Chapitre XVIII

Je peux porter ton fardeau s’il est trop lourd ;

tu peux partager ta peine avec moi.

Mais je ne pouvais pas aller

jusqu’à t’épauler face à ton destin. *

– Jouer aux aurevoirs – amazarashi

Lorsque Valentine rouvrit les yeux, elle reconnut le plafond blanc qui s’étendait au-dessus de sa tête en une fraction de seconde.

La première question qui lui vint à l’esprit fut « qu’est-ce que je fais ici ? », et pour cause ! Elle se souvenait vaguement avoir arpenté difficilement les rues jusqu’à l’appartement de Thomas – pourquoi le sien ? – et lui avoir parlé. Pour la suite, c’était le trou noir. Il lui fut donc impossible d’expliquer la raison pour laquelle elle se trouvait chez elle, dans son propre lit.

« Est-ce que tu vas mieux ? » demanda une voix fluette en s’approchant d’elle.

La jeune femme releva la tête, mais abandonna vite l’effort, préférant retrouver le confortable oreiller qui la soutenait jusqu’alors.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? grogna-t-elle en se touchant le front, comme si cela allait alléger la migraine qui lui vrillait le crâne.

– Vas-y doucement, souffla Roarr avec inquiétude. Tu n’es pas complètement remise. »

Elle lui tendit une plaquette de pilules – des analgésiques – et lui apporta l’instant d’après sa fidèle gourde remplie d’eau. Valentine ne se fit pas prier, et goba le tout en quelques gorgées, priant pour que la douleur s’estompât vite.

« Tu ne vas peut-être pas apprécier ça, mais il faut que je te dise ce qui t’est arrivé.

– Comment ça je ne vais pas apprécier ? Ça peut pas être pire que de se prendre une canne dans le ventre. »

En accompagnant ses paroles, Valentine releva le bas de son t-shirt afin d’observer l’état de sa blessure. Elle se souvenait que Thomas lui avait fait quelques soins, mais elle ne s’était pas rendu compte de la gravité de la chose. Peut-être lui faudrait-il aller aux urgences, ou au moins voir un médecin ? Mais dans ce cas, comment justifier la plaie ? Si elle disait s’être retrouvée au beau milieu d’une bataille de gangs, elle serait probablement crue ; certains quartiers de la ville craignaient vraiment beaucoup trop pour s’y promener. Quand même, elle n’était pas à l’abri de tomber sur des sbires du Papillon.

Elle se tortilla du mieux qu’elle put afin de ne pas rouvrir la blessure, et constata qu’il n’y avait déjà presque plus rien, mis à part une fine cicatrice blanchâtre qui s’étendait du bas des côtes à l’os du bassin. Partagée entre la surprise et la curiosité, elle tourna presque aussitôt son visage vers Roarr, convaincue qu’elle avait quelque chose à voir avec ça.

Le kwami parut gêné, à en croire ses joues prenant une teinte plus foncée que d’ordinaire, et lui répondit en bredouillant.

« Il se pourrait bien que je t’aie caché un autre des secrets de l’essence divine des kwamis…

– Maintenant que le secret est levé, dis-m’en plus, sourit gentiment la jeune femme en se redressant dans son lit, non sans afficher une grimace de douleur, aussi bien à cause de son crâne que de son ventre.

– L’essence d’un kwami est… intangible. En fait, nous n’avons pas de réelle forme ; nous choisissons une apparence à revêtir pour nous montrer aux autres, mais ce n’est pas obligatoire. Souvent, nous nous inspirons d’animaux, d’où nos ressemblances avec ceux que vous connaissez.

– Et où est-ce que tout ça me mène ?

– Puisque nous pouvons en faire ce que nous voulons, nous pouvons procéder à ce que j’appelle une « possession divine ». Autrement dit, en dispersant notre essence dans le corps d’un être vivant – humain, animal, végétal… – nous pouvons en prendre le contrôle dans une certaine mesure. »

Valentine resta songeuse un instant, et émit la déduction que c’était grâce à cela qu’elle s’était réveillée chez elle, et non pas sur le divan de Thomas – ce qui était, il fallait se l’avouer, une des pires des décisions qu’elle eût pu prendre.

« Mais cela est bien plus simple lorsqu’il s’agit d’un porteur de Miraculous ; le Miraculous nous donne une porte d’entrée pour la possession.

