La voyageuse

Chapitre 4 : Le cap

2554 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/03/2024 00:55

Seize jours passèrent.


L'amiral Jane Shepard partageait son temps entre le travail, la méditation et sa vie de famille. Les souvenirs douloureux de la guerre contre les moissonneurs et les pertes qu'elle avait subies pesaient lourdement sur elle. Chaque nuit, des premières années, les cauchemars la hantaient, lui rappelant les choix difficiles qu'elle avait dû faire pendant la guerre. Elle se revoyait affronter l'homme trouble, parler au catalyseur et prendre la décision déchirante de détruire toutes les machines.


Tant de vies prises. La mort d'Anderson devant ses yeux, la perte d'IDA, de Thane, d'Ashley, de Legion et des Geths qui s'étaient repentis. Toutes ces vies qui avaient reposé sur ses épaules, des milliards en réalité, étaient une charge insupportable pour elle. Pourtant, malgré le fardeau écrasant de ses souvenirs, elle ne perdait pas espoir. Elle savait que chaque sacrifice avait été fait pour le bien de la galaxie, pour la survie de l'humanité et des autres espèces. Mais cela ne rendait pas la douleur plus supportable.


La méditation était devenue son refuge, un moyen de trouver un semblant de paix intérieure dans le chaos qui l'entourait. Elle cherchait à apaiser son esprit tourmenté, ou encore à trouver la force nécessaire pour continuer. Samara et Liara avaient été d'une grande aide dans cette quête. Plusieurs mois par an, les cinq premières années, elles l'avaient forcé à sortir de ses traumas et à instaurer le calme en elle. Au fil des années, elle y était arrivée. Kryos, le fils de Thane, lui rendait lui aussi régulièrement visite pour lui enseigner la spiritualité. Tout cela avait changé la vie de l'ancien commandant.


Dans ces moments de calme, elle se rappelait aussi des moments de bonheur qu'elle avait partagés avec Liara, Sacha et ses autres compagnons d'armes. Les rires, les étreintes, la camaraderie, tout cela avaient illuminé sa vie. C'étaient ces souvenirs qui lui redonnaient courage et lui rappelaient pourquoi elle se battait encore. L'amour. Ça a toujours été l'amour. C'est en l'honneur de ses compagnons du passé que Shepard avait fait construire le Sanctuaire, ce lieu où chaque être qui demandait de l'aide pouvait en recevoir, peu importe sa race. C'était à la fois sa maison, son lieu de travail, son temple.


Mais retournons dans le présent... Elle était donc dans une énième méditation, dans une grande salle blanche et lumineuse. Alors que son esprit vagabondait sur des sensations agréables, Glyphe, l'intelligence artificielle, apparut. Cela sortit Shepard de sa tranquillité. Elle savait que si Glyphe était ici, à cet instant, cela n'augurait rien de bon.


- Bonjour, amiral Shepard.

- Glyphe, dis-moi ce qu'il se passe, demanda-t-elle méfiante.

- Malory Nantel est en danger, aux coordonnées suivantes... Il fit apparaître une carte avec un point lumineux.


Shepard reconnut immédiatement la géographie des lieux et s'inquiéta.

- Par la déesse ! Les caps du nord. Elle ouvrit son Omnitech et parla à voix haute. Cortez, on décolle avec l'Atlantique, préparez l'équipage.

- Bien reçu amiral.


L'Atlantique était un vaisseau de classe intermédiaire, conçu pour les missions sur Terre et les déplacements atmosphériques. Comparé au Normandy, qui était un vaisseau de classe frégate et spécialisé dans les opérations dans l'espace, l'Atlantique était plus petit et plus léger. Le vaisseau n'avait rien à envier au Normandy pour les missions pour lesquels il était destiné, c'est-à-dire les missions de reconnaissance et d'infiltration. Son équipage de maintenance était restreint, ses partenaires tactiques également.

