Sous l'affiche d'un film pornographique

Chapitre 6 : Chapitre VI

6912 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/04/2021 00:39

Chapitre VI



Je jette un coup d'œil à la profondeur dans tes yeux et j'oublie quoi dire.

Y avait-il de l'espoir dans cette voie ? Je me le demande.

J'agis bêtement et je ris parce que ce chemin est sombre ;

Je suis là pour le rendre plus lumineux. *

 

Jouer aux aurevoirs – amazarashi



Accoudé à une fenêtre circulaire démesurément trop grande, le kwami ailé regardait la ville qui grouillait de l’autre côté. Il voyait les voitures circuler, leurs phares éclairant les rues jusqu’à disparaître, leur lumière engloutie par des bâtiments immenses et voraces. Il laissa s’échapper un soupir lorsque ses pensées se tournèrent vers ses frères et sœurs qui se trouvaient quelque part, là-bas, dans cette immense capitale, et qu’il ne pourrait probablement pas revoir de sitôt.

Nooroo était le kwami enchâssé dans le Miraculous du Papillon ; cette broche à laquelle il était lié était tombée dans les mains d’un curieux personnage. Cet homme, d’un âge plutôt mur – bien que cela eût peut-être été une impression qui se dégageait de ses traits durs et parfois tirés – auquel on avait d’autres préoccupations que celles d’une divinité millénaire perdue, l’avait « trouvé » avec un autre Miraculous, celui du Paon, habité par Duusu, et depuis en avait fait ses esclaves. Il ne pouvait dire qu’il les maltraitait ; il n’y avait pas de sévices physiques, non, plutôt psychologiques ; il n’aimait pas la manière dont il le forçait à faire des choses. Nooroo avait un caractère très timide, effacé et pacifique, il ne souhaitait que le bien d’autrui et s’attristait du malheur des autres. Cet homme, qui se faisait appeler le Papillon, s’appuyait sur le désespoir des gens pour commettre ses méfaits.

Le pouvoir qui résidait dans le Miraculous du Papillon permettait de doter temporairement un individu de pouvoirs similaires à ceux de héros. Ces capacités étaient loin d’égaler celles de porteurs matures, et encore moins celles de porteurs de Miraculous primaires, mais Nooroo le sentait, au fil des combats et des akumatisations – c’était le nom qui avait été donné à cette possession à partir de leurs émotions négatives – du Papillon, que ce dernier gagnait en puissance et maîtrisait de mieux en mieux ses propres capacités. Bientôt il deviendrait pleinement conscient de celles-ci, et pourrait créer de véritables titans contre lesquels les héros de la Coccinelle et du Chat Noir actuels ne pourraient se battre. Il ignorait qui ils étaient, mais il sentait qu’ils étaient encore immatures, et cela le terrifiait.

 

Il lâcha un nouveau soupir ; le mince souffle d’air projeta un nuage de condensation contre la vitre, qui se dissipa aussitôt.

 

« Nooroo. Que fais-tu ici ? »

 

La voix qui avait tonné était dure, sèche, froide. Jamais il n’avait connu de porteur si distant, si sec, si vide de sentiments humains communs. Les seules fois où il avait perçu des sentiments positifs chez cet homme, c’était lorsqu’il songeait à son épouse, ou en évoquait simplement le nom, ou bien encore quand il pensait à son fils. Il y avait aussi cette femme, son assistante, sa partenaire dans ses crimes, en qui il avait confiance et avec qui il fomentait ses plans infâmes. Le kwami sentait leurs émotions, surtout celles de l’homme puisqu’ils étaient connectés par la broche du Papillon, et percevoir la noirceur de ces cœurs le faisait trembler jusqu’à son essence. Ses frères et sœurs lui avaient souvent reproché sa trop grande empathie – mais qu’y pouvait-il ? C’était la nature même de son existence ! – et s’étaient souvent moqués de lui à cause de ça. Il était juste désemparé du fait qu’il ne pouvait en parler à qui que ce fût.

 

« R—Rien, maître, répondit-il en s’élevant dans les airs, s’éloignant de la fenêtre par la même occasion.

– Je t’ai vu soupirer en regardant la ville. Que t’arrive-t-il ? »

 

Nooroo trembla quelque peu. Il sentait l’hypocrisie qui se cachait dans le ton de sa voix. Pourtant, il avait reçu un ordre, celui de ne jamais mentir. Il parvenait à contourner la restriction en mentant par omission mais il savait que tôt ou tard sa technique serait percée à jour.

 

« Je songeais à mes frères et sœurs, les autres kwamis de ce monde. Je me demande si tous ont un porteur qui veille correctement sur eux.

