La voyageuse

Malory était hors de danger. Le Dr. Mitchell l'avait placée sous sédatif pour lui permettre de se reposer et accélérer le traitement de ses blessures. Sacha était restée à ses côtés pendant les premières heures, veillant à ce que son état reste stable.

Liara, qui prenait régulièrement des nouvelles et se souciait de l'état émotionnel de Sacha, sa protégée, avait décidé de s'accorder un moment de répit dans l'immense cuisine du sanctuaire. Ainsi, elle s'était installée sur un tabouret, face à un comptoir, et remarqua avec admiration l'imagination et le bon goût des terriens en matière de décoration. Elle sirotait un breuvage coloré, sans grande passion et fit dérangée par l'entrée de l'amiral. Étonnée de la trouver là, Shepard se servit une bière dans le réfrigérateur avant de venir s'installer à ses côtés.

- À quoi pense la plus belle conseillère de l'univers ? demanda-t-elle, faisant sourire sa bien-aimée.

- Shepard, tu es incorrigible, dit-elle en s'avança pour déposer un baiser sur ses lèvres.

- Alors ? Qu'il y a t-il dans tes pensées ma chérie ?

- Je suis inquiète... Ce qu'il s'est passé là-bas...

Shepard l'interrompit.

- Je sais. Elle n'a pas d'implant biotique, elle n'est pas supposée avoir ce genre de pouvoir...

- Shepard c'est plus que ça... Elle possède naturellement la capacité à générer des champs gravitationnels. Seules les asaris naissent biotiques et...

- Les prothéens... assimilés en récolteur...

- Je ne sais pas ce qu'elle est Shepard... Mais il est impossible qu'elle soit seulement humaine... J'ai peur de retomber dans une énième aventure de destruction de la galaxie. Je suis lasse de tout cela...

- Liara, nous avons déjà affronté des situations bien pires, nous ne pouvons pas faire comme si nous n'avions rien vu.

- Ose me dire que tu sauterais de joie à l'idée de rempiler dans une mission suicide.

- Non... Je n'ai plus la force, ni physique ni mentale. Les moissonneurs... elle marqua une pause. J'ai mis tant de temps à retrouver la paix intérieure...

- Tu sais comme moi que Sacha va prendre ta place, ton rôle, ton leadership. Et c'est cela qui m'inquiète.

- Nous l'avons protégée du mieux que nous avons pu, mais si la quête de Malory devient dangereuse pour notre fille, nous ne pourrons rien faire d'autre que lui apprendre à s'entourer de personnes loyales et de mener à bien sa mission.

- Et tu deviendras son Hacket...

- Avec moins de barbe et de rides.

Les deux complices éclatèrent de rire, trouvant un moment de légèreté dans leurs préoccupations.

- Nous avons traversé tellement d'épreuves Shepard. Chuchota Liara en reprenant son sérieux,

Shepard caressa doucement la joue de l'asari du bout des doigts, captivant son regard.

- Je crois en nous, Liara. Et je crois en notre capacité à protéger ce que nous aimons. Peu importe où tout cela nous mène...

La discussion fut close.

Le lendemain, Shepard avait convoqué une réunion avec ses coéquipiers. Dans son bureau, autour de la grande table, surplombée de la galaxie, elle les questionna dans le vif du sujet.

- Ce qu'il s'est passé là-bas n'est pas normal. J'ai besoin de savoir si vous avez vu quelque chose qui m'échappe, ou si vous avez des hypothèses.

Sacha se racla la gorge :

- Le ciel qui s'assombrit, l'eau qui soudainement devient une vague la transportant. Ça ne peut être que deux explications.

Shepard, fixa la jeune femme avec toute son attention et l'encouragea à continuer.

- Soit Malory a été sauvée par l'intervention de quelqu'un ou de quelque chose, soit c'est elle qui a fait ça.

- Elle pourrait être une forme de biotique? questionna Kovatch.