– Bien, je comprends donc, si tu veux tu peux hacker mon corps et en faire ce que tu veux, ironisa la jeune femme. C’est particulièrement rassurant. »

Bien que ce ne soit pas la première fois que quelqu’un en dispose comme il le souhaite, se garda-t-elle d’ajouter.

« Et qu’est-ce que ça a à voir avec ma blessure ? Parce que, à moins que tu aies des pouvoirs de guérison – ce qui ne semble logiquement pas être le cas pour le kwami de la Domination –, il me semble que ce soit difficile de changer une plaie béante en une ridicule cicatrice en quelques heures.

– Eh bien justement… »

C’était incroyable de voir Roarr si timide et effacée. Elle qui affichait ouvertement son attitude sournoise d’habitude, on aurait presque pu croire à un tout autre kwami.

« En fait, nous les kwamis, on peut aussi guérir, dans une moindre mesure… »

Roarr expliqua alors, pendant les minutes qui suivirent, que cela n’était autre qu’un revers de pièce de la diffusion de l’essence du kwami dans le corps de son porteur ; puisque le bijou améliorait les capacités physiques, il allait de soi que cela inclût aussi la récupération de l’endurance. Il était rare qu’un porteur s’essoufflât ou se fît mal en sautant, par exemple, du haut d’un toit.

De fait, afin de maximiser le potentiel en combat, ou en situation dangereuse, le kwami pouvait insuffler une plus grande quantité d’essence ; cette nouvelle répartition – mauvaise, en soi, pour tenir dans la durée – permettait une meilleure récupération de l’organisme, et toute lésion quelle qu’elle fût s’en retrouvait presque instantanément guérie, tant qu’elle était moindre.

Valentine lui demanda en quoi cela avait autant diminué la taille sa propre blessure, ainsi que la douleur qui en irradiait, et le tigre prit un air plutôt fier en lui répondant.

« J’ai déversé toute mon essence en toi pour forcer la cicatrisation. Mais ça n’a pas suffi à te faire te réveiller. Tu étais tellement assommée par le coup que tu as pris que tu es restée inconsciente jusqu’à tout à l’heure.

– Alors comment j’ai pu revenir ici ?

– Je t’ai transportée. »

L’air malicieux de Roarr était revenu à la charge, finie cette timidité passagère. Il semblait qu’elle appréciât grandement l’air contrarié qu’affichait Valentine, agacée de ne pas pouvoir appréhender les événements de la veille.

« Puisque, en déversant mon essence et en la concentrant, je peux forcer ta récupération, rien ne m’empêche de prendre le contrôle, de te posséder.

– Vous ne pouvez pas nous utiliser comme ça, protesta la jeune femme. C’est tout bonnement inhumain.

– Ça tombe bien, nous ne sommes pas humains, ricana Roarr, avant de reprendre en haussant les épaules. Et puis, de toute façon, vous nous utilisez bien vous aussi pour vos propres desseins. »

Valentine fit mine de ne pas avoir entendu, et recentra le sujet sur les événements de la veille.

« Donc si je comprends bien, tu m’as possédée pour me ramener ici ?

– Je ne pouvais pas te laisser dé-transformée chez l’autre. Et tu allais sûrement rester inconsciente trop longtemps. Tu allais te faire voir sous ton apparence de civile ! »

Roarr tournoya dans les airs, un peu trop exaltée par ce qu’elle racontait pour être totalement honnête.

« Alors j’ai repris des forces – il faudra que je m’excuse auprès de cet homme, je crois que j’ai complètement vidé son frigo – et t’ai transformée de force et t’ai amenée jusqu’ici. Ensuite, après avoir re-repris des forces – il faut pas croire, c’est que ça vide l’essence ces histoires ! –, je t’ai soignée. Ça aurait paru louche, si des gens avaient vu Tigresse rentrer dans cet appartement, et que Valentine en soit ressortie, tu ne penses pas ?

– Est-ce que lui m’a vue ?

– Non, il dormait à poings fermés. La lumière de ta transformation ne l’a pas même réveillé. J’ignore ce que tu lui as fait, mais on dirait bien que ça l’a épuisé. »

Valentine resta silencieuse. Thomas était-il du genre à se morfondre et à s’épuiser en déprimant ? Elle en doutait, mais connaissait-elle réellement l’énergumène ? Il lui fallait admettre qu’ils s’entendaient plutôt bien jusqu’à la veille, mais cela n’avait jamais été plus que physique entre eux. Tout du moins, c’était l’idée qu’elle s’était faite quant à leur relation. Elle avait du mal à l’admettre, mais il était plus qu’évident que lui ne considérait pas les choses sous le même angle ; elle aurait dû voir les signes plus tôt. Mais bon, ce n’était pas comme s’ils se reverraient de toute façon dans un cadre intime.

