Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre VIII
Ce qui est étrange est que, bien que tu haïsses tout le monde
sauf toi-même, tu ris dans ta paranoïa.
Je ne pleurerai pas comme si j’étais triste.
Je ne reconnaîtrai pas ma tristesse. *
– Porte le coup fatal – amazarashi
Depuis toujours, Valentine se rendait en cours avec une certaine avance. Elle anticipait toujours un quelconque ralentissement des transports en communs, si bien qu’elle avait ce jour-là encore une demi-heure à tuer avant le début de son cours de langue orale. Son corps un peu refroidi par la fraîcheur de la salle la supplia d’aller s’acheter une boisson chaude. Puisqu’elle n’aimait pas le thé vert à la menthe fade proposé par les distributeurs, et qu’elle ne buvait du café que lorsqu’elle avait de lourds dossiers à rendre alors qu’elle était terriblement en retard, elle opta pour un chocolat chaud ; le choix de prendre un potage ne se proposait pas, puisqu’il était bien trop tôt pour boire une soupe, d’autant plus qu’elle se méfiait de cette machine qui devait dater de la construction de l’université. La créature de métal avala goulument les quelques pièces qu’elle enfourna dans la fente prévue à cet effet, puis ronronna lorsqu’elle déversa la boisson brûlante dans un gobelet. Valentine le prit, et manqua de jurer lorsqu’elle en constata la chaleur. Elle posa son achat sur une table, le temps de fouiller dans une des caisses stockées là pour trouver la réserve de gobelets en plastique ; elle déchira un des sacs et se servit, en prenant un autre afin de diffuser un peu mieux la chaleur qui manquait de lui effacer ses empreintes digitales.
Lorsqu’elle retourna dans la salle de classe, elle constata que quelqu’un s’était installé à la place voisine de la sienne ; elle s’assit et engagea la conversation, un sourire à moitié sincère et à moitié faux dessiné sur ses lèvres recouvertes de baume.
« Salut, Ash, fit-elle, comment ça va ?
– Hey Val ! Tranquille ! »
Son interlocutrice sortait justement ses affaires ; la table fut rapidement recouverte de sa trousse et de ses manuels de chinois.
« Alors, comment as-tu trouvé ma correction ?
– Franchement, je ne saurais jamais te remercier assez. Tu m’as sauvé la vie.
– Ça m’étonne venant de toi ! D’habitude tu ne mets jamais les autres dans la panade en accumulant le retard ! »
Valentine observa la Londonienne qui commençait déjà à s’exciter alors qu’il n’était que neuf heures passées. Ashley – Ash n’était que son surnom – était une étudiante en échange universitaire, dans le cadre du programme Erasmus. Là-bas, elle faisait des études de français, mais touchait aussi un peu au chinois, ainsi qu’aux autres cultures de la région d’Asie de l’est ; Corée, Japon, Mongolie, Inde, elle accumulait chez elle bon nombre d’ouvrages littéraires écrits par des auteurs de ces contrées. Elle se débrouillait incroyablement bien en français et en chinois, mais lorsqu’elle conversait avec Valentine, c’était l’anglais qui venait le plus naturellement. Parfois, elles parlaient un peu en chinois, mais elles partaient rapidement dans des fous rires tant l’accent de l’une était incompréhensible pour l’autre.
Ashley l’avait souvent sortie de la panade. Elles s’étaient rencontrées par hasard en début d’année, lorsqu’elle était venue demander si elle pouvait assister aux cours de chinois, ce à quoi l’enseignant ne s’était pas opposé. Elle avait posé son regard ambré sur Valentine, et avait décidé de ne plus jamais la quitter. D’une nature bruyante et extravertie, elle contrastait quelque peu avec son amie qui s’effaçait souvent. Peut-être étaient-ce ses origines marocaines qui lui conféraient cette chaleur et cette vigueur ? On disait souvent que ceux du sud amenaient le soleil avec eux, et bien qu’elle fût née à Londres, c’était comme si le beau temps de Marrakech la suivait. Sa mère venait de là-bas, et avait rencontré son père britannique par pur hasard ; Ashley réunissait toutes les qualités propres à ces deux ethnies, et était appréciée de tous.
« Je t’invite au resto quand tu veux, fit Valentine en sirotant sa boisson. Je te dois bien au moins ça !
– Tu bosses encore cet aprèm ?