– Je vois. »

 

L’homme s’approcha de lui, et avança sa main afin qu’il se posât dessus. La faible lumière venue de l’extérieur éclaira le petit être, qui levait avec inquiétude son visage rond vers son propriétaire. Ses yeux en amande, à l’iris de la nuance de l’améthyste, n’osèrent pas aller jusqu’à se poser dans le regard bleu glacé de l’homme. Il recroquevilla son corps couleur violette de Parme aux ailes de papillon, ses pattes avant resserrant ses genoux tel un enfant. L’homme eut un geste de bienveillance, et lui caressa du bout du doigt le front, sur lequel était dessinée une spirale d’un violet foncé, et cela paralysa Nooroo, inquiet du sort qu’il lui réservait.

 

« Sens-tu la tempête qui se prépare ? » lui demanda-t-il en esquissant un sourire ; il semblait impatient. Face au silence de la créature, il poursuivit. « Quelqu’un, dans cette ville, a le cœur qui se noircit. Je n’ai flairé de tel potentiel que chez de rares personnes, et j’imagine que tu le ressens toi aussi.

– Comptez-vous rallier cette personne à votre cause, maître ?

– Je vais laisser le destin agir de lui-même. S’il faut, je lui donnerai un coup de pouce.

– Monsieur ? »

 

Une femme entra dans la salle circulaire ; elle était grande, presque aussi grande que cet homme, à l’exception qu’elle portait des talons qui la réhaussaient de plusieurs centimètres. Une mèche rougeâtre barrait ses cheveux courts et raides proprement coiffés. Elle remit ses lunettes en place, un tic nerveux que Nooroo lui avait deviné après quelques rencontres. Il ne parvenait à lire dans le cœur de cette femme dont l’âge avoisinait la trentaine, mais il sentait qu’elle était toujours dans une certaine mesure nerveuse en approchant l’homme, notamment lorsqu’il n’y avait qu’eux deux. Il lui devinait une forme de fascination, un intérêt particulier pour ce personnage sournois dont il fallait se méfier. Elle-même n’était pas toute blanche dans cette histoire.

 

« Pardon de vous déranger, monsieur, fit-elle en s’approchant un peu plus près de l’homme, mais je m’inquiète pour votre fils, Adrien.

– Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ?

– Il me semble… ailleurs, ces derniers jours. Il a l’air quelque peu déprimé, nous devrions faire quelque chose pour qu’il se sente mieux. »

 

L’homme ferma les yeux et resta un instant songeur, sans prononcer le moindre mot. Il tentait de se remémorer les événements des derniers jours. Il y avait bien eu l’akumatisation de Chat Noir, qui avait quelque peu semé la pagaille en ville et inquiété les habitants, mais face à la magnifique performance de Ladybug pour le sauver tout était rentré dans l’ordre – il se retint de contracter le poing tant cela l’irritait – et à part ça… il avait simplement akumatisé un professeur sans importance, c’était juste une tentative d’évaluer la situation. Ladybug avait appelé à la rescousse Carapace et Rena Rouge, comme il s’y attendait, mais il n’avait pu suivre sa piste jusqu’au Gardien, à son plus grand regret. Mais il restait le plus possible positif ; chaque mouvement qu’il faisait sur cet échiquier le rapprochait toujours un peu plus d’un échec et mat qu’il leur placerait au moment où ils s’y attendraient le moins. Ils ne se doutaient absolument pas des relations qu’il avait ; entre la fille Bourgeois qui était une source inépuisable pour faire naître des émotions négatives, et cette fille – Lila Rossi, une camarade de classe de son fils – était toujours prête à le suivre. Elle cherchait à se venger de Ladybug, et cette rage qui l’animait était l’arme idéale qu’il recherchait.

 

« Nathalie, faites-lui savoir demain matin que je dînerai avec lui le soir. Cela lui fera plaisir.

– Bien, monsieur. »

 

Elle se retira, le laissant à nouveau seul avec le kwami, qui n’avait pipé mot depuis l’arrivée de la femme. Il jeta un rapide coup d’œil inquiet à l’homme, dont le visage s’illuminait toujours plus. L’émotion forte de cette personne inconnue s’était momentanément intensifiée. Il l’imaginait, pleurant de tristesse ou de rage, et cela l’emplissait d’une satisfaction comme il en avait rarement ressentie. Parfois, penser au malheur de ces personnes dont il pourrait tirer profit d’une simple formule magique était si plaisant que c’en était presque orgasmique. Grâce à ce petit être qu’il tenait dans la main, il avait accès à un monde véritablement puissant.

 

Il reposa Nooroo sur le rebord de la fenêtre, et lui caressa à nouveau le front.

 

« Bonne nuit Nooroo. Je compte sur toi pour la suite.

– Au revoir, maître. »

 

Nooroo observa l’homme, Gabriel Agreste, qui s’en allait hors de la pièce, et retourna à sa contemplation mélancolique au travers de la vitre salie par les gouttes de pluie mal séchées.

