Némésis
Mot de l'auteur
Coucou tout le monde,
Je me suis absentée pendant 5 mois. C'est long!! Mais allait-elle revenir? Et oui, je reviens en 2025. Et je ne compte pas lâcher cette histoire qui fera normalement 6 ou 7 chapitres. Désolée mais j'ai été prise par des travaux et des problèmes de Wi-Fi. Mais à présent, cette nouvelle année semble prometteuse. J'espère avoir fini rapidement cette histoire tout en continuant les autres en cours.
Certains passages pourraient choquer certains d'entre vous à cause des propos violents. Je tiens à rappeler que si certains d'entre vous vivent ces harcèlements ou cette violence, prévenez les autorités ou des adultes de confiance.
J'espère que ce chapitre vous plaira!
2. Elle
Courtney fit tourner sa clé dans la serrure. Le cliquetis du métal résonna dans la pièce silencieuse et vide de toute vie. La jeune fille avança précautionneusement dans le hall de l’appartement. Elle ne voulait pas réveiller sa mère.
Elle se dirigea vers la cuisine et se servit un verre d’eau. Le son du liquide se déversant dans le verre lui sembla retentissant. Ce fut à ce moment-là que ce silence lui parut pesant. Elle contempla son espace de vie. L’appartement était propre, rangé, décoré avec goût. Bref, c’était un endroit agréable si on aimait vivre dans un catalogue de meuble. Pas une seule photo dans la pièce ni objet personnel ne garnissait le salon ou la mini salle à manger.
Courtney serra le verre dans sa main. Sa mère devait dormir dans sa chambre. Elle ne l’avait pas attendue. La jeune fille ne savait pas si elle devait s’en réjouir ou bien être déçue par le manque d’intérêt de celle qui l’avait mise au monde. Courtney savait qu’elle aurait dû se réjouir de cette confiance que lui accordait sa mère. Après tout, elle avait vingt ans et sa mère ne surveillait pas l’heure à laquelle elle rentrait. Pourtant, elle ne pouvait réprimer une certaine amertume.
Courtney déposa le verre dans l’évier. Elle se démaquilla et se coucha dans son lit. Il était deux heures du matin, mais elle n’était pas spécialement fatiguée. Elle recensa les événements de la soirée dans sa tête : les préparatifs, les copines, le fantôme dans la rue, le gars dans la discothèque, le fast food et les retrouvailles avec ses copines. Elles avaient posé des tonnes de questions sur ce garçon. Au grand désarroi de Courtney, elle s’était rendu compte qu’elle ne savait rien de lui, même pas son nom.
-Il avait des yeux magnifiques, songea-t-elle en fermant les yeux.
La jeune fille fut happée par ses rêves. Elle flottait dans un espace vide et sombre. Elle avait l’impression de nager au fond d’un océan sans souffrir du manque d’air. Elle s’amusa un instant de cette absence d’apesanteur. Elle s’imagina en sirène et remua ses cheveux autour de sa tête. Elle aimait sa longue chevelure châtain clair héritée de son côté irlandais.
Petit à petit, une lueur apparut au loin. Tout en souriant, elle nagea vers cette lumière de plus en plus présente. Brusquement, sa nage endiablée se stoppa net. Elle venait de se cogner la tête contre une paroi de verre. Elle ne pouvait pas entrer dans la lumière. Elle était prisonnière de l’obscurité. Cela l’angoissa. Elle voulait être libre. Elle frappa contre la paroi mais celle-ci était résistante et solide. La jeune fille essaya d’observer ce qu’il y avait au-delà. Elle n’y parvint pas : la lumière était aveuglante.
Soudain, des mains masculines s’appuyèrent sur la paroi, jumelles aux siennes. C’était l’inconnu rencontré dans la discothèque. Il flottait également devant elle, dans la lumière. Elle l’envia et frappa de nouveau sur le mur de verre.
-Aide-moi ! Je veux être libre !
-En es-tu sûre ? Tout changera dans la lumière. Ta vie ne sera plus la même.
-Mais je veux être libre.
-Parfois la liberté est un prix trop cher à payer…
-Peu importe, je veux être moi. Je veux pouvoir être pleinement qui je suis.
Courtney sursauta à ses propres paroles. Que voulait-elle dire ? Son but initial était simplement de sortir de l’obscurité. Quel était le rapport avec sa personnalité ou qui elle était ? Elle savait qui elle était : Courtney Walsh, vingt ans, étudiante en psychologie à l’université, américaine d’origine irlandaise. Était-ce vraiment elle qui avait prononcé ces mots ?
Le jeune homme sourit en face d’elle, un sourire triste et compatissant. Il hocha la tête. Ses yeux, déjà magnifiques, brillèrent davantage. Courtney y admira une galaxie sur fond violet. Elle fut hypnotisée par ces éclats étranges.
-Je comprends, dit-il. Tu es courageuse. Je vais essayer de t’aider.
