Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre XV
En cette heure de regrets et de larmes qui coulent,
Je n’ai plus le moindre attachement auquel m’accrocher.
Mes douleurs du passé n’ont pas toutes été repayées.
Et ma douleur bourgeonnera dans ce désespoir qu’est le tien. *
– Monologue – amazarashi
« Roarr, il y a quelque chose que j’aimerais vérifier. Une petite expérience, dirons-nous. »
Le tigre avait virevolté dans l’appartement, dissimulant à peine son intérêt et son excitation.
« Dis-m’en plus, ça m’intéresse, » avait-elle articulé, de cette voix doucereuse qui lui allait si bien.
Valentine avait fait quelques pas dans la pièce, l’air songeur, avant de reprendre, de son immense sérieux.
« Roarr, tant que je serai ta porteuse, tu ne devras obéir à nul autre que moi, avait-elle ordonné. Même s’ils t’appellent par ton nom. Compris ?
– J’ignore ce que tu as en tête, avait répondu le tigre, mais cela ne me déplaît pas. »
Valentine s’était délectée de chaque image qui s’était offerte à elle de la terreur et souffrance de Ladybug. Le coup de grâce fut tout de même l’expression d’épouvante, l’effroi dans son état le plus pur, qu’elle afficha lorsque Valentine clama son ordre.
« Tikki, dé-transforme-la. »
La réaction fut immédiate : un éclair lumineux émana de l’adolescente, et l’instant d’après, elle parut sous son vrai visage, celui de Marinette Dupain-Cheng, la seule et unique.
Lorsque son kwami comprit ce qui se passait, il laissa s’échapper un cri d’effroi et se hâta de se réfugier auprès de sa porteuse. Cette dernière, en revanche, ne put que fondre en larmes face à son impuissance. La dure réalisation qu’elle devait à présent se séparer de son Miraculous changea les ruisseaux en torrents, qui se mêlèrent à la poussière sale.
Tigresse se pencha vers elle, et étendit le bras. Elle força la brunette à lever la tête et à la regarder dans les yeux. Quel plaisir que de voir cette douleur ; quelle douleur que de voir ce plaisir.
« Allons, ne pleure pas, murmura la jeune femme dans un sourire. Avec moi, ton secret est plus que bien gardé, et tu ne te sépareras pas de ta chère Tikki. »
Abattue, Marinette reniflait en tentant d’essuyer ses larmes. Dans son désespoir, une idée lui vint. Elle ne serait pas la seule à tomber le masque en ce jour.
« Roarr, cria-t-elle à pleins poumons en puisant dans ses dernières forces, dé-transforme-la ! »
Elle s’était attendue à voir cet éclat lumineux émaner de la jeune femme, mais rien ne se produisit.
Tigresse éclata de rire ; sa voix résonna comme le cri de corbeaux survolant depuis les cieux un cimetière.
« Tu croyais vraiment que ça marcherait avec moi ? Pauvre idiote. Tu me fais pitié. »
Comment était-ce possible ? Pourquoi cela fonctionnait-il dans un sens et non dans l’autre ? Marinette était désemparée ; que lui restait-il à faire ? Elle n’était plus en droit de faire appel à Tikki.
« N’as-tu pas désiré savoir qui était ton compagnon d’armes depuis tout ce temps ? À l’heure qu’il est, il doit être lui-même, celui qui se cache sous cet affreux masque.
– Qu’est-ce que tu nous veux ? Quel est ton but ? »
La seule force qui animait la brunette était son envie de protéger son allié. Lui au moins ne perdrait pas ses droits. Il pourrait continuer à se battre comme il le faisait si bien…
« Mon but ? répéta Tigresse. Mon but est très simple, ma petite Ladybug. Je ne cherche qu’à me venger. »
Marinette se leva tant bien que mal, et tenta de se dresser face à l’adversaire. Sa respiration était encore saccadée ; était-ce à cause des coups ou bien était-ce dû à l’émotion ? Elle ne pouvait le dire.
« Qu’est-ce que Chat Noir et moi avons à voir avec ça ? Nous n’avons rien fait de mal, bégaya-t-elle finalement.
