – ne l’étonna guère. Aux côtés de son « amant », elle devait trouver le courage d’affronter l’ennemi.
Mais pour une raison qu’elle ignorait, quelque chose lui disait de se méfier de ces deux-là. Ils avaient probablement un plan, après tout. Ils devaient essayer de la piéger, c’était certain. Elle n’était pas stupide, l’occasion était trop belle, entre le Papillon qui était de sortie et elle qui se trouvait à ses côtés…
Et s’il s’agissait d’une illusion ? Voir Volpina avait dû leur donner des idées. Il fallait jouer avec eux, les berner pour qu’ils ne vissent pas qu’elle testait leur piège.
« Vous me décevez, tous les deux. Fut un temps, vous vous seriez jetés sur moi en tentant de me prendre par surprise et de m’arracher ce bijou que vous voulez tant récupérer. Regardez, il y a même votre grand ennemi de toujours. Deux têtes sur un plateau d’ardoise, rien que pour vous deux. Et vous voulez me faire croire que vous allez rester là, en retrait, juste à nous parler ? Vous foutez pas de moi. »
Comme ce à quoi elle s’était attendue, il n’y eut pas de réaction. Ou plutôt, il y en eut une : l’inaction. Ils semblaient tout bonnement perdus, incapable de répondre. Pas même une pique, aucun dialogue, rien.
Sous les yeux intrigués – et amusés – de l’homme, elle commença à marcher tranquillement, se promenant çà et là sur la toiture. Elle secouait la tête, comme si elle battait le rythme d’une musique dont elle était la seule à entendre la mélodie. Sa cape flottait, ondulant à en donner l’illusion qu’elle était infinie. Toute la beauté qui pouvait émaner de la jeune femme contrastait grandement avec le sentiment d’effroi qu’elle pouvait inspirer tant elle était calculatrice et tenace.
Quelques nuages amoncelés adoptaient peu à peu un air menaçant, comme s’ils s’accordaient à l’humeur de la jeune femme. Pleuvrait-il ce soir encore ? Tigresse sourit. Elle aurait aimé pouvoir profiter de cet instant flottant encore un peu plus.
« Assez plaisanté, lâcha-t-elle finalement en fixant de nouveau le duo qui restait toujours autant éloigné. Venez à moi, ou bien je viendrai à vous. »
Ils semblèrent se concerter et, après avoir acquiescé, ils firent un pas dans sa direction, puis un autre. Progressant lentement le long de la toiture, ils gardaient cet air peu assuré et défensif qui irritait Valentine.
Elle avança à son tour pour les rejoindre, en de plus grandes foulées. Elle en fit trois ou quatre, avant de se stopper net.
« Votre temps est écoulé, » sourit-elle à grandes dents.
Elle avait compté chacune des cinq dernières minutes. Ce pari pouvait avoir semblé risqué, mais elle avait été plutôt sûre d’elle en partant du principe de Rena Rouge était, comme eux, une porteuse immature. Et elle ne s’était pas trompée. L’illusion du duo disparut, en même temps qu’un éclair lumineux, plus loin dans la rue, laissait comprendre que le kwami avait puisé dans ses dernières gouttes d’essence divine.
Ce qui voulait dire…
Elle posa un genou à terre, et plaqua sa main sur les tuiles, créant une prison de pierres venant étendre ses bras et les enrouler autour du corps des deux adolescents qui tentaient de la prendre d’assaut. Qu’ils étaient sots. Il n’était pas bien difficile de deviner que le mirage devait l’attirer d’un côté pour qu’ils vinssent ensuite les prendre par surprise, le Papillon et elle, dans leurs dos. Le bruit de leurs pas, de leur souffle, suffit à déterminer leur position tandis qu’ils s’élançaient pour l’assaillir. Elle n’avait fait que cueillir au vol ces misérables insectes désagréables.
