Territoire

Chapitre 3 : Chapitre trois

5611 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/03/2024 17:11

Chapitre trois

 

Le feu… Le feu envahissait ses entrailles. Rosalie se consumait de l’intérieur. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises. La douleur était si intense. Elle aurait voulu crier, hurler, décharger cette souffrance. Mais elle n’y arrivait pas. Ouvrir la bouche, utiliser ses cordes vocales, c’était encore pire.

Elle vit des ombres au-dessus d’elle. Elle crut reconnaître ce petit roublard de rouquin. Mais au lieu de se moquer d’elle, il semblait sincèrement inquiet. Il donnait des ordres. Il s’agitait dans tous les sens. La jeune femme l’entendait comme s’il était au loin. Elle ne distinguait aucune parole clairement. Tout était si flou autour d’elle. Rosalie comprit au bout d’un moment que c’étaient ses mains à lui qui étaient posées sur sa gorge et empêchait le sang de s’écouler.

Du sang ? Comment ? Que s’était-il passé ? La jeune femme revécut ces derniers moments. La serre. Asil à terre. Rosalie qui brisait les pots. Sa fuite. La peur. Tellement de peur.

La mère voulait devenir un loup-garou pour sauver ses enfants. Elle avait usé de moyens peu appréciables. Elle méritait une punition, elle le savait. Alors, malgré la peur, malgré l’angoisse, elle avait foncé sur l’animal en furie. Elle avait senti ses imposantes mâchoires se refermer sur elle. Elle n’avait pas eu le temps de crier. Un goût métallique envahissant sa bouche grande ouverte. Brusquement, la punie avait senti le poids d’un corps sur elle et réalisa qu’elle était à terre.

Et puis, une douleur inqualifiable avait envahi son corps. Aucune échappatoire. Aucune clémence. Juste cette souffrance l’abrutissant complètement. Rosalie aurait aimé perdre connaissance, oublier ce calvaire qu’était devenu son corps.

Subitement, la pression autour de son cou s’évanouit. Le feu commença à remplacer le tourment dans sa chair. Rosalie aurait voulu s’écarter, s’éloigner de cette source de chaleur grandissante. C’était impossible. Tout cela était en elle. Elle cligna plusieurs fois des yeux chassant ainsi les larmes naissantes.

La jeune femme remarqua les ombres qui s’activaient autour d’elle. Elle ne parvenait pas à les distinguer et encore moins à les entendre. C’était comme si elle se trouvait sous l’eau. Elle essaya de leur parler. Mais le son guttural qui sortit de sa bouche la dissuada de recommencer.

-Chut ! Calmez-vous espèce de petite idiote. Vous risquez d’aggraver vos blessures.

Les paroles prononcées étaient un doux murmure en comparaison de leur sens. La blessée reconnut immédiatement cette autorité. Le Marrock veillait sur elle. Elle n’était pas encore certaine si cela était une bonne chose.

L’incendie dans son corps gagna encore en intensité. C’était trop dur de maintenir une conscience éveillée. Rosalie voulait simplement lâcher prise. C’était si facile de se laisser glisser dans un monde sans attache matérielle. Les paupières se firent lourdes. Elle était sur le point de s’éteindre.

-Non ! Je vous interdis de partir comme ça. Vous n’en avez pas le droit après tout le bazar que vous avez mis au sein de ma meute. Pensez à vos filles, bon sang ! Si vous désirez partir en chasse, tenez le coup !

-Ah, oui ! Mes petites princesses… songea Rosalie en sombrant dans le noir.

 

Ce monde était si paisible. Pas un son ne retentissait. Tout était statique, calme et inerte. Rosalie ouvrit les yeux. Tout était noir autour d’elle. Aucune lumière ne perçait ces ténèbres. Elle ne se voyait pas elle-même. Elle n’aurait su dire si elle était assise, couchée ou debout. Elle remercia le ciel de ne ressentir aucune douleur. Tout était enfin fini.