Il appuya de toutes ces forces sur ce mur invisible. Elle fit de même à l’emplacement exact de ses mains à lui. Elle ignorait si cela marcherait. Elle se laissait guider par son instinct. Ensemble, ils exercèrent une pression sur la barrière. Rapidement, le verre se fissura. La fissure se transforma en toile d’araignée.
-Ça marche, se réjouit la jeune fille.
Ce fut à ce moment-là qu’elle bascula. Courtney ne flottait plus, elle tombait, engloutie par l’obscurité.
Courtney se réveilla en sursaut. Elle eut du mal à calmer sa respiration. Ce cauchemar avait été si intense. Elle se rendit compte qu’elle était moite. Il fallait avouer qu’il faisait chaud pour la saison.
Du bruit dans le couloir attira son attention. C’était sa mère qui faisait des allées et venues de la salle de bain à sa chambre. La jeune fille regarda l’heure : huit heures du matin. Nous étions samedi mais sa mère devait se préparer pour travailler. Courtney se décida à se lever : l’appel de la nature n’attendait pas et elle se rendit aux toilettes.
-Courtney, je t’ai préparé du thé si tu en veux.
Mollement, encore épuisée de sa sortie de la veille, le zombie du matin se traîna jusqu’au comptoir de la cuisine où elle s’assit sur le tabouret haut. Elle savoura la chaleur de la tasse entre ses mains. Elle savait qu’elle devait manger quelque chose mais elle était trop fainéante pour se lever de nouveau.
Sa mère lui tournait le dos. Une tasse à la main, elle consultait un document sur son ordinateur tout en écoutant les nouvelles du jour. Madame Walsh n’aimait pas regarder les informations depuis l’apparition des Avengers. Elle estimait que ces « voyous » étaient trop violents. Par contre, elle mettait un point d’honneur à s’informer quotidiennement du monde qui l’entourait grâce à la radio.
« Hier soir, une bagarre est survenue dans un bar de la XX avenue. Apparemment, un mutant aurait profité de la fête d’Halloween pour agresser des gens… »
-Ce n’est pas ce qu’il s’est passé, s’offusqua Courtney.
Sa mère se tourna vers elle. Ses beaux sourcils noirs se froncèrent. Une fois de plus, Courtney fut subjuguée par la beauté de sa mère. À quarante-cinq ans, elle avait la fraîcheur et l’éclat d’une jeune femme tout juste trentenaire. Elle ne teignait pas ses cheveux noirs et sa fille admira les deux ou trois cheveux blancs qui garnissaient à peine cette masse chevelue. Si Courtney avait hérité de la couleur de cheveux et des yeux de son père, elle n’avait pratiquement rien de sa mère sinon la forme de son nez aquilin. Farah Walsh était une beauté égyptienne qui aurait pu faire concurrence à Cléopâtre elle-même.
-Il est simplement dommage qu’elle ne sourit jamais, pensa tristement sa fille.
-Tu y étais ? questionna Farah en la ramenant au présent par sa question.
-Ben… avec les filles… on a fait le tour des boîtes et puis on est tombé sur cet endroit. Et, pas de bol, peu de temps après, on a assisté à une partie de la bagarre.
-Tu es blessée ?
-Non, non.
-Tout va bien, alors.
-Mais ce journaliste est un incapable. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé…
-On s’en moque.
-Moi je ne m’en moque pas. Tu te rends compte que les mutants sont de plus en plus nombreux. Ce sont des citoyens tout comme nous. Ils ont des droits et on les traite comme des criminels simplement parce qu’ils sont nés différents.
-Inutile de développer ta thèse avec moi. Ça ne m’intéresse pas.
-Mais pourquoi ? Tu n’es pas choquée par la situation ?
-Non. La vie des autres ne m’intéresse pas, dit sa mère en vidant sa tasse dans l’évier.
Courtney la regarda ranger l’ordinateur dans son sac. Cette femme, bien que sa mère, était si froide. Pourtant, elle avait des souvenirs chaleureux avec elle. Depuis quand cette mère était-elle devenue si insensible à tout, même à son propre enfant ?
-Maman, moi ça m’intéresse. J’aimerais prouver par mes recherches que le cerveau des mutants fonctionne comme le nôtre. Je veux valoriser leur humanité.
Brusquement, Farah prit le visage de sa fille entre ses mains. Courtney se fit la réflexion qu’elles étaient vraiment froides. Le geste n’était pas doux. C’était plutôt une forme d’avertissement. La mère planta son regard dur dans celui de sa fille.
-Ne te mêle pas de la vie des mutants, c’est mieux pour toi. Je suis d’accord : c’est triste et injuste ce qui leur arrive. Mais ce n’est pas notre combat. Ils doivent grandir et s’affirmer par leurs propres moyens. Toi, contente-toi de vivre simplement ta vie. D’accord ?
Courtney déglutit difficilement. Une réflexion lui brûla les lèvres. