Territoire

Chapitre 2 : Chapitre deux

9017 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/03/2024 19:46

Chapitre deux

 

 

Rosalie n’en revenait toujours pas. Elle détaillait discrètement ce Bran Cornick depuis son siège. Elle avait pu constater l’immense respect que les loups-garous lui octroyaient quand elle était entrée dans la salle de réunion. Malgré tout, elle ne comprenait pas comment ce petit rouquin pouvait être le Marrok. L’ancienne collègue de James lui avait expliqué qu’il était l’alpha des alphas, le chef de toutes les meutes d’Amérique.

Bran était moins impressionnant que les autres en taille et en masse. Sa voix était douce, presque chantante. Sa peau semblait délicate. Rosalie imagina la fine texture sous ses doigts, peu résistante aux coups de griffes ou de crocs. Les mèches flamboyantes trop longues lui donnaient un air malicieux, pas vraiment charismatique. Il était un bon petit gars. Comment faisait-il pour plier à sa volonté ces grands gaillards ?

Son regard croisa celui du jeune homme. Elle sentit des frissons désagréables monter le long de sa colonne. Elle ne baissa pas son regard pour autant. Elle fit mine d’observer le reste de l’assemblée. Rosalie détestait perdre du terrain. Si elle s’était soumise, elle aurait eu l’impression de lui céder quelque chose. Finalement, elle comprenait peut-être pourquoi il était le maître ici…

-Bien ! Nous pouvons commencer !

Les murmures cessèrent à l’intervention du Marrok. Quand ce dernier parlait, les loups écoutaient. Le silence immédiat mit mal à l’aise Rosalie. Bran n’avait pas crié ni ordonné. Il avait simplement pris la parole en forçant légèrement le ton. Tous s’étaient exécutés dans la seconde. Elle n’avait jamais réussi à un tel résultat dans ses classes.

Elle posa les mains autour de la tasse de thé offerte un peu plus tôt. La chaleur bienfaisante la rassura. C’était une sensation familière. Elle lui permettait de ne pas perdre pied dans cette situation surnaturelle.

Son geste n’échappa pas au regard acéré de Bran. Il sentait sa crainte. Quelqu’un dans la pièce la déstabilisait. Cette jeune femme ne manquait pourtant pas de courage, il le reconnaissait bien volontiers. Il esquissa un sourire en songeant à sa réplique de tout à l’heure

« Dois-je partir à la chasse seule ? ».

C’était assez amusant d’imaginer une humaine chasser un fae. Une créature si faible si fragile mettre à terre un être puissant était tout à fait risible et absurde.

Pourtant, à cet instant, l’humaine essayait de cacher ses états d’âme. Et Bran ne supportait pas de la voir agir en lapin apeuré. Il serra le poing droit sur la surface de la table. Il espérait que son geste était discret. Il était l’objet de l’attention de tous. Il devait se comporter en chef. C’était le poids de ses responsabilités. Il n’avait jamais failli à son devoir. Du moins, jusqu’ici.

Cette femme, cette étrangère, éveillait quelque chose en lui. C’était une chose oubliée, enfouie loin dans son cœur. Et surtout, c’était quelque chose de dangereux. Le vieux loup n’en comprenait pas la cause. Pourquoi elle ? Pourquoi aujourd’hui ? Les réponses étaient de peu d’importance. Seul comptait l’avenir de siens et les manigances des faes.

Ses iris avaient dû changer de couleur. Son loup grondait en lui. Garder le monstre. Cacher sa nature. Il baissa légèrement les paupières et pencha la tête en signe d’écoute. Il était inutile d’inquiéter qui que ce soit pour l’instant. Bran céda la parole à sa fille de cœur.

-Mercy, explique-nous donc ce que tu m’as raconté un peu plus tôt dans la soirée.

La jeune femme aux traits amérindiens inclina la tête en signe de respect. Elle se tint droite sur sa chaise et promena son regard sur l’assemblée. Elle s’assurait de leur attention. Son regard franc n’exprimait que la vérité.

-Un des loups de la meute, Ben, m’a téléphoné vers dix-neuf heures. Il m’a informée qu’un fae aquatique attaquait sa voisine. C’était à peine détectable mais il a pu sentir son odeur en se concentrant. Sa voisine lui avait envoyé un message peu avant d’entrer dans la maison. Ben désirait me prévenir avant de se transformer. Il voulait aller à son secours. Je lui ai demandé d’attendre mais il n’a rien écouté. J’étais encore au garage et Adam était toujours à son travail. Comme j’étais la plus proche, j’ai filé chez Ben. Quand je suis arrivée, la maison était en ruine. Ben était légèrement blessé et sa voisine également. Par contre, le mari n’a pas eu cette chance…

-Et les enfants ?

-Disparus ! Apparemment, elles ont été enlevées par le fae.

-Il y avait deux faes ! 

Tous les visages se tournèrent vers l’impudente humaine qui avait osé prendre la parole. À certaines mines renfrognées, Rosalie comprit que sa présence n’était guère désirée. Elle serra un peu plus fort la tasse pour se donner du courage. Elle s’efforça de garder la tête haute malgré sa peur. Elle avait parfaitement conscience que n’importe qui dans la pièce était capable de la dévorer toute crue.

La salle était spacieuse. Chacun autour de cette table avait une place. Cette nervosité tangible ne venait pas du fait de l’inconfort de la pièce. C’était autre chose. Rosalie le sentait. Elle percevait souvent les changements d’humeur de ses interlocuteurs et agissait toujours en fonction. Son père avait l’habitude de dire que Rosalie avait le don d’empathie. La jeune fille n’aurait su se prononcer quant à cette faculté. Elle écoutait son instinct, un point c’était tout.

Ce soir, elle se concentra sur ce que ce dernier lui murmurait. Elle inspira profondément et se lança.

-Il y avait bien un fae aquatique. Il était grand, bleu, laid et lançait des jets d’eau acide. Mais il y avait quelqu’un d’autre. C’était une petite fille. Enfin, j’ai cru que c’était une petite fille, rectifia-t-elle.

-A quoi ressemblait-elle ? demanda Mercy, soudainement très intéressée.

-Elle était petite, la peau blanche. Elle avait deux couettes blondes. Elle semblait si jeune mais sa façon d’être était celle d’une adulte. Et puis, je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé. Elle a dit qu’elle avait mes filles. Ensuite, elle a simplement disparu. Et il y avait un trou dans le mur à la place de Coralie et de Jamila.