– Ouais… J’avais cours jusqu’à neuf heures déjà, et j’y retourne à onze trente après l’oral. J’aurais jamais dû postuler, ça me tue. Pire erreur de ma vie, je te jure. »
Ashley réprima un rire léger ; les mouvements de son visage faisaient onduler ses cheveux bruns coupés au carré ainsi que sa frange qui lui tombait sur les sourcils. Elle reprit son calme, et changea de sujet.
« Est-ce que tu vois toujours ce surveillant du collège ?
– Thomas ? En ce moment c’est compliqué.
– Compliqué comment ? relança Ashley avec un sourire en coin, désireuse de connaître les derniers potins.
– Ne va rien t’imaginer. Entre nous il n’y a rien, c’est juste pour passer du bon temps. Un peu comme toi et Quentin.
– En parlant de lui ! Je l’ai revu hier. Bon sang, il est tellement bon au lit !
– Tant mieux pour toi, » fit amèrement Valentine avant d’engloutir le reste de sa boisson qui était désormais tiède.
Cet homme que fréquentait Ashley – Quentin Lejeune – était, en quelque sorte, une connaissance de Valentine. C’était un jeune professeur de sport, qui devait avoir la trentaine, et qui enseignait, comme par hasard, au collège Françoise Dupont.
Elle avait fait sa connaissance par Thomas, et elle lui connaissait une certaine réputation de coureur de jupons ; elle-même était tombée dans ses filets, mais ne regrettait pas spécialement cette expérience, qu’elle avait jugée plutôt bonne. Ashley ignorait cependant qu’avant qu’elle ne le fréquentât, Valentine avait déjà couché avec lui une paire de fois. Elle pensait qu’ils étaient juste collègues, sans plus.
« Si d’autres de tes collègues sont autant baisables, n’hésite pas à me les présenter. Je vais pas refuser de pouvoir découvrir un peu plus la culture française, » ajouta l’Anglaise en lui adressant un sourire complice.
Était-ce là sa seule occupation ? Coucher avec le plus de personnes possibles ? Valentine trouvait ça presque amusant que son amie et elle eussent un tel point commun, à l’exception que cette dernière ne faisait pas cela pour oublier sa souffrance. Mais cette remarque, elle s’abstint de la faire à voix haute. Certaines choses devaient être gardées pour soi.
En parlant de Thomas, elle ne l’avait pas croisé ce matin-là. D’ordinaire il restait au portail à attendre que tous les élèves arrivassent. C’était curieux, mais d’un autre côté elle était plutôt contente de pouvoir encore et toujours repousser leurs retrouvailles. Elle ne s’était toujours pas débarrassée de cette sensation de dégoût qui collait à sa peau comme des vêtements trempés par la pluie. C’était comme si son propre corps se rebellait et refusait d’accepter le peu d’endorphine qu’elle pouvait s’offrir.
Elle espérait simplement qu’il ne mentionnerait pas les événements de la dernière fois. Elle se doutait qu’elle ne pourrait pas garder la face bien longtemps.
L’arrivée du professeur la tira de ses pensées, et elle dut mettre de côté ses divagations afin de se concentrer sur ses cours. Cependant, elle avait beau écouter et répondre lorsqu’elle était interrogée, elle ne pouvait s’empêcher de penser à Roarr, et à Thomas. Comme si quelque chose la ramenait sans cesse vers eux, alors qu’elle ne voulait en aucun cas les impliquer plus que nécessaire dans ses histoires personnelles.
Lorsque le cours se termina, elle se dépêcha de ranger ses affaires, et salua prestement Ashley, en lui disant qu’elle la contacterait pour qu’elles allassent déjeuner ou dîner dans un restaurant ce week-end-ci.
Elle arriva au collège alors qu’une horde de gamins patientait pour aller au self, pressés de remplir leurs estomacs vidés par leur concentration. Ne voyant Thomas nulle part, elle déglutit en cherchant son nom dans ses contacts sur son téléphone, et serra les dents en entendant la sonnerie d’appel retentir. Lorsqu’elle entendit enfin sa voix de l’autre côté du combiné, elle ne sut identifier le sentiment qu’elle ressentait comme étant du soulagement ou bien une angoisse encore plus intense.
« Oui ?
– C’est moi, dit-elle en tentant de maîtriser les tremblements de sa voix. Où est-ce que t’es ?
– À la vie sco. Tu m’y rejoins ? J’ai un truc à régler, et après je pourrais aller en pause dej. »
Elle acquiesça et raccrocha. En rangeant son téléphone dans sa poche, elle tenta de réfréner sa grimace en serrant les dents, puis elle prit la direction du bâtiment principal en traînant un peu du pied.