 

*

 

Le réveil sonna. Six heures trente. C’était toujours aussi dur de se lever et, ce matin-là, devoir se séparer de la couette chaude et du matelas moelleux était encore plus difficile. Le plus dur des adieux, les plus belles des retrouvailles.

Le quotidien d’Adrien était rythmé comme une partition ; quatre temps immuables dans une mesure toute aussi immuable, voilà ce à quoi ressemblait chaque jour de sa vie. Il se levait le matin à six heures trente, et commençait par prendre sa douche dans sa salle de bain privée – le luxe le lui permettait, et il fallait avouer que cela avait beaucoup de points positifs – avant de s’habiller et de se coiffer, pour descendre à sept heures dans la salle à manger afin de prendre son petit-déjeuner, toujours prêt et disposé sur l’immense table rectangulaire sur laquelle on ne trouvait que très rarement plus d’un couvert. Ce matin-là ne fit pas exception, et comme d’ordinaire se trouvaient disposés là une tasse de thé fumant, une assiette dans laquelle on trouvait des toasts beurrés et recouverts de confiture de fraise, un verre de jus d’orange et un laitage, avec la panoplie de couverts qu’il fallait. Chaque produit provenait de producteurs locaux – tout du moins, les plus proches possibles de la capitale – et la qualité n’était pas une option ; chaque plat était délicieux, rempli de vitamines et autres substances organiques nécessaires à la bonne santé du corps humain. Puis, lorsqu’il avait fini de déjeuner, souvent sur les coups de sept heures trente, il remontait rapidement afin de se brosser les dents, de réajuster sa tenue ou sa coiffure, et d’attraper ses affaires de cours pour sauter dans la voiture avec chauffeur qui l’emmenait chaque matin au collège.

Ce n’était qu’une fois là-bas que les choses commençaient à varier un peu ; cela commençait par les cours, dont le contenu avançait au fil des séances, ainsi que les discussions avec son cercle d’amis qui s’étendait semaine après semaine, et dont les liens se resserraient encore plus vite. Enfin, si tout se passait bien, il pouvait rire avec Nino, parfois échanger quelques mots amicaux avec Marinette, et éventuellement se faire harponner par Alya lorsqu’elle était un peu trop curieuse ; dans le pire des cas, une akumatisation avait lieu et il devait s’absenter afin de régler ce problème – c’était à la fois malheur et une bénédiction. D’un côté il devait affronter un ennemi coriace qui menaçait de lui enlever la seule chose qui le rendait spécial et lui apportait un bonheur immense – son Miraculous et sa vie de super-héros – et de l’autre il pouvait côtoyer sa magnifique Lady qu’il dévorait du regard à chaque rencontre.

Et une fois tout cela fini, une fois la journée terminée, il se retrouvait chez lui à suivre quelques cours particuliers – chinois, piano, escrime, bien que pour cette dernière les cours se passassent à l’extérieur, et bien d’autres – et à faire ses devoirs pour les cours suivants. Ce n’était qu’après le dîner passé très souvent seul assis à cette immense table sur laquelle il n’y avait qu’un couvert pour lui et parfois un second pour Nathalie, l’assistante de son père la moitié du temps et préceptrice d’Adrien l’autre moitié – qu’il pouvait profiter d’un peu de temps pour lui. Il jouait à quelques jeux vidéo, se divertissait sur internet, regardait en cachette une série ou un film, lisait un livre ou deux, ou bien se perdait à contempler le visage doux et fin de sa mère sur les photos qu’il avait d’elle. Lorsque la nuit tombait il était généralement l’heure d’éteindre et d’aller se coucher, en attendant le lendemain, qui ressemblerait sûrement à cette journée qui venait de se passer.

 

Mais ce matin-là fut différent.

 

Tout d’abord, il sortit difficilement de son sommeil. Très difficilement. La chaleur de la couette remontée jusqu’à hauteur du nez l’enveloppait comme une étreinte et le suppliait de rester. L’oreiller moelleux qui accueillait son visage l’incitait à obéir, lui chuchotait que le monde extérieur au lit était froid et mauvais, et qu’il passerait une bien meilleure journée en se perdant dans ce dédale de draps. Enfin, le matelas doux et confortablement bien rembourré épousait un peu mieux ses formes pour lui assurer un bien-être incomparable. Bien qu’il appuyât sur le bouton snooze de son radio-réveil qui bipait, il ne put que grommeler lorsqu’il se remit à sonner quelques minutes plus tard, et s’extirpa tant bien que mal hors du palais des rêves dont il était sommé de se séparer. Traînant le pied jusqu’à la salle de bain, il ne put réprimer un tremblement – à la fois dû au froid et à la fatigue – lorsqu’il se dévêtit et s’approcha de la douche à l’italienne de laquelle coulaient des jets d’eau chaude.