Doucement, tel un lever de soleil, une lumière jaillit de l’horizon. Étrangement, Rosalie n’en fut pas éblouie ; elle inspecta même ce paysage naissant. Là-bas, dans cette source de lumière, elle vit une silhouette lui faire signe au milieu d’un jardin paradisiaque. Intriguée, la jeune femme approcha lentement. Elle s’étonna une seconde que ses pas ne résonnaient pas dans ce silence devenu pesant. Elle s’intéressa davantage au phénomène devant ses yeux : cet endroit idyllique semblait reculer par la même occasion.

Un aboiement lupin perturba cette quiétude. Une nouvelle source de lumière apparut sur sa droite. Une magnifique louve trottina vers elle. Elle s’assit sagement devant la femme. Celle-ci en profita pour l’observer tout à loisir. L’animal avait des yeux bleu acier magnifiques. Son pelage était noir et soyeux. On avait envie d’y promener les doigts pour en ressentir la douceur. Les pointes de ses oreilles, son museau, son ventre, le bout de ses pattes et la pointe de sa queue étaient d’un blanc neige qui contrastait merveilleusement avec l’anthracite. Rosalie n’avait vu des loups que dans les zoos mais elle estimait que celle-ci devait être plus grande et plus massive que les autres.

La curiosité l’emportant, la dame s’accroupit devant cet être poilu et plongea son regard dans le sien. Elle se dit que c’était peut-être une erreur. Finalement non. Ce regard était doux, compréhensif, familier.

« Veux-tu chasser avec moi ? »

Cette question n’avait pas été dite avec des mots mais avait retenti dans la tête de Rosalie. Celle-ci eut un mouvement de recul. La louve, imperturbable, se contenta de pencher la tête à sa manière, comme si c’était elle qui avait posé la question. Et Rosalie était prête à le croire. Elle détailla plus intensément cette créature. Elle n’était pas certaine de savoir à quoi exactement elle avait affaire.

-Rosalie ! Rosalie ! Roooosaaaaliiie ! Mon amour !

L’appelée tourna la tête. Le jardin était beaucoup plus proche que précédemment. La silhouette était devenue un grand homme dont les traits n’étaient pas encore totalement distincts. Mais le cœur de la jeune femme reconnaissait cette voix chaude. N’y croyant pas, pleine de joie, Rosalie se redressa, prête à courir vers l’homme là au loin.

-James ! répondit-elle emplie d’allégresse.

-Non !

Une main forte lui agrippa le bras et la retint. Rosalie s’en moqua. Elle s’acharna sur la prise, tirant de toutes ses forces. Son mari l’appelait. Son bien-aimé était là-bas. Elle ne désirait qu’une seule chose : se lover dans ses bras rassurants.

-Mais arrêtez, bon sang !

On la força à se retourner. Ses yeux noisette rencontrèrent deux lueurs dorées dangereuses. Enfin calmée, la jeune femme se rendit compte qu’elle était face à Bran Cornick et que ce dernier la maintenait fermement aux épaules. Elle n’avait aucune possibilité de s’échapper de son emprise. Il était beaucoup trop fort pour elle malgré sa petite carrure.

-Lâchez-moi !

-Sûrement pas ! À moins que vous désiriez déjà en finir avec la vie.

-Quoi ?

-Que croyez-vous que ce soit là-bas ? Ce n’est pas le paradis, c’est la mort assurée.

-Je ne comprends pas.

-Maudite bonne f… se reprit-il à temps. Bon, nous ne sommes pas dans la réalité. Nous sommes dans votre esprit. La malédiction du loup-garou est en train de modifier votre corps. Mais le moment décisif se passe ici. Vous êtes face à un choix.

-Un choix ? Quel genre de choix ? Est-ce qu’il y a un rapport avec elle ? questionna-t-elle en désignant la louve du menton.

-Ah ! Vous avez déjà compris que c’est une louve et non un loup. C’est déjà une bonne chose.

-C’est important ?

-Pour la suite, oui.

-Vous voulez dire que c’est moi. Enfin, que ce sera moi quand je me transformerai.

-Pas exactement. La bête en nous a une conscience propre, ne l’oubliez jamais. Ici, vous devez juger si vous acceptez cette autre en vous et le monstre que vous pourriez devenir.