Thomas fermait à double tour le bureau lorsqu’elle le rejoignit. Une fois n’était pas coutume, il avait revêtu une chemise dont il avait laissé ouvert le haut du col, mais avait laissé la cravate au placard ce jour-ci. Son visage s’illumina lorsqu’il la vit arriver, comme soulagé de la voir reparaître dans un semblant de pleine forme qu’il lui connaissait bien. Il hésita cependant à l’attitude à adopter avec elle, et se contenta d’attendre de voir comment elle-même se comportait. Elle s’approcha pour lui faire la bise ; il lui répondit de la même manière.
« Tu vas bien ? demanda-t-elle machinalement, plus par habitude que par envie. Pas trop dure, la matinée ?
– Comme un jeudi midi, fit-il en souriant. Et toi ? Ça a été ton cours de ce matin ?
– On peut résumer ça à écouter une classe faire des présentations avec un accent approximatif tout en écoutant Ashley me parler de sa nuit torride avec Quentin. J’aurais préféré éviter ça. »
Thomas éclata d’un rire clair et communicatif, qui fit sourire Valentine. Comme par magie, ce rire fit disparaître le malaise qu’elle ressentait en sa présence.
« On y va ?
– Après vous, monsieur Dompeyre. »
Nouveaux éclats de rire partagés. La jeune femme senti un léger malaise en apercevant au loin Marinette ; son vol avait-il été découvert ? Et si tel n’était pas le cas, combien de temps lui restait-il avant l’inévitable ? Mais enfin, de quoi s’inquiétait-elle ? Il n’y avait aucune chance pour qu’on remontât jusqu’à elle, elle avait fait le nécessaire pour couvrir ses traces et garder son identité secrète. Elle souffla un instant. Tout irait bien, oui, elle en avait la conviction.
« Tu as cours jusqu’à quelle heure aujourd’hui ? demanda Thomas, alors qu’ils mangeaient dans un brouhaha infernal.
– Seize heures. Et après je pense rentrer. J’ai deux-trois trucs à régler pour les cours. Et toi ?
– Pareil. Ça ne te dit pas d’aller à la salle lever quelques poids ?
– Haha, non merci. Ce n’est pas trop mon genre. J’apprécie. »
Elle attendit quelques instants, se demandant si elle n’allait pas commettre une stupide erreur. Puis, finalement, les mots dépassèrent sa pensée.
« Ça te dit de venir dîner chez moi ce soir ?
– Tu es sûre ? Ça ne te dérange pas ?
– Si ça me dérangeait, je ne te le proposerais pas, non ?
– Tu marques un point. »
Cela faisait longtemps que Valentine ne l’avait pas invité chez elle. Il trouva par ailleurs cela étonnant qu’en si peu de temps elle acceptât de le voir, et surtout de le recevoir à son appartement. Cela le ravissait ; il comprenait par-là qu’elle allait mieux et s’était remise de ses émotions. Peu importe ce qui lui était arrivé, elle semblait avoir surmonté cela, et rayonnait. Dans ces moments-là elle était plus belle que jamais, à l’image des pétales d’un cerisier s’éparpillant dans le vent. Il s’en voulait presque de désirer posséder cette beauté, dont il connaissait le caractère insaisissable. Mais il savait que, dès qu’il tenterait de poser la main dessus, elle s’échapperait et ne reviendrait jamais vers lui. Il y tenait trop pour faire un tel sacrifice.
« Vers quelle heure tu veux que je vienne ?
– Le temps que je range tout et que je prépare un plat… disons vers vingt heures ?
– Parfait. J’ai hâte de goûter à ta cuisine ! »
Elle lui rendit son sourire, amusée par l’engouement dont il faisait preuve. Le temps de ce repas, tous ses tracas s’envolèrent, et elle manqua de peu d’oublier la lourde mission qu’il lui incombait. Elle ne parvenait pas à croire que Thomas pût la divertir autant.
Il leur fallut bientôt débarrasser leurs plateaux et retourner travailler, même si le cœur n’y était pas. Valentine n’avait qu’une hâte : rentrer chez elle et passer un bon moment, seule ou en compagnie de quelqu’un. Roarr l’attendait, sûrement en lisant un énième livre qu’Ashley lui avait prêté, mais elle avait envie, pour une fois, de côtoyer un être humain. Une petite voix lui criait au loin de ne pas plus s’abîmer, mais au point où elle en était, elle n’avait plus rien à perdre.
« À ce soir alors, » lui glissa-t-elle en lui adressant un clin d’œil complice, qui fit presque rougir Thomas de gêne – et quelque peu d’envie – à la simple idée de ce qui pouvait l’attendre.