« Heureusement que tu m’as dit que c’était fini avec lui, siffla le tigre, pour peu j’ai vraiment cru que je ne le reverrai plus jamais.

– Et ce sera toujours le cas, vociféra la jeune femme, se sentant plus crispée qu’elle n’aurait dû l’être – allons bon, qu’était-ce encore que ce conflit intérieur ? – et s’étonnant de sa propre réaction. Il ne faisait que se servir de moi, j’en ai eu assez. Et je ne comprends toujours pas pourquoi je me suis rendue chez lui. Peut-être était-ce le plus proche ? Peut-être que je savais que là je trouverais quelqu’un qui m’aiderait ? Je ne me voyais pas me laisser me vider de mon sang chez moi, vois-tu.

– Tu n’as pas besoin de te justifier, fit Roarr, ses yeux perçants indiquant tout le contraire de ses paroles. Je ne suis que ton simple serviteur, tu n’as aucune obligation vis-à-vis de moi. »

La jeune femme sentit sa migraine revenir malgré les comprimés supposés l’annihiler. Elle soupira, et se recoucha.

« Quel jour on est ?

– Samedi, non ? Je crois que tu n’as rien de prévu jusqu’à tes prochains cours.

– Alors laisse-moi dormir autant que je le voudrai.

– Est-ce que je peux aller me promener en attendant ?

– Fais ce que tu veux, tant que tu ne désobéis pas aux ordres que je t’ai imposés.

– Merci, Val. »

Alors qu’elle refermait les yeux et se sentait d’ores et déjà repartir dans ses délires cauchemardesques, Valentine entendit le tigre chantonner avant de quitter les lieux en passant à travers la fenêtre. Elle posa une dernière fois ses yeux sur la parure qui restait fixée à sa main, et se demanda si les choses ne lui échappaient pas un peu. Elle qui pensait pouvoir avoir le dessus sur tous ses ennemis, voilà qu’elle avait été bêtement perdue face au Papillon.

Fallait-il accepter la proposition de l’homme ? Le verrait-il tout de suite si elle tentait de le piéger et de le devancer dans sa croisade pour récupérer les Miraculous des deux adolescents ? Seule contre lui et Mayura, elle n’avait aucune chance, d’autant plus qu’ils pouvaient aisément faire d’elle leur pantin. Comment pouvait-elle duper et piéger deux personnes dont elle ne savait absolument rien ? Ils avaient été bien plus malins que Marinette ou Adrien, et l’essence de leurs kwamis avait brillamment altéré leur physique pour les rendre méconnaissables. Elle devait l’admettre, c’était un camouflage efficace.

Mais surtout, si le pire venait à arriver, s’il venait à la posséder, pourrait-elle résister ? Pourrait-elle s’opposer à son pouvoir de perversion ? Qui de Valentine ou de Tigresse prendrait-il pour cible ? Et laquelle pourrait s’opposer à lui ?

Pour la première fois depuis qu’elle s’était embarquée dans cette croisade vengeresse, elle douta d’elle-même, de ses choix et de ses actions. Avait-elle bien fait de suivre cette voie ?

Ses pensées divaguèrent encore quelque peu, avant qu’elle ne sombrât dans un sommeil assurément peu réparateur.

*

Fu fut très étonné de voir Marinette dans l’encadrement de la porte. Ce qui le marqua le plus fut la mine grave de l’adolescente ; il l’avait déjà vue dans de mauvais moments, mais celui-ci devait de loin être le pire de tous. Il la fit entrer, elle se déchaussa, et partit s’installer dans le salon comme à son habitude, tandis qu’il préparait une tisane pour lui remonter le moral.

« Je suis désolée, Maître, mais je dois rendre Tikki, » annonça-t-elle finalement, la mine grave et les mains jointes posées sur la table.

Il fut tant surpris par cette soudaine déclaration qu’il manqua d’en faire tomber sa théière en fonte ; par chance il ne le fit pas, quelle peine aurait-il eue à nettoyer son sol si le thé l’avait imbibé ?