Ensuite, sans qu’il n’en comprît ni ne connût la raison, il sentit des gouttes salées lui tomber sur les lèvres lorsque l’eau chaude lui coula sur le visage. Les larmes avaient naturellement suivi l’eau légèrement calcaire sans qu’il ne pût les contenir ou les retenir. Il n’avait pourtant aucune raison de pleurer, se dit-il en passant ses mains sur son visage aux traits tirés. Il savonna ses cheveux et son corps, regarda la mousse couler jusqu’au siphon qui l’avala sans émettre d’objection, et resta un instant figé, perdu dans ses pensées. À nouveau les larmes coulèrent, sans crier gare. Il se laissa aller, se courbant en deux et des spasmes secouant son corps frêle quoiqu’un peu musclé grâce à sa vie secrète, et se dit que cela faisait particulièrement longtemps qu’il n’avait pas pleuré. Il n’avait pas pleuré lorsqu’il avait essuyé ce violent rejet de la part de Ladybug quelques temps auparavant. La dernière fois remontait sûrement au jour où il avait appris qu’il ne reverrait plus sa mère, disparue. C’était par ailleurs à cette époque qu’il avait vu son père heureux pour la dernière fois. Il espérait toujours le revoir sourire un jour, mais cet espoir s’amaigrissait de jour en jour. Il soupira. Cet espoir était certainement vain.

Une fois qu’il eût fini de prendre sa douche désagréable, et après avoir séché chaque parcelle de son corps d’adolescent, il revêtit ses vêtements habituels – t-shirt noir, chemise blanche laissée ouverte et jean – et s’apprêta à descendre ; il n’était pas très en avance mais n’était pas en retard non plus. Il s’assit à sa place habituelle, face au repas habituel, et commença à déjeuner sans grande envie.

Ce fut là que se produisit la troisième incongruence de cette matinée. Nathalie, qui restait d’ordinaire dans son coin ou bien auprès du père d’Adrien pour l’assister, vint vers lui et lui annonça que ce dernier dînerait avec lui ce soir-là. La nouvelle eut pour effet de réjouir un Adrien plutôt déprimé, qui trouva une raison de plus de désirer avec hâte la fin de la journée. Les moments passés avec son père étaient beaucoup trop rares pour qu’il en refusât un seul.

Enfin, une fois le petit-déjeuner englouti sans en avoir réellement envie, il se hâta de remonter à l’étage afin de se brosser les dents et d’attraper son sac de cours. Avant de quitter sa chambre, il resta un instant figé et fixa la lettre de Ladybug qu’il avait posée sur son bureau. Ce fut à ce moment-là que son kwami décida de se faire entendre.

 

« Tu n’as quand même pas oublié de lui répondre ? Ta coccinelle doit être sacrément déçue.

– Je n’avais pas la tête à ça, Plagg, grommela le blondinet.

– Il faut que tu arrêtes de te mentir à toi-même, mon chaton, soupira la créature en haussant les épaules. Tu n’es plus concentré et tu t’épuises à jouer la comédie pour que personne ne se rende compte de quoi que ce soit. Si tu continues comme ça, tu vas te perdre. »

 

Adrien sourit en constatant la bienveillance de la créature. Il lui caressa affectueusement le haut de la tête du bout du doigt, ce qui fit légèrement ronronner le kwami du Miraculous du Chat Noir.

 

« Merci, Plagg. Je vais lui répondre, d’accord ? On va tirer ça au clair et tout va redevenir comme avant. »

 

À ces mots, la divinité afficha à son tour un immense sourire, et s’en alla se réfugier dans la poche intérieure de la chemise du blondinet ; il affectionnait cet endroit puisqu’il y ressentait la chaleur de son porteur, et le battement de son cœur l’apaisait d’une certaine manière. Puisque les kwamis étaient des entités magiques, ils n’avaient pas besoin d’organes pour vivre, et il trouvait cela curieux que les créatures vivantes de ce monde fussent pourvues de ces éléments biologiques nécessaires à leur vie. Il trouvait les humains bien curieux, mais les enviait surtout pour leurs connaissances ; après tout, c’étaient eux qui avaient inventé le fromage, et c’était là la raison première de son admiration pour ces créatures.

 

Lorsqu’Adrien arriva au collège, il eut un mauvais pressentiment. Quelque chose de mauvais allait de produire, sûrement une akumatisation, il ne voyait que ça de possible. Il ne voulait pas passer sa journée à être aux aguets, mais il n’avait pas tellement le choix ; pourtant, lorsqu’il consulta Plagg, ce dernier lui répondit qu’il doutait que cette journée fût différente des autres. Cela n’eut pas réellement pour effet de rassurer Adrien, mais il devait se contenter de ça.