- Elle dépasse les pouvoirs du biotique le plus évolué. Si c'est elle qui a fait ça, elle est autre chose qu'une biotique, contesta Liara.

- C'est comme si le vent, la terre, l'eau s'étaient mis à lui obéir, commenta Sacha.

- Donc si ce n'est pas une intervention externe, elle a d'autres pouvoirs que voyager dans le temps... Conclu Shepard.

- Quand elle était en hypothermie, sa réaction à la dose d'adrénaline a été bien plus rapide que ce que l'on voit avec les implants médicaux, précisa Kovatch.

Shepard prit note des observations de son équipe, consciente que l'énigme entourant Malory devenait de plus en plus complexe.

D'ailleurs, Malory se rétablissait avec une certaine aisance. Elle avait déjà obtenu son autorisation de sortie pour se reposer dans ses quartiers. Shepard en avait profité après sa réunion pour lui rendre visite. La voyageuse était debout devant une fenêtre, à contempler le paysage. Puisque la porte était ouverte, l'amiral brisa le silence en se raclant la gorge.

- Bonjour.

- Bonjour Jane, répondit-elle sans se retourner. Je n'ai pas toutes les réponses aux questions que tu dois surement te poser, continua-t-elle.

- Ce que nous avons vécu sur ce cap, c'était... Je n'avais jamais vu ce genre de manifestation.

Malory baissa les yeux, semblant chercher ses mots.

- Je ne comprends pas vraiment ce qui m'est arrivé. Mais quelque chose a changé en moi. Je sais que tu sais que c'est moi qui aie fait ça et tu as raison.

Elle marqua une pause et se retourna enfin, ses yeux étaient cernés. Elle les leva vers l'amiral.

- Des images me sont apparues, ça ne pouvait être que des souvenirs, mais je ne sais pas s'ils sont tous à moi... Et puis j'ai vu cette femme... ma femme... mourir.

Shepard tressaillit à cette annonce, pensant à ce que pourrait ressentir Sacha. Elle lui offrit un regard de compassion, mais resta dans le silence.

- Je sentais que tout était fini. J'ai alors voulu mourir plus que tout et c'est ce qui m'a décidé à me laisser aller dans le vide. Mais sa voix... La voix de Sacha..., elle marqua une pause. C'est comme si elle m'avait ramenée à la raison, à la vie, et quelque chose a changé, les souvenirs devenaient plus clairs. Comme je te disais, je ne sais pas si les souvenirs sont à moi ou à d'autres, mais j'ai assisté à l'effondrement du World Street Center, j'ai vu cet homme brûler sur le bûcher. J'ai hérité d'une mémoire. Quand la terre a tremblé, je vibrais, je la ressentais. J'étais paniquée, et ensuite l'eau m'a fait remonter, j'étais sereine, en contrôle.

Shepard écouta attentivement les paroles de Malory, absorbant chaque révélation avec étonnement. La complexité de son existence et la nature de ses pouvoirs prenaient une toute autre dimension. Elle s'approcha lentement de Malory et posa une main réconfortante sur son épaule.

- Pour le moment, je ne sais pas comment réutiliser mes pouvoirs ou mes ressources, je ne sais pas comment appeler ça... Mais je sens un tourbillon de souffrance à l'intérieur de moi. Tous ces souvenirs, il y en a des beaux, mais nombreux sont douloureux. Sous sédatif j'avais la paix, mais en ce moment même, ils reviennent, les uns derrières les autres...

Ses yeux se noyaient dans les larmes. Shepard pensa rapidement à une idée, pour l'aider, comme elle avait été aidée.

- Que dirais-tu que quelqu'un t'aide à canaliser tout ça? Je suis passée par là et la méthode « je vais m'en sortir seule » n'a pas fonctionnée.

- Je prendrai l'aide que tu me donneras, mais j'ai besoin que les médecins me remettent sous sédatifs...