-Mais James… dit-elle en se tournant vers l’ombre.

-Que vous dicte votre cœur ?

Rosalie se tut. Elle observa longuement ce tableau idyllique de son mari si heureux, si vivant. Son cœur se serra. Si elle allait dans cette direction, elle choisissait la mort auprès de lui.

-Je vous en prie, choisissez bien.

La jeune femme frissonna. Cette supplique avait été murmurée si doucement à son oreille. Elle réalisa qu’elle aimait cette tonalité chantante. Bran était là. Il la tenait toujours fermement à un bras. Elle sentait la pression de ses doigts sur sa peau nue. Cet inconnu avait détourné le regard et posé sa tête sur son épaule. Tous les deux étaient nus mais cela n’affecta pas Rosalie. Il était si réel alors que James était déjà un souvenir. Mais, en même temps, c’était James…

La louve s’interposa entre Rosalie et l’apparition. Elle s’assit tout aussi calmement que la première fois. Elle leva fièrement le menton. Elle leva un sourcil à la manière des loups.

« Veux-tu partir à la chasse avec moi ? »

Les doigts masculins serrèrent davantage le bras fragile. Contre toute attente, la femme s’attendrit devant tant d’insistance. Elle regarda une nouvelle fois dans la direction de James puis ses yeux se posèrent sur la louve. Elle se demanda quelle était la priorité de l’instant. Au bout d’un moment, Rosalie acquiesça de la tête. Elle savait. Elle connaissait la réponse. La réalité avait toujours été plus importante que l’illusion d’un instant même magique.

Doucement, elle posa sa main sur celle qui la retenait. Bran releva la tête qu’il avait posée sur l’épaule de sa prisonnière. Rosalie fut incapable de déchiffrer ce regard intense qu’il posa sur elle : de l’inquiétude, de la colère, de l’espoir ?

-Je suis une mère, dit-elle en écartant ses doigts.

Elle se pencha vers la louve et entoura son cou de ses bras.

-Et je dois protéger mes enfants avant tout.

-Allons sauver nos enfants, répondit la louve dans un sourire lupin.

 

Rosalie se réveilla en sueur. Elle haletait. Elle inspecta la pièce nerveusement. Tout se bousculait dans sa tête. Les lumières artificielles étaient douloureux pour ses yeux. Elle avait l’impression de se noyer et de ne pas inspirer assez d’air. Ses sens étaient en alerte. Elle se sentait en danger sans parvenir à identifier la source de ce sentiment.

Elle se mit à quatre pattes. Le sol était moelleux et doux. Elle se força à se concentrer sur un point entre ses mains aplaties. Doucement, elle calma sa respiration. Ce qu’elle prenait pour un sol était en réalité un tapis de protection. Toute la salle était recouverte de ce tapis. C’était une pièce sécurisée. Elle en avait vu des semblables dans les hôpitaux pour les patients extrêmement dangereux. Une lourde porte en métal était l’unique sortie.

Rosalie s’en approcha. Elle observa l’extérieur à travers le hublot en haut de la porte. Elle vit quelqu’un assis à un bureau. Les bras croisés, le regard fixé sur la porte, cet homme ne paraissait pas bien amical. Dès que leurs regards se croisèrent, l’homme prit son portable et téléphona. Rosalie s’aperçut à sa grande surprise qu’elle parvenait à entendre sa voix à travers la porte blindée.

Une fois le téléphone rangé, l’homme repris sa position initiale. La jeune femme essaya d’attirer son attention. Elle fit de grands signes devant le hublot. Elle cria, appela. Elle frappa la paroi. Rien n’y fit. L’inconnu était imperturbable. Découragée, la prisonnière s’adossa à la paroi en soupirant. Elle enserra ses genoux de ses bras et cacha son visage. Après une attente qui lui parut infinie, elle perçut des bruits de pas familier. Elle sentit une présence de l’autre côté.

Une seconde plus tard, la porte s’ouvrit. Bran Cornick entra, le sourire aux lèvres, un plateau recouvert d’une cloche à la main gauche.