 

La matinée se déroula comme à son habitude, longue et ennuyante. Les cours d’histoire l’intéressaient, certes, mais l’enseignant était, bien au contraire, peu intéressant et donnait difficilement envie d’écouter ce qu’il avait à raconter. Il en allait de même pour le cours de français, bien que la professeure, madame Bustier, fût très intéressante et pédagogue ; il n’avait pas su rester attentif tout le long. Il avait ensuite été harponné par Nino à la sortie des cours pour qu’ils déjeunassent ensemble, ce qu’il ne refusa pas, d’une part parce qu’il n’avait pas envie de refuser, et d’autre part parce qu’il n’en avait pas la force.

Cependant le déjeuner lui parut insipide. Certes on ne s’attendait pas à ce que le réfectoire du collège servît des plats dignes de restaurants gastronomiques, mais il lui semblait avoir perdu le sens du goût tant ce qu’il enfournait dans sa bouche, presque à contrecœur, n’avait aucune senteur, et ne ressemblait qu’à une vaste bouillie infâme. Nino ne sembla pas remarquer les grimaces qu’affichait le blondinet à chaque bouchée, pour le plus grand bonheur de celui-ci, si toutefois on pût appeler cela bonheur.

À la fin du repas, ils retournèrent ensemble dans la cour de l’établissement, en discutant comme à leur habitude. Adrien était reconnaissant envers son ami qui, sans qu’il ne le sût, lui remontait quelque peu le moral et l’empêchait d’être à nouveau assailli par les idées noires de la matinée. Il appréhendait toujours l’instant où il apprendrait qu’une nouvelle akumatisation avait eu lieu et qu’il devait partir au combat. La fatigue qui le gagnait du simple fait d’être éveillé ne l’aiderait probablement pas. Il avait hâte de rentrer chez lui et d’aller se coucher.

 

« Eh mon pote, ça va ? Tu es tout pâle.

– Je… Ne t’en fais pas, ça va, ce n’est rien, sourit Adrien, bien que le cœur n’y fût pas. J’ai juste pas très bien dormi cette nuit.

– Tu es sûr ? Ton état était meilleur ce matin.

– Vraiment Nino, ne t’en fais pas. Tout va bien. »

 

L’adolescent lui lança un regard inquiet, avant d’acquiescer, sans pour autant perdre cet air d’inquiétude dessiné sur son visage. Il posa sa main droite sur l’épaule du blondinet et le fixa intensément par-delà ses lunettes.

 

« Si tu as besoin de parler, tu sais que je suis là. Appelle-moi et je viendrai tout de suite, d’accord ?

– Merci, fit tristement Adrien sans perdre son faux sourire, tu es vraiment un bon ami. »

 

Il voulut ajouter autre chose, peut-être le début d’une confession quant à l’état dans lequel il s’était retrouvé plus tôt ce matin-là, mais le bruit de la cloche sonnant la reprise l’en dissuada. De toute façon, que pouvaient-ils y faire ? S’il se confiait à Nino, ce dernier ne lui dirait probablement que des banalités de type « ne t’en fais pas ça va aller, » ou encore « ce n’est qu’une mauvaise passe » sans que cela ne lui prodiguât le moindre réel réconfort. Il mit cette idée de côté, et prit la direction des salles de physique-chimie, ce qui lui valut de se faire interpeler par Nino.

 

« Qu’est-ce qui t’arrive ? C’est pas physique qu’on a là, mais anglais.

– Je me disais bien que quelque chose clochait, rit-il amèrement. Merci.

– Sérieux, va à l’infirmerie te reposer, répliqua Nino en croisant les bras et fronçant les sourcils à la manière d’un père désireux de se faire obéir par son fils.

– Écoute, soupira Adrien, je vais voir, d’accord ? Je vais essayer de suivre pendant le cours d’anglais, et si vraiment je me sens pas bien j’y irai. D’accord ?

– Mouais. On verra. »

 

Il y eut un silence gêné qui s’installa entre eux ; Adrien n’osa pas relancer la conversation, et ce fut de même pour Nino qui ne savait comment reprendre sans vexer son ami. Ils prirent tranquillement la direction de la salle de classe où ils avaient habituellement anglais, et y trouvèrent la plupart des autres élèves déjà assis à leur place, guettant l’arrivée de l’enseignante. Tous deux s’assirent à leur place habituelle, au premier rang, du côté de la salle proche des couloirs de l’établissement ; Adrien avait toujours la crainte de se laisser distraire par le paysage s’il s’installait du côté des fenêtres, mais il aurait bien aimé, juste pour une fois, pouvoir laisser son esprit divaguer en observant les voitures. Tant pis.

 

Il sortait ses affaires de son sac – cahier, trousse, manuel – lorsqu’arriva madame Bustier. Bien que plongé dans les tréfonds de son cartable, il dut relever la tête lorsqu’il entendit le brouhaha de la classe, et pour cause ! Une revenante se trouvait parmi eux.