– Rien fait de mal ? Rien fait de mal !? »
Tigresse explosa de rage, et vint la saisir au col, avant de la soulever au-dessus du sol.
« Si vous n’aviez rien fait de mal comme tu le dis si bien, je n’en serais pas là ! »
Le plus exaspérant dans tout cela était qu’elle n’avait aucune conscience des actes qu’ils avaient pu commettre. C’était pire que tout.
« Si vous aviez fait correctement votre travail, gronda-t-elle d’une voix sourde, presque inhumaine, nous n’en serions pas là ! »
La sensation glaciale du gantelet de métal sur sa peau fit trembler l’adolescente. Le bracelet du Tigre était juste là, à sa portée… Si seulement elle parvenait à le lui arracher…
Furieuse, Valentine la jeta au sol dans un nuage de poussière. La brunette retint un nouveau cri de douleur tandis que les graviers écorchaient ses coudes et genoux, déchirant ici et là ses vêtements, qui se teintaient peu à peu de sang par endroits.
« Tu ne mérites pas de porter ce bijou, gronda-t-elle finalement Tu ne vaux rien. »
Une dizaine de piliers de roche émergèrent du sol, formant une prison aux épais barreaux qui retenaient Marinette. Puis les parois s’épaissirent, et elle se retrouva dans une totale obscurité.
À ses côtés, Tikki tremblait.
« Comment a-t-elle su, Marinette ? demanda-t-elle. Pour mon nom, le tien, les formules…
– Je n’en sais rien, et je ne veux pas m’en occuper maintenant. Il faut sauver Chat Noir et lui empêcher de se retrouver dans la même situation que nous. »
Elle fouilla dans sa petite sacoche qu’elle gardait toujours en bandoulière sur elle, et en sortit un macaron qu’elle tendit à son kwami afin qu’il reprît des forces en vue de se transformer de nouveau. Puis elle se mit à frapper les parois rugueuses de toutes ses forces en hurlant.
« Chat Noir ! Chat Noir !! Enfuis-toi vite ! Sinon elle va te dé-transformer de force ! »
Mais le son ne franchit pas les épais murs de pierre. Elle ne put qu’entendre sa voix se percuter contre eux, et revenir vers elle.
Bien qu’elle ne voulût pas céder, elle sentit rapidement les larmes monter, avant de franchir le bord de ses yeux et de s’en écouler. Elle se retrouva sur les genoux, effondrée et inconsolable.
« C’est de ma faute, Tikki, gémit-elle en reniflant. J’ai dû manquer d’attention et je lui ai montré qui je suis, et où vit le Gardien…
– Ne t’en fais pas, Marinette, tenta le kwami pour la consoler bien qu’elle-même n’en menât pas large. Ce n’est pas quelque chose d’insurmontable.
– Elle connaît mon identité, reprit l’adolescente. C’en est fini de Ladybug… »
Impuissante, Tikki la regarda sans rien dire. Ce rocher lui était tout autant impénétrable malgré son intangibilité, elle ne pouvait pas non plus alerter leurs alliés. Misère…
« Plagg, on a pas le choix, il faut cataclysmer cette pierre. C’est le seul moyen pour sortir et aider Ladybug.
– Et que feras-tu après cinq minutes, face à ce démon, quand tu seras dé-transformé de force ? railla son partenaire en remuant ses moustaches. Ladybug est sûrement dans la même situation, et seuls, vous ne pourrez pas vaincre cette femme.
– Je verrai une fois le moment venu. Plagg, transforme-moi ! »
Un éclair lumineux plus tard et Chat Noir était de retour. Son kwami avait à peine eu son mot à dire, et dut obéir de suite, à son plus grand regret.