-Bonjour, madame Jansen.

-Monsieur Cornick, salua la prisonnière d’un hochement de tête.

À cette approche, elle s’était relevée. Instinctivement, elle avait adopté une position de défense. Elle avançait sur le côté, se rapprochant discrètement de la sortie. Tout cela n’avait en rien échappé au Marrock. Mais ce dernier ne voulait pas davantage affoler son invitée. Aussi, il s’assit au milieu de la pièce et déposa son fardeau devant lui.

Le nez de Rosalie repéra des effluves intéressants. Immédiatement, son estomac cria famine. Ce qu’il y avait sous cette cloche ne pouvait être que délicieux. Depuis quand ne s’était-elle pas restaurée ? Elle jeta un coup d’œil à la porte toujours ouverte. Elle espérait s’enfuir. Mais que ferait-elle ensuite ? Elle ne connaissait pas le repaire des faes dont lui avait parlé Bran ni le bâtiment dans lequel elle se trouvait. De plus, elle risquait de se faire arrêter par des gardes loups-garous. Sa meilleure chance, elle devait bien l’admettre, était ce rouquin orgueilleux face à elle. Autant reprendre des forces tout en glanant quelques informations utiles à la prochaine étape de son plan.

Docilement, Rosalie imita Bran. Elle l’observa une seconde avant de braquer ses yeux sur la cloche. Elle salivait. La faim devenait de plus en plus entêtante. Elle se fit violence pour ne pas sauter sur le plateau et en dévorer le contenu telle une sauvage.

-Vous avez bien dormi ?

Rosalie reporta son attention sur son visiteur mais pas bien longtemps. Il semblait serein. Mais elle n’était pas dupe. Elle vit dans son regard que lui aussi l’observait et était prêt à intervenir suite à tout débordement de sa part. Malgré le potentiel danger qu’il représentait, elle ne put détacher son regard du plateau.

« Faim ! Manger ! » cria une voix en elle.

Rosalie en fut choquée. Ce fut à ce moment-là qu’elle la sentit, cette autre qui s’était nichée en elle. Elle ferma les yeux et chercha dans sa conscience. Dans une part sombre d’elle-même qu’elle n’aurait jamais soupçonnée, la louve se tapissait. Elle remuait tel un lion en cage. Parviendrait-elle à la contrôler ?

« Non », répondit la louve à cette question muette.

-Alors, pensa la jeune femme en espérant que l’autre l’entende, peut-on agir ensemble ? Peut-on s’entraider ? Es-tu une sorte de sœur ?

-« Une sœur ? Ce mot me plaît… Oui, cela se peut… »

Les mots étaient incertains et rauques. On comprenait aisément que la louve n’avait pas l’habitude de s’exprimer de cette façon. Rosalie se promit d’essayer de la comprendre au mieux et d’agir de connivence avec elle. Elle avait déjà suffisamment de souci sans pour autant se battre contre cette nouvelle partie d’elle-même.

Quand la jeune femme ouvrit les yeux, Bran vit deux éclats d’un bleu acier. Il admira l’effet contrastant avec la peau mate. Il avait peur qu’elle ne devienne violente mais l’homme aimait les paris. Elle était une Omega après tout. Ces derniers avaient la réputation d’être davantage en osmose avec leur double lupin. Il avait donc espéré qu’elle soit plus encline au calme que les autres nouveaux loups. Toutefois, ce respect et cette attitude dépassaient toutes ses espérances.

-Désirez-vous manger, madame ?

-Je peux ?

-Oui, ceci est pour vous.

Bran dévoila le contenu du plateau : six énormes steaks crus sanguinolents. La nouvelle louve-garou se pencha en avant prête à sauter dessus. Elle s’étonna de sa réaction devant de la viande crue. Malgré tout, elle avança dans leur direction. Avant de les toucher, elle dévisagea Bran, de peur qu’il l’attaque durant son repas ou que ce présent soit un piège.

-Comment je fais pour les manger ? demanda-t-elle au bout d’une seconde.

-Vous les prenez en main.

-Ah !