 

« Rebonjour, sourit l’enseignante après avoir tapé dans ses mains pour gagner le silence. Comme vous pouvez le voir, Valentine est de retour parmi nous.

– Excusez-moi pour mon absence, fit cette dernière en se penchant légèrement pour les saluer.

– Nous avions mis en suspens les exposés à cause de l’absence de Valentine, mais désormais nous allons les reprendre. Nous en reparlerons plus tard. Pour l’heure, nous allons vous rendre vos contrôles. »

 

Les réactions des élèves se rangeaient dans deux catégories ; la première correspondait à ceux qui avaient réussi leur contrôle – c’est-à-dire la grande majorité – et qui étaient fort heureux de découvrir leur note. La seconde, à laquelle appartenaient Adrien, Marinette et Chloé notamment, était constituée d’élèves ayant magistralement échoué, et qui redoutaient le zéro pointé qu’ils allaient bientôt voir sous leurs yeux.

 

Cependant, Adrien ne se concentra non pas sur les devoirs qui allaient être rendus, mais plutôt sur Valentine. Il la trouvait bizarre. Bien sûr, il était ravi de voir que cela n’avait été qu’un simple congé maladie assez court, mais elle ne parut pas être dans son état normal. Elle semblait quelque peu fatiguée, des cernes violacés étaient visibles malgré les applications de fond de teint et autres cosmétiques correcteurs visant à dissimuler les imperfections. Elle avait détaché ses cheveux ce jour-ci ; sa coiffure permettait de distraire l’œil vers autre chose que son regard épuisé.

Elle resta quelque peu en retrait, distribuant silencieusement les copies, sans faire la moindre réflexion sur le travail de l’élève. Il fallait dire que ce n’était pas elle qui les avait corrigées, tout du moins pas dans leur intégralité ; elle avait fait appel à une amie et camarade de classe, lui confiant la correction des trois quarts des copies, en échange de quoi elle lui avait promis de l’inviter plusieurs fois au restaurant et de lui faire quelques devoirs en retour. Elle avait juste repris les annotations au crayon de papier qu’avait fait son amie afin que seule son écriture parût sur les copies. Cela lui avait demandé sa matinée, mais l’illusion était parfaite.

 

« Raah, c’est pire que ce que je pensais, gémit Marinette en s’effondrant sur sa table. J’espérais au moins avoir un un pour l’effort.

– Ne t’en fais pas, tu te rattraperas la prochaine fois, lui souffla Alya. Qu’est-ce qui a bien pu t’arriver, d’habitude tu t’en sors en anglais… »

 

La brunette n’osa répondre, puisqu’elle ne pouvait en aucun cas donner la réponse à cette question. Elle bredouilla une excuse à propos de fatigue et de travail à la boulangerie de ses parents.

 

Il en allait de même chez leurs voisins de la rangée de devant ; Adrien osa à peine poser les yeux sur le cinq sur vingt qui avait été inscrit en rouge en haut de la copie. Son père le tuerait lorsqu’il apprendra cela, et il se pourrait bien qu’il passât quelques jours privé de sortie et en cours intensifs avec des professeurs particuliers. Il valait mieux qu’il n’abordât pas le sujet ce soir-là à table. Nino le consola comme il put, bien que cela ne fut pas une tâche aisée.

 

« Bien. Pour ceux qui ont eu des difficultés sur ce devoir, vous aurez la possibilité de rendre un devoir maison qui permettra de rattraper votre note, annonça madame Bustier avec cet éternel sourire dessiné sur ses fines lèvres roses. C’est un devoir qui sera facultatif pour les autres ; il vous permettra d’améliorer votre moyenne si vous le faites.

– Maintenant, enchaîna Valentine, j’aimerais savoir quels sujets vous avez choisi, ou au moins auxquels vous avez pu réfléchir, concernant l’exposé. On va procéder par ordre alphabétique. Je vais vous appeler, vous allez me dire qui est votre binôme, et si vous avez un sujet, dites-moi lequel. »

 

Adrien retint un soupir exaspéré. Il était le premier nom affiché sur la liste. Il fut tout de même parcouru d’un frisson lorsque la voix claire de l’assistante de langue le prononça.

 

« Je suis en binôme avec Marinette, énonça-t-il, cette dernière confirmant d’un hochement de tête. Et nous allons travailler sur la Chine.

– La Chine ? C’est un peu vaste comme sujet. Vous ne voulez pas plutôt parler d’une ville ou d’une province ou municipalité en particulier ? À moins que vous ne soyez plutôt intéressés par une spécificité culturelle chinoise ?

– À vrai dire, je souhaitais travailler sur la municipalité de Shanghai, répondit la brunette en échangeant un regard avec son camarade. C’est de là que vient ma mère.

– Intéressant. J’attends un travail exemplaire de votre part. Ne me décevez pas, » sourit-elle en notant sur une feuille les noms des intéressés ainsi que leur sujet.