La mère ne put empêcher sa voix de trembler en évoquant son impuissance. Elle aurait dû être plus forte. Elle avait échoué à les protéger. Elle avait laissé son mari mourir pratiquement sous ses yeux. Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle les chassa d’une caresse des doigts. Tu pleureras plus tard, s’ordonna-t-elle. Pour l’heure, elle devait tout faire pour sauver ses puces.

Rosalie ne s’était pas aperçue immédiatement du silence pesant installé dans la salle. Les visages étaient de plus en plus tendus. Certains loups avaient les yeux dorés. Ses poils se dressèrent sous la tension régnante.

-Que comptes-tu faire, Marrok ? questionna un homme d’une voix rauque.

Bran s’appuya sur le dossier de son siège. Il semblait tranquille mais il n’en était rien. Lui aussi, il tremblait sous l’émotion. Il posa son regard sur chacun afin de reprendre le contrôle.

-Je vais agir évidemment.

-Comment ?

-Nous ne pouvons laisser impunément les faes chasser sur nos terres, lança un autre. Nous considèrent-ils trop faibles pour nous interposer ? Cette femme doit récupérer sa progéniture.

-Nous ferons en sorte que cette dame récupère les siens et les venge. Ne vous inquiétez pas, assura Bran d’une voix calme.

-Comment ?! intervint une nouvelle fois Rosalie. Comment allez-vous les retrouver ? Vous ne semblez pas plus inquiet et en aucunement compatissant. Je veux votre promesse que vous mettrez tout en œuvre pour les retrouver. Et j’exige faire partie de vos plans.

Des murmures approbateurs ponctuèrent son intervention. Personne n’avait le sens de la famille plus développé qu’un loup-garou. Entendre une mère revendiquer la chasse les confortèrent dans leur idée.

-Silence ! hurla le Marrok. JE suis le chef, ici. JE prends les décisions. Je vais entendre le témoignage de cette femme. Seuls mon fils, sa femme, Adam et Mercy resteront près de moi. Quant aux autres, je vous ordonne d’aller courir dans la forêt. Nous rediscuterons de notre plan quand vous serez calmés.

Tous obéirent sans protestation. Rosalie entendit des grognements et des craquements d’os. Elle comprit que certains n’avaient pas attendu d’être dehors pour se transformer. Ce bruit la fit frissonner. C’était une sensation très désagréable.

Enfin au calme, la jeune femme sentit la pression diminuée. Au lieu de l’apaiser, ce vide ne fit qu’accroître cette impression d’impuissance et cette perte au fond de son être.

Anna, la belle-fille de Bran, lui caressa doucement le dos. Immédiatement, elle se sentit mieux. Les mains fines et blanches lui transmirent de la chaleur et du bien-être. En remerciement, Rosalie lui offrit un simulacre de sourire.

-Bien, maintenant madame, j’aimerais vous poser quelques questions.

-Si vous voulez, répondit difficilement l’humaine.

-Quel est votre métier ?

-En quoi cela va-t-il aider mes filles ?

-Répondez simplement à la question, s’il vous plaît ?

Les yeux verts étaient chaleureux. La voix chantante ordonnait avec compassion. Pour la première fois depuis son arrivée, Rosalie Jansen regardait vraiment Bran Cornick. Elle songea que ses taches de rousseur le rendait mignon, adorable. Les mèches rousses lui donnaient un air sauvage, intrépide. Il n’était pas particulièrement beau avec ce corps malingre d’adulte à peine sorti de l’adolescence. Pourtant, un charme indiscutable se dégageait de lui. Pendant tout le temps qu’elle le détaillait, il n’avait pas cligné des yeux, attendant qu’elle se plie à son exigence. Elle vit de la détermination dans ce regard.

Et derrière lui, pensa-t-elle, il y a le loup le plus puissant d’Amérique

Elle inspira lentement. Elle savait qu’il ne céderait pas. Elle décida d’entrer dans son jeu et de voir où cela la mènerait.

-Je suis professeur d’anglais dans le lycée des Tris-Cities.

-Comment se déroulent vos cours ?

-Plutôt bien.

-Quels sont vos rapports avec vos collègues, vos élèves ?

-Je pense que je suis plutôt appréciée par mes élèves. Si je le leur demande gentiment, ils font leur travail. Parfois, ils rechignent un peu mais une petite discussion et tout roule. Quant à mes collègues, je n’irais pas jusqu’à dire que nous sommes amis mais tout se passe bien.

-On peut vous forcer à faire ce que vous ne voulez pas ?

-Non. C’est pour ça que les rares fois où j’ai un souci c’est quand je refuse de faire quelque chose qui me semble incorrecte.

-Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?

-Ce sont des questions très intimes, dit-elle de nouveau sur la défensive.

-Je comprends votre désarroi, soyez-en assuré. Mais j’ai besoin d’avoir ces réponses quand il arrivera.

-Qui doit arriver ? demanda son fils, soudain intéressé par la conversation.

Brusquement la porte s’ouvrit. Un homme au teint mat et très grand pénétra dans la pièce. Il exhiba un petit morceau de papier.

-Alors, c’est ton nouveau moyen de communication ? Un petit mot doux griffonné à la va vite comme une collégienne.

Subtilement, ce vieux fourbe d’Irlandais avait transmis un message et l’avait donné à un des loups qui sortaient. Dans une volonté de discrétion, il n’avait pas émis la demande à haute voix.

-Asil, mon vieil ami, accueillit le Marrok sans relever la boutade. Viens donc t’asseoir près de moi. J’avais justement posé une question à madame…

-Jansen. Je m’appelle Rosalie Jansen, se présenta-elle en inclinant la tête.

-Appelez-moi simplement Asil. Ou le Maure si vous aimez les petits surnoms.

Le nouveau venu dit cette tirade en dévoilant ses dents blanches en un sourire carnassier. Il se pencha en avant dans une révérence grotesque totalement en décalage avec ce qu’il ressentait vraiment.

-Je ne comprends toujours pas ma présence ici. Je croyais que tu étais en réunion et sur le pied de guerre avec tout ce qu’il se passait. Pas que tu faisais la causette à une humaine, aussi charmante soit-elle.

-Cette humaine, comme tu dis, a tenu tête à un fae aquatique et est encore là pour en parler sans pratiquement la moindre égratignure, expliqua Charles en décroisant les bras.

Le fils du Marrok avait un petit différend avec le Maure. Même si leur relation était redevenue amicale, l’Espagnol ne manquait jamais une occasion de taquiner Charles. Il n’acceptait toujours pas que ce dernier soit plus dominant et donc plus haut dans la hiérarchie lupine. De ce fait, le jeune homme était toujours sur ses gardes en sa présence.

Les doigts fins de sa femme se nouèrent aux siens. Par ce geste, Anna lui communiquait sa compréhension et son soutien. Il n’était plus seul. Il avait une compagne. Et ça, c’était le plus grand miracle de sa vie.

-Oh ! oh ! commenta Asil. Là, j’avoue que ça devient intéressant. Et le chacal et son ma…

-Coyote, lâcha Mercy d’une voix glaciale.

-Pardon ? s’énerva l’Espagnol.

-Je suis un coyote, pas un chacal.

-C’est la même chose, ma fille.

-Non, pas du tout.

-Je vous prie de cesser d’insulter ma femme, monsieur Asil, intervint Adam avec une lueur dangereuse dans le regard.

Mercy était une femme indépendante. Elle n’aimait pas que son mari arrive sur son cheval blanc pour la sauver. Contre le dos de sa main, elle sentit la cuisse d’Adam frémir. Elle se connecta à son lien de couple caractéristique chez les loups-garous. C’était un moyen de communiquer par la pensée entre ceux qui s’aiment.

Mercy avait d’abord été mal à l’aise d’utiliser ce moyen afin de connaître les sentiments de son mari. Elle n’avait jamais été douée dans les relations affectives. Depuis qu’elle avait franchi le pas avec Adam et qu’elle lui avait ouvert son cœur, elle connaissait l’allégresse d’aimer et d’être aimée en retour, d’être acceptée pleinement.

À cet instant, Adam Hauptman prenait pour une insulte le comportement de ce loup envers sa bien-aimée. Son loup réclamait réparation. Mercy ne connaissait pas très bien Asil. Il était arrivé un peu avant qu’elle ne parte. Elle s’en rappelait comme un vieux loup provocateur et solitaire. Un loup qui attendait sa mise à mort faute de pouvoir le faire lui-même. Mais la jeune femme était lucide sur la situation : Adam ne battrait jamais le tristement célèbre Maure.

Doucement, elle caressa la cuisse de son mari. À travers leurs liens de couple, Mercy chercha à l’apaiser.

-Merci de prendre soin de moi, mon amour. Mais ce n’est ni lieu ni le moment pour défendre l’honneur de ta princesse.

Adam ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Sa femme avait toujours le mot pour rire. Son loup se calma également. Sa femelle le flattait et reconnaissait sa bravoure. C’était suffisant pour le moment.

-Sachez que notre présence est indispensable, reprit-il d’une voix plus calme. Cette agression s’est déroulée sur mon territoire.

Ce dernier mot en disait long sur les représailles à venir.

-Bien ! Bien ! Donc, ta petite famille est presque au complet. Il ne manque plus que le doc et tout serait parfait, dit-il en s’installant sur sa chaise.

-Excusez mon ami pour sa grossièreté, madame Jansen. Mais, je vous assure que sa présence est indispensable. J’aimerais maintenant que vous nous expliquiez pourquoi vous avez choisi votre métier actuel. Professeur d’anglais, n’est-ce pas ?

-Oui, dit-elle en hochant la tête.

Rosalie avait suivi l’altercation la bouche sèche. Elle avait caché ses mains sous la table et les serrait l’une contre l’autre à s’en faire blanchir les phalanges. Elle cherchait à contrôler son anxiété. La jeune femme n’était pas stupide. Elle sentait la nervosité des loups présents et avait peur que cela ne dégénère à tout instant.

-Mon père est anglais et ma mère indienne. J’ai vécu un temps en Angleterre avant de venir ici. À cause de mon métissage et de mes déménagements, j’ai toujours été une étrangère. Je ne dis pas que j’étais malheureuse car des gens biens étaient toujours là pour moi, à commencer par mes parents. Mais, j’ai songé à ceux qui n’avaient pas ma chance, ceux dont les parents étaient indifférents. Je veux les aider à s’épanouir, à être indépendant, à s’ouvrir à la vie. Nous sommes tous différents. Pourquoi cela devrait-il être un crime ? Au contraire, nous devrions être fiers de ce que nous sommes peu importe nos origines. Je suis devenue professeur pour être un guide pour la nouvelle génération. Leur dire que quelqu’un est là et les écoute. Voilà !

Pendant son discours, le sourire suffisant d’Asil s’effaça. Il se redressa sur sa chaise et posa ses mains à plat sur la table. Il semblait pendu à ses lèvres. Bran ne put cacher son petit sourire victorieux.

-Alors, mon vieil ami, qu’en penses-tu ?

-C’est impossible. Ils sont si rares. Et tu dis que des faes s’en sont pris à elle.

-À sa famille plus exactement. Ils ont tué son époux et enlevé ses filles.

-Comment ont réagi tes loups ?

-Ils ont hurlé à la mort et réclamé le sang de ses ennemis.

-Tu m’étonnes ! ironisa le Maure.

-Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer ce qu’il se passe ? Nom d’un chien ! s’énerva Rosalie.

-Asil vient seulement de se rendre compte que vous êtes une Omega, lui sourit gentiment Anna.

Ces mots auraient dû servir d’explication. Toutefois, Rosalie n’était pas coutumière du vocabulaire utilisé par les loups-garous. Elle ne comprenait pas ce que ça impliquait. Elle lança un regard circulaire dans la pièce, cherchant le déclic qui lui manquait chez chacun d’entre eux.

-Madame, interpella Bran, ce que nous essayons de vous dire c’est que vous êtes spéciale.

-En quoi ? Je suis humaine et je n’ai pas de pouvoirs magiques.

Intéressant, remarqua pensivement le Marrok. Elle en parle comme si elle savait que la magie autre que celle des faes existait. Or, les humains lambdas ne sont pas censés en connaître l’existence.

-Vous dégagez une aura particulière. Vous êtes altruiste et compréhensive. Les gens essayent de vous faire plaisir. Vous pouvez apaiser les querelles. Si vous étiez une louve, vous n’auriez pas besoin de vous plier aux lois de la meute. Vous seriez en quelque sorte en dehors sans pour étant en être étrangère. Vous auriez le rôle de conseillère. Mes loups réagissent ainsi car instinctivement ils savent que vous êtes spéciale et très rare. Ils veulent vous protéger à cause de cette rareté. Alors, quand vous exprimez ouvertement votre désir de chasser l’ennemi, ils veulent vous suivre dans votre folle entreprise.