Cependant, le héros félin n’eut pas besoin de faire appel à son pouvoir de destruction ; une faille apparut dans la paroi, laissant filtrer la lumière extérieure. Rapidement, elle s’étendit jusqu’à diviser la roche en minuscules fragments, qui s’effondrèrent avec fracas pour laisser apparaître un ciel bleu radieux, et une Tigresse toujours plus terrifiante. Derrière elle se dressait un dôme rocheux ; il comprit que Ladybug y était enfermée. Il n’aurait qu’à détruire cette prison et ensemble ils pourraient se frotter à leur ennemie…
« Tu veux la sauver, non ? lança la jeune femme, ses bras croisés sur sa poitrine ; le contact entre le gantelet et le support métallique qui maintenait sa cape fit retentir un petit bruit. Comme c’est mignon.
– Tu ferais mieux de la libérer ! Ou sinon…
– Ou sinon quoi ? Tu vas me faire payer pour mes actes ? Me fais pas rire. »
Ses lèvres, rouges comme le sang, s’étendirent dans un sourire macabre. Adrien sentit une goutte de sueur ruisseler dans son dos, et ne put réprimer un tremblement nerveux.
« À ton avis, reprit-elle, que se passe-t-il lorsqu’on « cataclysme » une personne ?
– Tu as envie de le découvrir avec moi ? grogna-t-il en se tenant prêt à attaquer.
– Oh, c’est gentil de me le proposer, mais je vais devoir refuser. Vois-tu… »
Elle fit quelques pas avec une insouciance de laquelle se dégageait une forme de grâce, sa cape flottait de manière presque irréaliste, comme si…
Comme si elle avait été dotée de sa propre volonté. Quelque part, cela lui rappelait sa propre queue, simple ceinture nouée à la taille qui s’étirait et s’agitait à la manière de celle d’un véritable félin. Mais contrairement à Tigresse, il ne pouvait s’en servir en tant qu’arme.
D’ailleurs, en parlant d’armes, quels autres atouts avait-elle encore dans ses manches ?
« Tu sais – la voix de la jeune femme le tira de ses pensées – tu es le plus fascinant de votre duo. Elle, elle est insipide et pitoyable… Prévisible, même. Mais toi… »
Elle avança vers lui. Il était planté là, incapable de bouger tant il hésitait. Il ignorait quelle solution serait la bonne et, de fait, comment réagir.
« Toi, tu es spécial. Il y a quelque chose qui te rend intéressant. C’est sûrement le fait que tu es le fils du grand Gabriel Agreste. »
Il resta interdit, ne sachant ni quoi dire ni que faire. Il ne s’était jamais préparé à faire face à ce genre de cas de figure.
Comprenant que son silence était une forme d’aveu, il décida de rebondir du mieux qu’il pût.
« C’est bien aimable de votre part, Madame, mais j’ai le regret de vous annoncer que ce n’est pas mon père.
– Ne joue pas à ce petit jeu avec moi. Sauf si tu as envie que je demande à Plagg de te révéler sous ton vrai visage, Adrien. »
Ses grands yeux verts s’écarquillèrent, trahissant sa stupéfaction. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle en sût autant. Un vent de panique souffla sur son esprit et l’immobilisa.
Qu’elle sût quel était son nom, passait encore ; il savait que ce moment viendrait un jour ou l’autre – il n’espérait cependant pas que ce fût si tôt. Mais qu’elle sût celui de Plagg ne lui inspirait que de la crainte, et un autre sentiment bien trop complexe pour le décrire avec des mots.
« Tu peux remercier ton amie. Si elle avait attendu d’être suffisamment loin du Gardien pour reprendre son apparence d’héroïne pitoyable, je n’aurais probablement jamais pu remonter jusqu’à vous. Et si toutefois ma langue était bien pendue, que dirait ton père en apprenant la vérité ?
– Laisse mon père en dehors de tout ça ! » cracha-t-il.
Il se jeta sur elle et tenta de l’assommer d’un coup de bâton en pleine tête. Elle l’esquiva sans problème, et attendit qu’il recommençât. À sa seconde tentative, elle fit rebondir le bâton sur son gantelet et profita de la surprise du blondinet pour lui asséner un coup de poing en guise de punition.