Par chance, madame Bustier la congédia lorsqu’elle vint la voir dans la salle des professeurs. Elle avait prévu des exercices de compréhension orale en laboratoire de langues, et n’avait par chance pas besoin de son aide. Avec l’accord de sa référente au sein de l’établissement, elle s’éclipsa des lieux sans demander son reste, bien trop ravie à l’idée de finir sa journée plus tôt.
Sur le chemin du retour, elle s’arrêta dans une supérette pour faire quelques achats ; quitte à passer une soirée avec Thomas, autant rendre ça le plus agréable possible, ainsi elle se décida à préparer pour le dîner des lasagnes. Son frigo était certes rempli, il lui manquait bon nombre d’ingrédients nécessaires à la préparation de ce plat, et il lui fallait ainsi faire quelques courses.
Lorsqu’elle posa le pied sur le seuil, elle fut accueillie par une Roarr surexcitée, qui n’en revenait pas de sentir l’odeur d’une viande fraîche d’aussi bonne qualité.
« Je reçois un ami ce soir, l’informa la jeune femme alors qu’elle rangeait ses achats dans les placards prévus à cet effet. Tâche de rester discrète. Je te prierai de ne pas rester dans la même pièce que nous, je tiens à mon intimité.
– Ton ami, c’est celui à qui tu as envoyé des messages ? lança le tigre amusé. Thomas, c’est ça ?
– Le seul et unique. Maintenant si tu veux bien… »
Elle ne put terminer sa phrase ; une violente secousse fit trembler l’appartement, des murs jusqu’au plafond. Quelque chose de monstrueux fit son apparition dans une rue voisine, et provoquait un tremblement de terre miniature au moindre pas qu’il faisait.
« Je rêve ou bien… »
Elle s’était ruée à la fenêtre et constata avec horreur et fascination ce qui se produisait sous ses yeux. Une gigantesque créature, dont la taille avoisinait celle des bâtiments aux nombreux étages, avançait, saccageant ce qui se trouvait sur son passage. Son corps ressemblait à une sculpture faite à partir de sucettes géantes ; une boule sucrée pour la tête, une pour le torse, une pour chaque main, et une pour chaque pied, toutes reliées entre elles dans une forme humanoïde par des bâtons comme ceux que l’on utilisait pour déguster ces bonbons. Incroyable. Juste là, sous ses yeux, se produisait l’événement dont elle avait tant espéré voir la venue !
Un sentimonstre était apparu.
Ce qui voulait dire…
« Les voilà. Ils ont fait vite. »
Un large sourire illumina son visage lorsqu’elle vit les deux adolescents arriver sur scène à leur tour. Elle aperçut d’abord Marinette, ou plutôt Ladybug, dans sa tenue rouge vif à pois noirs. Qu’elle était ridicule. À ses côtés, Chat Noir esquivait aisément les coups hasardeux de la créature. Lui non plus n’avait pas de prestance. Et il allait lui falloir se battre contre eux. Cela serait un jeu d’enfant.
« Roarr, tiens-toi prête. Il va y avoir de l’action.
– Ne devrions-nous pas y aller maintenant et les aider ?
– Nous ? Les aider ? Ne dis pas de bêtises. Nous ne ferons notre entrée qu’une fois ce monstre vaincu. C’est à ce moment-là que les choses sérieuses commenceront. »
Elle vit les deux héros essuyer quelques coups, et parfois se faire envoyer contre des arbres ou des cheminées. Ils disparurent de sa vue quelques instants, mais en se penchant par la fenêtre elle aperçut la coccinelle invoquer son lucky charm. Elle sembla un instant hésitante, et elle lui devina facilement un air dubitatif face à l’incongruence de l’objet qu’elle avait obtenu. Dans le brouhaha du combat, elle crut la deviner annoncer à son acolyte qu’elle allait chercher du renfort, et disparut entre les toits à une vitesse folle, laissant Chat Noir seul contre la chose afin de la contenir, avec Valentine et Roarr pour seules spectatrices.
*
Marinette courrait à toute allure dans les rues ; dans sa sacoche, une Tikki ballotée de droite à gauche tentait tant bien que mal de dévorer le macaron qu’elle lui avait donné afin qu’elle reprît des forces. Elle était à bout de souffle, mais apercevoir la maison où elle voulait se rendre lui redonna l’énergie qu’il lui manquait pour atteindre sa destination. Elle fonça presque la tête la première dans la porte d’entrée, peinant à ralentir sa course et surtout à s’arrêter à temps, et frappa de toutes ses forces sur le bois. Le vieux Gardien vint lui ouvrir, la mine grave. Ils se saluèrent comme ils le faisaient toujours, et il l’invita presque silencieusement à se rendre dans le salon. Elle se déchaussa afin de ne pas salir les tapis de paille tressée, et attendit qu’il lui présentât la fameuse boîte.