Sans ajouter quoi que ce soit, l’affamée saisit un steak et mordit dedans. La texture de la viande fondit sur sa langue. Ce goût était le plus exquis de sa vie. Elle engloutit le premier morceau sans modération. Elle se moqua de mettre du sang partout ou de paraître dégoutante. Seul comptait ce repas. Bran l’observa en silence, heureux de constater que ce Changement semblait être une parfaite réussite.

Au bout d’une dizaine de minutes, Rosalie relècha ses doigts. Son estomac était enfin rassasié. Brusquement, elle se leva. Elle se précipita vers la sortie. Dans l’entrebâillement, elle se retourna, demandant silencieusement la permission. Ses yeux avaient gagné en intensité. Le bleu de l’iris était lumineux. Bran comprit. Il hocha la tête et la suivit à l’extérieur. Il fit un geste de la main afin de calmer les sentinelles alertées par ce changement de comportement.

La jeune femme n’eut nullement conscience de cette agitation. Sa peau vibrait. Elle était à l’étroit dans son propre corps. Cette impression lui était totalement inconnue et très désagréable. Rosalie était à deux doigts de se labourer la peau avec ses ongles. Elle remua les bras en exécutant des cercles sans s’arrêter de marcher. Il fallait qu’elle bouge, qu’elle sorte au grand air. C’est comme si quelque chose l’appelait. Et elle était prête à sauter sur n’importe qui cherchant à s’interposer entre elle et la sortie.

Bran vint rapidement à ses côtés. Il ne prononça pas une parole. Il fit attention à ne pas la bousculer ou l’effleurer. De l’index, il lui indiquait la direction à prendre à chaque intersection. Rosalie le remercia silencieusement. Mais ce silence commença rapidement à la peser.

Une fois dehors, Rosalie admira la lune presque pleine, le ciel étoilé. Elle ferma les yeux et entendit les bruits nocturnes de la forêt distinctement. L’odeur des sapins lui chatouillèrent les narines. Elle n’avait jamais été aussi en harmonie avec la nature. Mais c’était insuffisant. Son corps avait besoin d’autre chose. Elle se sentait toujours aussi confinée que dans une cage.

N’y tenant plus, elle se tourna vers Bran. Quand elle prit la parole, sa voix n’était plus tout à fait la sienne. Elle s’exprimait plus violemment que d’habitude, incapable de contrôler son exaspération, sa colère naissante.

-Que m’arrive-t-il ? Je me sens… Je suis…

-Vous avez besoin de vous transformer.

-Comment dois-je m’y prendre ?

Sans une explication, le Marrock se déshabilla. Rosalie rougit devant tant d’impudeur. Cet homme qu’elle ne connaissait pas était nu en pleine rue. Elle avait envie de regarder, de détailler cette nudité. Depuis combien de temps n’avait-elle pas vu un autre homme que son James ?

-Qu’attendez-vous ?

-Que… Quoi ?

-Déshabillez-vous !

-Mais non !

-Si vous ne le faites pas, ne venez pas râler une fois empêtrée dans vos vêtements sous forme de loup.

Rosalie écarquilla les yeux. Passer d’un corps à l’autre était une nouvelle chose à apprendre. Ainsi, c’était vrai. Elle était bien devenue une louve-garou. Cette voix dans sa tête était son autre elle-même. Elle avait avancé dans cette aventure sans se poser de questions, et là, tout devenait un peu trop réel à son goût. Malgré tout, elle s’exécuta. Elle cacha de ses mains du mieux qu’elle le put ses parties intimes. Bran ricana dans sa barbe. Ce concept d’intimité avait été oublié depuis si longtemps. Et puis, il ne comprenait pas la gêne de cette femme : elle possédait un corps magnifique.

Il posa un œil appréciateur à ce corps offert. Rosalie était petite. Cela ne le dérangeait pas vu que lui-même n’était pas bien grand. Ses hanches étaient larges et dodues, ce qui rendait la courbe délicieuse avec ce ventre plat. Les seins étaient petits mais ronds et fermes. Et cette couleur… Elle était café au lait. Bran se demanda une seconde si le goût en était tout aussi sucré et doux que la couleur le présageait.