Puisqu’il n’en démordait pas, elle lui offrit le luxe d’une autre chance, et le laissa délibérément fondre sur elle ; au dernier moment, sa cape s’étendit autour d’elle et la dissimula dans un mouvement semblable à celui d’une toupie, qui ne cessa que pour lui donner l’opportunité de contre-attaquer par surprise. Le coup de pied qu’elle lui asséna ensuite l’envoya percuter de plein fouet la prison de Ladybug. Sans réfléchir, presque instinctivement, il fit appel à son pouvoir de destruction. De la même manière qu’un peu plus tôt, le dôme se fissura avant de s’effondrer dans un grand fracas.
Au cœur des débris se tenait une Ladybug désemparée. Jamais Chat Noir ne l’avait vue ainsi.
« Ma Lady, tenta-t-il tout de même, es-tu toujours en état de te battre ? »
Elle acquiesça, mais il vit clairement que le cœur n’y était pas. Faisant à nouveau appel à son lucky charm, elle hésita quelques secondes, restant interdite face à l’objet qu’elle avait ainsi obtenu. Il s’agissait d’un cadre de bois, de couleur rouge agrémentée de pois noirs, et qui renfermait sous une petite vitre de verre une photographie. Elle reconnut les visages sur cette dernière, et manqua de peu de fondre en larmes. C’était la photo de famille qui était accrochée au-dessus de son lit, prise un dimanche après-midi sur les Champs de Mars. Le message était clair : il lui fallait fuir et rentrer chez elle, pour se réfugier dans son lit.
« Chat Noir, souffla-t-elle, il faut abandonner. Nous ne faisons pas le poids.
– C’est ce que te dit ton lucky charm ? D’abandonner et de fuir ?
– S’il te plaît… »
Il vit qu’elle était au bord des larmes ; il apercevait déjà des perles transparentes grossir sous ses iris. Il aurait bien aimé savoir ce que renfermait ce cadre de bois, mais la décence l’obligea à garder son envie pour lui-même.
« J’abandonne…
– Très bien. »
Il posa sa main griffue sur son épaule. Du coin de l’œil, il remarqua que Tigresse attendait patiemment qu’ils eussent fini de tergiverser. Il avait du mal à comprendre la stratégie de cette femme, mais la remercia tout de même de leur laisser le temps de planifier leur fuite.
« Comment tu veux qu’on s’y prenne ? Tu n’as plus de fumigène, et je n’ai plus de cataclysme. Elle risquerait de nous poursuivre si on tente de s’échapper comme ça, sans diversion.
– Je pourrais tenter de lui jeter ça – Ladybug montra le cadre qu’elle avait dans la main – pour l’occuper. Ça nous laisserait une minutes ou deux pour fuir, à peine. »
Il haussa les épaules, maugréant que c’était toujours mieux que rien. Elle entreprit d’ouvrir un à un les morceaux de métal retenant le fond du cadre et la photographie qu’il renfermait, mais dut abandonner face à l’un d’eux qui s’avéra être bien trop résistant. Exactement comme la version originale qui trônait dans sa chambre. La constatation fut amère.
« Tu es prêt ? On n’aura qu’un essai.
– On se retrouve plus tard ?
– J’enverrai Tikki te voir pour te transmettre le message, si j’en trouve la force.
– Ça me va ! »
Tous deux préparèrent leurs armes afin de pouvoir accélérer leur fuite par les airs. En face, Tigresse sembla se remettre elle aussi en position offensive.
« Vous avez enfin fini de faire vos adieux avant que je ne vous écrase ?
– C’est plutôt à nous de dire ça ! On compte bien t’ôter ce masque ! »
Elle ricana ; son corps tressailla, à commencer par les épaules qui se secouaient, et sa tête se pencha quelque peu en avant.
« Mon masque ? Mais enfin, vous voyez bien que je n’en porte pas ! »
Elle s’élança vers eux dans un claquement de cape, et s’apprêta à en saisir un au col. Sa main tendue, gantelet en avant, elle semblait presque les narguer et leur dire de tenter de récupérer le bijou.
« Maintenant ! » cria Chat Noir ; sa voix avait été poussée à son extrême, jamais il n’aurait cru pouvoir hurler si fort.
