Territoire

Chapitre 1 : Chapitre un

5391 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/02/2024 20:46

Chapitre un

 

 

Rosalie Jansen dévisagea ces étrangers avec qui elle faisait le voyage jusqu’au Montana. Elle n’avait confiance en aucun d’entre eux. Si elle avait eu le choix, Rosalie ne serait pas montée dans cette camionnette aux couleurs de la Mystery Machine. D’ailleurs, qui avait un goût aussi déplacé pour la peindre de ces couleurs criardes. Elle semblait crier : regardez-moi, je suis une créature de la nuit. En plus, Rosalie n’avait jamais aimé Scooby-Doo. Le chien était trop stupide tout comme son maître. Le blondinet faisait un peu trop penser à Ken de Barbie. La rousse servait de décoration et quand elle parlait elle n’était pas crédible pour un sous. Sans compter que la seule intelligente du groupe devait être moche. Non ! Elle n’aimait pas cette série. Et elle n’était pas sûre d’aimer les personnes qui lui dédiaient une réplique exacte de leur véhicule.


Enfin, il était impossible de refuser cette escapade à des loups-garous, surtout quand ils étaient venus à votre rescousse. Sans oublier que la jeune femme avait été incapable de formuler le moindre argument contre ce voyage.


Suite à la découverte du carnage qu’avait été son salon, Rosalie avait perdu ce qui lui restait de bon sens ou de vitalité. Elle n’avait plus eu la force de protester. Dans un état de semi-conscience, elle les avait suivis.


La jeune femme ferma les yeux. Elle posa ses mains sur son visage et le frotta vigoureusement. Un peu de répit lui ferait du bien dans ce tumulte d’angoisse et de chagrin. Elle songea à sa maison qui n’existait plus que dans ses souvenirs.


Les murs avaient été dépecés. Pourquoi cette créature aquatique avait-elle eu besoin de mettre en lambeaux son beau tapis tout neuf ? Les faes ne se rendaient-ils pas compte du prix et du temps que cela coûtait ? Ces pensées bien futiles avaient permis à Rosalie de conserver une certaine santé mentale. Elle avait essayé de retarder le moment atroce de la découverte. Elle ne doutait plus, au moment où elle avait de nouveau franchi le seuil de son espace de vie, la signification de ce silence.


-C’est de ma faute, songea-t-elle. Je l’ai abandonné !


Le loup roux s’était placé entre elle et les pieds ensanglantés qu’elle apercevait depuis sa position. Le reste du corps était masqué par le canapé couché sur le flanc. Rosalie avait voulu écarter le loup. Elle devait le voir de ses propres yeux. La bête n’avait pas bougé d’un pouce. Elle était tellement énorme qu’elle avait obstrué le passage. La propriétaire des lieux avait été incapable de la contourner.


-S’il te plaît, Ben, laisse-moi passer, avait imploré Rosalie.


Elle avait noté que sa voix trahissait son angoisse. D’habitude si assuré, son ton était chevrotant et larmoyant. Elle était sur le point de craquer.


Le loup s’en était rendu compte. Il avait émis un gémissement lupin tout en frottant sa tête contre la poitrine féminine.


-Je t’en prie. Je dois m’assurer qu’il va bien…


C’était idiot. Évidemment que son mari, James Jansen, n’allait pas bien. Il avait affronté un fae sans arme et sans pouvoir. Il n’était qu’un humain. Qu’aurait-il pu faire contre une créature si abominable ?


-Je crois que Ben cherche à vous protéger, avait annoncé l’étrangère.


Rosalie s’était vaguement souvenue de son prénom. Mercy ? Elle avait dit être la femme de l’Alpha du bassin du Columbia.


L’Alpha de la région, Adam Hauptman, ne lui était pas inconnu. Il était passé de nombreuses fois à la télévision. Il donnait l’impression d’être un homme droit et respectueux. Son regard franc quand il parlait à la caméra avait toujours suscité un sentiment de sécurité à Rosalie. L’Amérindienne avait, semblait-il, les mêmes dispositions à inspirer la confiance. Seulement, là, Rosalie n’avait pas été du tout disposée à réfléchir posément quand on l’empêchait de retrouver son cher mari.


-Qu’en savez-vous ? avait-elle demandé amère.

-Je ne possède pas les pouvoirs de mon mari. Quelque chose dans son attitude me pousse à croire qu’il veut vous épargner. Je ne l’ai jamais vu aussi doux.


