Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre XIII
Si, lorsque tout sera fini,
tu as besoin de partager avec quelqu’un,
je serai là pour toi. *
– Jouer aux aurevoirs – amazarashi
« En conclusion, le magazine Style Queen, dirigé par ma mère est le numéro un à suivre quand on s'intéresse à la vraie mode ! »
Il y eut un silence qui sembla durer une éternité. Puis Adrien commença doucement à applaudir, pour féliciter ses camarades, ou bien par pure pitié envers Chloé qui avait baragouiné quelques pauvres mots en anglais, histoire de dire qu'elle avait fait quelque chose. Elle affichait encore et toujours cet air suffisant bien trop irritant qui allait si bien à son personnage, convaincue d'avoir fait un travail de qualité par procuration de son amie, ou plutôt larbin.
« Bien. Bravo à vous les filles. C'était un bon exposé ! Vous pouvez retourner à votre place. »
Sabrina rangea précipitamment l'ordinateur connecté au vidéo projecteur, ramassant en même temps ses feuilles de notes, et regagna son siège, aux côtés de sa camarade qui, elle, était partie en premier sans même lever le petit doigt pour l’aider.
Leur professeure reprit sa place sur l'estrade, et profita des dernières minutes qui lui restaient afin de faire un rappel des prochains passages. Lors du cours suivant, ce serait notamment à Marinette et Adrien de rendre compte de leur travail. Depuis le temps qu'ils le préparaient, il fallait bien un jour présenter leur sujet.
Le blondinet se retourna afin de glisser quelques mots à sa camarade :
« Tu voudras qu'on passe en premier ? Ou bien on laisse Nino et Alya faire le leur en premier ?
– Comme tu veux, sourit la brunette. Qu'on passe en premier ou en dernier, je serai toujours aussi stressée ! »
Il afficha un sourire amusé et quelque peu désolé pour elle, puis se remit droit sur sa chaise, et écouta les dernières instructions données par leur enseignante.
Ce jour-là, l'assistante de langues leur avait fait faux bond.
C'était presque devenu une habitude, au final. Ces derniers jours, elle était rarement venue en cours. Quelle ironie, étant donné que c'était elle qui devait se charger des exposés. Mais cela ne posait visiblement aucun problème, et de toute manière, il n'y avait pas non plus la moindre incidence sur la qualité de l'enseignement prodigué aux élèves.
La cloche retentit, et avant que tous ne sortissent de la salle, Marinette apostropha son binôme. Alya lui adressa un sourire d'encouragement, et quitta précipitamment les lieux en entraînant avec elle Nino, qui luttait presque pour pouvoir lui échapper ; le pauvre espérait pouvoir discuter un peu avec son ami entre les deux cours.
« Dis, Adrien, ça te dirait de réviser une dernière fois avant qu'on passe ? Si tu veux, on peut se retrouver chez moi, mes parents seraient ravis de voir du monde. »
Presque surpris par l'assurance dont avait fait preuve la brunette, Adrien eut un moment d'hésitation. Il sembla réfléchir une seconde ou deux, et lui donna une réponse qui était, certes, prévisible, mais qui ne fit pas néanmoins abandonner tous ses espoirs à l'adolescente.
« Je vais demander l'autorisation, mais puisque c'est pour les cours, je pense qu'on n'a pas trop de souci à se faire !
– Tant mieux, rit légèrement Marinette. J'aurais bien besoin d'une ou deux astuces pour bien prononcer les mots chinois.
– Tu peux compter sur moi ! »
Ils changèrent de sujet, tout en se dirigeant d’un pas pressé vers la salle dans laquelle se déroulait le cours suivant. Toute la classe s’y trouvait déjà, et ils s’installèrent quelques secondes avant que l’enseignant n’arrivât. Comme à leur habitude, Adrien était à côté de Nino, et Marinette était la voisine de sa chère Alya. Cette dernière lui lança un regard plus que curieux, et lui demanda en silence ce qui s’était passé et dit.
« Je lui ai proposé de réviser ensemble.
– Au CDI ?
– Non, chez moi, » souffla Marinette en dissimulant comme elle le pouvait ses joues qui rougissaient à cette simple idée.