-Je…

Rosalie n’en revenait pas. Spéciale ! Elle était spéciale ! Elle savait qu’elle avait toujours eu une sensibilité et une empathie fort développées mais pas à ce point.

L’Anglaise se gifla mentalement. Ce n’était pas le moment de s’extasier sur ses possibles pouvoirs. Elle avait une mission et ce vieux loup rusé cherchait à détourner son attention sur ce qui était important. Elle releva ses yeux noisette et les fixa sur le rouquin. En un éclair, elle comprit qu’elle avait raison. Ce vieux roublard semblait content de la tournure de la conversation.

Rosalie ne laisserait pas faire. Pas quand la vie de ses enfants, ses petites princesses, était en jeu ! Elle pencha la tête en un tic nerveux. Ses paupières se plissèrent. Bran leva les sourcils. Il réalisa que la joute verbale n’était pas terminée. Bon dieu ! Que ces femelles omegas étaient obstinées !

-Et pour mes enfants ? Je ne vois pas en quoi être ou non une Omega va aider mes enfants. Je vous le demande pour la dernière fois : dois-je partir à leur recherche avec ou sans vous ?

-Ni l’un ni l’autre, madame. Tout simplement parce que vous ne partirez pas.

-Quoi ?!!

-Nous avons affaire à des faes. Vous êtes sans défense face à ce genre de créatures.

-J’ai su tenir tête à la créature du marais.

-Dix minutes et encore, avec l’aide d’un de nos loups. Sans lui, vous seriez morte.

-La mort d’un humain de plus vous indiffère. Ne me faites pas croire le contraire. Il s’agit de MES enfants. Vous ne m’écarterez pas !! hurla-t-elle en se levant subitement, les mains à plat sur la table.

La tasse se renversa. Le sombre liquide macula la table blanche. Tout le monde s’en moqua. Sauf peut-être la femme de ménage quand elle viendrait nettoyer demain matin.

-Madame, répondit Bran en perdant son ton suave, je refuse de mettre des vies en danger, quelles qu’elles soient. Je comprends votre détresse mais il est hors de question de vous mêler à cette traque. Ceci ne regarde que les loups-garous et personne d’autre.

-Alors faites de moi un loup-garou !

-Non !

-Pourquoi ? Je pourrais vous être utile si je suis spéciale.

-J’ai dit non ! ordonna Bran en usant de son pouvoir d’Alpha.

Tous les loups présents inclinèrent la tête. Seules Anna-grâce à son statut d’Omega- et Mercy -vu qu’elle n’était pas une louve- échappèrent à la magie de la meute. Quant à Rosalie, elle ne se laissa pas déstabiliser par cette attitude mordante. Concentrée sur son adversaire, elle ne remarqua pas la position soumise des mâles présents. Elle n’hésita pas un seul instant à le défier du regard. Elle avait peur. Ses mains tremblaient. L’humaine était parfaitement consciente du rapport de forces inégales entre eux ainsi que de la bête nichée derrière ce masque avenant. Pourtant, elle refusa de plier. Elle ne pouvait se permettre de perdre cette bataille.

-Pourquoi ? demanda-t-elle une nouvelle fois en articulant chaque syllabe.

-Tout le monde ne survit pas à la transformation. Encore moins les femmes.

-Je suis prête à prendre le risque.

-Et bien pas moi !

Bran se leva. Les loups s’agenouillèrent en même temps. Ils montrèrent leur cou en signe de soumission, espérant ainsi adoucir l’humeur de leur chef. Le Marrok ne leur jeta pas un regard. Il fusilla cette femme de ses iris devenus dorés. Elle lui ressemblait trop. Ses gestes, son aspect, cette manière de le défier, elle lui ressemblait vraiment de trop. Et il ne supporterait pas de la perdre une nouvelle fois à cause de son entêtement.

Bran fronça les sourcils. Il divaguait. Cette femelle ne lui appartenait pas. Elle n’était pas son grand amour. Son compagnon était quelque part dans l’un de ses frigos, mort en la protégeant. Cette femme, malgré son impudence, cherchait juste à venger sa mémoire. Elle lui était encore fidèle. Elle portait sa marque à son annulaire. Ses cheveux empestaient son odeur. De plus, lui-même avait une compagne qui l’attendait dans sa demeure. Les loups-garous n’étaient pas du genre volage. Et il ne comptait pas le devenir.

Subitement, son loup s’agita en lui. Il voulait la posséder. Il la désirait. Son intrépidité lui plaisait. Bran ferma une seconde les paupières, cherchant à dominer la bête. Il lui fallait gagner du temps.

-Anna, dit-il d’une voix rauque. Conduis, Mme Jansen à ses appartements. Je dois retourner chez moi voir Leah. Nous nous retrouverons tous ici-même dans deux heures pour discuter de la suite des événements.

-Mais, mais… tenta Rosalie.

Le Marrok sortit sans un mot en claquant la porte. Les autres loups, qui s’étaient entre-temps remis de la puissance de leur Alpha, échangèrent des regards lourds de signification. L’unique humaine se sentit mise à l’écart. Elle n’aima pas cela. Elle était un être pensant au même titre qu’eux à défaut d’être leur égale sur le plan physique. Elle était une mère déchirée, une veuve récente. Elle était fatiguée de tous ces secrets, ces messes basses. Rosalie aurait tant aimé se coucher aux côtés de son mari comme tous les soirs.

Oui, mais ça c’était avant, comme dirait la pub. En quelques heures, ma vie a changé. Je ferais bien mieux de l’accepter.

Malgré la douleur, Rosalie Jansen savait qu’elle l’accepterait. Toutefois, ce n’était pas suffisant. Elle devait changer davantage. Elle devait muter en autre chose.

Rosalie s’approcha d’Asil. Cet homme lui avait paru un peu fou et enclin à désobéir au règlement. De plus, elle s’imaginait mal faire sa demande devant les compagnes et compagnons présents. Certains auraient pu mal interpréter ses prochaines paroles.

-Mordez-moi ! ordonna-t-elle à l’Espagnol en lui présentant son avant-bras.

-Excusez-moi, ma p’tite dame.

-Je veux devenir un loup-garou. Peu importe ce qu’en pense l’autre râleur. Alors, mordez-moi !

Asil ne put s’empêcher de pouffer. Il n’était pas le seul. Peu de personnes auraient eu le cran d’appeler Bran de la sorte. Décidément, ce petit bout de femme lui plaisait de plus en plus. Elle possédait beaucoup de courage et de détermination pour une humaine. Sans compter son côté Omega.