« Quelqu’un est entré par effraction chez moi, il y a deux jours, annonça Fu. Dans la nuit de mardi à mercredi.
– C’est horrible, lâcha l’adolescente, encore haletante. Vous a-t-on volé quelque chose ?
– Je n’ai rien remarqué de manquant, sourit-il. Il n’y avait que des bris de verre là, sous la fenêtre, » ajouta-t-il en désignant d’un mouvement du visage l’endroit du crime en question.
Il avança péniblement jusqu’au gramophone, qu’il ouvrit en entrant les codes, et en extirpa la boîte octogonale.
« Marinette Dupain-Cheng, dit-il comme à son habitude en lui présentant la Miracle Box, qui s’ouvrit compartiment après compartiment, choisis un allié de confiance pour t’aider dans cette mission. Une fois la mission achevée, tu devras reprendre le Miraculous, et me le ramener.
– Maître… ? »
Marinette resta un instant interdite alors qu’elle survolait les divers Miraculous du regard. Lorsque ses yeux se posèrent sur celui qu’elle désirait, elle remarqua que quelque chose clochait, et Wayzz, qui virevoltait autour d’eux, se mit à crier.
« Roarr a disparu ! Le Miraculous du Tigre n’est plus là !
– Comment ?! »
Tous trois restèrent interdits. Tikki s’extirpa de la sacoche, et constata avec effroi que ce n’était pas une mauvaise plaisanterie.
« Comment est-ce possible ? articula Fu dont la gorge s’asséchait seconde après seconde. Il est impossible qu’ils aient découvert la cachette, et encore moins la manière d’ouvrir le gramophone…
– N’avez-vous rien remarqué ? Wayzz, toi et les autres n’avez-vous pas vu ce qui s’était passé ?
– Je… je crains que non… Il m’avait semblé étrange de ne pas voir Roarr ces derniers jours, mais puisque c’était habituel pour elle de se cacher dans un coin et de ne pas en sortir pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, j’ai cru que c’était encore une de ces périodes… Oh misère, qu’allons-nous faire ? »
Tous sentaient la panique qui commençait à les gagner. Un frisson glacé parcourut le dos de Marinette, et la rappela à la réalité. Bon sang, c’était le pire de tout ce qui pouvait se produire.
Non seulement elle devait se battre contre le Papillon et Mayura afin de remettre la main sur leurs Miraculous volés – bien qu’ils eussent été perdus dans un premier temps et qu’ils eussent mis la main dessus par pur hasard – tout en prenant garde à ne pas perdre le sien, mais en plus il lui fallait enquêter sur un vol de Miraculous qui avait eu lieu en ces lieux, chez le Gardien qui plus était ? C’était impossible, il avait sûrement dû tomber. Personne, à part le Gardien, ne savait ouvrir le mécanisme, pas même elle qui l’avait vu le faire de nombreuses fois. C’était juste impossible que quelqu’un pût pénétrer chez lui et en dérober un. Et d’ailleurs, pourquoi le Miraculous du Tigre ? Le Renard ou l’Abeille étaient des choix de première qualité, tandis que le Tigre n’avait jamais été utilisé une seule fois depuis que le Papillon semait la zizanie à Paris.
Elle s’approcha du meuble où trônait le gramophone désormais ouvert, et s’accroupit afin de jeter un œil en-dessous.
« Que fais-tu ? interrogea Fu, interloqué de la voir fouiner à droite à gauche.
– Il n’y a jamais eu de vol, Maître, j’en suis sûre. Il a dû tomber lorsque vous avez ouvert la boîte la dernière fois, et on ne l’a pas vu. Il doit certainement être caché ici ou là… »
Tikki laissa ses yeux se promener sur l’horloge, et poussa un cri d’horreur en constatant que cela faisait déjà vingt minutes qu’elles avaient laissé Chat Noir tout seul contre le sentimonstre. Sa voix de crécelle stoppa Marinette, qui se cogna la tête en se relevant précipitamment.
« Chat Noir nous attend ! Il faut qu’on se dépêche ! Vite !!
– Tu as raison. Maître ? Si vous voulez bien, à défaut de Roarr et de son rugissement, je vais vous emprunter Wayzz.