Il y eut un cri à peine étouffé, bien que court, de la part de son amie. Elle ôta ses lunettes, se frotta les yeux, et les remit, avant de se pencher un peu plus vers elle.
« Es-tu bien la vraie Marinette ? Pas une illusion ?
– Arrête, il n’a pas vraiment accepté. Ni refusé, d’ailleurs. On verra selon son père, comme toujours.
– Au pire demande à, je sais pas, Ladybug, d’aller te le kidnapper !
– C’est pas un génie qui exauce les vœux, mais ça pourrait peut-être le faire. »
Leurs rires à voix basse parvinrent tout de même aux oreilles du professeur, qui les recadra. Un acquiescement de leur part suffit à leur éviter plus de problèmes durant le reste du cours. En revanche, Marinette rêvassait bien trop pour pouvoir se concentrer. Elle s’imaginait déjà enfermée dans sa chambre en compagnie du blondinet, et s’inventait mille et un scénarios qui finissaient tous inexorablement par une déclaration mutuelle de leur amour, et pourquoi pas un premier baiser. À cette pensée son visage s’enflamma de nouveau.
« Alya, j’ai pris ma décision, finit-elle par murmurer. Je vais me lancer un défi.
– À propos de quoi ? Adrien ?
– Si l’exposé se passe bien, si on a une bonne note, je lui dirai.
– T’es pas sérieuse ? Tu vas vraiment mettre ça sur le coup de la chance ?
– Ce n’est pas vraiment de la chance. On a bossé comme des fous, je suis sûre qu’on va bien s’en sortir.
– Et ça ne va pas encore plus te stresser le jour J ?
– Ah, ça, on ne peut pas le prévoir. Mais je compte bien y arriver. »
Un immense sourire découvrit les dents d’Alya alors qu’elle lui montrait son encouragement. Depuis le temps que la brunette rêvait de se déclarer, l’occasion était presque trop belle. Et pourtant…
Il n’y avait pas de mal à espérer, non ?
Marinette y parviendrait sûrement.
Non, elle y parviendrait assurément.
Comme chaque vendredi, l’après-midi s’écoula lentement, et même tristement. La hâte de voir le week-end arriver rendait chaque élève incapable de rester en place, au grand dam des enseignants.
Et lorsque la sonnerie de la fin de la journée retentit dans chaque bâtiment, il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que résonnassent dans chaque couloir les bruits des chaises poussées et tirées sans vergogne par les nombreux adolescents bien trop pressés de rentrer chez eux.
Avant que la classe ne fût complètement vidée de ses occupants, Marinette s’approcha d’Adrien, appelant son nom pour attirer son attention. Le blondinet se tourna vers elle, cet éternel sourire sur ses lèvres qui la faisait frémir d’adoration, et la questionna sur la raison de cette apostrophe.
« Si tu es d’accord, tu pourrais venir dimanche, souffla-t-elle. Enfin, si ton père est d’accord. Je vais en parler à mes parents, mais je pense qu’ils accepteront sans problème. Après tout, tu es une personne de confiance, et on va réviser ensemble.
– Je pense que mon père me le permettra. Je n’ai rien de prévu le dimanche. Tu m’aurais dit demain, c’est sûr que ça aurait été compliqué, plaisanta-t-il.
– Envoie-moi un message quand tu sauras, d’accord ? Et si jamais ce n’est pas possible en présentiel, on pourra toujours s’appeler via Skype !
– C’est noté. Je te dis dès que je le sais ! »
Il leva la main, et la secoua, en guise d’au revoir.
Marinette lui répondit par la même, un sourire benêt dessiné sur ses lèvres, songeant en rêvassant qu’elle allait avoir un semblant de rendez-vous en tête à tête avec lui.
Combien de temps passa-t-elle bloquée ainsi ? Elle l’ignorait. Ce fut le professeur qui, en se raclant la gorge, lui rappela qu’elle n’était toujours pas partie alors qu’il lui fallait fermer la salle. Elle s’excusa platement, et agrippa la lanière de son sac, avant de se précipiter dans les marches et sur le pavillon de l’établissement, où l’attendait Alya. Nino était déjà parti, pressé de retrouver son petit frère pour jouer avec lui au tout dernier volet d’un jeu de simulation de course de voitures, et Adrien ayant ses cours particuliers, il avait dû se hâter de monter dans la voiture de son chauffeur.