Sacha était déjà à bord, accompagnée de Liara et d'un homme répondant au nom de Kovatch, habillé lui aussi de sa tenue de militaire. Shepard entra dans le vaisseau et ordonna le décollage dès que possible. Elle se dirigea vers Sacha.


- Je dois pouvoir me fier sur chacun d'entre vous, dont toi.

- Je le suis amiral, répondit-elle en se mettant au garde à vous.


Jane Shepard la regarda fixement dans les yeux et acquiesça de la tête, comme pour lui signifier sa confiance. Sacha ravala ses inquiétudes. Elle était à la fois en colère de ne pas avoir pris l'initiative de suivre Malory discrètement, mais également que cette dernière se soit mise en danger. Les derniers préparatifs finalisés, le vaisseau décolla en vue d'un sauvetage.


Dans les terres du nord, Malory se trouvait dans une situation délicate. Pourchassée sans relâche par des mercenaires, elle était maintenant coincée entre les caps rocheux et la mer. Sa fuite semblait avoir atteint son terme, ne laissant comme issue que l'océan. Les mercenaires avaient exercé une pression constante, cherchant à négocier, à la neutraliser par les armes. Lors d'une de ces nuits où elle avait réussi à les semer, elle intercepta l'une de leurs communications. C'est alors qu'elle comprit qu'ils étaient informés du dysfonctionnement temporel survenu le jour de son arrivée en 2199. Glyphe lui avait révélé leur affiliation à Cerberus, une organisation terroriste qui fut pourtant éradiquée il y a bien longtemps. L'I.A avait suggéré qu'ils partageaient les mêmes hypothèses que Shepard à propos de Malory, envisageant la possibilité de retourner dans le temps pour rectifier les erreurs ayant conduit à la chute de Cerberus.


La jeune femme se détacha de ses pensées, revenant brusquement au moment présent. Son arme n'avait plus de munitions depuis longtemps. Elle était vouée à se faire capturer, prenant conscience à ce moment-là, que la nature de l'être humain, malgré ce que Shepard avait pu lui dire, était toujours aussi vile et méprisable. En effet, l'humanité persistait à répéter inlassablement les mêmes erreurs, ne tirant jamais une leçon définitive. À quoi bon, alors ? Pourquoi sauver l'humanité si elle continuait éternellement à se condamner ? Une colère profonde s'empara d'elle. À quoi bon voyager dans le temps pour les avertir des dangers, si leur stupidité restait inchangée ? Malory savait qu'elle allait devenir un pion entre les mains de terroristes, une arme. Et pour quel dessein ? Pour causer encore plus de destruction. Alors, à quoi bon!?


Il était hors de question de se laisser prendre...


Alors, nous revoilà sur ce cap, sur cette falaise. Les mercenaires la tenant en joue. Elle était dans l'impasse, le vent soufflant violemment, agitant ses cheveux. L'océan déchaîné semblait refléter la réalité tumultueuse dans laquelle elle était piégée. Elle grelottait. Glyphe, la boule lumineuse était réapparue grâce à son omnitech. Il avait été son compagnon de route et avait pu lui apprendre tout ce qui lui manquait de l'histoire de l'humanité et de la galaxie. Ses souvenirs avaient même commencé à revenir grâce à lui.


- À quoi bon Malo ? Se hurla-t-elle à elle-même


Elle fixait les mercenaires, ne présentant plus de résistance. À quoi bon tout cela ? Elle avait perdu foi en l'humanité, une perte qui remontait déjà à son époque. L'observation de l'époque actuelle ne laissait entrevoir aucune alternative à l'inconscience humaine. Et en cet instant précis, là, tout de suite, elle avait perdu tout espoir pour elle-même. "À quoi bon", pensa-t-elle encore... C'est alors qu'elle écarta lentement les bras, adoptant une position cruciforme qui laissait penser qu'elle se rendait, acceptant son destin, tout était fini. Un mercenaire reçut l'ordre de s'approcher, s'avançant avec hésitation.


Mais c'était trop tard... Malory leva les yeux vers le ciel, ses bras toujours étendus. Tout pouvait maintenant prendre fin... Elle se laissa alors basculer en arrière, devant le mercenaire qui hâta le pas pour la rattraper. C'était trop tard... Son corps se dissout dans le vide avec une désinvolture déconcertante. Dans sa chute, des séquences d'images défilèrent soudain devant elle, une succession rapide et aléatoire. Une enfant dont elle ignorait l'identité, une pyramide majestueuse, un guerrier viking intrépide, une armée romaine déployée, un bûcher consumant un homme, un géoglyphe représentant un oiseau mystique, Stonehenge, la tourmente de la guerre, la froideur de la mort, les tours du World Trade Center s'effondrant tragiquement, un baiser passionné, la prise de la Bastille en France, une naissance pleine d'espoir, des hippies en rébellion, un homme caressant tendrement le visage d'une femme, deux femmes partageant un amour intense, Ottawa, sa femme, sa femme recevant une balle mortelle, le cycle implacable de la mort, les émotions, une rage dévorante, une tristesse déchirante, le désir brûlant de mourir. À cet instant précis, elle nourrit le vœu ardent que tout cesse, prenant conscience de l'ampleur de sa détresse, sans chercher à l'apaiser. Tout semblait irrémédiablement trop tard...


Soudain, des cris résonnèrent, mêlant la voix du mercenaire à une autre qui fit s’emballer son cœur déjà frénétique, toujours en chute libre. Les appels désespérés de Sacha déchiraient l'air. Mais c'était trop tard Sacha... L'océan déchaîné en contrebas l'attendait, les vagues la happèrent, l'engloutissant dans leur tourbillon implacable. Elle disparut. C'était trop tard...

Sacha s'effondra à genoux, un cri de détresse déchirant la lourdeur du vent. Elle avait assisté, impuissante, à la tragédie qui se déroulait sous ses yeux. Malory, piégée, avait choisi de mettre fin à ses jours. Dans le tourbillon de l'émotion, Sacha regrettait de n'avoir pas eu le temps de lui confier la profondeur de ses sentiments. Une connexion intense avait émergé entre elles en si peu de temps, un amour naissant dès le premier regard. C'était une expérience nouvelle pour Sacha, et les mots d'affection étaient restés non prononcés. Le temps, ce cruel maître, s'était écoulé trop rapidement. Malory possédait peut-être le pouvoir de le dompter, mais maintenant, il était trop tard.

Dans un geste violent, Shepard la tira en arrière et la traîna derrière une barricade de rochers. Elle ordonna à Kovatch de la couvrir pendant que Liara déchaînait ses attaques biotiques. La situation était critique alors que les mercenaires se rapprochaient et que le combat devenait acharné. Shepard tenta de protéger ses acolytes nourrissant un feu de balles intense. Les minutes passèrent, l'équipe était en mauvaise posture, mais leadait le combat.

Brusquement, le sol se mit à trembler, prenant tout le monde de court. Le ciel qui était déjà menaçant, devint encore plus sombre et la pluie frappa avec ardeur. Puis, une vague immense se forma à l'horizon, tel un tsunami. Shepard imposa à son équipe de se replier vers le vaisseau. Ils coururent, abandonnant le combat, conscients que le tsunami les emporterait tous.


Alors qu'elle se hâtait, Shepard jeta un dernier regard en arrière pour évaluer l'arrivée imminente de la vague. Et là, elle l'aperçut. Sur le sommet de la vague, le corps inerte de Malory flottait. Les bras écartés, elle semblait dominer la puissance de l'eau. Shepard eut le temps de monter à bord du vaisseau, aidée par Liara qui lui tendait la main tout en criant.

- Par la déesse Shepard !! C'est impossible !


Le vaisseau prenait un peu de hauteur pour se mettre à l’abri. La vague s'éclata contre le cap et le fractura, emportant dans sa chute une partie des mercenaires. L'inondation vint rattraper ceux qui tentaient de fuir, puis lentement l'eau se retira avec les corps prisonniers.