Rapidement, l’Alpha des alphas se ressaisit. Il n’était pas ici pour flirter. Il était fidèle. De plus, il devait éduquer ce nouveau membre de la communauté. Il se mit à quatre pattes et fit craquer ses os. Il réfréna un grognement de peur d’effrayer la jeune femme. Celle-ci suivit le mouvement intuitivement. La magie opérait. La transformation était douloureuse : ces os qui se cassaient pour ensuite se remettre en place ; ces organes qui se déplaçaient, cette peau qui se tiraient.

Rosalie ne put retenir ses cris de douleurs. Bran compatit intérieurement. La première transformation était toujours la plus terrible, aussi bien mentalement que physiquement.

Au bout d’une dizaine de minutes, deux loups se tenaient à la place et lieu des deux êtres humains. L’un était gris et puissants, le second plus petit, noir avec des touches de blanc. Le mâle regarda intensément la femelle. Celle-ci sortit la langue et expira bruyamment. Elle cherchait à le rassurer avec un sourire lupin. Bran s’étonna du contrôle qu’exerçaient les Omégas sur leur loup. Peu d’entre eux étaient capables de raisonner si facilement après leur première transformation. Mais Rosalie semblait si sereine.

D’un hochement de tête, le Marrock l’invita à le suivre. Une course effrénée s’en suivit. Rosalie prit plaisir à cette nouvelle façon de se déplacer. Sauter, trotter, courir, sentir la terre sous ses pattes, tout cela était si grisant. Elle n’aimait pas, elle adorait être un loup.

Brusquement, elle vit quelque chose bouger dans la périphérie de sa vision. Sans se poser de question, elle changea de direction. La louve huma une nouvelle fragrance. Rapidement, ses yeux lupins dénichèrent un petit derrière touffu sautiller devant elle. Le lapin la fit saliver. Elle accéléra. Sa proie n’avait aucune chance. Rosalie lui attrapa la gorge de ses canines pointues. Elle l’égorgea et s’empressa de l’éviscérer. Le goût dans sa gorge fut le plus exquis de sa vie surtout accompagné de l’excitation de la chasse.

Couchée, la louve était en train de se relécher les babines tandis que Bran s’approchait d’elle. Il posa son regard sur les restes de l’animal entre ses pattes. Rosalie grogna. Il hocha la tête sur le côté. Le Marrock ne désirait pas son repas mais comprenait son besoin de marquer son territoire. Elle était encore trop jeune. Elle comprendrait bientôt quand laisser la place aux plus anciens. Sinon, toute oméga qu’elle était, elle ne ferait pas long feu au sein de la meute.

Ils poursuivirent leur promenade une bonne partie de la nuit. Épuisée, Rosalie s’endormit aux côtés de Bran dans un coin de la forêt. Il n’était pas rare que le Marrock accompagne les nouveaux changés lors de leur première transformation. Cependant, il était assez inédit qu’il s’endorme auprès d’une autre louve que la sienne. Il chercha à se convaincre que c’était pour le bien de tous qu’il la guide ainsi. Il combattit cette petite voix au fond de lui. Ce qu’elle lui murmurait n’annonçait rien de bon.

 

 

Le lendemain matin, Rosalie, redevenue humaine et ayant pris une bonne douche, s’installa dans un réfectoire commun pour prendre son petit déjeuner. Elle surprit les regards posés sur elle, à la fois compatissants et réprobateurs. Alors qu’elle dégustait son thé, Anna s’installa en face d’elle.

-Comment allez-vous, madame Jansen ?

-Je vais bien étant donné les circonstances, répondit Rosalie par-dessus sa tasse fumante.

-J’en suis heureuse pour vous.

Le silence s’abattit entre elles. Anna semblait vouloir aborder un sujet mais ignorait comment. Elle était beaucoup trop diplomate. Rosalie avait passé l’âge de ces enfantillages.

-Dites ce que vous avez à dire qu’on en finisse.

-Pourquoi Asil ?

-Pardon ?