« Tu vas vraiment le faire ? » demanda la rouquine, observant par-dessus ses lunettes le regard pensif de son amie.
Le front posé sur la vitre du métro, Marinette se perdait dans le vague, ses yeux bleus scrutant l’obscurité du tunnel quelquefois coupée brièvement par des diodes perdues ici et là. La question sembla la soustraire à cette torpeur.
« Pardon, tu disais ?
– Ta déclaration. Ton défi. Tu vas vraiment le faire ?
– Ah… »
Elle laissa un blanc, réfléchissant à la réponse qu’elle devait donner.
« Je n’ai pas le choix. J’ai le sentiment que si j’attends un peu plus longtemps, quelqu’un me le volera, ou bien quelque chose m’éloignera de lui pour toujours.
– Tu te fais des films, j’en suis sûre.
– Je ne sais pas… »
Elle manqua de peu d’aborder le sujet de Tigresse. Penser à ce dont était capable cette personne l’inquiétait. Elle semblait prête à se salir les mains de toutes les manières possibles, et vouait une véritable haine – à moins que ce ne fût de la rancœur ? – au duo qu’elle formait avec Chat Noir. La crainte que quelque chose n’arrivât habitait son cœur, et elle redoutait le moment où la dangerosité de cette ennemie atteindrait son maximum.
Le pire dans tout ça était que c’était probablement de sa faute. Elle devait avoir amené leur ennemie jusqu’au Gardien. Mais une question restait toujours sans réponse. Pourquoi avoir pris le Tigre ? L’Abeille aurait été bien plus utile, à défaut de pouvoir prendre la Tortue, qui restait toujours sur le poignet de Fu. Et bien au-delà de ça, pourquoi pas prendre tous les Miraculous qui se tenaient devant elle ?
Marinette laissa s’échapper un soupir de dépit.
« Allez, t’en fais pas pour ça. Tout ira bien, la réconforta Alya, qui ne se doutait pas le moins du monde de ce qui se passait dans la tête de son amie.
– Je vais faire de mon mieux pour que tout aille à merveille, » répondit Marinette, un faux sourire sur les lèvres.
La voix annonça l’arrêt de descente de la rouquine. Elle salua son amie, lui faisant promettre de la tenir au courant de l’avancée des choses. Puis elle disparut derrière les portes, se mêlant à la foule entassée sur les quais, laissant Marinette seule avec ses pensées.
Elle sentit son téléphone vibrer peu de temps après. Elle y jeta un coup d’œil peu concerné, et s’étonna de voir qu’il s’agissait d’Adrien. Elle se hâta d’ouvrir le message, et manqua de laisser s’échapper quelques cris de joie lorsqu’elle constata que la réponse à son invitation était positive. Le moral de nouveau haut, elle rentra chez elle avec bon espoir que tout irait bien.
*
Lorsque, le surlendemain, le Gorille vint déposer Adrien devant l’entrée de l’immeuble dans lequel résidaient Marinette et sa famille, il attendit que le blondinet sonnât à l’interphone et que la porte s’ouvrît avant de disparaître dans un bruit de moteur.
Il gravit une à une les nombreuses marches qui le conduisirent jusqu’au dernier étage, où se trouvait l’appartement. Lorsqu’il frappa à la porte, celle-ci s’ouvrit en grand, laissant apparaître une Marinette souriant à pleine dents.
« Bonjour ! fit-elle en inclinant la tête sur le côté. Entre, et fais comme chez toi ! »
Il commença par se déchausser dans l’entrée ; elle lui désigna même une paire de chaussons neufs, réservés aux invités, qu’il enfila. Après un échange de banalités, ils montèrent à l’étage en duplex, où se trouvait la chambre de l’adolescente.
« Il n’y a que toi aujourd’hui ?
– Mes parents se sont permis un petit tour de musée. Ils m’ont laissé l’appartement pour qu’on puisse travailler tranquille.
– C’est gentil, mais ce n’est pas un peu trop ?