– Très bien, souffla-t-il en ôtant de son poignet le bracelet.
– Je reviendrai tout de suite après pour vous aider à chercher le Miraculous du Tigre. Je suis convaincue qu’il est encore ici. Ne vous en faites pas, ce sera rapidement réglé ! »
Elle s’apprêta à quitter la maison, et avait la main sur la poignée, lorsque le vieillard l’interpela.
« Avant que tu ne partes, j’ai quelque chose pour toi. Chat Noir m’a laissé ça pour toi.
– Une lettre ? »
Elle ouvrit l’enveloppe, et parcourut les lignes recouvertes d’une écriture incertaine. Une fois sa lecture terminée, elle plia la lettre et la rangea dans sa sacoche, avant de quitter les lieux.
Elle se cacha dans la ruelle, ordonnant à Tikki de la transformer, et prit la direction du collège, où elle trouva Nino, caché dans les vestiaires. Il sembla que le sentimonstre était soit passé par là, soit avait vu le jour dans les environs. Elle lui remit le Miraculous, qu’il activa avec un large sourire, et ensemble, ils se hâtèrent pour rejoindre Chat Noir, qui commençait à n’en plus pouvoir de se démener seul contre la chose.
« Désolée pour le retard, chaton, lança Ladybug avec amusement, mais j’avais reçu un courrier de la plus haute importance, et il fallait absolument que je le lise. Tu voudras bien me laisser y répondre rapidement plus tard ? »
Comprenant le sous-entendu, il sentit son cœur se gonfler de joie. Alors ils allaient enfin pouvoir mettre les choses au clair ! Plagg sera fier de l’apprendre.
Il salua rapidement amicalement Carapace, et écouta leur meneuse expliquer son plan.
« Ça ressemble à la fois où un enfant avait fait un caprice parce que sa mère avait refusé de lui donner un bonbon. Il faut chercher dans les alentours, il est sûrement tout près. Et je pense avoir ma petite idée… »
Elle pointa du doigt un parc voisin où, d’ordinaire, trouvait-on bon nombre de parents et d’enfants, ainsi qu’un ou deux vendeurs de bonbons. C’était un début de piste. Elle ordonna au félin d’aller chercher là-bas s’il trouvait l’objet qui avait servi de réceptacle à l’amok néfaste, et de le détruire, puis elle s’élança avec Carapace vers le monstre qui rôdait. En attaquant sur les deux fronts, ils réduisaient nettement la durée de leur combat et augmentaient leurs chances de régler tous ces problèmes en deux temps trois mouvements. Elle entama, avec le héros au Miraculous de la Tortue, un combat d’endurance acharné entre eux et la chose, qui ne se laissait pas aussi facilement approcher.
De son côté, Chat Noir scrutait les environs du parc à la recherche de l’élément dans lequel s’était logé l’amok de Mayura – car il était évident qu’elle se cachait derrière tout cela – mais commençait à perdre patience. Puis il eut comme un pressentiment. Comme si quelque chose l’observait.
Il se retourna pile à temps pour esquiver le coup qu’on tenta de lui asséner. Il se retrouva nez à nez avec l’ennemi, cette femme au teint bleuâtre, qui cachait à moitié son visage altéré par la magie de son bijou avec son éventail. Elle le toisa de toute sa hauteur, et retint un grommellement face à l’échec de son attaque surprise.
« L’amok, tu l’as encore sur toi, hein ? lança l’adolescent en se tenant prêt à riposter si elle tentait de fondre à nouveau sur lui. C’était un leurre.
– Tiens donc. Et qu’est-ce qui te fait croire ça ?
– Le bracelet de bonbons que tu portes au poignet à tout hasard ? Pense à bien te laver les dents avant de te coucher le soir, sinon tu auras des caries ! »
Il se jeta sur elle et tenta de placer un coup. Il ne voulait pas faire appel à son cataclysme dès à présent et diminuer sa mobilité ; dès lors que sa main droite toucherait la moindre chose, il la détruirait et perdrait cette capacité destructrice. Pourtant, s’il pouvait l’atteindre, et s’il pouvait briser ce bracelet… Ah ! Il fallait à tout prix qu’il prévînt Ladybug et Carapace. Il se saisit de son bâton afin d’en utiliser la fonctionnalité communicatrice, mais dut aussitôt s’en servir pour parer un énième coup porté par son assaillante. Lorsqu’une voix répondit de l’autre côté, il s’empressa de dire tout ce qu’il savait.