Ben avait lancé un regard appréciateur à Mercy. Malgré leurs différends, elle parvenait toujours à comprendre les subtilités des émotions. Adam avait bien fait de la choisir comme compagne, même si elle était un coyote.


-Je ne veux pas être épargnée. Je… Je veux mon mari…(Les larmes s’étaient enfin échappées de ses yeux et la jeune femme s’était écroulée à terre.) Je veux mes enfants…


Ben, sous sa forme de loup, s’était lové contre elle. Cédant à son chagrin, la femme avait pleuré la mort de son époux bien-aimé, la tête enfouie dans le pelage roux. Ben n’avait pas bougé, même quand son amie l’avait serré contre elle, cherchant du réconfort.


Mercy avait observé la scène en silence. Elle avait hésité à leur laisser un moment d’intimité. Ben n’était pas très tactile. Il détestait tout attouchement quel qu’il soit, ce qui était plutôt rare pour un loup-garou. D’habitude, ses congénères cherchaient sans cesse le contact physique, sans arrière-pensée aucune.


Sans en connaître les détails, la femme de l’Alpha avait compris que son loup avait connu quelques abus d’ordre sexuel dans son jeune temps. Depuis, il éprouvait des difficultés à se rapprocher des gens. Elle trouvait extraordinaire ce que cette femme avait réussi à faire avec lui. Elle n’était qu’une humaine et n’avait aucun lien avec la meute. Pourtant, elle avait réussi à l’amadouer.


Malgré tout, Mercy avait rechigné à abandonner le membre de sa meute à une inconnue. D’une certaine façon, Ben lui appartenait. De plus, elle n’était pas sûre que le loup conserve son calme longtemps sous cette forme.


Rapidement, d’autres membres de la meute du bassin du Columbia étaient arrivés, dont le fameux Adam Hauptman. Ce dernier n’avait fait aucun commentaire quant au comportement de son loup. Il s’était contenté d’arquer un sourcil interrogateur et de fixer sa femme. Mercy avait hoché la tête, lui promettant de tout lui expliquer plus tard.


Ensuite tout s’était enchaîné à une vitesse hallucinante.


L’Amérindienne avait immédiatement passé un coup de téléphone. Elle avait discuté calmement avec son interlocuteur mais elle n’avait pas quitté du regard Rosalie. Celle-ci avait senti un malaise monter en elle. Elle connaissait ce type de regard et il n’augurait rien de bon.


Quelques minutes plus tard, un homme à l’aspect blafard avait débarqué avec sa Mystery Machine. Mercy s’était mis au volant après l’avoir remercié. Adam s’était installé à côté d’elle. Rosalie fut forcée avec le loup qui ne voulait pas la quitter de monter à l’arrière. Il n’y avait pas de banquette ; aussi fut-elle obligée de s’installer sur le métal de la carcasse. Ben s’installa entre elle et le corps de son défunt mari que les autres avaient préalablement emballé.


Deux autres hommes voyageaient avec eux. Un espèce de Cow-Boy et une femme dont le visage lui était familier. D’après leur conversation, Rosalie comprit que le Cow-boy était le deuxième lieutenant de la meute et que le premier lieutenant resterait aux Tri-Cités afin de surveiller leur territoire en l’absence de l’Alpha.


Rosalie n’avait pas saisi pourquoi il était urgent de se rendre dans le Montana. La femme de l’Alpha avait dit : « IL nous attend avec les témoins ! » Et tout le monde avait démarré sur des chapeaux de roue.


Cela ne laissait rien présager de bon. Le terme « témoins » ne lui avait pas également échappé. A leurs yeux, elle n’était pas une victime, ni une femme en détresse. « Témoin » signifiait qu’elle devrait dire ce qu’elle avait à dire et puis basta !


Rosalie serra une touffe de poils roux de sa main gauche. Jusque-là, elle avait distraitement caressé le loup couché contre elle. Complètement hébétée à cause des derniers événements, elle vivait ce voyage comme un rêve. Elle devait impérativement se ressaisir : la vie de ses enfants était en jeu.


-Mes chéries, songea-t-elle, maman ne vous laissera pas tomber.