« Que me racontes-tu ? Tu as des problèmes ? »

Il vit que la brunette luttait contre elle-même pour ne pas craquer ; de grosses larmes commençaient à monter et à déborder de ses yeux bleus. À côté d’elle, Tikki restait impassible, assise et neutre. C’était à peine si sa présence se faisait sentir.

« C’est Tigresse, elle… »

Marinette soupira, tenta de reprendre le contrôle de ses émotions. C’était peine perdue.

« Elle a découvert qui je suis vraiment. Elle sait que je suis Marinette Dupain-Cheng. Elle a forcé Tikki à me dé-transformer, et a vu mon visage… »

Elle éclata en sanglots, et enfouit son visage dans ses mains.

« Je ne peux plus être Ladybug, » renifla-t-elle en laissant s’échapper quelques gémissements.

Comment devait-il réagir face à cela ? Il y avait bien longtemps qu’une telle situation ne s’était pas produite ; et lui-même n’avait jamais dû procéder à un retrait de Miraculous, il n’avait fait qu’observer ses mentors le faire lorsque les héros ne pouvaient plus exercer leurs « fonctions » pour les mêmes raisons qu’elle.

« Qu’est-ce que je peux faire ? demanda-t-elle timidement en reprenant peu à peu le contrôle d’elle-même. Chat Noir ne peut pas se battre seul, il a besoin d’une Coccinelle à ses côtés.

– C’est bien vrai, mais tu étais vraiment la personne idéale pour ça…

– Maître, Marinette ne peut pas mettre sa famille en danger, intervint finalement Tikki avec agacement. Vous le savez vous-même, n’êtes-vous pas passé par là ? »

Il n’appréciait guère d’être remis à sa place par un kwami, mais il devait admettre qu’elle avait raison. Le fardeau qui reposait sur les épaules de Marinette était bien trop lourd, un jour, le pire se produirait et elle se retrouverait seule. Il pouvait la protéger, et lui rendre son quotidien innocent d’adolescente.

« Je vais utiliser moi-même le Miraculous de la Coccinelle, annonça-t-il finalement en tendant la main. Si tu veux bien me rendre les boucles d’oreilles…

– Maître, vous êtes bien trop âgé pour ça, vociféra la petite créature en se dressant devant lui, les membres antérieurs posés sur ses hanches dans un signe d’agacement.

– Je n’ai pas d’autre solution, répliqua-t-il sur le même ton. À moins que tu n’aies déjà trouvé une personne prête à reprendre le flambeau ? »

La petite voix de Marinette vint s’imposer entre les leurs tandis que la patience de chacun des deux protagonistes se retrouvait à bout.

« Alya pourrait le faire… »

Sitôt eut-elle parlé qu’elle le regretta. Voulait-elle vraiment impliquer son amie plus que cela, tout en ayant conscience des conséquences désastreuses sur son quotidien ? Plus de temps libre pour elle – et par extension, pour son petit-ami –, il fallait être constamment disponible pour répondre aux attaques du Papillon et de Mayura, et beaucoup de secrets, pour ne citer que ça. Marinette savait que cette dernière partie était celle qui l’avait trahie ; à force d’accumuler les secrets, elle ne savait plus où elle en était avec les autres, et surtout avec elle-même.

Mais si elle révélait à son amie qu’elle était Ladybug, et lui expliquait tout, absolument tout, alors peut-être pourrait-elle l’épauler ? Elle pourrait être sa couverture lorsqu’il lui fallait s’absenter, ou encore l’aider lorsqu’elle ne pouvait pas remplir ses tâches scolaires. Et peut-être, peut-être, pourrait-elle parfois revêtir le costume de Ladybug, lorsque cela se serait calmé ?

« Maître, si je renonce à Tikki, est-ce que je pourrais tout de même me battre lorsqu’il le faudra ? Pourrais-je tout de même avoir un Miraculous pour aider Chat Noir et les autres dans leur combat ? »

Le vieillard soupira. Cette enfant était pleine de ressources, mais aussi incroyablement altruiste. Le plus dangereux pour elle était qu’elle n’avait pas pleinement conscience de tous ces engagements implicites, ceux du genre à figurer en toutes petites lettres en bas de la page du contrat qu’elle s’apprêtait à signer.