 

Elle appuya cependant avec plus de force la mine de son critérium contre la feuille, manquant de la briser, tant elle peinait à maîtriser sa haine de l’adolescente. Elle avait encore du mal à croire que cette gamine fût la fameuse Ladybug. Pourtant, elle en avait eu la preuve sous les yeux, et les indices qu’elle avait perçus jusque-là ne la trompaient pas non plus.

Elle avait tout de même vérifié une interview disponible sur le Ladyblog d’Alya, afin de comparer les voix. Cela collait parfaitement. L’apparence, aussi, correspondait dans les grandes lignes ; Ladybug paraissait plus fine et musclée que Marinette mais cela trouvait sûrement sa source dans le fait que Marinette portait des vêtements assez amples tandis que l’héroïne était vêtue d’un justaucorps très près de la peau, dont la matière rappelait grandement le latex.

Elle se demandait toujours cependant qui se cachait sous le masque de Chat Noir. Elle se doutait fortement qu’Adrien était impliqué dans tout cela, mais ignorait jusqu’où ; après tout elle l’avait vu se rendre chez le vieux Chinois, mais dans quel but ? Elle avait entendu dire qu’il suivait des cours de chinois, peut-être était-il son professeur ? Il lui fallait explorer cette piste, peut-être était-ce le premier pas vers la découverte de l’identité de Chat Noir ?

 

« Bourgeois ? appela-t-elle ensuite, en tentant de se concentrer de nouveau sur sa tâche.

– Demandez à Sabrina, répondit l’intéressée avec dédain, c’est elle qui a décidé le sujet.

– Raincomprix, donc. Sur quel sujet allez-vous travailler ?

– Euh, sur le magazine Style Queen, bredouilla la rouquine prise au dépourvu.

– C’est le magazine que dirige ma mère, à New York, fanfaronna la fille du maire. Vous savez, New York, la capitale des États-Unis ? »

 

Valentine se retint de soupirer – grands dieux que cette gamine lui sortait par les oreilles – et répliqua sans lever le nez de la feuille où elle notait le binôme et le sujet.

 

« Bien, bien, mais n’oubliez pas que je demande deux mini-rapports individuels sur votre exposé. Et que je vérifierai personnellement votre avancée dans votre travail, mademoiselle Bourgeois. Mais je me doute bien que pour la fille du maire, et qui plus est de la fameuse reine de la mode, ce sera un travail bien trop simple.

– Bien évidemment, ricana Chloé en affichant une énième expression de mépris à l’intention de l’assistante de langue. Pour qui me prenez-vous ?

– Je tiens seulement à vous faire savoir que non, New York n’est pas la capitale des États-Unis, mais Washington D.C., en revanche, l’est. Peut-être que si vous passiez plus de temps à vous cultiver et étudier plutôt que de vous maquiller, vous sauriez cela. »

 

La classe s’esclaffa tant la remarque de Valentine était justifiée ; elle reçut cependant un regard en coin de la part de madame Bustier, qui n’appréciait guère qu’elle humiliât de la sorte une élève, quand bien même elle méritait qu’on la remît à sa place. Cholé, elle, afficha un rictus offusqué, et fronça les sourcils, menaçant d’en toucher deux mots à son père. Si sanction il y avait, Valentine endosserait ses responsabilités comme il se devait. C’était le prix à payer pour recadrer avec tant de plaisir cette vermine insolente.

 

Elle poursuivit ses interrogations, et nota que la plupart des élèves avait d’ores et déjà choisi leur sujet. Elle n’avait pas eu besoin de trop en recadrer, ils avaient déjà tous trouvé de bonnes idées parfaitement exploitables. Tant mieux.

 

Lorsque la cloche sonna, les élèves poussèrent tous un soupir de soulagement, ravis d’être libérés de ce cours que peu appréciaient, malgré les efforts de l’enseignante et de son assistante pour le rendre intéressant et vivant. Souvent, la bonne ambiance était justement ruinée par la fille Bourgeois, et cela avait le don d’agacer Valentine. Elle ne se vouait pas spécialement à une carrière d’enseignante à l’avenir, mais plus elle passait du temps dans la même salle de classe que cette gamine et moins elle se rattachait à cette idée.

Elle rangea elle aussi ses affaires, non mécontente de voir sa journée finie. Il semblait que les élèves, cependant, eussent cours après la pause qui leur était accordée. Il lui fallait profiter de cet instant, elle n’aurait pas de seconde chance.

 

« Adrien ? appela-t-elle en direction du blondinet qui s’approchait de la porte en compagnie de ses camarades.

– Oui ?

– Venez ici s’il vous plaît. »

 

Il fit signe à ses amis de partir devant, en leur disant qu’il les rejoindrait plus tard.