Son regard tomba sur le corps emballé dans un drap près d’elle. Il y a peu encore, cette chose était son tendre mari qui la taquinait, l’embrassait, la chérissait…


Rosalie essuya rapidement une larme menaçant de rouler sur sa joue. Plus tard, elle prendrait le temps de pleurer. Pour l’heure, son cœur réclamait vengeance. Si ces personnes pouvaient l’y aider, elle n’hésiterait pas à les utiliser, peu importe qu’ils soient des loups-garous ou des petits bonshommes verts venus de l’espace.


En relevant la tête, elle rencontra le regard compatissant de la femme. Rosalie fronça les sourcils. Décidément, ce visage ne lui était pas inconnu. Elle la dévisagea sans retenue. Le raclement de gorge du Cow-boy lui rappela qu’il n’était pas de bon ton de soutenir le regard d’un loup-garou trop longtemps. Rosalie se contenta de fixer le menton de l’inconnue.


-Je suis désolée, dit subitement cette dernière.


Rosalie haussa les épaules. Elle ne comprenait pas les paroles de cette louve-garou. Celle-ci décroisa les bras et posa une main sur la tête du mort. Rosalie écarquilla les yeux. Si elle avait pu l’attaquer, elle l’aurait fait. Cette femme n’avait pas le droit de toucher son mari. Il était sien !


-James était un ami.


Rosalie se calma. Ses traits s’adoucirent. Elle pouvait céder du terrain à une amie de James.


-Vous êtes pompier également, en déduisit Rosalie en se rappelant du contexte de leur rencontre passée.

-Oui. James et moi avons travaillé ensemble à plusieurs reprises. Je m’appelle Marie-Jo et mon ami, ici présent, c’est Warren (Le Cow-boy la salua en tirant sur son chapeau). James était quelqu’un de droit et d’entier. Il voyait toujours le bon côté des choses.


Sa femme hocha la tête. Son mari était un homme extraordinaire et elle l’avait perdu.


-Madame, dit Marie-Jo en attirant son attention, James ne méritait pas ça. On trouvera les responsables et on les fera payer.


Cette femme à l’allure si frêle en semblait persuadée. Il était bien niais de promettre des choses sans certitude. Rosalie ne répondit pas. Elle détourna la tête. Elle ne se faisait aucune illusion sur la suite des événements. On essayerait de la mettre sur le côté. Les loups-garous prendraient le monopole de la situation. Si elle ne réagissait pas rapidement, elle risquait d’être exclue de l’enquête et par la même de sa vengeance.


-Jamais !! se promit-elle en pinçant les lèvres. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour réclamer vengeance !!

 



 

Bran Cornick, actuel et unique Marrock, Alpha de tous les Alphas d’Amérique, raccrocha brutalement. Dire qu’il était mécontent était un euphémisme.


Il y avait quelques mois de cela, il avait repoussé l’offre des faes. Ces derniers s’étaient retranchés dans leur réserve. Ils entraient en guerre contre les humains et avaient fait une proposition au Marrock. Ce dernier avait refusé une alliance contre les hommes. Toutefois, il n’aurait jamais cru que ces créatures seraient suffisamment téméraires pour attaquer sur leur territoire. En quelque sorte, il avait été sot de croire qu’il pourrait rester neutre dans cette affaire. Les Seigneurs Gris, dirigeants des faes, allaient l’obliger à faire un choix. Bran n’était pas sûr de la justesse de ce choix.


Il releva la tête de son téléphone. Son fils cadet, Charles, le regardait patiemment. Aucune expression ne marquait ses traits. Pourtant, Bran savait que son fils partageait son sentiment au sujet de cette histoire.


L’homme soupira. Il s’occuperait de tout ça, mais, plus tard. Là, il voulait juste déguster de bons pancakes en compagnie de son fils et de sa belle-fille, Anna.


Sa femme était de mauvais poil depuis quelques temps. Elle lui rabattait les oreilles sur ce qu’un chef devait faire. Elle était beaucoup trop ambitieuse alors qu’elle était la compagne du loup le plus puissant d’Amérique.


Bran n’aurait jamais dû la prendre pour compagne. Son loup avait besoin d’une femme pour calmer ses ardeurs et lui ne voulait plus tomber amoureux de peur de céder à la folie en cas de perte de l’être cher. D’habitude, il parvenait à amadouer Leah. Cependant, elle avait toujours été jalouse de l’amour qu’il portait à ses deux fils. Depuis que son fils Charles s’était marié, Bran prenait plaisir à rendre visite au couple régulièrement. Leah enrageait et réclamait davantage d’attentions. En réponse, Bran partait plus souvent se réfugier chez son cadet, comme aujourd’hui.