« Nous verrons ce que nous pourrons faire, souffla-t-il. En attendant, es-tu sûre de ton choix ? Penses-tu que cette Alya sera idéale dans son rôle de nouvelle Ladybug ?

– J’en suis certaine. Et si rien ne se passe comme prévu, je vous rendrai le Miraculous. Je vous le promets. »

Elle resta un peu plus longtemps, alors qu’ils discutaient de sujets plus légers ; mais l’ombre de Tigresse venait paralyser son esprit. N’était-ce pas dangereux pour Alya de se retrouver face à elle ? Cette femme était terrifiante, et prête à tout pour accomplir son objectif.

Pendant un instant, elle regretta la décision qu’elle avait prise.

*

« Est-ce que je peux passer chez toi ?

– Bien sûr, viens, y a juste les petites.

– Je t’appelle quand je suis en bas. »

Un quart d’heure plus tard, le téléphone portable d’Alya sonnait, l’informant de l’arrivée de Marinette devant le hall d’entrée. Depuis le temps qu’elle venait rendre visite à son amie, peut-être devait-elle connaître le code de l’interphone, mais la rouquine avait toujours l’habitude de venir chercher ses invités en bas de la résidence. Elle descendit les marches quatre à quatre – quelle chance d’habiter au premier étage, on n’avait pas nécessairement besoin de prendre l’ascenseur ! – et vit à travers la vitre la brunette à l’air un poil déprimé. Une fois la porte ouverte, Alya se précipita vers elle pour la serrer dans ses bras et lui communiquer sa bonne humeur habituelle. Un maigre sourire se dessina sur les lèvres de Marinette ; c’était toujours ça de pris.

Une fois installées dans le salon – les jumelles jouaient paisiblement dans leur chambre, c’était rare que ces petits démons fussent aussi calmes –, Alya demanda de but en blanc ce qui se passait pour que Marinette fût tant déprimée. Le regard que lui adressa son amie fut glaçant tant il exprimait une détresse qu’elle ne lui connaissait pas.

« Je ne sais pas par où commencer, balbutia Marinette en regardant ses mains posées sur ses cuisses. C’est un peu confus.

– Quelqu’un t’a fait du mal ?

– Dans un sens, oui… »

Il n’en fallut pas plus pour qu’Alya allât s’imaginer les pires histoires possibles. Voyant qu’elle commençait à fulminer contre un ennemi inconnu qui n’existait pas, Marinette attira son attention.

« Il faut que je te présente quelqu’un, souffla-t-elle en ouvrant la petite pochette qui lui servait de sac porté en bandoulière et en y plongeant la main, avant d’en sortir une sorte de petit jouet à la drôle d’apparence ; Alya devina rapidement qu’il s’agissait là d’un kwami tant la créature ressemblait à Trixx. Voici Tikki, le kwami de la Coccinelle. »

La rouquine resta interdite un instant, et ses yeux ambrés passèrent du kwami au visage de son amie, puis du visage de son amie au kwami.

« Alya, je suis Ladybug, annonça Marinette presque solennellement, un lourd sentiment de regret pesant sur ces paroles.

– Marinette, répondit-elle en posant une main sur celle de la brunette qui ne tenait pas le kwami, je le savais. Je l’ai toujours su. »

Comment décrire l’incrédulité de l’adolescente face à cette confession ? Avait-elle rêvé ? Elle s’était attendue à toutes les possibles réactions, sauf à celle-ci.

« Comment… ?

– Tu croyais vraiment que j’allais gober toutes ces histoires de retard à cause de la boulangerie ? Allez, Marinette, une journaliste se doit bien d’enquêter ! »

Elle voulut imiter son amie qui riait légèrement, mais c’était bien trop dur pour elle.

« Et puis, il faut s’avouer que c’était évident à partir du moment où tu m’as confié Trixx. C’aurait pu être n’importe qui d’autre, la ville regorge de personnes fiables qui pourraient endosser cette responsabilité. Quand j’ai vu que Nino était Carapace, ça me l’a confirmé. Sans oublier Chloé. D’ailleurs, pourquoi elle ?

– C’était un accident, gémit Marinette d’une voix étouffée. Je voulais te confier l’Abeille, mais je l’ai perdue…

– Enfin bref. Il y a des signes qui ne trompent pas. »

Tikki dévisagea sa porteuse avec curiosité. Elle semblait à la fois stupéfaite que sa couverture eût si facilement sauté, et en même temps soulagée que son amie eût tout compris d’elle-même. D’un côté, cela lui facilitait la tâche, elle aurait moins de choses à lui expliquer. Encore heureux qu’elle fût au courant pour les Miraculous et les kwamis grâce à Trixx.