– Jamais ! Ne t’en fais pas pour ça ! Et d’ailleurs, ma mère te propose de rester à dîner si tu le souhaites ! »
En réalité, Sabine avait tout simplement adressé à sa fille un regard interrogateur, suspicieuse de savoir sous quelle identité Marinette allait présenter Adrien. Simple camarade de classe, ou bien petit-ami ? L’intérêt de cette mère pour la vie sentimentale et affective de son enfant avait été entretenue par le secret très mal dissimulé par Marinette, en témoignaient les dizaines et dizaines de photos de l’adolescent disséminées dans sa chambre. Elle avait d’ailleurs espéré qu’un petit ménage fût fait avant que l’intéressé ne vînt, afin qu’il ne fût pas surpris si toutefois il ne connaissait pas déjà l’affection qu’elle nourrissait à son égard.
Par chance, l’adolescente avait une mère peu étouffante. Curieuse, certes, mais au moins elle ne fouillait pas compulsivement pour savoir tout ce qui se passait dans la vie de sa fille. Ce n’était néanmoins pas le cas de son mari, qui ne voulait pourtant que son bien, et qui pouvait malgré tout tenir parfois une attitude plutôt inadaptée.
Pour le bien du blondinet – et de son secret –, Marinette avait fait un grand ménage ; ne restaient plus que les posters de stars et de films, ou encore les photos de sa famille et amis – sur l’une d’elle posait justement Adrien, celle-là avait le cadre le plus décoré – qui, accrochés aux murs, personnalisaient la pièce tout en la rendant aussi banale qu’une autre chambre d’adolescente. Ce n’était pas la première fois qu’Adrien y mettait les pieds – il y avait bien eu une ou deux autres occasions avant celle-ci –, et pourtant il nota quelques dessins et croquis qui le surprirent, affichés au niveau du bureau, comme des rappels à l’ordre pour le travail de la brunette. Un sourire se dessina sur ses lèvres en constatant les ébauches de designs de vêtements auxquels elle avait réfléchi.
« Bien, finit-elle par articuler, maîtrisant enfin sa gêne. On s’y met ? »
Elle repensa au « pari » – bien que « pacte » eût été un terme plus adéquat – passé avec elle-même et confié à Alya. Si cet exposé était un succès, elle dévoilerait ses sentiments. Pari audacieux, mais qui partait d’une bonne intention. Elle était alors doublement motivée à travailler d’arrache-pied, mais aussi doublement angoissée à l’idée d’échouer. En attendant, elle tremblait d’inquiétude et de stress ; on avait rarement vu une telle boule de nerfs humaine.
« Mais non ! Je suis bête ! Tu as sûrement soif !
– C’est vrai que je ne dirais pas non à un verre d’eau, souffla Adrien, un peu embarrassé par sa position d’invité.
– On a du jus de fruit, ou du sirop, si tu veux. Dis-moi ce qui te fait envie, et je te l’apporte ! »
Il passa sa commande, et se retrouva seul en tête à tête avec Plagg l’instant d’après ; le kwami avait plus qu’insisté pour être de la partie. Lorsque la porte de la chambre claqua, il s’extirpa de la poche de sa chemise, et s’étira amplement.
« On dirait que c’est bien parti avec Marinette, souffla-t-il, sans cacher son regard en coin malicieux.
– Je ne vois pas de quoi tu veux parler, se renfrogna son porteur. Je ne suis pas venu pour ça.
– C’est ce qu’ils disent tout. »
Adrien ne releva pas, et s’empressa de sortir son téléphone.
La proposition de Sabine, que lui avait rapportée Marinette, était plutôt alléchante : il connaissait les talents culinaires du couple Dupain-Cheng, et se faisait une joie de goûter à quelques échantillons lorsque l’occasion se présentait.
Il voulut dans un premier temps demander par message à Nathalie l’autorisation, puis il se dit qu’elle le lui refuserait probablement. Son salut se trouvait en la personne de son garde du corps : un rapide SMS envoyé et le Gorille ne se fit pas prier ; il lui assura qu’il pouvait rester jusqu’au dîner, et peut-être même un peu plus tard dans la soirée. Heureusement que des personnes comme lui se trouvaient dans l’entourage du blondinet, sans quoi il aurait abandonné tout espoir d’avoir une vie normale – si tant était que sa vie pût l’être – depuis bien longtemps.