-Asil est un bon loup-garou. Il en a pas mal bavé durant sa longue vie. Il n’avait pas besoin de ça. Vous savez ce que vous avez fait ?

-J’avoue que je ne vous comprends pas.

-Je ne sais ce qui me retient de vous en coller une. Asil est dans un état de rage depuis qu’il vous a attaquée. Il est en isolement. Il refuse de reprendre forme humaine. Si ça continue, mon beau-père n’aura d’autre choix que de…

Telle une automate, Rosalie posa sa tasse dans la coupole. Elle songea aux aveux d’Asil au sujet de sa femme décédée, de sa gentillesse dans la serre. Et elle… Elle avait piétiné ses précieux souvenirs ; elle l’avait forcé à la… Soudain, elle comprit les regards assassins de certains.

-Où est-il ?

-Je vous l’ai dit : en isolement.

-Oui mais c’est où ça ?

-Dans le bâtiment où vous étiez hier soir.

Sans un mot, Rosalie se leva. Elle fonça hors du réfectoire. Anna la suivit, l’interrogeant sur ses intentions. La nouvelle louve ne prit pas la peine de lui répondre. Elle devait réparer le mal qu’elle avait fait. Comment avait-elle pu être aussi idiote ?

Une fois dans le bâtiment de la veille, elles entendirent le métal recevoir des coups. Ce bruit les guida. Elles pénétrèrent dans une salle similaire à celle dans laquelle Rosalie s’était réveillée après sa transformation. Bran, Charles, Mercy, Adam et deux autres loups-garous étaient présents. Ils fixaient tous la porte blindée qui recevait inlassablement des coups. La bête à l’intérieur était enragée. D’ailleurs, il n’était pas certain que cette barricade la maintienne encore longtemps enfermée.

Dès que Bran la vit, il s’énerva.

-Qu’est-ce que vous foutez ici ? Vous croyez pas que vous avez déjà suffisamment mis le bazar ? Dégagez !

Le Marrock mit le pouvoir de la meute dans ses paroles. Les loups-garous baissèrent la tête en signe de soumission. Toutefois, ce pouvoir glissa sur Rosalie et Anna. C’était une sensation étrange. Rosalie pencha la tête à la manière d’un loup, réfléchissant à ce qu’il venait de se produire. Mais son instinct lui murmurait qu’elle était en son droit.

-Je suis venue réparer mes erreurs, dit-elle en s’avançant.

-Et qu’allez-vous faire ? Vous n’avez aucune expérience. Vous êtes comme un nouveau-né. Asil est incontrôlable par votre faute. Même moi, je n’exerce plus assez d’autorité pour lui faire entendre raison.

-C’est une oméga, avança Anna en se positionnant près de son mari.

-Tu es une oméga depuis plus longtemps qu’elle. Penses-tu que tes compétences seraient d’une quelconque utilité ?

-Elle a quelque chose de plus, intervint Charles.

Le fils regarda son père. Bran prenait très au sérieux les avertissements de Charles. Après tout, il avait hérité des pouvoirs chamaniques de sa mère et de son grand-père maternel. Même si lui-même possédait une mère sorcière, il n’oubliait pas ce qu’était son fils.

-Mon loup m’a raconté que cette femme détenait une force intérieure incroyable, acquiesça Adam. Laisse-lui une chance.

-Je… Je ne peux pas. Imagine qu’Asil s’en prenne encore à elle et qu’il la tue pour de bon cette fois. Je serais obligé de…

Un nouveau coup retentit sur la porte blindée. Tous observèrent les possibles dégâts sur le métal. Bran était inquiet. Alors, Rosalie comprit. Elle n’aurait su dire pourquoi mais elle en était certaine : Bran ne voulait pas tuer son ami. Elle bougea tel dans un rêve. Du dos de la main, elle caressa délicatement la joue du Marrock. Ce dernier sursauta. Il emprisonna immédiatement cette main. Il acceptait difficilement qu’on le touche sans sa permission.

-Tout ira bien, M. Cornick. Je vous le promets. Plus jamais vous n’aurez à tuer un ami.