Gentiment, le Maure secoua la tête négativement.

-Je suis désolé ma p’tite dame. Les ordres sont les ordres. Je ne peux passer outre. Mais même si je le pouvais, je serais incapable de vous mordre. Il est très difficile pour un loup-garou d’attaquer un Omega. Il faudrait qu’il soit fou de colère ou fou tout court.

La jeune femme ne cacha pas sa déception. Tous ses espoirs étaient anéantis en quelques mots. Elle ne pourrait pas demander à un autre loup. Elle avait été témoin de leur soumission quand Bran leur avait demandé de sortir.

La mort dans l’âme, elle suivit Anna jusqu’à une chambre dans un complexe vacancier. Il y avait un unique étage au chalet de bois et que des chambres. Il était réservé aux visiteurs ou aux loups étrangers lors des réunions officielles. Ce bâtiment n’avait rien de chaleureux. Il était juste fonctionnel. Les chambres comportaient un lit aux draps blancs, une table de nuit et une petite commode. Cette banalité affligea davantage Rosalie. Tout cela renforça son sentiment d’être une étrangère dans ces lieux.

-Ne vous inquiétez pas, dit Anna avec douceur, je suis sûre que Bran trouvera un moyen de ramener vos enfants.

Rosalie se contenta de hocher la tête. Elle n’avait pas l’air très convaincue par ces paroles.

La belle-fille du Marrok, de part son côté Omega, souffrait du désespoir de leur invitée. Elle hésitait à l’abandonner seule dans cette chambre. D’autant plus que rien n’était résolu. Elle n’avait jamais assisté à un tel relâchement de la part de son beau-père. Était-ce à cause de l’apparente fragilité de la jeune femme ou à cause d’autre chose ? Le fait était que Bran s’était comporté bizarrement. Et que son devoir en tant qu’Omega était de rassurer Mme Jansen. Car, elle le savait, Bran n’avait pas choisi Anna au hasard. Il comptait sur elle pour apaiser la mère esseulée avant une nouvelle catastrophe.

Anna s’approcha de Rosalie qui venait de s’asseoir sur le lit. Ainsi rabattue sur elle-même, elle semblait si petite. Sans y être invitée, Anna s’assit à ses côtés et lui frotta le dos de manière réconfortante. À travers ses doigts, elle diffusa un peu de sa propre magie. Elle se concentra grâce à son don d’empathie sur les sentiments de Rosalie. Elle s’arrêterait quand cette dernière serait enfin en paix.

-Arrêtez ça !

-Je ne veux que vous aidez, répondit très calmement Anna.

-Je sens que vous me faites quelques choses. Je me sens moins épuisée mais je veux que vous arrêtiez.

-Il faut que vous vous reposiez. Vous avez besoin de sommeil. Demain, tout sera plus clair dans votre tête. Vous verrez…

-Arrêtez, je vous dis !

Rosalie s’écarta de l’Omega. Elle frotta ses bras comme si elle avait froid.

-Vous ne comprenez pas. J’ai besoin de ma douleur. Elle est ma force dans ce combat. Sinon, je risque de m’appuyer sur vous pour les retrouver. Et ça, je ne le veux pas. Mes filles ont besoin de moi et de personne d’autre.

Anna comprenait ça. Cette femme était plus louve qu’humaine. C’était étrange. D’habitude, les Omegas ne sont pas aussi vindicatifs. Enfin, d’après son peu d’expérience en la matière. Elle n’avait jamais rencontré qu’un seul autre Omega dans toute sa vie. Et il menait plutôt une vie tranquille au sein de sa meute.

-Vous pouvez compter sur nous, insista la jeune femme.

-Que feriez-vous, vous, si votre compagnon était mort et vos enfants arrachés à votre foyer ?

-À mort, aboya sa louve au fond d’elle.

Il était rare que cette dernière s’exprime avec des mots. D’habitude, elle partageait ses émotions ou son ressenti. Mais, Anna ne pouvait qu’être d’accord avec elle. Si quelqu’un tuait son Charles, elle se baignerait dans son sang en guise de représailles.

Anna n’avait pas d’enfants, et n’en aurait sans doute jamais. Les louves-garous perdaient systématiquement les fœtus à chaque transformation. Aucune d’entre elles ne pouvait échapper au chant de la pleine lune chaque mois. Elles auraient pu rester louve jusqu’à la fin de la grossesse si la transformation n’influait pas sur leur état d’esprit. Rester sous forme de loup trop longtemps permettait de libérer la bête en eux. Elles devenaient alors des êtres sanguinaires incapables d’aimer, même leur propre enfant.

Anna avait un doute sur ce dernier point. Sa louve était douce et communiquait régulièrement avec elle. Elle était persuadée que cela pouvait marcher. Mais Charles ne la laisserait pas faire. Blesser son mari était la dernière chose qu’elle désirait. Et leur restait l’option de l’adoption. Se lancer dans une entreprise si ardue pour qu’un jour quelqu’un vous enlève ce petit être aimé était une idée insupportable pour Anna.

Donc oui ! Elle pouvait comprendre cette femme. Elle partageait son sentiment de vengeance. Mais elle appartenait aussi à une meute. Elle ne pouvait prendre des décisions seule. Elle était pieds et poings liés dans cette affaire.

La louve se rendit compte que Rosalie attendait toujours la réponse. Elle l’observait de ses grands yeux embués. Cette femme possédait décidément une volonté de fer. Elle se retenait de pleurer ou de céder à sa souffrance même en de pareilles circonstances. Elle aurait fait un bon loup. Si seulement on lui en laissait l’opportunité.

-Je vais vous laisser vous reposer. Demain, il y aura encore beaucoup de discussions. Vous devez réfléchir à tout posément afin de nous en expliquer les moindres détails.

-D’accord…

-Bonne nuit, Mme Jansen.

-Bonne nuit…

Un parfum s’éleva soudainement dans la pièce. Anna n’aurait pu en déterminer la fragrance. Il était trop léger pour que Rosalie s’en aperçoive. Une attaque ? Un ennemi fae ? Un mauvais sort ? Anna sentit que l’odeur se dirigeait vers son invitée. Sans s’en rendre compte, Rosalie la huma et ferma les yeux une fraction de seconde.

-Bonne nuit, Anna Cornick. Dites à votre mari, Charles de ne pas s’inquiéter pour son père. Ils ont promis de veiller sur lui.