Il ne resta pas seul bien longtemps : son hôte revint rapidement, un plateau à la main. Il était d’ailleurs bien rempli, entre les verres desquels s’échappaient en glissant quelques gouttes nées de la fraîcheur de leur contenu, et la boîte à biscuits en fer dans laquelle avaient soigneusement été alignés cookies et meringues faits maison. Une petite assiette dans laquelle trônaient de beaux macarons accompagnait le tout. Il fallait admettre que tout ceci était aussi délicieux que joli : Marinette y avait passé plusieurs heures, et n’avait gardé que ce qu’elle considérait comme excellent ; le reste avait fini soit dans son estomac, soit dans celui de Tikki, et quand toutes deux furent parvenues au maximum de leurs capacités, les gâteaux furent disposés eux aussi dans une boîte en vue d’une dégustation future.
« J’ai pris un peu de tout, j’espère que tu aimes. »
C’était là un doux mensonge : son obsession pour le blondinet était telle qu’elle savait parfaitement qu’il aimait tout ce qu’elle avait apporté : elle avait cuisiné ses goûts favoris en toute connaissance de cause.
La mine surprise par les excellentes saveurs et textures des gâteaux qu’afficha Adrien ravit Marinette, qui se laissa rêvasser une seconde ou deux. Elle fut rapidement rappelée à la réalité par ses obligations, et s’installa devant son ordinateur afin d’ouvrir le document de leur présentation pour l’avoir sous les yeux.
« Bon, on se dit que le diapo est fini de chez fini, et on y touche plus ?
– Je vois mal ce qu’on pourrait y mettre de plus, confia-t-il. Si tu veux, on peut faire un ou deux essais, et voir si on a besoin de modifier une diapositive ou deux.
– J’allais justement te le proposer. »
Chacun sortit ses notes afin de rendre l’exposé ; si celles d’Adrien tenaient sur une fiche Bristol soigneusement écrite, avec couleurs et mots soulignés, Marinette se retrouvait quant à elle avec quatre ou cinq feuilles A4 entièrement rédigées et griffonnées.
En soi, elle n’était pas mauvaise en langues, elle était juste bien trop hésitante, et cela résultait en des notes dans ses notes, les rendant toujours un peu plus illisibles. Ils firent une première simulation, afin d’estimer la durée de leur passage, et une fois celle-ci terminée, Marinette lui adressa une requête qui le surprit légèrement.
« Est-ce que tu peux m’aider à prononcer les noms chinois ? À chaque fois je dis Shanghai à la française, mes ancêtres doivent avoir honte de moi…
– Bien sûr, si tu y tiens, rit l’adolescent, un large sourire aux lèvres. Quels autres noms te posent problème ? »
Elle lui en dressa une liste, et après quelques instants, il la lui rendit, d’étranges « lettres » rédigées à côté de son écriture.
« C’est la phonétique, » l’informa son binôme.
Face à la mine étrange, entre gênée, penaude et consternée, qu’affichait Marinette, il réalisa son erreur. Bien évidemment, tout le monde ne connaissait pas l’alphabet phonétique international. Il était vrai que se retrouver face aux lettres « ʂâŋ.xài« » devait autant consterner que lorsque l’on faisait face aux sinogrammes utilisés pour désigner la ville « sur la mer ».
« Bon, répète après moi, d’accord ? Si besoin, va lentement. »
S’ensuivit alors dix longues minutes d’énonciations et répétitions acharnées. Mais l’expression de ravissement qui se dessina sur le visage de Marinette mit l’adolescent tout en joie à son tour. La satisfaction d’enseigner son savoir à autrui et de voir cet élève réussir était un sentiment fort plaisant, et très gratifiant, même lorsque l’on doutait de ses propres capacités, comme ce pouvait être le cas pour Adrien.
De leur côté, Plagg et Tikki s’étaient réfugiés dans un coin de la pièce et les observaient, fiers de les voir interagir aussi naturellement malgré tous leurs secrets.
Ils s’amusaient inlassablement de voir leurs interactions ; d’un côté se trouvaient Marinette et Adrien, deux adolescents pris dans la spirale de la vie, partagés entre l’école, leurs passions, leurs familles et amis, et qui chérissaient leur premier amour avec l’espoir de le voir bourgeonner et fleurir. Puis, de l’autre, ils agissaient en duo de héros, luttant contre la menace du Papillon, bien que ce fût une tâche parfois trop lourde pour leurs jeunes esprits en ébullition. Savoir qu’ils ignoraient qui se trouvait réellement sous le masque de l’autre était aussi frustrant que divertissant pour les deux kwamis.
