Sous l'affiche d'un film pornographique
Chapitre VII
Eh, monte le son de la radio de la voiture !
Eh, monte-le encore !
Je me sens si bien, je ne peux m'arrêter de rire.
J'ai l'impression que je pourrais aller n'importe où.
J'ai l'impression que je pourrais aller n'importe où. *
– Porte le coup fatal – amazarashi
« Salut :)
– Salut. C’est rare que tu mettes des smileys. Qu’est-ce qui t’amène ?
– Je voulais savoir comment s’était passée ta journée.
– Classique. La fille Bourgeois est toujours aussi imbuvable. Et toi ?
– Classique. Comme d’habitude. »
Valentine regarda un instant la barre clignoter en attendant qu’elle entrât du texte, mais rien ne lui vint. Elle se contenta de verrouiller son téléphone, et d’appuyer sur le bouton permettant de monter un peu plus le volume de la musique que crachaient dans ses oreilles ses écouteurs.
La voix suave du chanteur britannique chantonnait ; elle se prit à fredonner elle aussi par-dessus la mélodie, sa main tapant le rythme lent et balançant de la chanson.
Elle sentit son téléphone vibrer dans sa poche ; elle y jeta un œil et vit que Thomas lui avait envoyé un autre message, dont elle avait vaguement lu les premiers mots. « Tu veux qu’on parle de l… » ; l’autre soir, sûrement, compléta-t-elle dans ses pensées. Elle ignora le texto, préférant se concentrer sur sa marche et sur les harmonies des divers instruments étouffés qui composaient la chanson. Songer à autre chose lui permettait de s’échapper, même temporairement.
Mais toute bonne chose avait une fin, et celle-ci se trouvait écourtée par l’arrivée de la jeune femme devant la porte de son appartement. Elle sortit de la poche arrière de son jean ses clés, et les enfonça dans la serrure, avant de tourner, et d’accéder à son salon, refermant à clé la porte d’entrée derrière elle.
Elle ôta d’abord bottines et veste, avant de mettre à bouillir de l’eau afin de se préparer une tisane ; en attendant que le sachet d’herbes sèches infusât, elle se saisit de son téléphone, et coupa la musique qui crachait une autre piste de l’album qu’elle écoutait. Elle remarqua alors qu’en plus du message non-lu de Thomas, elle en avait reçu un autre, d’un numéro inconnu et qui ne lui évoquait rien.
« Rebonjour, c’est Adrien. Merci pour tout à l’heure. Passez une bonne soirée. »
Elle hésita un instant à lui répondre, mais se ravisa, se contentant de simplement ajouter le numéro à ses contacts. Elle avait d’autres choses à gérer pour l’instant.
Roarr patientait, posée sur le bureau, et feuilletait un livre qu’elle avait extirpé de la bibliothèque de Valentine. Elle tournait les pages de ses petites pattes dépourvues de doigts, et l’abandonna totalement lorsqu’elle vit sa porteuse rentrer, et vint léviter autour d’elle, observant ses moindres faits et gestes.
« Qu’est-ce que tu t’es dégoté de bon à lire ? demanda sobrement Valentine en se penchant sur sa tasse afin d’en extirper le sachet de thé.
– On dirait un vieux livre, il est tout abîmé. Je n’en ai jamais lu des comme ça avant. Ça raconte l’histoire d’une voleuse qui s’appelle le Lézard Noir, et d’un détective qui tente de la retrouver
– Ah, ça ? C’est une amie qui me l’a prêté. Je n’aime pas trop le style trop simple de l’auteur, mais je dois avouer que ses intrigues sont prenantes. »
Elle ajouta un morceau de sucre, et mélangea avec une cuillère à café.
« Contente que ça te plaise, dans ce cas. »
Valentine alla s’installer sur son canapé, tasse entre les mains, et alluma la télévision, lançant une chaîne au hasard afin d’avoir n’était-ce qu’un fond sonore pour occuper ses pensées. Roarr la suivit, saisissant au passage le livre entre ses pattes, qu’elle posa le plus délicatement possible à ses côtés en faisant de son mieux pour ne pas perdre la page à laquelle elle s’était arrêtée.
« J’ignorais que vous saviez lire, lança la jeune femme en sirotant une gorgée. Vous avez des passe-temps quand vous êtes enfermés dans cette boîte ?
– La plupart du temps on joue ensemble, on se raconte des anecdotes. On attend surtout avec impatience que Ladybug ou Chat Noir vienne nous voir, pour qu’on puisse discuter avec leurs kwamis.
– À ce propos, lança Valentine avec un regard en coin, sais-tu qui est le porteur du Chat Noir ? J’ai déjà trouvé que Ladybug était Marinette, une gamine du collège où je travaille, mais je ne suis pas encore sûre pour l’autre.