- Je vais organiser ça.

Et c'est Kryos, fils de Thane, qui obtint l'emploi. Son apparence écailleuse et étrange, typique des drells, témoignait de ses origines exotiques. Contrairement à son père, Kryos avait choisi un chemin différent des assassins. Ayant hérité des enseignements et de la sagesse de son père, il avait développé une profonde connexion avec la spiritualité et la méditation. Il avait passé des années à explorer les traditions et les rituels des drells, cherchant à comprendre leur place dans l'univers et à trouver l'harmonie en lui-même.

Il avait répondu en quelques jours à l'invitation de Shepard, ses voyages sur terres lui étaient toujours plaisants, surtout pour le climat et l'oxygène. Comme pour les asaris, le taux d'oxygène y était parfait. Accueilli à la sortie de sa navette, Kryos s'inclina respectueusement devant Shepard. Il émanait de lui une aura de calme et de sérénité, ses yeux brillant d'une lueur profonde.

- Kryos, je suis ravie que vous ayez répondu à mon appel, une nouvelle fois.

Kryos acquiesça humblement, reconnaissant la confiance que Shepard plaçait en lui.

- Je suis honoré de pouvoir aider, Shepard.

- Je sais que votre présence sera bénéfique pour elle. Vous avez une profonde compréhension des épreuves que peuvent traverser les individus et vous avez su trouver votre propre voie vers la sérénité. Je vous fais entièrement confiance pour aider Malory à trouver la paix intérieure dont elle a besoin.

Dans les quartiers, Malory regarda Kryos avec curiosité, se demandant comment cet étrange drell pourrait l'aider dans son état actuel. Kryos s'assit en tailleur en face d'elle, croisant ses mains écailleuses devant lui.

- Malory, je comprends que cette situation soit déconcertante, mais sachez que je suis ici pour vous guider. Les souvenirs et les émotions que vous avez hérités peuvent être accablants, mais avec le bon état d'esprit, vous pourrez trouver la paix.

- Combien de temps cela va-t-il prendre?

- Cela dépend de vous.

- Combien de temps cela a pris à Shepard?

- 4 jours.

- Ok. C'est pas si pire.

- À raison de 20h de méditation par jour.

Malory écarquilla les yeux.

- Vous allez vous connecter à moi. Une fois que nous entrons en méditation, vous revivez en accéléré vos souvenirs, vous les domptez, les regardez d'une autre perspective, les digérez, les intégrez.

- Un genre d'EMDR ?

- Je ne comprends pas ce que cela veut dire.

- Ça ne fait rien.

- Êtes-vous prête?

- Allons-y

Il ferma les yeux, invitant Malory à faire de même. Elle hésita un moment, puis suivit son exemple. Kryos commença à parler d'une voix calme, guidant Malory à travers une série de respirations profondes et de visualisations. Le corps de la voyageuse se détendait, sa respiration devenait régulière et lente. Kryos joignit ses deux mains et se concentra davantage pour communier avec l'esprit de Malory. Lorsqu'il s'y connecta, un déferlement d'images violentes envahit la jeune femme. La panique s'empara d'elle, jusqu'à ce que le drell parvienne à la récupérer dans cette noirceur. Il l'encouragea par la pensée à explorer les souvenirs qui surgissaient en elle, à les comprendre sans s'y perdre.

Au fil des heures, Malory commençait à se détendre. Les souvenirs tumultueux s'apaisaient, et elle ressentait une connexion plus profonde avec sa propre identité. Cela faisait maintenant 18h qu'ils étaient connectés. Kryos continuait de l'encourager, adaptant ses conseils à mesure qu'elle progressait dans son voyage intérieur.