Il ne restait plus qu’eux deux dans la pièce ; même leur professeure était partie, confiant à Valentine la charge de ramener la clé de la salle parmi ses sœurs. Décidément, ce collège était bien particulier.

 

« J’aimerais, par procuration de madame Bustier, consulter votre père au sujet de vos résultats du dernier contrôle, annonça-t-elle. J’ai pu constater que vous aviez eu une note particulièrement effroyable, comparée au reste de votre dossier scolaire. Même madame Bustier ne comprend pas comment cela est possible. »

 

Le blondinet lui lança un regard effrayé à l’évocation de son père. Il se reprit cependant rapidement, mais cela n’échappa pas à Valentine.

 

« Mon père n’est jamais présent, il est toujours très pris par son travail, vous savez. Et pour ce devoir, j’étais juste pas très en forme.

– Vraiment ?

– Vraiment. »

 

Ses yeux fixaient le sol. Parfois, il les reposait sur Valentine, mais la fuyaient aussitôt dès que leurs regards se croisaient.

 

« Est-ce que tout va bien ? Tu es pâle, remarqua-t-elle, avant de noter qu’elle avait inconsciemment abandonné le vouvoiement qu’elle employait pour se distancer des élèves.

– Oui, tout va bien, mentit-il en serrant le poing ; il se refusait de craquer devant une adulte.

– Très bien. Mais si tu as besoin de parler, je suis là, d’accord ? Et sache que ce ne sont pas des paroles en l’air, j’ai moi-même été dans le même cas que toi. »

 

Elle se félicita intérieurement d’avoir si bien amené un demi-mensonge. Elle n’avait pas eu de parent aussi terrifiant à en croire l’expression horrifiée qu’il avait affichée, mais elle avait elle aussi eu des problèmes influant sur ses notes – n’était-ce pas justement le cas actuellement ? – et espérait qu’ainsi elle pouvait en savoir plus sur ce garçon qui l’intriguait beaucoup trop pour qu’elle ignorât son sentiment. Il lui fallait explorer toutes les pistes pour comprendre le lien qui unissait le blondinet au vieux Chinois. Peut-être le révélerait-il au détour d’une conversation ?

 

« Écoute, voilà mon numéro de téléphone, fit-elle en lui tendant un bout de papier sur lequel elle avait rapidement griffonné les dix chiffres. Si tu as besoin, appelle-moi ou envoie-moi un SMS. Je te répondrai tout de suite, d’accord ? Il ne faut pas garder ses problèmes pour soi, confie-toi à un proche, compris ? »

 

Le blondinet acquiesça. Mais elle eut la désagréable impression que ses paroles ne se figeraient pas dans son esprit. Il prit le morceau de feuille qu’elle tenait et le fourra dans sa poche.

 

« Je vais en parler à mon père, fit-il. S’il veut bien vous voir, alors je vous le dirai.

– Très bien. Fais attention à toi. Peu importe ce qui te tracasse, il ne faut pas que ça te ronge. »

 

Il acquiesça, la remercia brièvement, et tourna les talons. Elle fronça les sourcils, consternée. Que faire de cet adolescent ? C’était comme s’il jouait un rôle, et que ce jour-ci il était bien trop fatigué pour le tenir.

 

Alors qu’elle finissait de ranger ses affaires – elle avait dû ressortir sa trousse de son sac pour noter son numéro de téléphone – elle entendit Marinette adresser quelques mots à Adrien. Elle tendit l’oreille afin de capter toute la conversation.

 

« Qu’est-ce qu’elle te voulait ?

Oh, rien. J’ai eu une sale note, ça l’inquiétait.

Ça va aller, je suis sûre que ton père sera compréhensif si tu lui expliques. »

 

Au moins il était encerclé par de bons amis, semblait-il, entre Nino, Alya et cette maudite Marinette. Valentine avait bien remarqué pendant les cours les regards amoureux que cette dernière lui jetait ; elle avait aussi remarqué que ce n’était pas réciproque, ce qui la faisait amèrement sourire. Au moins, cette garce n’avait pas tout ce qu’elle désirait et, bien que maigre, c’était une consolation qui faisait plaisir à la jeune femme.

 

Elle soupira.

 

Il fallait à présent qu’elle rentrât chez elle et qu’elle fît face à ses actes.

 

Elle déglutit, et passa son bras à travers la bretelle de son sac à dos. Elle sortit de la pièce, fermant derrière elle la porte à clé, qu’elle ramena à la conciergerie où elles étaient toutes gardées. Puis elle prit avec hésitation le chemin retour pour rentrer chez elle où l’attendait la créature qu’elle avait rencontrée la veille.



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* 『君の瞳の深さを覗き見て狼狽える

望みなどあったでしょうか

この行く先には

戯けて笑うのは この道が暗いから

灯りを灯すのに 僕がいるでしょう』


「さよならごっこ」 - amazarashi

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