– Nous sommes ensorcelés, nous ne pouvons dire qui est notre porteur aux autres kwamis, sinon cela pourrait compromettre leur identité secrète.
– Je vois. » Valentine roula des yeux et laissa s’échapper un soupir quelque peu agacé. « Je m’en doutais un peu à vrai dire, sinon c’était bien trop facile. Heureusement que j’aime enquêter. »
D’autant plus qu’elle avait sa petite idée de qui pouvait être le porteur du Miraculous du Chat Noir. Elle sentait qu’elle était proche de percer ce secret, bien qu’elle ne sût pas vraiment que faire de cette information pour l’instant.
« Ne souhaites-tu pas revêtir le Miraculous ? » osa demander Roarr en s’approchant d’elle, le bijou, qu’elle venait d’aller chercher dans la chambre, brillant entre ses pattes.
Valentine sentait comme un piège venir ; était-ce à cause de ce regard sournois du kwami ? Allons, il ne fallait pas voir le mal partout. La créature était inoffensive, non ?
« Je veux bien tenter le coup, sourit-elle en finissant d’un coup le contenu de sa tasse encore chaude. Mais dis-moi, comment la tenue de héros se décide-t-elle ? »
La question s’était souvent posée dans son esprit. Comment se faisait-il que Ladybug et Chat Noir semblassent si puérils dans leur apparence une fois transformés ? Elle ne voulait en rien se retrouver dans une tenue semblable à du latex ressemblant presque au dessin que ferait un enfant de cinq ans si on lui demandait de dessiner un super-héros, la cape en moins.
En revanche, on avait déjà vu le Papillon, il avait osé sortir de sa tanière, et elle l’avait trouvé classe, d’une certaine manière. Elle se souvenait de son costume violacé, littéralement taillé sur mesure, et la seule chose qui dénotait de cette tenue formidablement stylisée était le masque qui dissimulait la quasi-entièreté de son visage.
Et puis, à ses côtés, se battait Mayura, qui avait été parfois aperçue en public. Il se dégageait de cette femme une certaine prestance, un puissant charisme, qui attirait l’œil comme l’esprit. Son visage à demi caché par son éventail, elle sortait à tête découverte, mais son teint bleui et ses yeux violets rendaient évident le fait que telle n’était pas sa véritable apparence dans la vie quotidienne.
C’était grâce à cette évidence que Valentine s’était longuement penchée sur sa réflexion. À quoi ressemblerait sa tenue si elle osait ordonner à Roarr de diffuser son essence divine en elle ? Il lui faudrait une tenue décente, qui soit à la fois pratique et prestigieuse ; il lui faudrait, si la situation le nécessitait, faire de son corps entier une arme afin de se défendre, ou d’attaquer. Enfin, il lui fallait aussi protéger ce secret, celui de son identité de criminelle. Et elle eut beau tourner et retourner la question dans son esprit, elle refusait d’accepter l’idée de devoir porter un masque. Elle détestait la sensation d’avoir le visage recouvert par quelque tissu désagréable.
« Dis-moi, fit-elle en souriant à Roarr, jusqu’à quelles limites le Miraculous peut-il modifier mon apparence ?
– Il peut à peu près tout faire ; je crois même qu’il est possible de changer la morphologie ! J’ignore si cela est vrai, je n’ai jamais entendu parler de héros ayant eu recours à un tel stratagème.
– Penses-tu que cela puisse changer ma taille, par exemple ? »
Elle eut pour simple réponse un hochement d’épaules.
« Tout ce que je peux t’affirmer avec certitude, c’est que ça se joue là-dedans – elle tapota du bout de sa patte la tête de Valentine – et que c’est au porteur de « décider » de son apparence. Bien sûr, les influences culturelles de la région ou de l’époque jouent beaucoup aussi.
– Intéressant… »
Valentine posa son menton dans sa main droite, et sembla réfléchir intensément pendant quelques instants. Puis elle se leva, s’assura que les rideaux et volets étaient bien clos, et que sa porte était fermée à double tour. Puis elle se tourna vers le kwami, un large sourire illuminant son visage ; cela effraya presque Roarr que de savoir ce qu’elle allait faire.
« Ma chère Roarr, si tu le veux bien, lança-t-elle en passant sa main dans le bracelet de Panja qui reprit temporairement son apparence camouflée, transforme-moi ! »
Elle vit le tigre miniature et fuchsia s’étirer et être aspiré par le bracelet, avant de disparaître dans le camée, qui vira au pourpre ; la patte de tigre brilla d’une couleur dorée lorsqu’il fut pleinement activé, et déborda de l’essence divine du kwami. Puis il y eut un flash lumineux qui l’éblouit le temps d’un instant, qui dura suffisamment pour qu’elle sentît ses vêtements disparaître pour être remplacés par une nouvelle tenue, qu’elle découvrit lorsqu’elle put enfin ouvrir les yeux.