« Et donc ? Pourquoi tu viens me raconter tout ça ? Ce n’est pas interdit de révéler son identité à n’importe qui ?

– Si. Justement, c’est pour ça que je viens t’en parler… »

Alors Marinette lui raconta tout. Depuis le vol du Miraculous chez le Gardien jusqu’aux dernières confrontations avec Tigresse. Elle lui expliqua que, d’après cette étrange femme, c’était de la faute de Ladybug et Chat Noir si elle en était venue à de telles extrémités. Le problème était qu’elle ignorait complètement la source de ce ressentiment. Elle s’attarda longuement sur les événements, ses théories et autres suppositions pouvant expliquer ce qui s’était passé, jusqu’à la conclusion.

« Elle sait qui je suis. Alors pour protéger mes parents et mes amis, je dois renoncer à Tikki. Je sais que tu feras une excellente héroïne, tu me l’as déjà prouvé en tant que Rena Rouge. Mais si tu refuses, je le comprendrais, je rendrai le Miraculous au Gardien et il s’en chargera lui-même.

– Tu as fait beaucoup de sacrifices pour sauver les apparences. Tu en as fait beaucoup pour moi, en nous protégeant encore et toujours. Laisse-moi te rendre la pareille. »

Alya prit les boucles d’oreilles que lui tendait son amie, et les accrocha ; par chance, il s’agissait de ce genre d’accessoire qui ne nécessitait pas d’avoir des trous pour les accrocher ; elles se clipsaient en entourant le lobe et étaient ainsi fermement maintenues.

« Marinette, tu peux compter sur moi pour prendre la relève.

– Je dois cependant te mettre en garde. Elle est bien plus forte que nous, puisque c’est une adulte. Et elle connaît le nom de nos kwamis, bien que j’ignore toujours comment elle a fait. Alors il faut que tu ordonnes à Tikki de n’obéir qu’à toi et toi seule. Sinon, il t’arrivera la même chose que moi.

– Très bien. Tikki, à partir de maintenant, tu n’obéiras qu’à moi, Marinette, et Chat Noir, si l’un de nous fait appel à tes pouvoirs. Mais à personne d’autre ! »

Le kwami acquiesça, et tourna un visage radieux vers son ancienne porteuse.

« Tu vois Marinette ? Tu as fait un excellent choix ! » sourit-elle.

Pendant les heures qui suivirent, Marinette transmit tout son savoir à son amie, afin qu’elle fût plus que prête à affronter leur nouvelle adversaire. Des transformations environnementales jusqu’à la manière de purifier les akumas et amoks, sans oublier de lui divulguer toutes les informations concernant leurs adversaires. En ce qui concernait le Papillon, Alya l’avait déjà affronté, mais pas aussi souvent que son amie, et Mayura restait elle aussi bien trop souvent en retrait pour parler d’une réelle confrontation. La plus dangereuse pour le moment était Tigresse, aussi l’adolescente mobilisa-t-elle tous ses souvenirs, même les plus douloureux, pour ne pas omettre le moindre détail. La cape qu’elle maniait par la pensée et qu’elle solidifiait, la manipulation de la terre, sa haine à toute épreuve…

Puis Alya voulut tenter de se transformer, et tester ses nouveaux pouvoirs. Après s’être assurées que nul ne viendrait les déranger – et surtout pas les deux petits démons qui somnolaient dans leur chambre –, elles improvisèrent une séance d’entraînement, au bout de laquelle, après de longues crises de rire et de nombreux efforts, Alya décida de se faire désormais appeler « Porte-Bonheur ». Marinette observa longuement son amie, désormais vêtue de la même combinaison moulante rouge à pois noirs et au masque assorti, ses cheveux roux attachés en une queue de cheval haute retenue par un long ruban rouge. La manière dont elle agitait son yoyo laissait presque croire qu’elle avait fait ça toute sa vie.

Une nouvelle Ladybug était née, pour son plus grand plaisir, et à son plus grand regret.

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*『辛さなら背負えるから

痛みなら分け合えるから

でも君の運命—さだめ—までは

肩代わりできなかった』

「さよならごっこ」 - amazarashi