Anna Cornick observa les deux hommes. Personne n’avait parlé. Son instinct affuté lui envoyait des signaux d’alerte. Ce silence n’était pas de bon augure. Elle connaissait son beau-père et son talent pour masquer les problèmes importants. Il ne divulguait que ce qu’il lui semblait nécessaire. Cela l’énervait.


Quand il enfourna une bouchée de pancake dans sa bouche comme si de rien n’était, Anna sentit la frustration monter en elle. Elle coula un regard vers son mari. Lui aussi s’était remis à manger paisiblement. Ils étaient impossibles !!!


-Alors ? avança-t-elle prudemment.

-Alors quoi ? répondit Bran sans s’intéresser davantage à elle.

-Qu’allez-vous faire ? Des faes ont quand même attaqué des humains sur le territoire d’Adam Hauptman.

-Ils ont dit qu’ils allaient arriver, non ? Nous aviserons en fonction de ce que les témoins auront à dire.

-Mais…

-J’ai dit : on avisera plus tard !


Bran savait qu’il était inutile d’user de son pouvoir sur Anna. Elle était une Omega. De ce fait, le pouvoir de l’Alpha n’avait aucune emprise sur elle. Elle était un membre de la meute qui agissait selon son gré. Elle était un électron libre. Ce qui était une bonne et une mauvaise chose. Pourtant, il n’avait pu y résister. Inconsciemment, sa voix portait les marques de la magie de la meute. Du coin de l’œil, il vit son fils courber légèrement l’échine alors que sa femme restait droite.


En cette heure, il n’avait pas encore décidé de quelle côté de la balance sa belle-fille se situait. Elle se heurtait un peu trop à son autorité à son goût.


-P’pa…


Charles n’avait pas esquissé le moindre mouvement mais sa voix était devenue rauque. Ses yeux prirent une couleur dorée. C’était le signe de sa contrariété. Frère loup, l’alter égo canin de Charles, désapprouvait le comportement de leur père.


-Ne parle pas ainsi à ma femme chez moi, s’il te plaît.

-Oh, ne fais pas le vieux loup qui défend son territoire ! Je suis ton père ! Et ta femme est un peu trop curieuse. Je ne voulais pas lui manquer de respect dans ta demeure. Ne te mets pas dans un état pareil, voyons.

-Anna sait…


Bran serra ses couverts. Il jura intérieurement. Il avait été heureux de constater que son fils, au bout de deux cents ans de solitude, avait enfin lié son existence à une femme. Bon dieu ! Pourquoi avait-il fallu que cela soit une Omega ? Et qui plus est qu’il en soit entiché à ce point ?


-J’ai failli la perdre une fois parce que je masquais une partie de mon cœur. Cela ne se reproduira plus jamais. Anna mérite que je partage avec elle mes inquiétudes. Elle et moi ne faisons qu’un.


Tout en prononçant ces mots, Charles prit la main de son épouse dans la sienne et déposa de furtifs baisers sur ses doigts. Les joues d’Anna rosirent. Même après toutes ses années, son mari avait le don de l’émouvoir. Elle ne cesserait jamais de s’émerveiller à son contact.


-Que lui as-tu dit exactement ? demanda Bran d’une voix monocorde qui en disait long sur son état d’esprit.

-Je sais qu’il y a eu d’autres attaques du même genre dans tout le pays. Des faes entrent chez des humains. Ils tuent les parents et emportent les enfants. C’est la première fois que j’entends qu’il y a eu des survivants.

-Tu as entendu comme moi : la mère s’est battue contre ce fae. Elle a eu la présence d’esprit d’appeler à l’aide un loup-garou. Sans cela, je ne donnais pas cher de sa peau.

-Tout de même, P’pa, c’est étonnant. Une simple humain a réussi à tenir tête à un fae. Était-il de rang inférieur ?

-Nous en saurons plus quand nos invités seront là. Je vais de ce pas prévenir certains membres de la meute.

-Tu ne finis pas tes pancakes.


Bran se leva. Il contempla son dessert en forme de cerf. Il n’avait dévoré que les pattes. C’était lui qui l’avait cuisiné. Il avait voulu partager un moment tranquille avec sa famille. Il avait voulu s’occuper de son fils qui avait tant grandi. Tout ça avait été gâché par un simple coup de téléphone.


-Non. Je n’ai plus faim, dit-il tristement.