Puis, vint le souvenir particulier. Celui de l'amour à travers les époques. Des images se dessinèrent dans l'esprit de la voyageuse : une femme sublime qui lui souriait, sans pouvoir vraiment distinguer son visage, des moments partagés sous le soleil, une danse sensuelle, des rires partagés sous les draps. Les souvenirs étaient puissants, beaux, mais bientôt l'ombre de la tragédie s'insinua. Une course poursuite, une chaise, une femme ligotée, un homme pointant une arme. La douleur, la perte, la haine déferlaient dans le cœur de Malory. Elle revivait un moment tragique où l'on venait de lui arracher son amour. Malory hurla de douleur. Un autre flash, l'homme pointe l'arme sur Malory.

Pendant ce temps, Kryos avait senti le chaos et tentait de la sortir de sa transe, mais la voyageuse résistait. La souffrance perlait en sueur sur son visage. Sacha, qui était venue prendre des nouvelles, observait la scène avec inquiétude. Elle se doutait que la jeune femme traversait une épreuve difficile. Un hurlement déchira la pièce et résonna dans le sanctuaire. Shepard accourut et constata la scène aux côtés de sa fille.

Kryos parla à voix haute, cherchant à réveiller la voyageuse. Cela fonctionna. Malory ouvrit les yeux, complètement paniquée et désorientée. Elle ne pouvait plus respirer, et la douleur se lisait sur son visage. Elle prit sa tête entre ses mains et hurla, les larmes coulant sur ses joues.

- Malory, vous ne pouviez rien faire, dit avec certitude Kryos. Ces souvenirs ne vous appartiennent pas. Ils sont seulement d'une mémoire collective.

- C'est trop douloureux! Trop de peine, culpabilité, tous les souvenirs reviennent, j'ai mal !!

La voyageuse vit Shepard derrière la baie vitrée et tenta de marcher en sa direction.

- Shepard, aide-moi. Je t'en conjure, donne-moi quelque chose, n'importe quoi. Faites cessez mes souvenirs. Malory finit sa phrase en tentant de se frapper la tête contre le mur.

Shepard s'avança rapidement vers elle et demanda à Sacha d'aller chercher le Dre Mitchell. Elle attrapa la jeune femme en détresse pour la maintenir. Cette dernière se débattait.

- Malo je vais t'aider, calme-toi!

La jeune femme n'entendait plus rien. Comme sortie de son corps, elle n'y répondait plus. Elle tenta de faire mal à l'amiral qui ne se laissa pas faire. Des secousses vibraient dans le sanctuaire. La terre se mit à trembler légèrement. Kryos comprit.

- Shepard, je vais tenter d'absorber certains de ses souvenirs, tenez-la.

- Ben oui Kryos, ce n'est pas déjà ce que je fais?! C'est elle qui est responsable du tremblement de terre. Dépêchez-vous!!

Avant que Kryos puisse s'approcher davantage, le médecin fit son entrée et enfonça sans ménagement un pistolet à seringue dans la nuque de la voyageuse, libérant une très forte dose de tranquillisant. Malory perdit instantanément connaissance, et tout redevint calme...

Contemplant la scène sans pouvoir rien faire, Sacha sentit une fureur l'envahir et pointa un doigt accusateur sur Kryos.

- Que lui avez-vous fait !?

- Calmez-vous lieutenant...

Sacha sortie l'arme qui était collée à sa jambe et la pointa en direction de Kryos. Shepard eut assez de temps pour neutraliser la main de sa fille et lui confisqua l'objet avec force.

- WOW on va tous se calmer! Sacha tu ne peux pas, sous aucun prétexte, perdre le contrôle et t'en prendre à qui que ce soit avec ton arme!! Me suis-je bien fait comprendre!?

Devant le silence de sa fille, elle lui ordonna de sortir. Cette dernière s'exécuta en aidant le Dre Mitchell à transporter Malory. Une fois seuls, Shepard se tourna vers Kryos.

- Je suis désolée pour ça, dit-elle en montrant l'arme.

- Ne vous en faites pas. Votre fille sera bientôt désolée également.