« Pourquoi me regardez-vous avec tant de surprise ? demanda-t-elle d’un ton faussement attristé. Vous auriez pu vous doutez que je verrais clair dans votre jeu. Vous n’êtes pas très futés. Il fallait s’en douter, vous n’êtes que des gamins. »
Elle leur avait créé une prison sur mesure, littéralement. L’ardoise avait recouvert leurs corps, devenant comme une seconde peau paralysante, les bloquant dans leur élan. Elle avait pris le plaisir de laissé dégagés leurs visages, ainsi que la main droite du blondinet, juste pour le plaisir de pouvoir entendre leurs cris lorsqu’elle leur ôterait leurs bijoux si précieux. Par précaution, elle avait poussé l’ardoise à tirer quelque peu le bras de l’adolescent afin d’éviter qu’il ne détruisît sa merveilleuse prison grâce à son cataclysme. On n’était jamais trop prudent avec eux deux.
« Par lequel vais-je commencer ? Avez-vous une préférence ? s’enquit-elle auprès du Papillon.
– Je dois admettre que tu m’as bluffé. Finalement, tu n’auras même pas eu besoin de mon aide, dit-il en applaudissant doucement. Puisque c’est ainsi, je te laisse le privilège de décider lequel tu dévoreras en premier.
– Vous savez, c’est parce qu’il a entendu les cris de Lila qu’Adrien est venu nous voir et la sauver. Sans votre chère Volpina, le rat ne serait pas sorti de sa tanière. »
Elle avait vu juste.
Ne disait-on pas que les yeux étaient le miroir de l’âme ? Quiconque plongeait dans un regard pouvait cerner les sentiments de l’individu.
Et sans avoir à les observer bien longtemps, Valentine lut la consternation dans ceux de l’homme qui se tenait non loin d’elle et qui, quelques instants auparavant à peine, applaudissait avec satisfaction. Il tentait de garder la face, de sauver les apparences, mais elle sentait clairement qu’il ne savait plus quoi penser.
Cela ne pouvait signifier qu’une chose. C’étaient bien le père et le fils qui se livraient à une bataille éternelle depuis tout ce temps. Et si ses informations étaient exactes, ce dont elle ne doutait pas puisqu’elle les tenait du père lui-même, la mère du petit était décédée quelques années auparavant. Ce devait être pour la faire revenir d’entre les morts que l’homme se livrait à ce petit jeu de manipulations en restant caché dans l’ombre.
Donc Mayura devait assurément être son insipide assistante.
Tout semblait si évident à présent. Et d’un autre côté, c’était si amusant de voir la confusion et l’inquiétude se dessiner sur leurs trois visages. Qu’il était compliqué de rester impassible face au spectacle et aux possibilités qui s’offraient à elle !
« Donc merci, Papillon, renchérit-elle. Nous obtiendrons ce que nous voudrons dès ce soir. »
Elle s’approcha de l’adolescent. Soulevant son visage du bout de l’index, elle contempla ses doux yeux verts. Quel dommage que l’essence de sa médiocre divinité – non, il ne fallait pas en dire du mal, Plagg était puissant, c’était juste Adrien qui n’était pas à la hauteur – modifiât les iris et la forme de la pupille. Ce n’était pas ses véritables yeux, ce n’était que des faux yeux de chat. Et qui était le vrai Adrien là-dessous ? Celui qui vivait enfermé dans son rôle de fils et élève modèle, ou bien celui qui passait son temps à courir sur les toits en riant ?
« Toi et moi, lui dit-elle, on se ressemble. On a besoin de recourir à ces stratagèmes pour révéler notre véritable identité et être nous-même sans craindre le jugement d’autrui. Crois-tu que je me serais révélée sous un tel jour si cela avait été mon véritable visage ? » ajouta-t-elle en se désignant elle-même du bout de l’index.
Les yeux de l’adolescent se promenaient rapidement, allant à droite à gauche, incapables de se fixer sur un point précis de son regard. Leur couleur lui inspirait la rouille d’une lame de fer usée par le temps. Une autre image se forma dans son esprit, celle du sang – probablement le sien s’il ne faisait rien – s’écoulant d’une douloureuse blessure infligée par la même arme.
Il déglutit. Il avait beau tenter de remuer son corps, seule sa main battait dans les airs, ne touchant que du vide. Il avait bien un dernier atout dans sa manche, mais cela valait-il vraiment la peine ? S’il tentait de la détruire – de la tuer, tu veux dire ? – elle ne ferait qu’attendre que Plagg s’épuisât. Il avait perdu, tout simplement.
Ils avaient perdu.
« Je pense sincèrement que si les choses en avaient été autrement nous aurions pu nous apprécier.
– Il n’est pas encore trop tard, articula-t-il tristement ; ses sourcils inclinés lui donnaient un air pitoyable de chien battu. Si tu décides de te repentir, nous te pardonnerons. Tout sera oublié, nous ne t’en voudrons pas. Je ne t’en voudrais pas.
– Tu es bien mignon, sourit-elle. Mais cela ne prendra pas avec moi. Je n’ai pas fait tous ces sacrifices, je n’ai pas pris tous ces risques pour rien. Je n’ai pas souffert autant pour m’arrêter là. »
Elle fit lentement glisser sa main le long de la prison de pierre, ses doigts ondulant le long des difformités de l’ardoise étrangement figée. Partant de son menton, elle longea l’épaule. Ce faisant, elle tourna autour de l’adolescent, son sourire cruel s’agrandissant toujours de plus belle, jusqu’à atteindre sa main ballant dans le vide. Le poing d’Adrien tremblait, ses doigts serrés emprisonnant la chevalière noire qui brillait à son annulaire droit.
« Allons, tu sais que c’est inévitable. Donne-moi la bague, et j’épargnerai ton père.
– Qu’est-ce que mon père a à voir avec tout ça ? grogna-t-il, comme si c’était là la seule chose qui pouvait le faire réagir, autre que sa défaite cuisante.
– Tu le verras en temps et en heure, Adrien. »
Elle força sur les doigts crispés, tentant de les obliger à s’ouvrir. La résistance qu’offrait le blondinet aussi désespéré qu’obstiné à ne rien lâcher était fort plaisante ; s’il avait tout de suite cédé, elle n’aurait pas éprouvé autant de plaisir.
« J’ai tout mon temps, tu sais. Nous avons tout notre temps. Mais demain, ne faudra-t-il pas que toi et ta chère amie vous rendiez en cours ? Votre absence ne passera pas inaperçue. Et même avant cela, tu finiras par tomber de fatigue. Ton kwami ne te fatigue-t-il pas ? »
Aucune réponse.
« Et ta petite Marinette, murmura-t-elle à l’oreille, je la ferai souffrir, jusqu’à ce que tu cèdes. Tu as vu ce que j’ai fait à Lila. Si tu n’avais pas été là, elle serait morte. Imagine ce que je pourrai infliger à ton amie. Je lui couperai les doigts, un à un. Puis les bras. Et pourquoi m’arrêter là ? Comme ce sera amusant de l’entendre hurler et pleurer. Et tout ça, juste parce que tu ne voulais pas me donner ce bijou. »
Adrien sembla hésiter, et réfléchir, jetant un regard inquiet en direction de Marinette qui lui ordonnait silencieusement de ne pas céder.
« Qu’est-ce qui me prouverait que tu l’épargneras si je te donne ce que vous voulez ?
– Je pourrais te dire qui je suis. Et te sortir de cette pierre. C’est une marque de confiance, ne le penses-tu pas ?
– Je doute que la grande Tigresse me fasse un tel cadeau.
– Donne-moi la bague, et je te le dirai. Tu as ma parole. »
Ses yeux se rivèrent au sol. Il lâcha un soupir, résigné. Enfin !
« Très bien. Allez-y. »
Il écarta les doigts ; elle put récupérer la bague en la faisant simplement glisser. Une fois séparée de son porteur, elle reprit son air camouflé, une simple chevalière grise dont la matière rappelait vaguement l’argent. Puis l’habituel flash lumineux éblouit quelque peu, tandis que le kwami se séparait de son ancien porteur, qui reprenait son apparence de civil. Celle d’un adolescent blondinet banal, impuissant, résigné.
Plagg fut comme projeté hors de la bague, et son petit visage rondouillet affichait une forme de souffrance. Ce ne devait pas être agréable d’être ainsi séparé par la force. Mais tant pis, il fallait faire avec, puisqu’Adrien n’avait pas voulu céder pleinement.
Elle entendit le petit grognement de l’homme qui se tenait en retrait, lorsqu’il constata à qui il avait eu affaire pendant tout ce temps. Oui, ce devait être une nouvelle un peu étonnante, et une découverte fort amère. Dire que durant les longs mois qu’avait duré cet affrontement, il s’était opposé à son fils. Non, la manière correcte de dire les choses aurait été que pendant tout ce temps, son fils s’était opposé à lui.
Allait-il révéler lui aussi son identité ? Aurait-elle droit à une scène de retrouvailles émouvantes entre un père et son fils ? Elle imaginait difficilement le Papillon tomber à genoux et enlacer l’adolescent, et encore moins qu’il pût ordonner à son kwami de lui redonner son apparence de civil à son tour. Le pousser toujours un peu plus à bout, repousser les limites du supportable. Voilà ce qu’elle devait faire.
« Tu as ma parole Adrien. Voilà, tu n’es plus prisonnier. »
Apposant sa main au gantelet sur l’ardoise, elle la fit se briser. La pierre se disloqua et tomba en une fine pluie de fragments noirs, qui luisaient sous la faible lumière. La scène aurait presque pu être belle.
« Ne t’avise pas de courir trop vite. »
Il adopta un air de défi, l’air de dire : « Si je me jette du haut du toit, tu me rattraperas ? », mais il savait pertinemment qu’elle l’observerait en riant jusqu’à ce qu’il atteignît le sol.
« Je te l’ai promis. Ta bague contre mon identité. Tu vas rire, c’est si amusant. »
Adrien haussa un sourcil. Il s’approcha timidement d’elle, tendant l’oreille afin qu’elle lui confiât son secret.
« Valentine Leclerc, murmura-t-elle. Ça te parle, non ? »
Le teint du blondinet vira au blanc pâle. Il resta un instant figé, la dévisageant comme si son visage présentait une difformité sans pareille. Oui, il la voyait là comme un monstre ; un monstre à qui il avait bêtement fait confiance.
Il voulut crier, annoncer à Marinette que Fu avait vu juste. Lui dire qu’ils avaient trouvé qui était leur ennemie. Cogner dans la main pour qu’elle lâchât la bague, et se jeter dessus pour la récupérer, cela pouvait-il être une porte de sortie à leur situation ? Mais si la bague tombait dans le vide, et qu’il ne pouvait la rattraper, que ferait-il ? Et Tigresse – il refusait de croire qu’il s’agît de Valentine en face de lui – l’emprisonnerait de nouveau dans une cage de pierre glaciale…
Il entrouvrit les lèvres. Il n’avait droit qu’à une chance…
Une poigne le saisit à la gorge, avant de le soulever. Il sentit le sol se dérober sous ses pieds tandis que le gantelet venait se coller à sa peau. Cette terrible sensation de manquer d’air, la douleur… Dire que Lila était passée par là à peine un peu plus tôt…
« Je ne t’ai jamais dit que je te libérerais pour de bon. Je t’ai seulement fait sortir de ta prison. Apprends à te méfier de ceux à qui tu donnes ta confiance, Adrien. »
Ses jambes se balançaient dans le vide, à la recherche d’un rebord sur lequel s’appuyer. À chaque seconde qui s’écoulait, sa respiration se faisait plus difficile, et dès lors que Tigresse voyait qu’il souffrait, elle resserrait ses doigts sur sa gorge, le contraignant toujours un peu plus. Il commençait à étouffer, son cou lui faisait horriblement mal, et même s’il tentait de griffer sa main, ou bien d’arracher le bracelet de Panja dissimulé sous le gantelet, ses phalanges ne faisaient que le faire souffrir de plus belle. Des larmes montaient, menaçant de couler, tandis qu’il sentait sa conscience lui échapper d’instant en instant…
« Tu emporteras ce secret dans ta tombe, rit-elle. Tu vois le sol en bas ? À quoi tu ressembleras quand tu t’y écraseras, vingt mètres plus bas ? »
Que pouvait-il répondre ? C’était à peine s’il pouvait inspirer ou expirer…
« Et cette fois, il n’y aura personne pour venir te sauver, pas comme elle, tout à l’heure, » ajouta la jeune femme en l’éloignant toujours un peu plus du bord du toit.