-Ils ? De qui parlez-vous ?

-Charles saura.

Dubitative, Anna ferma la porte, laissant seule leur invitée. Il y avait trop de mystère dans cette affaire, trop de choses sous-entendues. Et les secrets, Anna détestait ça. C’étaient à cause des secrets de son mari qu’elle avait failli le perdre. Son cœur se serra au souvenir de cette distance entre eux, de leur lien de couple fermé. Sa décision était prise. Elle aurait une petite conversation avec Charles au sujet de son père et de ce « Ils ».

 

 

Bran Cornick entra chez lui. Il sentit immédiatement l’odeur du vin. Il grimaça. Il détestait cette odeur. Quand il pénétra dans le salon, il vit Leah lire un magazine, un verre de vin rouge à la main. Elle le buvait juste par plaisir. L’alcool et les drogues n’avaient aucun effet sur les loups-garous. Leur métabolisme était tel qu’ils évacuaient rapidement les toxines. N’empêche que cela lui donnait un air vulgaire.

Bran n’avait jamais vraiment aimé sa compagne. Elle était juste un moyen pour contrôler la bête en lui. Il n’arrivait plus à dominer ce loup beaucoup trop sauvage. Il aurait tant aimé pouvoir communiquer avec cet autre lui comme son fils Charles le faisait. En même temps, Charles n’avait jamais été humain. Il est né loup-garou. Cette chose était née avec lui et était donc son « frère ». Peut-être n’arrivait-il pas à dominer la bête parce qu’il la percevait comme une chose étrangère qui envahissait son corps. Voilà une théorie qui mériterait plus d’approfondissement.

De nouveau, il sentit le monstre s’agiter. Il avait faim. Il voulait posséder. Il voulait prouver sa virilité.

Bran s’avança vers Leah. Il lui arracha le verre des mains et le déposa sur la table basse la plus proche. Sa compagne lui lança un regard courroucé. Elle détestait quand il lui imposait des actions ou la privait de certaines choses.

-Je pensais que tu rentrerais plus tôt de chez ton fils.

Elle prononça ce dernier mot avec dégoût.

-Tu n’es pas au courant ? Il y a des soucis avec des faes. Nous sommes sur le pied de guerre.

-Que fais-tu ici dans ce cas ? Retourne donc faire mumuse avec tes petits soldats.

-Je voulais juste rassurer ma petite femme de mon absence, ironisa-t-il.

Il se coucha sur elle, la recouvrant de son corps. Ses mains se faufilèrent sous ses vêtements tandis que sa bouche prenait possession de ces lèvres maculées de vin. Le goût en était amer.

Comme notre « amour », songea l’homme. Je suis sûr que si elle pouvait me tromper sans se faire prendre, elle le ferait. Uniquement pour me blesser.

Leah fit mine de résister. Elle n’aimait pas quand il la forçait. Elle détestait être en son pouvoir. Mais elle ne put retenir un gémissement de plaisir. Bran était indéniablement un amant merveilleux.

 

 

On frappa à la porte.

Rosalie ouvrit lentement les yeux. Depuis quand était-elle allongée sur ce lit ? Elle avait dû s’endormir, épuisée comme elle l’était. Elle s’assit difficilement. La tête lui tournait. Elle n’avait pas suffisamment récupérer malgré cet assoupissement.

Le bruit à la porte se répéta avec davantage d’impatience. Rosalie rassembla ses forces et s’obligea à bouger. Elle se leva et marcha lentement vers l’entrée de la chambre. Ses pas étaient lourds. Son corps désapprouvait les mauvais traitements des dernières heures.

Et ce n’est pas encore fini, se dit-elle en fronçant le nez.

Rosalie imaginait la douce Anna ou le froid Charles ou encore le désagréable Bran debout sur le seuil. Elle ne s’attendait pas du tout à ce genre de visiteur.

Asil semblait trop grand pour cette porte. Ses cheveux touchaient presque le chambranle du haut. Il était très impressionnant dans ce petit encadrement.

-Bonjour m’dame !

Son sourire était beaucoup plus chaleureux que la veille. Son amabilité était sincère. Rosalie en fut très perturbée. Elle ne savait plus sur quel pied danser avec ce loup.

-Bonjour, dit-elle d’une voix mal assurée.

La jeune femme se pencha légèrement et constata qu’il était seul. L’aube n’était pas encore là mais on pouvait sentir la fraîcheur de la rosée annonciatrice du matin. Cette visite devenait de plus en plus incongrue. Rosalie préféra attendre ce qu’il avait à dire. Elle s’efforça autant que possible d’être impassible. Elle refusait de paraître pour une hystérique sujette à des changements d’humeur incapable de garder la tête froide en pareilles circonstances.

-Je vous ai réveillée peut-être ?

-Euh… Non pas vraiment… Je … Ce n’était pas agréable…

-Je me doute qu’avec tous événements, ça ne doit pas être évident. Je vous propose une tasse de thé chez moi et un bon petit déjeuner.

-Une… une tasse de thé ? répéta la jeune femme en arquant un sourcil.

-Vous êtes Anglaise, non ? Le thé c’est votre dada.

-Oui, mais, ça n’a pas l’air d’être le vôtre.

Asil rit légèrement à cette remarque, comme si il s’y attendait.

-Vous croyez que je ne suis pas assez délicat pour apprécier ce genre de choses ? 

-Je ne me permettrais jamais ce type de jugement.

-Sachez, ma chère madame, que je m’occupe d’une serre. J’aime y faire pousser toutes sortes de plantes et en particulier les roses. Le thé que je vous propose est de ma composition. Alors tentée ?

Rosalie se pinça les lèvres. Cet homme était plus délicat que ne laissait entrevoir son apparence. Elle ne voulait pas le juger trop vite. Et puis, elle mourrait d’envie d’une tasse de thé.

-Avec plaisir. Allons-y !

Ils montèrent dans le 4x4 d’Asil. Son petit chalet n’était pas bien loin mais il était la maison la plus haute du village. Rosalie reconnut que la route était quand même assez raide. Rapidement, elle aperçut la bâtisse ainsi que l’énorme serre qui y était rattachée. Des plantes recouvraient la paroi de verre, une véritable jungle !

-Vous laissez les clés sur le contact ? s’étonna-t-elle en descendant.

-Je perds toujours mes clés et puis, ce n’est pas ici que quelqu’un me volera ma voiture.

Rosalie haussa mentalement les épaules. Si monsieur pensait être en sécurité dans ce village perdu, qui était-elle pour le mettre en garde.