- Je ne sais pas ce qui lui a pris.

- Le sentiment de perdre quelqu'un que l'on aime, nous pousse au pire.

- Expliquez-moi ce qui s'est passé Kryos.

- Malory a en elle des milliers d'années de souvenirs, c'est plus que ce que j'ai déjà vu chez les asaris.

- Des milliers?

- Oui. Tout à l'heure, je lui ai dit qu'elle partageait une mémoire collective.

- Oui j'ai entendu. Le genre de scénario où quand l'un meurt, un autre s'active en conservant la mémoire du précédent.

-J'ai menti... Pour l'aider à sortir de son état de dissociation... Tous les souvenirs sont à elle.

Shepard s'accota à l'encadrement de la porte comme pour être sûre de garder ses deux pieds au sol.

- C'est impossible Kryos. Le genre humain ne peut pas réaliser cette prouesse.

- Elle n'est pas seulement du genre humain...

Shepard fronça les sourcils, tentant de se remémorer quelque chose.

- Je me souviens, quand elle est arrivée parmi nous, que le Dre Mitchell pensait avoir contaminé ses prélèvements. Son génome était combiné avec une donnée inconnue.

- Son génome est humain et... Prothéen.

- Par la déesse, Kryos, comment est-ce possible??

- La question n'est pas de savoir comment, mais plutôt de comprendre pourquoi.

Le drell prit le temps de méditer quelques secondes, cela lui redonnait une contenance. Puis, il demanda à Shepard une entrevue dans un lieu plus discret.

C'est ainsi qu'ils étaient allés se réfugier dans le bureau de l'amiral. Le drell détourna à quelques reprises les yeux. Jane Shepard le pressa de lui parler.

- J'ai vu très peu de choses sur ses milliers d'années de souvenirs, mais... il marqua une pause... certains de ses souvenirs sensoriels suggéraient une conception artificielle, probablement vieille de 50 000 ans. Une évolution en plusieurs phases succinctes de cryogénisation et décryogénisation et peut-être un réveil il y a 3 ou 4 mille ans.

Shepard se laissa tomber sur sa chaise. "50 000 ans... conception artificielle..." Shepard répéta ces mots comme pour mieux les assimiler. L'ampleur de ce qu'elle venait d'entendre la laissait sans voix. Kryos la regarda, lisant l'inquiétude et la perplexité dans ses yeux.

- Vous comprenez maintenant l'ampleur de ce avec quoi nous devons composer. Malory n'est pas simplement une voyageuse temporelle, elle est un être forgé par le temps lui-même, une création intentionnelle remontant à une époque lointaine et inconnue, expliqua Kryos avec une gravité palpable.

Shepard passa une main dans ses cheveux, rassemblant ses pensées.

- Quelqu'un, ou quelque chose, ou peut-être même un prothéen, a délibérément conçu Malory pour traverser les époques. Mais dans quel but ? Les moissonneurs? Qu'avez-vous vu d'autres?

- La sagesse, la modification d'action et d'événements à force de voyage dans le temps. Mais bien des choses n'ont pu changer. À elle seule, elle ne pouvait pas sauver l'humanité d'elle-même. Je l'ai vu aller dans le futur, voir les répercussions de ses actions, revenir dans le passé. Cependant, je ne peux expliquer pourquoi elle a perdu la mémoire de son voyage de 2024 à l'époque actuelle. Peut-être errait-elle.

- Elle se serait perdue ?

- Possible qu'après tant de voyages et de désespoir, elle ait fini par se perdre, oui...

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Les jours passèrent et se ressemblèrent pour l'équipage. Kryos et Malory poursuivaient leurs séances de traitement des souvenirs. Au fil du temps, les crises avaient diminué, au point que la voyageuse pouvait maintenant méditer pendant une quinzaine d’heures sans interruption. Le drell lui avait appris à ralentir le flot des souvenirs pour les accueillir un à un, les revisiter et les traiter. Shepard avait demandé à Kryos de ne pas révéler la vérité sur sa mémoire tant qu’il ne la jugeait pas suffisamment stable. Ainsi, Malory vivait toujours dans l’illusion que ces souvenirs n’étaient pas les siens.

Assis sur l’herbe, face à face, les yeux fermés et les mains jointes, protégés de toute intrusion par une bulle biotique, un nouveau souvenir émergea. Malory ressentit immédiatement sa singularité. Une nausée monta en elle, mais elle résista. Le souvenir se matérialisait comme une réalité tangible et un être hors du commun apparut devant elle, dans un vaste espace blanc et lumineux. Elle savait instinctivement qui il était, sans comprendre comment.

Kryos perçut lui aussi l'étrangeté du souvenir, mais ne parvint pas à y accéder. Il rassura alors la jeune femme.

- Je suis avec vous. Je vous protégerai si quelque chose d’inconfortable survient.

Ces mots ravivèrent la confiance de Malory. Bien que son corps, dans le présent, restait immobile, elle pouvait se mouvoir librement dans ce souvenir. Elle fixa l’être en face d’elle et s’abandonna à cette expérience.

- Un prothéen... souffla-t-elle.

Toujours face à cet être, la jeune femme l'admira quelques secondes avant de briser à nouveau le silence.

- Vous n'êtes pas un souvenir, n'est-ce pas ? questionna-t-elle.

- Pas vraiment, mais je ne suis pas réel non plus. Je n'aurai donc pas de réponses à des questions élaborées, répondit-il.

- Je vous connais, je le sens.

- Tu me connais moi et d'autres. Nous essayons d'échapper au cycle de ce que ton peuple nomme "les moissoneurs". Mais tout espoir est vain, car si tu es ici, maintenant, c’est que nous sommes morts...

- En effet, les prothéens n'ont pas survécu. Je suis désolée...

- Qu'est-il advenu du cycle suivant ?

- Le nouveau cycle a été interrompu.

Le prothéen s'illumina à ces mots, son aura devenant scintillante.

- Cela emplit mon être de joie. Cela veut dire que nous avons réussi.

- Réussi quoi ? demanda-t-elle.

- Mon peuple a tenté de combattre les moissonneurs, d'arrêter le cycle. Voyant qu'ils ne s'en prenaient qu'aux races les plus évoluées, nous avons compris que les races inférieures étaient protégées jusqu'à leur apogée. Mais... Une fois l'apogée atteinte, elles seraient moissonnées. Mon peuple a alors cessé de réduire en esclavage les races, qui sont, peut-être, dans ton époque les plus évoluées, afin de leur laisser une chance de survie face au prochain cycle.

- avoir aboli l'esclavage a été une réussite ? demanda-t-elle avec défiance.

- Si le cycle a été arrêté, c'est que les machines ont été vaincues. votre cycle a réussi là où nous avons échoué. Nous vous avons laissé notre savoir, sous plusieurs formes dispersée dans la galaxie.

- Mais quel rapport avec moi ?

- Tu es la mémoire de notre savoir.

Malory n'arrivait toujours pas à saisir la logique des paroles du Prothéen. Elle prit néanmoins conscience de picotements dans tout son corps, comme des fourmillements dans ses membres. Intuitivement, elle savait que ce n'était pas normal, mais elle essaya de supporter la sensation. Elle avait tant de questions à poser encore. Le prothéen l'observa et comprit.

- Ton cerveau n'arrive pas à assimiler l'espace où nous nous trouvons en ce moment. Il interprète cette situation comme une menace mortelle et essaie de te maintenir en vie. Tu vas devoir partir.

- Non, je n'ai pas fini ! Je suis la mémoire de votre savoir, qu'est-ce que cela signifie !?

- Tu es la clé de tout cela. Mon peuple venait de comprendre comment contrôler la ligne temporelle. Nous manquions de temps avant la fin de la moisson et n'avions pas encore réussi à modifier le cours des événements. Nous avons alors partagé notre mémoire et notre génome avec un être unique, que nous avons fait évoluer jusqu'à ce que nous ne puissions plus le protéger.

- Qu'est-il devenu ?

- Tu es ici, alors seule toi as la réponse.

Malory sentit ses jambes tressaillirent.

- C'est impossible. Nous avons été plusieurs. Kryos m'a affirmé que ma mémoire était partagée.

- Avec les prothéens oui. Puisque nous avons disparu, ta mémoire t'appartient à toi seule.

Les picotements devenaient de plus en plus intenses, et elle sentit un froid glacial l'envelopper. Le Prothéen poursuivit :

- Tu as été conçue en laboratoire et déposée sur Terre dans une capsule cryogénisée, sous ta forme adulte. La capsule était programmée pour s'ouvrir, mais nous ignorions quand. La seule certitude était que tu connaîtrais ta mission dès ton réveil.

- Je n'ai aucun souvenir de ce que vous racontez, alors ce que vous dites est impossible ! protesta-t-elle, sentant la colère monter en elle.

- La capsule devait te protéger. Donc nous devions protéger la capsule à tout prix. Seule une architecture imposante et d'origine prothéenne pouvait résister aux intempéries de ton monde. Nous avons construit ce que votre race appelle, selon ta mémoire, les grandes pyramides d'Égypte.

- Je ne vous crois pas!

- Je vois dans ta mémoire que l'origine des pyramides n'a jamais été claire, car il semblait impossible de créer quelque chose d'aussi imposant et parfait avec des moyens humains. Le site de protection a été conçu pour se trouver à équidistance des pôles magnétiques de votre monde. Il était ainsi un générateur d'énergie capable de te tenir en vie jusqu'à l'ouverture de la capsule. Nous avions aligné plusieurs pyramides sur nos planètes comme un avertissement. Ta civilisation aurait ainsi peut-être compris l'existence des cycles et la destruction des civilisations qui en découle.

- Seule Shepard a compris, et la moisson avait déjà commencé... murmura Malory.

- Malory... C'est la première fois qu'il l'appelait par son prénom. Pourquoi te mets-tu en danger, en venant me voir si le cycle n'est plus ? Je n'ai toujours été que la mémoire de ta mission, et cette mission est accomplie.

Parler devenait maintenant un effort, elle sentait que son esprit s'affaiblissait.

- J'ai perdu ma mémoire... Je ne vous ai pas cherché, vous êtes venu à moi...

- Je vois ton tourment. C'est là toute la complexité d'être à la fois prothéenne et humaine. Le regret et le tourment ne sont pas des traits prothéens.

- Une douleur insurmontable m'habite à chaque instant... Peut-être suis-je là pour mourir... murmura-t-elle.

Le prothéen posa sa main sur le front de la jeune femme et ferma les yeux. Laissant le silence s'installer.

- Je crois que je comprends... Il marqua une pause solennel, puis reprit de sa voix rauque. Il y a fort longtemps, tu as perdu espoir en l'humanité. Tu as voulu interrompre ta mission et laisser ta civilisation à son propre sort... Tu les avais condamné. Ses yeux se plissèrent. Tu... C'est intéressant et très humain... Quelque chose t'a redonné l'espoir que tu avais perdu... Tes souvenirs sont trop altérés pour que je comprenne qu'elle est cette chose. Toutefois, ta mission initiale est devenue intimement liée à cette chose.