Le rendu n’était pas si mal, et elle resta un instant contemplative, face au miroir sur pied qu’elle possédait et qui reposait dans sa chambre. Par où commencer ? Peut-être par la base ? Elle avait changé de couleur de peau. Son teint pâle avait été remplacé par une complexion un peu plus foncée, si unie qu’il était impossible de croire qu’il s’agît de maquillage. En plus de cela, ses cheveux avaient pris une teinte brune, aux reflets roux, rappelant de près ou de loin une crinière féline tant ils étaient décoiffés. Et en plus de cela, ses iris avaient changé de nuance ; à l’origine d’une couleur bleu-vert qu’elle avait toujours aimée, ils avaient pris la couleur de la rouille. Elle afficha un large sourire en contemplant ce changement radical, qui lui permettait de se promener tête nue sans craindre d’être identifiée.
Se demandant jusqu’où la transformation physique avait eu lieu, elle attrapa son téléphone – qu’elle avait laissé dans la pièce voisine – et lança un enregistrement vocal ; en le réécoutant, elle eut la sensation que son timbre avait aussi changé, et ne reconnaissait pas sa propre voix. Elle garda cela de côté, en se disant qu’elle retenterait une fois dé-transformée afin de comparer.
Puis elle se souvint qu’elle avait longuement songé à paraître plus petite que sa réelle taille, cela avait-il fonctionné ? Elle prit un crayon de papier, avec lequel elle marqua sur un mur sa hauteur ; bien qu’elle eût des talons à ses chaussures qui lui faisaient gagner quelques centimètres, elle avait le sentiment qu’elle était plus petite que d’ordinaire.
Une fois ces vérifications physiques terminées, elle put observer plus en détail sa nouvelle parure.
Le détail qui frappait immédiatement l’œil était l’immense cape grise à la doublure noire, qui s’allongeait depuis les épaulières en métal qui lui recouvraient les épaules, du bout de la clavicule jusqu’au bas de l’omoplate. Un support de la même matière s’étendait de chaque côté, et reliait les deux plaques jusqu’au milieu de son dos à l’arrière, et de sa clavicule à l’avant, se rejoignant en une sorte de cristal doré en forme de losange, sur lequel était dessinée la forme d’une patte de tigre, qui brillait d’une lueur rouge. Du cou partait une base en tissu pourpre, qui s’étirait jusqu’à recouvrir bras et mains – un motif de rayures semblables à celle du félin sauvage y donnait un peu de gaieté – et dissimulait des regards sa peau sur les côtés et à l’avant de son buste. S’allongeant sous la forme de deux bandes qui trouvaient leur fin dans le creux de ses hanches, le tissu rouge laissait place à une sorte de robe à la jupe fendue, de couleur fauve, qui s’arrêtait à hauteur des genoux. L’endroit où se séparaient les deux pans de la jupe fendue était décoré par quatre petites broches incrustées, dessinant une fois de plus la forme des coussinets d’un tigre. Quant à son dos, elle sentait que sa peau était apparente à l’exception de la nuque, des omoplates et des flancs, jusqu’en bas du dos où débutait la jupe à motifs rayés de tigre.
Valentine étira devant elle ses bras ; le bout du droit était recouvert d’une sorte de gantelet visiblement en métal, qui partait du coude dans une couleur noire. Au niveau du poignet y était ajoutée une plaque dorée bien plus large, où une fois encore on trouvait ce motif de patte de tigre. Décidément, Roarr aimait bien laisser comprendre qu’elle était derrière tout ça. Cette idée la fit sourire, tandis que son regard se perdait dans la contemplation du bracelet de Panja qui avait repris sa forme première, avec l’énorme camée qu’elle devinait dissimulé sous ce gantelet. Elle plia et déplia les doigts, dont le bout était recouvert de tissu noir, et fit quelques mouvements de poignet pour voir si cette grosse plaque de métal la gênerait, et visiblement ce ne serait pas le cas. Cela l’agaçait quelque peu qu’on vît si bien le bijou qu’elle portait – bien que cela pût être pire étant donné qu’il était relativement bien dissimulé par ce « gantelet » – mais elle n’y pouvait rien. Tant pis.
Elle remarqua qu’elle s’était nerveusement mise à taper du pied ; le bruit métallique d’un talon cognant sur le parquet l’avait tirée de ses pensées. Elle observa les étranges bottes qui montaient jusqu’à ses genoux. De la même couleur que les briques des vieilles usines de province, elle ne pouvait identifier clairement la matière de laquelle elles étaient supposément faites. Était-ce du tissu ? Non, c’était bien plus rigide et solide, si elle donnait une pichenette dedans elle se ferait mal. Dans ce cas était-ce du métal ? Non, puisque c’était bien trop souple et doux pour en être. En revanche, elle pouvait affirmer avec certitude que l’espèce d’anneau qui entourait le haut du genou pour former un nouvel attachement en forme de losange avec une sorte de cristal brillant en son centre était bel et bien métallique. Du haut du talon brillait une excroissance arrondie de la même nuance que celle des rubis, qui s’étendait jusqu’à l’avant de son pied dans une pointe ; étaient fixés sur son pied deux autres éléments, toujours semblables à des cristaux comme on en trouvait sur d’autres parties de son étrange armure. Enfin, le talon noir lui faisait prendre quelques centimètres, mais à cause de son changement de taille, elle restait toujours à la même hauteur.