L’intérieur de la serre était encore plus merveilleux que l’extérieur. C’était un véritable jardin d’Eden. Une petite table ronde en fer forgé avec deux sièges avait été aménagée dans un coin.

-C’est magnifique !

-Je suis content que ça vous plaise.

-C’est vraiment vous qui vous occupez de toutes ces merveilles ?

-Disons que j’ai besoin de mes fleurs autant qu’elles ont besoin de moi.

Rosalie pencha la tête. Cet homme était plus sensible qu’elle ne le pensait. Elle le trouva touchant.

-Monsieur Asil, pourquoi êtes-vous si gentil avec moi ?

-Appelez-moi simplement Asil. Disons que vous me rappelez quelqu’un. Et puis, je sais ce que c’est que de perdre l’être aimé.

Elle désirait davantage d’explications mais n’osait le questionner de peur de le blesser dans son intimité. Elle attendit sagement qu’il continue. Elle sentait qu’il allait se confier à elle. Son instinct le lui murmurait à l’oreille. Elle ne se trompa pas. Le loup se sentit gêné sous son regard et le fuit. Il fit mine d’arroser une plante l’air de rien. Rosalie se dit que c’était peine perdue quand son interlocuteur reprit la conversation en lui tournant légèrement le dos.

-Je… J’ai été marié autrefois, à une Omega. Ma femme était la plus belle et la plus douce de toutes. Elle était ma Compagne, celle qu’on ne rencontre qu’une seule fois. Quand je l’ai perdue, je suis devenu fou de chagrin. J’ai tué, massacré beaucoup de gens ne distinguant ni le bien ni le mal. Je suis venu ici pour que Bran me tue. Les loups-garous sont souvent incapables de mettre fin à leurs jours eux-mêmes à cause de l’instinct de conservation. Il n’a jamais pu. Depuis, je m’occupe de mes fleurs. Elles m’apaisent. Celles-là (dit-il en se saisissant d’une rose particulièrement splendide) étaient les préférées de ma femme.

Rosalie s’approcha et l’entoura de ses bras. Elle l’étreignit d’un geste amical à défaut de trouver les mots justes à cette histoire.

-Nous avons chacun perdu un être cher. Je suis désolée pour votre femme.

Asil était toujours surpris par la réaction des Omegas. Que lui avait-il pris de raconter son passé à cette humaine ? Il était sentimental mis pas à ce point ! Le vieux loup maudit son inconscience. Elle était une Omega même si elle était humaine.

-Je… Je vais préparer le thé.

Asil laissa la jeune femme seule parmi les plantes, le temps de récupérer ses esprits. Rosalie admira ces beautés florales. Leur parfum était si enivrant. Asil avait bien fait de l’amener ici. Elle avait l’impression d’être hors du temps, hors du danger.

Soudain, l’atmosphère changea. Un murmure lui parvint aux oreilles. Ils cherchaient à lui parler. Les esprits des fleurs voulaient lui dire quelque chose. Comme toujours, elle ferma les yeux et se concentra. Des clochettes retentirent. Rosalie se sentit guider par elle. Quand elle ouvrit les yeux, une immense barre de fer trônait à ses pieds. Sans savoir pourquoi, elle s’en saisit. Elle la tint à bout de bras, comme une épée. L’objet était lourd dans ses mains. Si la jeune femme décidait de l’utiliser comme une arme, elle en ferait des dégâts.

Il est très difficile pour un loup-garou d’attaquer un Omega. Il faudrait qu’il soit fou de colère ou fou tout court.

C’étaient les mots d’Asil. Ils lui étaient brusquement revenus en mémoire. Ou bien avaient-ils été chuchotés par une tulipe ? Rosalie se demanda si elle était capable d’énerver suffisamment son hôte avec cette barre. Elle n’était pas forte. Et son adversaire était grand. Il serait capable de la désarmer en un rien de temps. Ses yeux noisette vagabondèrent sur la jungle l’entourant. Elle s’arrêta sur les roses d’un rouge profond.

Celles-là étaient les préférées de ma femme.

Son cœur se serra. Elle avait de la peine pour sa future victime. Mais si elle désirait devenir un loup-garou, elle n’avait pas le choix. Elle entendit des bruits provenant de la cuisine. Asil n’allait pas tarder à revenir. Rosalie hésita.

Tout le monde ne survit pas à la transformation. Encore moins les femmes.

Bran était peut-être un vieux loup ronchon, Rosalie ne doutait pas de ses paroles. Elle se mordit les lèvres. Elle ne serait d’aucun secours à ses enfants si elle mourrait maintenant. Cependant, on lui avait fait bien comprendre qu’elle n’aurait pas voix au chapitre vu qu’elle n’était pas des leurs. Cette mise à l’écart lui était insupportable.

Je peux y arriver. Je suis forte. Ma volonté de sauver mes enfants m’aidera. Je dois penser à Coralie et Jamila. Pense à leurs frimousses, à leurs sourires. Maman arrive, mes chéries.

Rassurée, Rosalie resserra sa poigne sur le métal. Elle se cacha près de l’entrée de la serre. Quand Asil franchit le seuil, un plateau dans les mains, Rosalie le frappa de toutes ses forces sur la tête. Sous le choc, le loup-garou lâcha friandises, tasses et théière. La porcelaine se brisa en mille morceaux à ses pieds. Il ne tomba pas pour autant. Comme le craignait Rosalie, il était beaucoup trop résistant. Il se retourna le regard hagard.

Prise de panique, Rosalie le frappa une nouvelle fois au visage. Mais il restait résolument debout sur ses pieds. Réfléchissant à vive allure, elle se remémora les leçons de son maître en arts martiaux. Elle se baissa et brisa les genoux de son hôte. Asil tomba enfin.

-Pourquoi ? articula-t-il difficilement.

-Pardon, dit-elle d’une voix trop aigue. Mais sachez que vous pouvez déchaîner votre colère contre moi. Je suis fautive, je mérite une punition.

Elle s’attaqua aux plantes. Elle brisa tous les pots à sa portée ainsi que les vitres. L’air extérieur pénétra dans la serre risquant d’abîmer les feuilles les plus fragiles.

-Arrêtez, hurla Asil paralysé par ses genoux et quelque peu sonné.