« C’est Mayura qui a l’amok, sur elle ! Venez me rejoindre ! »
Il aperçut un rictus mauvais se dessiner sur les lèvres violacées de la femme qui se tenait en face de lui, et évita de peu un coup de pied retourné qui visait son visage.
Lorsqu’il fut enfin rejoint par ses alliés, il ne put réprimer un soupir de soulagement. À trois contre un, ils avaient toutes les chances de gagner.
« Je comprends mieux pourquoi mon lucky charm ressemblait à une grosse corde, lança la brunette. C’était juste pour attacher ton gros bonbon. »
En effet, l’amas de sucettes gigantesque se débattait un peu plus loin, lié de part et d’autre par une gigantesque corde rouge à pois noirs, à l’image de l’héroïne. Mayura réprima un grognement, agacée par la tournure des événements. Décidément elle ne pourrait gagner ce jour-ci. Elle savait admettre ses défaites lorsqu’elle n’avait aucune chance de triompher.
« Bien, fit-elle en haussant les épaules. Je vous laisse tranquille pour cette fois.
– Quoi ?! hurla Carapace, incapable de croire qu’ils avaient si facilement gagné.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? renchérit Chat Noir sur le même ton.
– Ça ne me sert à rien de poursuivre, vous m’avez démasquée. Et puis, à trois contre une, je n’ai aucune chance de triompher. Je ne suis pas assez stupide pour risquer ma peau ici. »
Elle ordonna à l’amok de s’extirper du bracelet de sucreries qu’elle gardait à son poignet, avant de le cueillir au vol avec son éventail. Au même moment, le sentimonstre disparut tout simplement, sans laisser la moindre trace. Tout ce qui restait de l’attaque qui venait d’avoir lieu était les rues abîmées par le passage du monstre, et la gigantesque corde qui attendait là que quelqu’un la ramassât. Enfin, elle jeta au sol ce qui restait du réceptacle, et le broya sous son talon, comme pour se libérer de la frustration d’avoir échoué une fois de plus.
« Nous nous recroiserons, lança-t-elle. D’ici là, profitez tant que vous pouvez de votre bonheur et de votre insouciance. »
Elle s’élança aussitôt dans les airs et disparut rapidement derrière les toits et les cheminées sans que le trio ne pût la suivre. C’était là une victoire bien amère, dont ils n’étaient pas spécialement fiers.
Sans dire un mot, Ladybug alla ramasser la création de son lucky charm, et après l’avoir grossièrement enroulée sur elle-même, elle envoya la corde vers le ciel. Elle se désintégra en une multitude de minuscules coccinelles brillantes, qui vinrent réparer les dégâts causés par le monstre comme si rien ne s’était passé.
« Bien, finit-elle par dire, je vais raccompagner Carapace. Tu veux bien m’attendre ici Chat Noir ?
– Pas de problème, ma Lady ! Je vais en profiter pour nous faire un petit nid où nous pourrons discuter gaiement pendant des heures durant ! »
Le ton jovial de son acolyte contrastait avec la déception de l’issue du combat. Cela lui rendit quelque peu le sourire, et elle entraîna avec elle Carapace jusqu’au collège, où il se dé-transforma afin de lui rendre le Miraculous de la Tortue. Wayzz lança un regard inquiet à Ladybug ; il n’avait cessé de s’inquiéter au sujet de Roarr, et ne parvenait à se défaire de l’idée qu’elle avait été tout bonnement dérobée au Gardien.
Marinette attendit de se retrouver seule pour ordonner à Tikki d’ôter son essence divine des boucles d’oreilles ; elle laissa au kwami tout le temps qu’il lui fallait pour reprendre des forces, en dégustant un macaron à la fraise. Elle en proposa aussi un à la Tortue qui virevoltait d’impatience, à défaut de pouvoir trépigner et taper du pied.
« Ne t’en fais pas Wayzz, je suis sûre qu’on va la retrouver. Elle n’a pas été volée, j’en suis certaine. Elle s’est peut-être simplement égarée ?
– Les Miraculous ne s’égarent pas, répliqua-t-il en croisant les bras. Cela me paraît complètement insensé.
– Personne ne sait qui est le Gardien ni où il se trouve. Il n’y a rien à craindre. Peut-être le voleur, s’il y en a un, a-t-il cru que c’était un bijou sans valeur ?
– Comment osez-vous ! Vous feriez moins la maligne s’il s’agissait du Papillon ! »
Tikki intervint enfin, s’interposant entre les deux querelleurs.