Le vaisseau fit un survol à très basse altitude et contre toute attente, Shepard vit le corps de Malory. Elle était là, échouée, allongée sur un tapis d'herbes humides. Shepard n'eut pas le temps de donner un ordre que Kovatch sauta du large sas qui n'avait pas encore été fermé et se précipita pour la secourir. Sacha regarda la scène avec incompréhension, figée. Avec précaution, Kovatch s'agenouilla près d'elle et la prit dans ses bras, pour la transporter. Elle était inerte, trempée, froide, mais elle respirait encore. Il la ramena sur le vaisseau et la déposa sur le sol de la soute. L'équipe se pressa autour de la voyageuse. Sacha reprit son rôle de médecin et tenta d'évaluer la gravité de son état.

- Elle n'a aucune technologie médicale en elle, dit-elle dans un fond de panique. Shepard, elle a besoin d'une dose de médigel. Liara prépare le démarreur cardiaque. Elle est en hypothermie

- Il faut la réchauffer, lança Kovatch.

- Je sais ! Amenez-moi couvertures et adrénaline !

- Lieutenant, ce procédé pour la réchauffer est trop long. Déshabille-là !


La jeune femme figea devant la stupidité du commentaire de l'homme. Shepard fit mine de ne pas entendre et administra sa dose de médigel. Kovatch lut sur le visage de la jeune femme son incompréhension, mais avant qu'il n'ajoute quelque chose Sacha comprit.

- Par la déesse vous avez raison, le "peau à peau" était la technique utilisée il y a des siècles pour contrer l'hypothermie.

- Enlevez-lui ses vêtements mouillés, l'une de vous deux fait pareil, en désignant Shepard et Sacha. Liara la température de votre corps n'est pas assez élevée.


Liara ne prit pas offense de la remarque. Sacha s'activa et retira les vêtements collés à la peau de Malory, laissant ses sous-vêtements apparent. Ensuite, elle se déshabilla à son tour, devant le soulagement de Shepard, tout en évitant les regards de ses coéquipiers. Coéquipiers qui évitaient également d'entrer dans l'intimité de la scène. Shepard adossa Malory contre elle pour la maintenir assise, pendant que Sacha venait se blottir devant elle, adoptant la même position. Liara veilla à déposer des couvertures sur chacune d'elles pour les réchauffer.

Une atmosphère empreinte de préoccupation et de détermination remplissait la soute du vaisseau. Kovatch prit une seringue et injecta précautionneusement un mélange de stimulants dans le corps de Malory. Shepard la maintenait toujours fermement, pour qu'elle reste collée à Sacha. Cette dernière sentait son souffle faible contre sa peau, elle resserrait son étreinte, transmettant chaleur et réconfort.


Les minutes semblaient durer une éternité, mais finalement, Malory commença à montrer des signes de reprise. Ses paupières tremblèrent et ses doigts se crispèrent légèrement. Un faible murmure s'échappa de ses lèvres. Kovatch surveillait attentivement ses signes vitaux, prêt à intervenir si nécessaire. Le cœur de Sacha bondit d'espoir lorsqu'elle entendit Liara chuchoter qu'elle entrouvrait ses yeux. Son regard était encore embrumé.

- Malo, nous sommes-là avec toi, murmura Shepard.

- Tu es en sécurité maintenant, continua Sacha.


Malory tenta de sourire, mais la faiblesse la submergea à nouveau, et ses paupières retombèrent doucement. Sacha resserra son étreinte protectrice autour d'elle.

Le voyage de retour fut empreint de silence, chaque membre de l'équipe était perdu dans ses pensées et ses inquiétudes. Sacha demeurait lovée à la voyageuse repensant à ce qui s'était passé. Comment avait-elle survécu et surtout qu'est-ce qui s'était passé sur ce cap ?


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