Ces mots, était-ce bien elle qui les avait prononcé ? Elle n’en était pas certaine. Si elle avait pu se voir dans un miroir, elle aurait constaté que ses yeux étaient d’un bleu étincelant. Elle sentit une autre partie d’elle invisible. Naturellement, elle la déploya car c’était la chose à faire. Les personnes autour d’elle se sentirent comme droguées, épanouies.

Sa main s’échappa de l’emprise de Bran. L’Oméga s’appuya contre la paroi de métal. Elle ouvrit la porte sous les yeux ébahis de tous. Asil aurait pu lui sauter à la gorge, s’échapper en causant un carnage. Au lieu de cela, il était en position d’attaque au fond de la pièce. Il grognait. De la bave dégoulinait de sa gueule dénudée. Rosalie agrandit les yeux faces à ces énormes canines. Elle se souvint qu’elles avaient déchiquetées sa chair. Elle se concentra, refusant de se détourner de l’essentiel par des pensées aussi morbides.

Rosalie déploya davantage sa force inconnue. Elle psalmodia des prières indiennes que lui avait apprises sa mère. Elles avaient pour but d’apaiser les tourments, d’adoucir les caractères. Elle sentit plus qu’elle ne vit ses « amis » exercer leur « magie » sur le loup enragé. Tout en murmurant, elle avança en tendant les mains en signe d’apaisement. Le loup secoua la tête de droite à gauche. Il claqua plusieurs fois des dents d’un geste agressif.

Alors, Rosalie s’agenouilla devant lui. Ses larmes coulèrent. Elle ne pouvait s’empêcher de pleurer. Tout cela était beaucoup trop éprouvant pour elle.

-Je suis désolée. Si vous saviez… J’étais désespérée. Je sais que ce n’est pas une excuse mais sachez que je ne voulais vous causer aucun tort. J’aurais dû… J’aurais dû agir autrement. Je vous en prie. Pardonnez-moi. Pardon ! Pardon ! Pardon !

Rosalie déversa sa peine qu’elle avait contenue depuis si longtemps. Elle se mettait volontairement à la merci de ce prédateur. Ce dernier cessa de grogner. Il émit quelques plaintes lupines. Il s’approcha de sa proie. Il scruta ce visage désolé. Honteuse, Rosalie baissa la tête. Du museau, la bête l’obligea à la relever. Elle s’assit et lui lécha les joues salées. La jeune femme encercla le cou poilu. Elle le serra contre elle.

-Je vous le promets : je me rachèterai auprès de vous. Je vous demande juste de me laisser récupérer mes enfants. Après, je consacrerai ma vie à payer ma dette auprès de vous. Vous n’avez pas mérité cela.

Le loup-garou sembla accepter cette requête. Il posa sa tête sur l’épaule si frêle. Il ferma les yeux. Tout était fini. Asil était redevenu lui-même.

Derrière eux, Bran s’était approché, les mains contractées sur le chambranle en métal. Il avait assisté à la scène avec une extrême angoisse. Son fils lui tenait un poignet. Charles lui avait dit d’attendre mais il n’avait pas confiance. Il désirait tellement la protéger.

-Je ne sais pas le pourquoi du comment on a eu le miracle de la pêcher celle-là, mais il faut que tu la gardes, Bran, le prévint Mercy.

Le vieux loup se tourna vers sa fille adoptive. Celle-ci lui souriait. Elle avait gardé son innocence d’antan. Il lui rendit son sourire complice.

-Il semblerait effectivement que cette oméga soit plus indispensable que prévu.



Mot de l'auteur


Encore merci de me suivre dans ce troisième chapitre. Voilà, Rosalie est une louve-garou! C'est le premier pas vers ses aventures. Alors, il y a des références à d'autres tomes mais j'essaie vraiment de rester le plus possible cohérente avec le monde de Patricia Briggs. J'ai hâte de lire le prochain Alpha et Omega. D'ailleurs, j'aurai peut-être du mettre que c'était un crossover avec les deux titres. Je n'y ai pas pensé quand j'ai créé la page de la fanfiction.

Encore merci pour la lecture et à la semaine prochaine!

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