Cela sembla déstabiliser Tigresse qui eut un mouvement d’hésitation et manqua de trébucher. Ladybug en profita pour lui jeter son cadre en plein visage, et tous deux utilisèrent leurs armes pour fuir. Elle envoya le bout de son yoyo vers la cheminée la plus proche pour pouvoir passer par les toits, et prévoyait déjà bon nombre de détours pour rentrer chez elle. À ses côtés, Chat Noir sembla avoir songé à un plan similaire, et commença à courir avant de sauter à la perche avec son bâton agrandi, et de disparaître sur les toits.
L’instant d’après, Tigresse se retrouva seule avec ce stupide cadre. Elle sourit ; elle avait tout simplement la flemme de leur courir après, et leur offrait cette occasion pour leur faire croire à une possible victoire sur elle.
« Eh, Coccinelle, explosa-t-elle à bout de souffle, tu as oublié ta photo de famille ! »
Marinette ne se retourna pas, et s’élança vers un nouveau toit.
Chat Noir sourit tristement. Finalement il aurait su ce que refermait ce cadre ; heureusement qu’il n’avait pas forcé sa comparse à lui en montrer le contenu. Puis il reprit la poudre d’escampette, déterminé à ne pas perdre la distance qu’il avait pu mettre entre lui et son ennemie.
Valentine resta longuement dressée, seule sur le chemin de graviers du parc, le cadre dont elle avait pleinement mémorisé la photographie à la main. Lorsqu’il disparut, elle comprit que Ladybug était redevenue Marinette. Elle épousseta sa tenue, lâcha un soupir de satisfaction, et tourna à son tour les talons, quittant les lieux.
Quelques badauds s’étaient rapprochés, certains s’exclamant de joie en l’observant. Nul n’avait assisté au combat qui venait d’avoir lieu, et cela était probablement mieux pour les deux héros, bien que Tigresse n’eût été de cet avis. Elle aurait aimé pouvoir les détruire un peu plus, elle n’avait fait que les ébranler. Si tous leurs adorateurs venaient à apprendre qui se cachait sous ces masques… Il allait de soi qu’ils n’oseraient plus se montrer en public, ni en tant que héros, ni en tant qu’eux-mêmes.
Bien, se dit-elle en jetant un dernier regard à la foule, il est temps de rentrer à la maison.
Elle prit appui sur ses talons, et fit un bond de plusieurs mètres de haut avant d’atterrir sur un toit. Décidément, les capacités humaines décuplées par les Miraculous étaient fantastiques, et il était très facile d’y prendre goût.
*
Recroquevillée sur elle-même, Marinette guettait le retour de Tikki.
Après avoir fait mille et un détours afin de semer son opposante, elle s’était réfugiée dans sa chambre, ne sortant que brièvement afin de récupérer dans la trousse à pharmacie de quoi nettoyer et désinfecter ses plaies. Le sang séché avait commencé à former une croûte brunâtre qui se détacha sitôt passa-t-elle une compresse imbibée dessus, laissant de nouveau le sang perler. Après avoir recouvert ses bras de pansements, elle passa à ses genoux, tout autant écorchés. Elle serra un peu les dents lorsque le désinfectant fit effet, mais fut rassurée de voir que le sang ne coulait plus après examen. Ses vêtements n’avaient cependant pas eu la même chance : son jean était déchiré, et il en allait de même pour sa veste. Elle pouvait probablement réparer ça avec son nécessaire de couture, mais le cœur n’y était pas ; les vêtements avaient été balancés sur une chaise, et son pyjama avait pris leur place.
Elle s’était ensuite effondrée sur son lit, après avoir dû mobiliser toute une énergie considérable pour gravir la montagne de marches à emprunter pour s’y rendre. Elle avait à peine osé regarder la photographie qui trônait dans son cadre, et son visage s’était rapidement retrouvé enfoui dans l’oreiller moelleux qui l’accueillait chaque soir.
« Je ne sais plus quoi faire, avait-elle soupiré. Qu’est-ce qu’on va devenir, Tikki ?