La jeune femme nota qu’elle n’avait pas d’arme à proprement parler à prendre en main. En y réfléchissant quelques instants, elle se dit que cela n’avait guère d’importance. Ses capacités étaient apparemment décuplées – elle avait hâte de tester ses nouvelles limites – et à l’évidence, elle savait suffisamment bien se battre au corps à corps pour faire face à n’importe quel ennemi. Et comme si cela ne suffisait pas, elle remarqua pour son plus grand bonheur qu’elle pouvait contrôler sa cape. Pour l’instant, par peur de saccager son appartement, elle ne pouvait que la faire onduler à diverses hauteurs, et tenta même de s’enrouler dedans telle une toupie, mais elle avait l’agréable sentiment qu’elle pouvait faire bien plus que cela. Elle ouvrit la fenêtre de sa chambre, jeta un coup d’œil afin de vérifier que personne ne passait par là, et tenta de donner un coup avec le morceau de tissu ; il s’étira et devint aussi solide et pointu qu’une épée, et perça le vide dans un claquement qui la fit frissonner. Oh, comme elle avait hâte de mettre une raclée à cette gamine !
Après avoir passé de longues minutes à contempler la tenue qu’elle revêtirait désormais, elle ordonna à Roarr d’ôter son essence divine du bijou. Tout disparu dans un éclat lumineux, et la créature sembla comme extirpée par une main invisible du camée, alors que le bracelet reprenait sa discrète forme.
« Es-tu satisfaite ? demanda-t-elle avec un large sourire révélant ses canines pointues.
– Absolument. Je ne pouvais rêver mieux. Maintenant si tu permets… »
Elle vint prendre place au niveau de la marque qu’elle avait faite un peu plus tôt ; en dessinant une seconde sur le mur, elle put avoir une preuve de la différence de taille. Malgré les talons, elle mesurait toujours quelques centimètres de moins que dans son état normal, et cela lui fit afficher un immense sourire sur son visage. L’étendue de la puissance d’un bijou aussi simple en apparence la surprenait et la fascinait. Quels autres secrets lui étaient encore inconnus ?
Elle eut ensuite sa seconde vérification à faire ; elle prit son téléphone et s’enregistra, prononçant les mêmes mots qu’un peu plus tôt. En réécoutant les deux enregistrements successivement, et en faisant faire le même test à Roarr, elle conclut qu’il y avait une différence assez flagrante entre les deux voix. Parfait. Ses arrières étaient couverts, et plutôt bien ; il serait difficile pour le commun des mortels de remonter à elle.
« Tous tes précédents porteurs avaient-ils une tenue comme la mienne ?
– Selon l’époque et la culture, beaucoup de choses peuvent changer. Je me souviens d’un de mes tigreaux qui était armé jusqu’aux dents, bien plus que toi. Il avait participé à l’une des guerres d’unification de son pays, et avait besoin de ma force. C’était un archer, et comme son élément était l’air, ses flèches touchaient à chaque fois. C’était un porteur formidable. J’étais assez triste de devoir lui dire au revoir lorsqu’il lui a fallu me rendre. »
Valentine écouta distraitement Roarr, et survola du regard les notifications qu’affichait l’écran de son téléphone ; une vingtaine de messages envoyés par ses camarades de promotion dans leur groupe de discussion, deux de la part de Thomas, et un autre de la part d’Adrien. Le reste n’était que des notifications d’applications diverses – nouveaux morceaux disponibles sur des plateformes d’écoute musicale, nouvelles vidéos mises en ligne par des vidéastes, nouveaux films disponibles sur une plateforme de streaming – qu’elle s’empressa de trier.
Elle lut rapidement la cascade de messages de ses camarades de promotion, qui demandaient pour certains les cours de telle ou telle matière, qui cherchaient pour d’autres des camarades de beuverie avec qui aller se vider la tête. Parfois des informations importantes circulaient dans cette conversation, mais la plupart du temps c’était plus qu’énervant pour Valentine de voir la diode lumineuse clignoter et d’entendre son téléphone vibrer juste pour lire un « qui es chaud pour boire? » envoyé par un individu aussi agaçant que ses fautes de français.