La jeune femme persévéra dans son entreprise destructrice. Elle ne savait pas quand stopper ses gestes. Elle massacra les plantes ne se contentant plus des pots. Tout ça sous le regard impuissant de leur propriétaire. Enfin, elle arriva à proximité des roses. Elle leva son arme, prête à frapper. Elle savait que ce serait le coup de grâce.

-Arrêtez, ordonna-t-il de nouveau d’une voix rauque.

Rosalie se retourna. Elle constata que la transformation avait commencé.

-C’est bien Asil. N’oublie pas tout ce que j’ai fait. Il faudra me le faire payer.

-Non !

-Dans ce cas, je n’ai pas le choix.

Elle s’apprêta à frapper les roses rouges. Elle maintint la barre en l’air mais se contenta de briser légèrement le pot. Elle ne pouvait franchir cette limite. Cela aurait été bien trop cruel pour le loup-garou.

Ce dernier hurla à la mort. Rosalie sursauta de terreur. Elle en lâcha la barre métallique. Elle voulait le mettre en colère, c’était plutôt réussi. Les yeux d’Asil devinrent de plus en plus brillants. Ses os craquèrent. Des dents pointues et tranchantes apparurent aux coins de ses lèvres. Rosalie ne voulait pas mourir sous ses crocs. Il fallait donc que quelqu’un l’arrête avant le moment fatidique.

En évitant le monstre en devenir, Rosalie sortit de la maison. Elle trébucha à plusieurs reprises, à cause de sa peur. Elle ignorait de combien de temps elle disposait. Une fois dehors, elle hésita une courte seconde de la direction à prendre. Puis, ses yeux se posèrent sur le véhicule. Elle grimpa dans le 4x4 aussi vite que possible. Elle essaya de mettre le contact cependant sa nervosité l’empêchait d’avoir des gestes cohérents.

Calme-toi, ma fille, calme-toi. Tout va bien se passer. Respire. Respire

Un hurlement déchira le silence des bois environnants. Une peur primale lui oppressa la gorge. Elle savait ce qu’une proie ressentait et elle n’aimait pas ça, mais vraiment pas. Tremblante, la jeune femme se moqua de noyer le moteur ou non. Elle mit en marche le véhicule et fila vers le centre du village.

 

 

-Je comprends ta contrariété, Adam. Un fae est venu enlever un humain sur ton territoire mais je refuse d’avoir une guerre ouverte avec les faes.

-C’est pour cela que tu as fermé les yeux sur ces nombreux enlèvements, père.

Charles désapprouvait ouvertement les actions de son père. Comme promis, ils s’étaient tous retrouvés pour continuer la réunion. Sans la présence de l’humaine, les arguments pouvaient être présentés intelligemment. Bran contrôlait davantage la conversation. Il se sentait de nouveau maître en sa demeure.

-Nous n’avions pas de preuves concrètes de leurs agissements.

-Tu étais parfaitement au courant. Et je sais que certains Seigneurs Gris t’ont approché pour parlementer.

-Bran, les faes nous considère comme des êtres faibles s’ils pensent blesser en toute impunité les humains sur nos terres, renchérit Adam.

-Nous avons pour territoire que ce nous savons protéger. Cette maison était-elle à proximité de la tienne ?

-Non.

-Donc, tu étais trop loin pour les sauver.

-Oui.

-On ne peut pas vraiment dire que c’était à proprement parler sur ton territoire. Tout au plus, sur celui de ton loup. Je pourrais peut-être négocier le retour des enfants en avançant ce point. Il s’agit simplement d’un malentendu. Il n’y a pas eu de morts des deux côtés, fort heureusement.

-Et pour le mari de la femme ? demanda Anna choquée par les mots de son beau-père.

-Il arrive que les humains perdent la vie mais nous ne pouvons nous permettre une guerre avec eux. Il y aurait trop de morts. Je…

-Bran, l’interrompit Mercy, n’est-ce pas Asil qui possède un 4x4 motorisé diesel au nord-ouest du village ?

-Si pourquoi ?

-Lui arrive-t-il fréquemment de mal mener le moteur ?

Bran ne comprenait où sa fille adoptive voulait en venir. Il tendit l’oreille et perçut le moteur. Concentré sur son discours, il n’y avait pas prêté attention. Mercy, qui tenait un garage, s’y connaissait pas mal en voiture. Il dut reconnaître qu’elle avait raison. Or, le vieil Espagnol bichonnait sa voiture autant que sa serre.

-Sortons, ordonna-t-il.

À peine furent-ils tous dehors, que le 4x4 se gara maladroitement devant eux. Rosalie, le visage maculé de larmes et empestant la peur, en descendit.

-Je suis désolée, tellement désolée. Mais je vous en prie, ne le punissez pas. Tout est de ma faute. Entièrement de ma faute.

Avant de réaliser ses paroles et leurs propos, ils virent la jeune femme rebrousser chemin et foncer sur le loup-garou en colère qui la suivait. Ce dernier l’attrapa à la gorge. De ses griffes avant, il laboura ses épaules. Il l’obligea à se coucher afin d’avoir une meilleure prise et de lui faire davantage de mal. Rosalie n’eut pas le temps de crier. Sa gorge était trop perforée pour qu’un son en sorte. Par contre, elle ressentit toute la douleur de sa mort prochaine.

-Asil, arrête, hurla Bran en fonçant sur lui.

Le Marrok était l’Alpha des Alphas. Mais sous sa forme humaine, il n’était guère plus fort que la masse de muscles qui était en train de déchiqueter la pauvre femme. Il fit appel à son pouvoir d’Alpha. Charles, Adam ainsi que d’autres loups vinrent l’aider à éloigner Asil. Quelqu’un tira sur la bête enragée à l’aide d’un fusil étourdissant. Enfin, ils parvinrent à le calmer suffisamment pour le conduire dans une chambre d’isolement.

-Appelez le médecin, vite !

Bran paniqua. Elle ne devait pas mourir. Il le lui interdisait.

Rosalie avait toujours les yeux ouverts. Elle respirait difficilement mais elle respirait. Bientôt, la transformation débuterait. L’attaque avait été trop violente. Elle n’y échapperait pas.

Bientôt, Bran saurait s’il devait compter un nouveau membre dans sa meute ou déplorer un dommage collatéral de plus…



Mot de l'auteur


Comme promis, je publie un chapitre toutes les semaines, plus précisément le week-end. Alors, je ne promets pas de publier tous les vendredis soirs. Je publierai durant le week-end mais pas forcément le même jour et la même heure.

Merci d'avoir lu ce deuxième chapitre et j'espère que cela vous a plu.

À la semaine prochaine!


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