« Ils ont grandi, quand même, depuis leurs premiers pas en tant que héros, souffla Plagg avec émotion. Je suis si fier de nos petits.
– Ils ont encore beaucoup de chemin à faire. J’espère seulement qu’ils n’auront pas trop d’obstacles. »
Comme toujours, Tikki était la plus réaliste des deux. Cela amusait grandement Plagg, qui ne pouvait s’empêcher d’en jouer.
« Allons, sucrette, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne vainquent le Papillon. On retrouvera vite Nooroo, et une fois cette histoire terminée, ils retrouveront leur vie normale.
– Tu oublies Roarr. Je n’aime pas du tout ça. Tu sais combien elle est… lunatique.
– Roarr a accepté son sort il y a des centaines d’années. Elle doit faire tout ça à contrecœur, comme Nooroo. Et cette Tigresse n’est rien face à nos porteurs.
– Elle est probablement plus mature, et compatible. Il n’y a rien de pire face à eux ; ils sont encore si jeunes !
– Tu te fais du souci pour quelque chose qui n’arrivera pas, sucrette. Fais-leur confiance, et tout ira bien. »
Tikki lui adressa un regard anxieux, mais sembla tout de même se détendre un peu. Ils écoutèrent d’une oreille distraite une énième répétition de l’oral de Marinette et d’Adrien. Ils semblaient enfin prêts, à en juger leur assurance et leur respect du temps imparti. Les verres étaient vides depuis bien longtemps, et la boîte de fer laissait entrevoir son fond.
« Bon, je pense qu’on est bons. Tu en dis quoi ?
– Après toutes ces répétitions, je pense qu’on s’en tirera bien demain, répondit Adrien avec conviction.
– Une partie te tente ? »
Marinette montra d’un signe de tête les manettes qui patientaient sur un coin du bureau. Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas livrés à des matchs sur leur jeu de combat préféré. Ils s’installèrent face à l’écran d’ordinateur, et lancèrent le jeu. En attendant que tout fût prêt, Adrien laissa ses yeux naviguer sur l’espace qui s’étendant devant lui. Il vit notamment un post-it qui attira son œil.
« Tu t’intéresses à la mythologie chinoise ?
– Oui, souffla Marinette en grinçant des dents. En cherchant des infos pour l’exposé, je me suis perdue sur le net, et je suis tombée sur leurs histoires de zodiaque, ce genre de choses.
– Il n’y a pas une histoire d’éléments, dans leur zodiaque ?
– Si, il y a les cinq éléments ; bois, feu, terre, métal et eau. Apparemment il y a une sorte de loi de domination et de création entre eux. Par exemple, le bois engendre le feu, et domine la terre. Ce genre de choses.
– C’est curieux… Tu dis que le bois domine la terre ?
– Ça t’intéresse, l’astrologie chinoise ?
– Juste comme ça. »
L’ironie avait voulu qu’ils pensassent tous deux à la même chose : Tigresse. Marinette avait menti, couvrant ses recherches pour vaincre son ennemie en utilisant l’exposé comme excuse. Adrien avait choisi de prendre un air simplement curieux. Il se dit alors que, lorsqu’ils se reverraient, il lui faudrait en parler à Ladybug.
« Ah, c’est prêt. On y va ? »
Après sélection de leurs avatars, ils s’engagèrent dans une suite de combats, au cours desquels les bruits mécaniques des boutons pressés et des joysticks manipulés dans tous les sens allaient de concerts avec les grognements et les exclamations – de victoire ou de défaite – que laissaient échapper les deux adolescents.
Derrière eux, posés sur le lit en hauteur, leurs kwamis les observèrent, amusés, pariant sur lequel de leurs porteurs gagnerait la manche en cours. Les rires résonnèrent dans la chambre tandis que les matchs se succédaient, victoires et défaites s’enchaînant pour les deux concurrents.