Elle s’attarda sur les messages de Thomas, ne sachant pas trop si elle devait les ouvrir ou les ignorer. Ce n’était pas très correct de le laisser mariner ; elle avait bien besoin de lui par moments et ne voulait pas passer pour ce genre de personne détestable qui n’est à l’écoute des autres que pour pouvoir s’en servir plus tard.
« Tu veux qu’on parle de l’autre soir ? Tu n’as vraiment pas l’air bien, » disait son premier message.
Elle serra les dents. Elle n’aimait pas quémander involontairement de l’aide aux autres, et encore moins à Thomas.
« Je pensais aller au cinéma un de ces quatre. Si ça peut te changer les idées, ça te dirait de venir ? »
Un quart d’heure séparait les deux messages, et pourtant, il avait changé rapidement le sujet de la conversation. Elle se résolut à lui répondre par un message qu’elle ne voulait pas aussi distant que ce qu’il pouvait paraître.
« Je vais bien, ne t’en fais pas. C’est une mauvaise passe, entre les cours, le boulot, l’an prochain, tu vois le topo. Je suis juste fatiguée, et ça me prend la tête, alors forcément je suis de mauvais poil.
C’est pas que je n’ai pas envie de sortir, j’ai juste pas la force. Peut-être une autre fois ?
On se voit demain aprèm au collège. On pourra déjeuner ensemble si tu veux. »
Elle regretta presque immédiatement d’avoir appuyé sur « envoyer » et surtout de lui avoir proposé de se voir. Elle n’avait, à vrai dire, qu’une seule envie, c’était de rester seule, cloîtrée chez elle, avec elle-même. Manque de bol, même cela lui était proscrit ; le petit félin la rappelait sans cesse à la réalité, sans vraiment le vouloir, de sa simple présence.
« Qui est-ce ? demanda-t-elle en observant rapidement la conversation par-dessus l’épaule de Valentine. Un ami ?
– On peut dire ça, répondit la jeune femme en verrouillant son téléphone.
– Il a l’air gentil, sur la photo.
– Il l’est. On peut compter sur lui. »
Roarr observa silencieusement Valentine. Ses yeux bleu-vert luisaient d’une teinte terne, et donnaient à son visage un air attristé, accentué par la commissure tombante de ses lèvres. Lorsqu’un kwami était aspiré par le Miraculous, il tombait dans l’inconscience, ou plutôt dans un état de méditation intense, qui lui permettait de mieux se concentrer pour répartir son essence dans le bijou et dans le corps du porteur. Il lui était ainsi impossible de savoir chaque détail des événements, mais cela ne voulait pas dire qu’elle n’avait connaissance de rien. Elle pouvait – un peu – ressentir ce qui se passait par le biais de Valentine et du bracelet de Panja activé, bien que cette sensation fût difficile à exprimer par des mots. Elle avait eu, par exemple, un aperçu de l’exaltation de Valentine lorsqu’elle avait découvert et essayé sa nouvelle tenue, bien que maigre. Or, lorsqu’elle était séparée de son bijou, elle ne parvenait plus à sonder son esprit, même en surface.
Elle voyait clairement que cette fille n’était pas comme les autres, cela tombait sous le sens. Chaque individu était différent après tout. Mais elle sentait le monstre qui grandissait en elle jour après jour, et l’ombre qui la recouvrirait lorsqu’il ne lui resterait plus rien à dévorer. Mais à présent, elle était le tigreau de Roarr, ce qui la plaçait sous sa responsabilité. Et Roarr était déterminée à la remettre dans le droit chemin ; elle avait la conviction qu’elle pouvait l’aider.
« Je n’aime pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, fit-elle en dévoilant ses canines pointues, mais je sais être une bonne oreille lorsqu’on me permet d’écouter. Si tu as des problèmes, parle-m’en, d’accord ?
– C’est vrai qu’entre kwamis et humains on peut facilement se comprendre, répliqua amèrement la jeune femme, avant de s’apaiser un peu. J’apprécie. Mais je pense pouvoir m’en tirer seule.
– Comme tu veux. J’accours toujours lorsque j’entends un miaulement de détresse ! Même le plus faible des couinements n’échappe pas à mon oreille. »
Elle eut pour seule raison un maigre sourire, un soupir, et elle vit sa « camarade » se lever pour aller faire chauffer son dîner – une conserve sortie d’un placard, plus par manque d’envie que par gourmandise – puis il y eut un silence. Enfin, face à sa casserole qui commençait à chauffer, Valentine le brisa.
« Finalement, articula-t-elle doucement, je commence à apprécier ta compagnie, Roarr.
– Ce sentiment est partagé, » sourit le tigre, ses yeux plissés pétillant d’amusement.