– Je crains que nos chemins ne doivent se séparer, répondit le kwami en s’asseyant sur un des barreaux du lit. Dès lors que ton identité est connue d’autrui, tu dois rendre le Miraculous… »
Marinette ne put réprimer quelques larmes à ce douloureux rappel.
« Tikki, demanda-t-elle en hoquetant, qu’est-ce que je vais devenir sans toi ?
– Sans cette lourde tâche, tu ne pourras que te sentir mieux, j’en suis certaine.
– Mais j’ai besoin de toi, tu comprends ça ? »
La coccinelle avait baissé tristement le visage, préférant éviter ce regard paniqué qui le fixait. L’adolescente soupira, et se rassit sur son lit. Le sommet de son crâne effleurait le plafond, son visage restait éclairé par la lumière filtrant par le velux qui lui permettait de se faufiler sur le toit.
« Il faut que je lui en parle.
– À Chat Noir, ou bien au Gardien ?
– Aux deux. Dans cet ordre-là. »
Tikki avait haussé les épaules. Le cœur des humains était parfois difficile à sonder, et c’était bien plus compliqué lorsqu’ils n’étaient pas encore pleinement développés.
« Tu peux aller voir Chat Noir et lui transmettre un message ? Rendez-vous à vingt-et-une heures sur le toit de l’école. Dis-lui de veiller à être bien seul, que Tigresse ne soit pas présente…
– Je m’en charge. Repose-toi, Marinette. »
L’adolescente avait acquiescé, puis le kwami avait pris la route, ou plutôt les airs, la laissant ainsi seule avec ses pensées.
Et à présent, que faire ?
Si elle devait vraiment remettre son Miraculous au Gardien, rendre les armes, alors que deviendrait-elle ? Elle avait été bien trop impliquée dans le combat contre le Papillon, on ne pouvait pas l’écarter aussi facilement ! Fu avait tous les pouvoirs, il pouvait très bien ordonner à Tikki de ne plus lui obéir, comme l’avait fait cette odieuse Tigresse. Même sans son bijou, pouvait-elle toujours se battre ? Elle pourrait enquêter sur le Papillon, tenter de remonter jusqu’à lui… Et en même temps ce serait tellement dangereux de n’avoir aucune arme pour se défendre. Sans l’essence divine de la Coccinelle, elle n’était rien de plus qu’une simple adolescente.
Pourrait-elle récupérer un Miraculous secondaire ? Si le nouveau porteur de Tikki voyait en elle une alliée efficace, peut-être pourrait-elle se voir offrir de temps à autre le pouvoir de se battre. Mais ça ne serait qu’occasionnel. Elle voulait bien plus.
Elle entendit sa mère frapper à la porte de sa chambre. Elle hésita à répondre, puis finalement grogna quelque chose qui sonna à peu près comme un « Qu’est-ce qu’il y a ? » peu enchanté. Cela eut pour effet d’inquiéter Sabine, qui entra sans poser plus de questions.
« Marinette ? appela-t-elle doucement, de ce ton maternel qu’elle adoptait lorsqu’elle voulait dissimuler quelque peu ses inquiétudes au sujet de sa fille. Quelque chose ne va pas ?
– Tout va bien, répondit la brunette en passant la tête au-dessus des barreaux, apercevant sa mère sur le seuil de la chambre. Pourquoi tu es venue me voir ? »
L’air horrifié qu’adopta sa mère la figea.
« Marinette, qu’est-ce qui est arrivé ? »
Un peu par réflexe, elle porta la main à son visage, et constata au toucher d’autres blessures ; une coupure sur la joue, et le menton était éraflé, probablement à cause de ses roulades forcées dans les graviers.
« C’est rien, je me suis blessée en tombant, mentit-elle en descendant de son lit. Tu me connais, je suis maladroite.
– Tu te fais frapper à l’école ? Qui c’est ?
– C’est rien, je te jure. »
L’attitude renfermée et même presque agressive de Marinette ne fit qu’aggraver les suspicions que nourrissait sa mère. Cela ne lui ressemblait pas, elle n’avait jamais eu le moindre problème de toute sa scolarité. Alors que diable cachait-elle ?