« Marinette a raison, Roarr s’est peut-être juste égarée. Ne t’en fais pas Wayzz, nous allons la retrouver. »
La brunette lui adressa un sourire reconnaissant, tandis que la « tortue » gardait son air renfrogné et terriblement agacé.
Puis il fallut à Marinette rejoindre Chat Noir. Avec un peu de chance leur discussion sera assez courte, et elle pourrait rapidement retrouver Maître Fu afin de lui rendre Wayzz, et de retrouver ce Miraculous curieusement disparu. Elle se transforma de nouveau, et prit la direction du lieu de rendez-vous qu’ils avaient convenu, en espérant que son compagnon l’attendît toujours.
*
Chat Noir patientait tranquillement, jonglant avec son bâton telle une majorette, guettant l’instant où sa Lady le retrouverait. Assis sur le bord d’un toit, les jambes pendant dans le vide, il sifflait une douce mélodie pour passer le temps. Ah, il avait tant attendu de pouvoir mettre les choses au clair avec sa Lady ; toutes ses émotions négatives des jours précédents l’avaient quitté grâce à cette simple idée.
Il entendit des bruits de pas derrière lui. Voilà qu’elle était enfin de retour.
« Vous me faites honneur de votre présence, » ma Lady, fit-il en se relevant, s’apprêtant à exécuter une courbette afin de la saluer.
Il se figea en découvrant la personne qui se tenait face à lui. C’était tout sauf Ladybug.
« Désolée, grimaça la jeune femme, mais je ne suis pas cette sotte. »
Elle se tenait à deux mètres de lui, et le toisait d’un air arrogant. Ses mains – dont l’une était recouverte d’une plaque métallique brillante – posées sur ses hanches, elle posa sur lui son regard de la couleur de la rouille et laissa son sourire s’élargir de plus en plus. Il frissonna en découvrant ses canines pointues ; il les sentait s’enfoncer dans sa chair et imaginait déjà la douleur qu’il en ressentirait. Le plus terrifiant, au-delà du fait qu’il ignorait à qui il avait affaire, était qu’elle osait se révéler à lui à visage découvert. Ses cheveux bruns ébouriffés ondulaient dans le vent, en harmonie avec la longue cape foncée qui s’étendait depuis ses épaulières argentées. Il n’y avait aucun doute, soit cette femme possédait un Miraculous, soit elle avait été akumatisée.
« Qui êtes-vous ? lança-t-il sur la défensive, son bâton dans sa main droite, prêt à frapper si besoin.
– Cela n’a aucune importance. Ça m’arrange que tu sois seul, puisque c’est toi que je voulais rencontrer en premier. »
Deux choix s’offraient à lui. Le premier consistait à dialoguer afin de comprendre les intentions de cette inconnue qui ne lui inspirait pas confiance. Le second signifiait foncer tête baissée et essayer d’immobiliser son adversaire afin d’en identifier la vraie nature. Il était rare que des akumatisés fussent aussi calmes et statiques ; elle semblait presque inoffensive. Si seulement elle n’affichait pas ce sourire désagréablement effrayant…
« Chat Noir, c’est bien ça ? J’ai beaucoup entendu parler de toi. Tu es si faible que tu n’as pas su résister au Papillon, et que tu l’as accueilli à bras ouvert. Alors, qu’est-ce que ça t’a fait de devenir Lion Blanc ? Qu’est-ce que ça t’a fait d’être tombé aussi bas ? »
Elle ne perdait pas le nord, elle attaquait immédiatement là où ça faisait mal. Était-ce un nouveau coup du Papillon ? Tentait-il de l’affaiblir psychologiquement afin de s’emparer de nouveau de lui ? Oh non, il n’était pas faible ! Il ne reproduirait pas deux fois les mêmes erreurs !
« Dis-moi qui tu es et peut-être accepterai-je de discuter avec toi, cracha-t-il, à deux doigts de s’élancer et de la mettre au sol.
– Je n’ai pas de nom. Je n’en ai pas besoin. »
Il vit ses yeux perçants croiser les siens. Elle avança de quelques pas, jusqu’à se retrouver à une longueur de bras de lui. Il n’avait pas pu bouger, bien trop pétrifié par l’aura malfaisante de cette femme.
« Toi, en revanche, ajouta-t-elle en se penchant légèrement vers lui, tu en as un. Dis-moi qui tu es vraiment, et peut-être accepterai-je de discuter avec toi. »
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* 『おかしいのは自分以外 嫌いなくせに笑ってるパラノイア
悲しい風には泣かない 悲しいなんて認めない』
「とどめを刺して」 - amazarashi