*
La sonnerie qui retentissait. Les bruits de cahiers, classeurs et trousses que l’on enfouissait au plus profond du sac jusqu’à devoir les ressortir lors du cours suivant sur cette matière. Le soupir de satisfaction d’avoir vu une nouvelle journée se terminer. Les salutations qu’on lançait à ses camarades de classes en attendant de se retrouver le lendemain. Les bruits de pas dans les couloirs alors que tous prenaient la direction d’une sortie afin de rentrer chez soi. Le bruit de la portière de la voiture qu’ouvrait le « gorille » pour qu’Adrien y montât. Le bruit de la portière qu’il fermait une fois le passager à sa place. Le bruit de la ceinture de sécurité qu’on verrouillait. Le bruit du moteur qui démarrait. Le bruit du levier de vitesse qu’on triturait. Le bruit de l’accélérateur sur lequel on appuyait. Le bruit des roues sur le goudron. Le bruit des clignotants. Le bruit du volant qui tournait, à droite, à gauche. Le bruit des autres usagers de la route. Le bruit du frein à main qu’on enclenchait. Le bruit de la clé de contact qu’on tournait pour éteindre la machine. Le bruit de la portière ouverte. Le bruit des pas du blondinet sur le gravier. Le bruit des semelles sur les dalles en pierre de l’escalier. Le bruit de la porte qu’ouvrait Nathalie. Le bruit, le bruit, le bruit.
« Bonsoir, Adrien, dit-elle sobrement, comme à son habitude. Comment s’est passée votre journée ?
– Bonsoir Nathalie, répondit-il, affichant cet éternel sourire hypocrite qui collait à son visage pour faire comme si. C’était une journée comme les autres, mais je suis content qu’elle soit finie ! Et la vôtre ?
– Comme les autres, merci. »
Elle s’écarta afin de le laisser passer le seuil de la demeure familiale.
« Votre père vous retrouvera à dix-neuf heures trente pour le dîner. Ne soyez pas en retard. »
Il lui fit savoir qu’il avait compris l’information, et monta jusqu’à sa chambre, suivi de près par son garde du corps, surnommé le « gorille » ; ce dernier le laissa entrer dans sa chambre, et une fois assuré de son arrivée à destination, redescendit afin de veiller sur l’entrée du manoir.
Le calme de la chambre fut salvateur pour Adrien. Il n’en pouvait plus de ce bruit qui martelait ses tempes encore et encore et encore et—
Allons bon. Il fallait profiter du répit auquel il avait enfin droit.
Il se laissa tomber sur son lit moelleux qui l’accueillit à bras ouverts. Le doux oreiller au parfum de lavande de la lessive le réconfortait et lui faisait presque oublier la longue journée qu’il traînait derrière lui. Par chance, il n’avait finalement eu qu’un mauvais pressentiment, sans qu’il ne s’avérât. Cela le rassurait quelque peu, et il lâcha un long soupir d’apaisement.
« Non mais pour qui elle se prend, elle ? maugréa Plagg en s’extirpant de la poche intérieure de la chemise de l’adolescent, pour aller virevolter dans la pièce en exprimant son agacement.
– De qui tu parles ? » demanda Adrien, alors qu’il contemplait l’écran de son téléphone, qui affichait la discussion qu’il avait engagée avec Valentine un peu plus tôt, pendant son dernier cours de la journée. Il avait longuement hésité à lui parler, mais il s’était aussi dit que c’était la moindre des choses que de la contacter. À présent il guettait une réponse, et en détachant son regard de son téléphone, il se tourna vers son camarade, avant de le relancer : « Qui t’a agacé ?
– L’assistante là ! Quelle hypocrite !
– Valentine ? »
Il fut abasourdi par la manière dont son acolyte parlait d’elle ; que lui avait-elle fait pour qu’il semblât tant excédé ?
« “Peu importe ce qui te tracasse, il ne faut pas que ça te ronge,” fit le kwami en prenant une voix suraiguë, mon œil ! Tu n’as pas besoin d’elle, et de toute manière elle n’y comprendrait rien !
– Elle disait ça pour me réconforter, Plagg.
– C’est ce que tu crois ! Je l’ai vu dans son regard, elle cache quelque chose !
– Tu pars t’imaginer n’importe quoi, souffla Adrien. Calme-toi un peu, je t’assure que tu t’en fais beaucoup pour rien. »
Cela sembla légèrement calmer les nerfs du kwami, qui, pour dissiper son agacement, alla dévorer une tranche ou deux de fromage, sous le regard amusé de son porteur. Ce dernier s’extirpa difficilement de son lit, et alla jusqu’à son bureau ; il attrapa un calepin ainsi qu’un stylo, et après avoir relu la lettre de Ladybug, il se décida à lui écrire une réponse, ou au moins d’en rédiger une première ébauche. Il l’apporterait, une fois recopiée au propre, à Fu dans la soirée, après le dîner ; une rapide excursion chez lui ni vu ni connu suffirait.
« Chère Ladybug, » commença-t-il en se retenant d’être trop familier avec elle.
Il mordilla le bout du stylo. Comment continuer à présent ?