« Laisse-moi voir ça, veux-tu ? »
Elle attrapa une compresse et le désinfectant, que Marinette avait laissés par mégarde sur son bureau, à la vue de sa mère, et se hâta d’imbiber la première du second, avant d’appuyer doucement sur les blessures. Par chance, c’était assez superficiel, mais Sabine s’interrogeait quant à l’origine de telles coupures. On eût presque dit des griffures causées par un animal tant elles étaient nettes, et parallèles pour certaines. Lui avait-on lancé des pierres ? Ou bien avait-elle été attaquée par un chat sauvage ? Le mutisme de l’adolescente n’avait pour effet que de faire naître toujours plus d’interrogations.
« Ta joue te fait mal ?
– Un peu, mais ça va.
– On dirait que tu t’es pris un coup de poing… Qu’est-ce qui a bien pu t’arriver ma chérie ? »
Marinette n’osait croiser le regard de sa mère. Il était hors de question de lui avouer la vérité, elle n’en serait que terrifiée. Mais dans ce cas, quel mensonge inventer ? Une histoire de harcèlement pouvait peut-être faire l’affaire, même si ce n’était pas dans l’habitude de la brunette que d’être mêlée à des histoires de ce genre.
« En rentrant de cours, j’ai vu une bande de gamins qui en martyrisaient un autre. Je me suis interposée, et ils s’en sont pris à moi. Heureusement que je suis plus grande, j’ai pu vite m’en sortir. »
Sabine soupira – de soulagement, probablement – et afficha alors une mine quelque peu rassurée. Elle jeta la compresse dans la corbeille de papier, et étendit ses bras avant de les entourer autour de sa fille, la serrant tendrement contre elle.
« Marinette, souffla-t-elle, ton altruisme te perdra. Fais attention à toi ma puce.
– Promis maman. Ce n’était que cette fois-là, il n’y en aura pas d’autres comme ça. »
Du moins, je l’espère, s’empressa-t-elle d’ajouter mentalement.
« Bon, je file aider ton père. Repose-toi, et surveille si ça ne gonfle pas.
– Ne t’en fais pas, répondit Marinette en agrémentant ses paroles d’un faux sourire qui se voulait apaisant, il ne peut plus rien m’arriver. »
Une fois la porte de la chambre fermée, elle aperçut Tikki venir à elle. Les kwamis pouvaient-ils s’essouffler à force de voler et de traverser les murs ? À en juger par le rouge plus vif qu’à l’accoutumée qu’arborait le visage de la coccinelle, il semblait que oui.
« Chat Noir a pris note de ton message. Il sera présent à ton rendez-vous.
– Parfait, merci, Tikki.
– Qu’est-ce que tu comptes faire, Marinette ? »
Remontant dans son lit en hauteur afin de s’y effondrer pour tuer le temps, l’adolescente ne répondit pas. Il n’y eut bientôt plus que des gémissements étouffés alors qu’elle pleurait, son oreiller serré de toutes ses forces contre elle.
*
« Attends, attends. Tu es en train de me dire que tu avais tour à tour Chat Noir et Ladybug à portée de main, dé-transformés qui plus est, et tu n’as pas volé leurs bijoux ? »
Valentine acquiesça, l’air de ne pas comprendre où voulait en venir Roarr, ni pourquoi cette dernière jura de tous les noms qu’il lui eût été possible d’énoncer – beaucoup de noms de divinités mythologiques, d’ailleurs – avant de reprendre son calme en respirant doucement.
« Je veux dire, je t’ai déjà toi. Je ne vois pas ce que je ferais avec d’autres kwamis.
– Mais Val ! »
Roarr virevolta de plus belle, sa queue fouettait l’air. Quelque chose la contrariait visiblement, mais il était impossible de dire quoi.