 

 


La Mystery Machine se gara devant un chalet assez moderne dans un petit village du Montana. Ses occupants avaient roulé pendant des heures, ne s’arrêtant que pour une rapide pause. Personne n’avait beaucoup parlé durant le trajet. Ils respectaient le deuil récent et brutal de l’unique humaine présente.


Rosalie n’avait pas lâché le pelage du loup à ses côtés. Elle aurait voulu soulever le drap rougi par le sang sous ses yeux. Elle désirait contempler son James une dernière fois. Chaque fois que sa main se posait sur le tissu, elle l’écartait vivement. Elle avait peur, peur de découvrir l’être aimé sous un aspect qui n’était pas le sien. Elle voulait se rappeler de son James souriant, de son rire, de la bonne odeur de sa peau quand ils faisaient l’amour. Il lui manquait tant.


Rosalie descendit de la camionnette avec l’aide de Ben. Elle scruta les alentours boisés. Elle fit quelques pas en s’écartant du véhicule. Elle avança une main accrochée aux poils roux. La nuit était tombée depuis longtemps déjà. Les seules lumières qui l’éclairaient provenaient de la construction en bois.


Des inconnus sortirent du chalet et s’approchèrent. La jeune femme s’immobilisa. Elle attendit que quelqu’un s’adresse à elle mais ils passèrent à côté sans lui poser la moindre question. Elle resta incrédule un instant. Puis, elle comprit que ces gens obéissaient à un ordre et s’occupaient de ses guides.


Rosalie ferma les yeux. Elle inspira profondément. Elle accueillit la fraîcheur de la nuit avec soulagement. Malgré ses tremblements frileux, elle savourait cet air pur. Le calme de la forêt autour d’eux l’apaisa. La jeune femme aurait pu se croire en vacances à la montagne. Les gens qui vivaient ici devaient être en harmonie avec la nature et éviter le stress de la cité. Un bref instant, elle les envia.


Ensuite, la dure réalité se rappela à elle quand deux hommes transportèrent le corps de James. Elle fit un pas dans leur direction. Ben s’interposa une fois encore.


-Ben, je t’en prie. Je veux être auprès de lui.


Le loup grogna. Pourtant, cela ne découragea pas la femme. Elle considéra ces grognements comme des avertissements non fondés. Elle lui tapota le museau en guise de réprimande. C’était peut-être la dernière occasion de dire adieu à son mari. Il était hors de question que Ben lui arrache ce moment.

 

 



Bran Cornick passa le seuil d’un pas lent. Il n’était pas pressé de voir des morts supplémentaires ou encore d’entendre des récits macabres sur des créatures cruelles.


Durant sa longue existence, il avait couramment été témoin de ce genre de choses, des cris, des pleurs, des humains qui ne comprenaient pas la tournure de leur sort. Bientôt, il verrait une veuve de plus se lamenter devant lui.


Le Marrock enfouit les mains dans ses poches et se campa sur ses pieds. Il embrassa la scène du regard. Immédiatement, ses yeux se posèrent sur une jeune femme. Son cœur, longtemps éteint, se mit à battre la chamade. Un nom monta à ses lèvres. On lui avait dit de taire ce nom car il n’était pas judicieux de prononcer le nom des morts. Cela pouvait les ramener à la vie d’une manière désagréable. Il cligna des paupières et l’illusion disparut. Cette femme arborait la même coiffure que sa défunte épouse mais sa peau était plus foncés et les traits davantage exotiques.


Bran se questionna sur sa présence chez lui. Elle ne devait pas être la veuve. Elle était beaucoup trop droite, trop calme. Il la contempla fermer les yeux et inspirer. Elle cherchait la paix et il crut une seconde qu’elle l’avait trouvée.


Soudain, il vit une chose insolite. L’inconnue fut attirée par ses loups. Ces derniers lâchaient des soupirs en soulevant le corps du défunt. La femme réagit. Elle se dirigea vers eux. Le loup à ses côtés se plaça entre elle et eux. Au lieu de s’effrayer des grognements lupins, la femme osa donner une légère tape sur sa truffe. Bran retint son souffle. Le loup-garou allait s’apprêter à attaquer : aucun loup ne pouvait conserver sa maîtrise devant un tel manque de respect.


Au contraire, le loup s’assit et poussa des gémissements, incapable de retenir davantage cette femme. Quel pouvoir exerçait-elle donc ?