« Chère Ladybug,
Pardonne ma réponse tardive ; ces derniers jours ont été compliqués, et je n’ai jamais pu trouver le temps de te répondre. Ce n’est pas respectable que de faire autant attendre une dame.
Cette lettre sera courte, ne m’en veux pas.
Je te propose que nous nous retrouvions demain soir sur le toit de Notre-Dame. Je t’attendrai dès 21h. Libre à toi de venir ou non.
À demain, peut-être ?
Chat Noir »
Sitôt eût-il fini de la rédiger proprement entendit-il Nathalie frapper à sa porte et l’appeler, afin de le prévenir qu’il était l’heure de dîner. Dissimulant des possibles fouineurs sa lettre et son brouillon couvert de ratures dans le double-fond d’un des tiroirs de son bureau, il délaissa Plagg et quitta sa chambre, non sans appréhender le tête-à-tête qui s’imposait avec son père.
Gabriel était comme à son habitude : froid, renfrogné, distant. Cela faisait bien longtemps qu’Adrien ne l’avait pas vu sincèrement sourire, à se demander s’il était seulement possible qu’il affichât une expression réjouie.
Assis au bout de la table, à l’exact opposé de son fils, il sembla qu’il s’était efforcé d’être présent, alors qu’il était celui qui avait proposé qu’ils dinassent ensemble. Ses lunettes rondes dissimulaient ses yeux glacés lorsqu’il relevait la tête, reflétant les rayons de lumière diffusés par le lustre éblouissant situé au-dessus de leurs têtes. On vint leur apporter leurs plats ; ils commencèrent à les déguster sans échanger le moindre mot.
Adrien ressassait encore et encore les souvenirs de cette journée. Il avait été distrait, épuisé, il n’avait pas pu garder ce masque qu’il portait en public. Il était toujours tracassé par les événements des derniers jours ; il n’en revenait pas qu’il avait été suffisamment stupide pour désirer aveuglément se révéler à celle qu’il aimait. Évidemment elle l’avait repoussé, c’était contraire au vœu de silence qu’ils avaient tous deux formulé, et pourtant… Il était convaincu qu’ils avaient une chance, si elle la leur donnait. Mais à cause de son entêtement, il lui avait causé du souci, et peut-être plus encore. Il ne se souvenait pas du moindre détail de ce qui s’était passé alors qu’il avait été possédé, mais il avait le sentiment d’avoir fait quelque chose d’horrible ; et le plus horrible dans tout ça était de ne pas pouvoir s’en souvenir.
Les mots de Valentine tournaient et retournaient dans sa tête. Elle voulait qu’il parlât à son père, et elle avait raison… mais pouvait-il toutefois lui en parler ? Il avait pleinement conscience des responsabilités qu’il avait, et ne voulait pas lui ajouter plus de problèmes. D’autant plus que certains secrets se devaient d’être gardés, pour leur bien à tous.
Regroupant tous les fragments de courage dont il avait besoin, il prit enfin la parole, et interpella sobrement son père.
« Qu’y a-t-il, Adrien ? demanda la voix nasillarde et distante de ce dernier qui leva à peine le nez de son assiette.
– Un de mes professeurs souhaiterait vous rencontrer, pour parler de mes résultats.
– Que se passe-t-il ? »
Gabriel releva la tête et planta son regard dur et froid dans celui de son fils, qui ne savait où regarder. À quelques pas d’eux, Nathalie les observait en silence, et tentait de déchiffrer les expressions faciales d’Adrien. Ce dernier commença à se demander s’il n’aurait pas mieux fait de garder le silence.
« Il se trouve que j’ai eu de mauvais résultats à un contrôle, en anglais. Ce jour-là, j’étais un peu fatigué, expliqua-t-il, bien qu’il sût que cela n’allait pas spécialement arranger son cas. Comme cela a surpris mon professeur, madame Bustier, elle voudrait vous voir pour en parler avec vous.
– Je vois. »
Son père but une gorgée de vin, avant de reposer le verre sur la table dans un bruit sec.
« Mais rassurez-vous, j’aurais un devoir maison à faire, qui me permettra d’effacer cette note de mon bulletin. Cela ne gâchera pas mes résultats finaux.
– Ne t’en fais pas pour ça, Adrien. Est-ce que tu veux me parler de ce qui te tracasse ? »
La gentillesse presque anormalement soudaine de Gabriel mit son fils sur ses gardes. Il sentait comme un piège qu’on lui tendait, à l’exception du fait qu’il ne voyait pas pourquoi on souhaiterait lui causer du tort. Il hésita quelques instants, avant de répondre que tout allait bien. Son père haussa un sourcil, intrigué, mais ne releva pas.
« Acceptez-vous de rencontrer Valentine ?
– Valentine ? Depuis quand appelles-tu ton enseignante par son prénom ?