« Bon, déjà, je te remercie, ça me touche que tu m’apprécies autant, commença-t-elle par dire dans un semblant de calme maîtrisé. Mais bon sang, ce sont les deux Miraculous les plus puissants, s’égosilla-t-elle. En les amalgamant au mien, tu pourrais bénéficier de nos trois pouvoirs combinés ! Tu imagines ? Un pouvoir de création et de destruction en plus de ta maîtrise de la pierre et du rugissement ? Tu serais imbattable, la plus puissante des guerrières de ce monde, nul ne pourrait s’opposer à toi ! »
La jeune femme agrandit ses yeux, et fronça les sourcils lorsqu’intervint dans ce sermon le mot « amalgame » ; elle s’empressa d’interroger la divinité hystérique à ce sujet.
« L’amalgame de deux Miraculous revient à les porter en même temps. Imagine Rena Rouge, ou peu importe son nom, utiliser en plus du Renard le Miraculous de la Tortue. J’ignore quel nom elle se donnerait, mais elle aurait aussi bien ce bouclier que cette flûte, et aussi bien le pouvoir de protection que celui d’illusion.
– Y a-t-il une limite à l’amalgame ? demanda Valentine en esquissant un sourire mauvais ; ces informations lui offraient une nouvelle perspective fort alléchante. Est-ce que je pourrais amalgamer tous les Miraculous ?
– Autant que tu pourras supporter d’essences divines dans ton corps. Certains ne peuvent supporter la cohabitation avec le moindre kwami, c’est pour dire à quel point tu es déjà chanceuse de pouvoir bénéficier de mon aide. Mais plus tu portes de Miraculous et plus tu mets ta santé en péril ; même les porter en mode camouflage épuise ta propre essence. »
Les bras croisés sur sa poitrine, et le corps penché en arrière sur le dossier de sa chaise, Valentine acquiesça. Voilà qui était extrêmement intéressant. Maintenant qu’elle savait quelles possibilités s’offraient à elle, elle regrettait presque de n’avoir sur saisir sa chance lorsqu’elle s’était présentée.
« Et il y a autre chose dont je dois te parler, ajouta le tigre en prenant un air si sérieux qu’il étonna Valentine. Écoute-moi bien, il n’y a rien de plus important que ça. »
La jeune femme pencha la tête en avant, avant de ramener tout son corps en direction du tigre. Les coudes posés sur ses genoux, elle tendit l’oreille avec autant d’attention qu’un élève captivé par le cours que lui donnait son professeur.
« Il y a bien longtemps, le Mage nous a découverts, mes frères et sœurs et moi. Les bijoux qu’il nous a confectionnés sont devenus nos réceptacles, permettant de communiquer avec vous. Grâce à eux, vous pouviez bénéficier de nos pouvoirs. Mais il nous a mis en garde. Jamais il ne faudrait qu’un même individu possède la Coccinelle et le Chat Noir. La Création et la Destruction étant les deux pouvoirs les plus puissants de ce monde, les amalgamer reviendrait à obtenir le contrôle absolu de toutes choses. Mais surtout… »
Elle fit une pose, laissant la tension dramatique monter un peu plus, avant de reprendre.
« On dit que quiconque les amalgamera pourra rencontrer le Dieu, et qu’il exaucera un de ses vœux. Nous-mêmes ne l’avons jamais rencontré, nous ignorons s’il existe réellement.
– Un humain a-t-il déjà invoqué ce « Dieu » ?
– Je crois que oui. Mais si toutefois il y était parvenu, il n’est jamais revenu pour dire ce qu’il avait vu. »
Silence. Le bruit du klaxon d’une voiture résonna entre les murs, s’infiltrant dans l’appartement par la fenêtre ouverte. Un coup de vent vint soulever les rideaux blanc cassé, et un frisson d’excitation parcourut le corps de la jeune femme.
« Roarr, articula-t-elle difficilement, la gorge sèche, il me faut ces Miraculous. Je dois appeler ce Dieu. »
_______________________________
*『流れていった涙や後悔の時間に 今更しがみつくほどの未練は持ち合わせず
過去の痛みが全て報われたわけじゃない 私の痛みは君の失望にこそ芽吹く』
「独白」 - amazarashi