Sans s’en rendre compte, Bran avait avancé vers eux. Il stoppa sa marche dès qu’il s’aperçut que le loup se tiendrait tranquille en toutes circonstances. Pourquoi avait-il eu le besoin d’intervenir ? De la protéger ? Le Marrock se reprit. Il était le maître ici ; il se devait de montrer qu’il était un meneur.


Un homme se détacha du groupe. Bran reconnut Adam Hauptman, l’Alpha du bassin du Columbia. Derrière lui, Mercy discutait avec un humain d’Aspen Creek. Il lui avertissait que la camionnette ne pouvait rester là. Mercy grognait car elle ignorait où la placer. Apparemment, elle n’était pas d’accord avec lui.


Adam se dirigea vers son Marrock. Bran lui sourit tristement. Il était dommage que l’époux de celle qu’il considérait comme sa fille ne se présente à lui que dans ce genre de circonstances. Il lui tendit la main. Adam l’accepta et la serra chaleureusement.


-Dis-moi, Adam, pourquoi ton loup est-il toujours sous sa forme animale ?

-Ben s’est battu contre le fae. Il s’est transformé il y a peu. Une transformation en sens inverse dans une camionnette en plein mouvement remplie de monde n’était pas une très bonne idée.

-Très bien. Dans ce cas, emmène-le dans la salle appropriée à ce genre de chose. Ensuite, donne-lui à manger et laissons-le se reposer. Nous aurons besoin de son témoignage quand nous interrogerons la veuve. D’ailleurs où est-elle ?

-C’est la jeune femme indienne qui embrasse le front de son mari.


Aussitôt, Bran reporta son attention sur la jeune femme. La veuve avait retiré le drap du visage blafard. Elle caressait les cheveux de la dépouille. De furtifs baisers furent déposés sur le front pâle. Les gestes étaient tendres, doux, amoureux. Pourtant, aucune larme, aucune plainte.


Quelqu’un lui parla à l’oreille. Elle hocha la tête. Elle vrilla ses yeux noisette sur eux. Bran Cornick eut l’impression qu’elle regardait son âme. Il se sentit vulnérable sous ce regard. Cela ne lui était plus arrivé depuis des décennies.


Au même instant, Ben, le loup, se tourna dans leur direction. Il ne bougea pas mais ses oreilles s’aplatirent.


-Ton loup, est-il amoureux de cette femme ? demanda le Marrock.


Sans attendre la réponse de son interlocuteur, il imposa son autorité silencieusement au loup-garou belliqueux. Ses yeux changèrent furtivement de couleur en guise d’avertissement. L’animal baissa la tête et regarda ailleurs. N’importe quel loup-garou reconnaissait en toutes circonstances la suprématie du Marrock. « Sauf les stupides Omegas ! » songea amèrement Bran.


-Non. Je ne pense pas, répondit Adam à l’interrogation de Bran. Jamais aucun de mes loups ne soupirerait auprès d’une femme mariée.


Bran sourit. S’il était un vieil homme à l’aspect juvénile, Adam était de la vieille école. Les hommes d’aujourd’hui ne possédaient pas la même fierté, ni la même notion du respect qu’eux, vieux loups. Cependant, l’Alpha connaissait les membres de sa meute. Ce Ben n’agissait pas comme un prétendant mais comme un protecteur. Là était toute la différence.


Bran Cornick sentit son fils se positionner sur sa gauche. Lui aussi fixait cette femme. Cette dernière fit un dernier baiser à son défunt mari. Délicatement, elle replaça le drap sur son visage. De la tête, elle fit signe aux loups qu’ils pouvaient emporter le corps. Cela aussi était étonnant. Malgré son ordre, les loups avaient accéder à la requête de cette femme réclamant un dernier adieu. Pourquoi cherchaient-ils tous à la satisfaire ?


La veuve se dirigea vers eux.


Bran se doutait qu’elle marchait en direction de Charles. Physiquement, son fils ressemblait davantage à un meneur. Il inspirait confiance et possédait un incroyable charisme. Tous se taisaient quand il parlait. Il aurait pu être un Alpha s’il avait décidé de fonder sa propre meute. Au lieu de quoi, il avait préféré rester au service de son père et conserver la place de second.


Quant à lui, le Marrock ne ressemblait en rien de l’idée que les gens se faisaient de l’Alpha des Alphas. Il était petit, menu mais athlétique. Son visage était quelconque. Il n’impressionnait personne. Sauf si on déchainait sa colère. Dans ces rares moments, on comprenait pourquoi il occupait la position du Marrock.