Elle-même se tenait à la limite, un pas de plus et elle tombait. Un dernier coup d’œil rapide jeté en contrebas lui confirma qu’il n’y avait aucune échappatoire, aucune rambarde à laquelle il pouvait se raccrocher. Il suffisait de le lâcher, et voilà que sa vengeance aurait déjà progressé d’un pas…
« Je suis désolée, je ne te déteste pas. Tu ne mérites pas ce qui t’arrive. Mais c’est de ta faute s’il est mort. Tu l’as tué. Ta vie contre la sienne. C’est la moindre des choses, pour te faire pardonner, non ? »
Il lui adressa un dernier regard suppliant. Déçue par son inaction, elle soupira, et desserra les doigts. Les yeux verts la fixèrent avec un grand effroi, juste avant qu’ils ne se dérobassent de sa vue.
Adrien tomba dans un cri. La voix de Marinette s’unissait à la sienne, hurlant de douleur en voyant tout simplement l’adolescent se faire tuer sous ses yeux.
« Adrien ! s’époumona-t-elle en se débattant, en vain.
– Adrien ! s’exclama le Papillon – resté jusque-là silencieux – en s’élançant, et en sautant à sa poursuite. Tiens bon ! »
Valentine vit l’homme se jeter désespérément dans le vide, et tenter de rattraper l’adolescent. Les voix qui lui parvinrent lui indiquèrent qu’il était parvenu à le sauver. Regardant dédaigneusement en contrebas, elle vit le Papillon suspendu à sa canne, sauvagement plantée dans le mur du manoir, tenant fermement Adrien par la main.
Un rictus se forma sur son visage. Elle s’était doutée qu’il tenterait de le sauver, mais ne s’attendait pas à ce qu’il sautât à son secours.
« Comme c’est mignon ! scanda-t-elle en se penchant au-dessus d’eux, retenant du mieux qu’elle pouvait tout son agacement. Un père et son fils, réunis dans leurs derniers instants avant une mort violente et douloureuse ! »
Adrien fixait avec incompréhension l’homme qui l’avait rattrapé de justesse dans sa chute, incapable de concevoir la simple idée qu’il pût s’agir de son père sous ce masque. Non, il refusait d’y croire, tout bonnement. Son père ne croirait pas à ces histoires de divinités. Son père était bien trop rationnel, bien trop pris dans son monde d’adultes, pour adhérer à de telles sottises.
Et pourtant…
Les signes étaient là, non… ?
« Je... Père…
– Ne crois pas ce que dit cette femme, grommela-t-il en retour, sans détourner son regard de celle qui riait à gorge déployée là-haut. Elle ne fait que mentir pour berner les autres et les avoir à sa merci. »
Tigresse se pencha un peu plus. Sa cape et ses cheveux flottaient, étendant son ombre démesurée sur les murs voisins.
« C’est maintenant que nous allons bien rire ! hurla-t-elle. Nooroo ! Dé-transf— »
Une voix l’interrompit. Sortie de nulle part, elle figea tout son corps lorsqu’elle résonna à ses oreilles. Un véritable cri déchirant la nuit, au-delà de ses rires effrénés.
« Arrête ! »
Comment. Comment s’était-il retrouvé là ? Elle lui avait pourtant dit de ne pas se rendre sur le champ de bataille !
Debout devant le portail du manoir Agreste, Thomas se tenait là. Ses mains crispées autour des barreaux de fer gelé, son visage défiguré par le cri qu’il venait de pousser. Un cri du cœur. Une supplication lui déchirant les cordes vocales.
Un cri de désespoir.
« Je t’en supplie, arrête-toi ! Arrête-toi, Valentine ! »
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* 『今この手の中 この胸の中 大事なものが幾つかあるよ
失くした数だけ 壊した数だけ 愛するという事の価値を知るんだ』
「美しき思い出」- amazarashi