« C’est nous ! »
L’unisson de Sabine et Tom avertit les deux adolescents – et leurs kwamis – de la fin de leur règne sur l’appartement. Machinalement, Marinette mit le jeu en pause, dans l’idée d’aller accueillir ses parents, et pour qu’Adrien les saluât. Mais en voyant l’heure affichée par son horloge de bureau, elle se dit qu’il valait mieux proposer son aide pour cuisiner le dîner. Par la même occasion, elle se souvint qu’elle n’avait même pas demandé au blondinet s’il comptait rester. Quelle sotte faisait-elle.
L’intéressé, une fois la question posée, répondit avec une certaine gêne.
« Puisque la proposition tient toujours, il serait malpoli de refuser. Merci beaucoup.
– À quelle heure tu dois rentrer ?
– On viendra me chercher à neuf heures. Il ne faut pas oublier qu’on doit être en forme demain. »
Le sérieux dont il faisait toujours preuve plaisait tant à Marinette qu’elle manqua de peu de lui en faire la remarque.
« Ça te dit de cuisiner avec moi ? proposa soudainement l’adolescente.
– C’est toi la préposée ? s’étonna-t-il en retour.
– D’habitude j’aide un peu quand c’est dans mes cordes. Mais je me disais qu’on pourrait le faire ensemble, si ça te dit ? »
Il sembla réfléchir un instant ou deux, avant de répondre, cet air jovial comme incrusté dans son visage.
« Je ne sais pas si je serai d’une grande aide, mais c’est avec plaisir ! »
Il descendit les escaliers, à la suite de Marinette, se retrouvant de fait dans la grande pièce de vie, où se tenait le couple d’adultes. Il les salua poliment, et trembla de plaisir lorsqu’on lui répondit chaleureusement ; il en avait si peu l’habitude, lorsque l’on voyait son père et Nathalie, aussi froids que le sol dallé de marbre dans le hall d’entrée du manoir familial.
« On va cuisiner si vous voulez, lança Marinette, coupant court à l’échange de banalités auquel était pris à parti Adrien.
– J’avais prévu de faire des légumes et du porc sautés au wok. Tu es sûre que tu peux t’en charger ?
– On n’a qu’à cuisiner tous ensemble, » suggéra Adrien, tout sourire.
Pendant les trois quarts d’heure de préparation et de cuisson qui suivirent, il y eut une ambiance plus que chaleureuse, presque brûlante pour Adrien. Voir cette famille si souriante aussi unie lui serra quelque peu le cœur, l’attristant de voir qu’il ne connaîtrait peut-être plus jamais pareil moment avec son père.
Mais le sourire de Marinette chassa ces mauvaises pensées pour les remplacer par d’autres, plus agréables : il pouvait toujours être heureux grâce à ses amis, sa seconde famille.
Tous éclatèrent de rire lorsque l’adolescente manqua de renverser le sachet de riz qu’elle avait déplacé pour en mettre une portion dans le cuiseur, et il y eut une seconde vague d’hilarité lorsque Tom, quant à lui, fit s’envoler les légumes hors du wok et les y fit retomber de justesse.
Tout le long du dîner qui suivit, jusqu’à ce que son téléphone portable sonnât lorsque le Gorille l’appela, Adrien ne put s’empêcher de rire aux blagues du trio Dupain-Cheng. Leur bonne humeur était plus que contagieuse, et il ne compta plus les fois où il dut essuyer les larmes qui coulaient de ses yeux à force de s’esclaffer.
Il remercia tant bien qu’assez le couple pour leur hospitalité avant de quitter leur appartement, et sur le seuil de la résidence, jusqu’où l’avait raccompagné Marinette, il loua une fois encore la gentillesse de sa famille.
« Tu sais, tu peux revenir quand tu veux. Je crois qu’ils t’apprécient, » lui glissa-t-elle avec un clin d’œil.
Un dernier remerciement, puis il la salua, lui donnant rendez-vous au lendemain pour leur exposé sérieusement travaillé. La portière de la voiture se referma derrière lui, et la porte d’entrée sur Marinette, tandis que chacun rentrait chez soi après cette journée riche en émotions, surtout pour la brunette.
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* 『全てが終わったら 分かち合うために
誰かがいるでしょう 僕がいるでしょう』
「さよならごっこ」 - amazarashi