Effectivement, il avait eu raison : la femme avançait d’un pas décidé vers Charles.


-P’pa…


Charles avait prononcé son nom d’une voix étrange. Son expression était celle qu’il arborait quand il était en contact avec les esprits. C’était un don hérité de sa mère Salish. Alors, Bran se concentra. Lui aussi avait du sang de sorcière dans les veines. De plus, son beau-père Chaman avait essayé de lui inculquer quelques préceptes sur la magie. A ce moment-là, faiblement, il sentit le courant magique. Une légère brise s’était levée. Une voix psalmodiait à son oreille. Il n’était pas aussi doué que son fils. Les mots lui échappèrent.


Par contre, l’Indienne modifia sa trajectoire et se tint devant Bran. Il l’examina de la tête aux pieds. Le froncement de ses sourcils en disait long sur ses pensées.


-C’est vous, le chef ici ?


Sa voix était chantante. Elle aurait merveilleusement accompagné la sienne. Bran possédait des talents de barde et ne se privait pas pour les exercer en public. Il était toujours à la recherche d’harmonie musicale ou de musicien capable de s’accorder à son don.


Toutefois, il ne manqua pas la note d’incrédulité et de reproche dans cette simple question. Elle ne pouvait accepter le fait qu’il était l’Alpha de tous.


Comment avait-elle réussi à savoir que c’était lui et non Charles le Marrock ? Même sous son air revêche, c’était bien à lui qu’elle s’était adressée.


-Oui. Je suis le Marrock. Je m’appelle Bran Cornick.

-Rosalie Jansen, dit-elle en tendant la main. Monsieur Cornick, allez-vous m’aider à retrouver mes filles ou dois-je me lancer seule à la chasse ?



Mot de l'auteur


Bonjour à tous,


Merci d'avoir lu ce premier chapitre de mon histoire. Cela me touche énormément de voir certaines personnes s'intéresser à ce que j'écris. Je suis nouvelle ici et cela fait deux jours que teste les options qui s'offrent à moi. Désolée si je manipule mal certaines choses ou si je commets des maladresses. J'ai publié plusieurs histoires dans différentes catégories pour ce test.


Avant, je publiais sur une autre plateforme aujourd'hui disparue. Cela m'a énormément contrariée car j'avais vraiment envie de poursuivre mes écrits. J'avais arrêté d'écrire en 2018 car j'avais d'autres projets personnels sur le feu. Mais, le confinement m'a réellement dégoûtée de l'écriture jusqu'à présent. À cette époque, je devais réaliser du télétravail et je passais littéralement 10 à 12h sur un écran. Encore aujourd'hui, on me demande d'utiliser certains programmes et je passe un temps dingue dessus.


Donc, l'ordinateur et moi, on était un peu fâché. Je n'avais pas arrêté d'être créative pour autant. Je me suis tournée vers le dessin qui me permettait de me détendre et de satisfaire mon côté créatif. Malheureusement, cela demande beaucoup de concentration et de temps. Sans oublier que je ne suis pas spécialement douée pour le dessin. Une idée de bande dessinée était de ce fait trop chronophage pour moi. Mais je ne regrette pas cette période. Gratter le papier m'a fait énormément de bien.


Il y a quelque temps, je suis revenue à mon premier amour: l'écriture. Et, punaise, cela m'avait manqué. Je ne m'en étais pas rendue compte. Imaginez ma déception quand je me suis rendue compte qu'il m'était impossible de poursuivre mes histoires suite à la disparition de la plateforme. J'ai dû fouiller dans mes armoires, retrouver mon ancien portable et récupérer mes anciens fichiers.


Et tadam! Voilà le résultat de mes recherches!


Quand j'avais commencé cette histoire, le tome 3 d'Alpha et Omega venait de sortir. Mercy Thompson n'avait pas encore rencontré En-Dessous. Donc, je n'en parlerai pas ici, ou, j'en ferai peut-être des subtiles référence (dans ce cas je les noterai). Je me concentre essentiellement sur le personnage de Bran car il m'a toujours fasciné. J'ai beaucoup d'empathie pour lui même si c'est un incroyable salaud à certains moments.


Je dois relire mes écrits et poursuivre d'autres. Je vais essayer de publier un chapitre par semaine ( de préférence le week-end).


Je vous dis à la semaine prochaine. Et encore merci pour votre intérêt!



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