Un halo blanc enveloppa tout l'espace, aveuglant la jeune femme. Le Prothéen se dissipa lentement dans une brume presque imperceptible. Elle ressentit la disparition des picotements, tandis que le froid laissa place à une douce chaleur. Au loin, une voix résonnait. Malory eut du mal à saisir le message sur-le-champ, mais elle reconnut cette voix : celle-là même qui l'avait ramenée sur le bord du cap... Elle se laissa emporter par la douceur de la mélodie. "Je t'en prie, réveille-toi, ne m'abandonne pas encore une fois...". Cette phrase déclencha une décharge électrique à travers tout son corps. Elle eut un bref aperçu du ciel bleu avant de retourner dans son univers blanc. Sacha la suppliait ; c'était donc ça la complainte. Une nouvelle onde de choc traversa son corps et elle reprit sa respiration, tirée sans ménagement de son monde, de son souvenir, vers la réalité. Elle se rappela qu'elle avait commencé sa journée en méditant avec Kryos. Elle réalisa alors qu'elle luttait maintenant pour rester en vie, comme le Prothéen l'avait avertie. Enfin, elle ouvrit les yeux et vit Sacha penchée au-dessus de son buste, la suppliant.

- Tu es revenue... encore... Chuchota Sacha avec gratitude.

- Cela fait deux fois... que ta voix me tient en vie...

- Je ne sais pas qui tu es, ni combien tu as de vies, mais arrête de te mettre en danger...

Le drell s'était tenu à l'écart, avec Shepard. Il avait perdu le contact avec Malory, dans sa méditation. Il observa alors la scène avec inquiétude et partagea son expérience avec l'amiral.

- Shepard... Elle n'a plus besoin de moi, déclara-t-il

- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

- Durant notre méditation, l'un de ses souvenirs m'était inaccessible. C'est elle qui a bloqué l'accès et coupé le contact avec moi. Si elle est capable de cela, je doute que mes services lui soient encore utiles.

- Elle est tout de même tombée dans un coma de plusieurs heures Kryos.

- Et elle en est sortie par elle-même.

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Ce jour-là, la voyageuse venait de faire une découverte sur son identité, en partie du moins. Assise dans la fraîcheur de la nuit, sur un rocher dominant le sanctuaire, deux questions l'assaillaient : devait-elle révéler son identité ? Et quelle était cette force qui, un jour, lui avait redonné espoir...? Alors qu'elle observait ses camarades grenouiller dans le sanctuaire, elle sentit une présence s'approcher. Sans crainte, elle sourit, sachant qu'il s'agissait de Sacha. En effet, le lieutenant s'installa à ses côtés.

- Puis-je ?

- Bien sûr, répondit Malory avec un sourire.

- Depuis que tu es arrivée dans nos vies, ou plutôt dans la mienne, nous avons passé beaucoup de temps ensemble, mais aussi beaucoup de temps séparées, débuta Sacha. Et dans l'observatoire, tu m'as...

Elle ne termina pas sa phrase.

- Je t'ai embrassé... poursuivit Malory.

- Est-ce que cela signifiait réellement quelque chose pour toi ? questionna-t-elle sans la regarder et avec hésitation.

La voyageuse ressentit l'inquiétude de la jeune femme, réalisant qu'elle n'avait pas passé une seule minute avec elle depuis son retour du cap. Le message était incontestablement ambigu.

- Je suis tellement désolée de t'avoir fait penser ou sentir que tu n'étais pas importante Sacha ou même que ce baiser ne valait rien. J'étais égarée et je n'ai pas su te donner du temps. Mais sache, que dans mes moments de détresse des dernières semaines, mon esprit est toujours revenu à la raison grâce à toi.

Sacha esquissa un sourire.

- Alors toi et moi... ça veut dire que tu es d'accord pour que l'on continue de se découvrir?

Malory grimaça ce qui fit froncer les sourcils de son acolyte.

- Se découvrir, mais pas sur une base amicale, n'est-ce pas ?

- Oh Malo ! Je ne cherche pas une amie, répliqua Sacha en riant, entraînant un rire complice chez la voyageuse.

Les deux jeunes femmes se regardèrent tendrement et finirent par s'embrasser, dans un long et doux échange.