– Eh bien… » Adrien se gratta nerveusement la tête ; il avait omis de préciser ce détail. « Il s’agit de l’assistante de langues. Je vous en avais parlé en début d’année, ne vous en souvenez-vous pas ?
– Il ne me semble pas avoir déjà entendu parler d’elle. »
Il fit discrètement signe à Nathalie, lui indiquant qu’ils auraient à parler une fois le dîner terminé. Elle acquiesça, et prit congé, se dirigeant vers la pièce voisine, où elle avait rangé sa tablette qu’elle ne quittait que rarement.
« Pourquoi remplacerait-elle madame Bustier ? Ce n’est qu’une assistante.
– Elles se partagent la classe en deux, je crois. Quoi qu’il en soit, c’est elle qui a ma responsabilité.
– Je vois. »
Mais il ne comprenait que très difficilement comment fonctionnait ce collège. Peut-être avait-ce été une mauvaise idée que d’y envoyer son fils ?
« A-t-elle fait une demande pour un rendez-vous ? Il faut que je voie selon mon planning quand aura lieu cette entrevue.
– Bien sûr. Dites-moi quand vous souhaiteriez la voir, et je lui transmettrai.
– Bien. »
Il y eut un silence, puis Gabriel relança la discussion sur des banalités telle que la météo. Cela avait beau être une discussion sans intérêt, cela réchauffait le cœur d’Adrien que de partager une conversation avec son père, échangeant tour à tour quelques propos, auquel chacun répondait. Il aurait bien évidemment adoré qu’il lui demandât de lui raconter ses journées au collège, ou bien qu’il lui proposât de jouer un morceau de piano à quatre mains, mais il comprenait les obligations de son père qui lui nécessitaient d’être constamment en quête d’innovation, lorsqu’il n’était pas sollicité pour un vernissage ou un autre événement du même acabit.
Il sentit son mal-être disparaître alors qu’on vint lui apporter le dessert ; son père avait commandé auprès d’un excellent pâtissier deux tartelettes au citron, recouvertes d’une meringue au sucre parfaitement dosé. La fraîcheur de l’agrume réchauffa le cœur de l’adolescent, ravi de voir l’attention de son père. C’était la première fois depuis longtemps qu’ils dégustaient ensemble son dessert favori ; s’il se souvenait bien, sa mère était encore avec eux la dernière fois. À cette pensée son cœur se serra, mais pour un bref instant, puisque la satisfaction reprit rapidement le dessus.
« Comment la trouves-tu ?
– Délicieuse ! Merci beaucoup, père.
– Mais de rien, sourit celui-ci. Je suis content qu’elle te plaise. »
L’expression véritablement heureuse de Gabriel manqua de peu de délier la langue d’Adrien ; il se sentait si bien en cet instant présent qu’il avait failli lui confier son secret – qui pesait de plus en plus lourd – comme lorsqu’il était plus jeune et avait une certaine complicité avec lui. La raison le rappela durement, alors que les mots du Gardien et de Ladybug revinrent l’assaillir : personne ne devait savoir qui se cachait sous ce masque noir, sans quoi il ne pourrait plus jamais le revêtir. Cela lui fit mal, mais il dut accepter cette fatalité.
« Est-ce qu’une partie d’échecs vous tente, père ? lança-t-il finalement lorsqu’il reposa sa fourchette à dessert dans l’assiette.
– Il est vrai que cela fait longtemps que nous n’avons pas joué ensemble. Laisse-moi juste un instant, que je réponde à un mail. »
Il se leva et s’en alla vers son bureau, laissant Adrien seul un instant. Il prit la direction du salon, et décida de préparer l’échiquier, qui avait été laissé en bazar, suite à une partie précédente interrompue et jamais finie. Après avoir remis chaque pièce à sa place, il profita du temps qu’il lui restait pour envoyer un message à Valentine. La prévenir dès maintenant lui ferait peut-être gagner un peu de temps. Il se précipita dans l’escalier afin de gagner sa chambre, où il trouva Plagg toujours affairé avec un camembert. En prenant son téléphone qu’il avait laissé sur le bureau, il repensa à la lettre. Il se dépêcherait de la glisser dans la boîte aux lettres de Fu juste après l’extinction des feux.
Il tapa rapidement un message pour l’assistante de langues, la remerciant dans un premier temps de ses conseils, et l’informant ensuite que son père acceptait de la rencontrer, et qu’il lui proposerait une date et une heure en conséquence. Puis il reposa son téléphone, et se dépêcha de rejoindre son père qui l’attendait peut-être déjà en bas, pour disputer cette partie d’échecs qu’il comptait bien gagner.
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* 『ねえ カーラジオのボリュームを上げて
ねえ もっと上げて
最高な気分なんだ 笑いが止まらない
どこまでも行けそうだ どこまでも行けそうだ』
「とどめを刺して」 - amazarashi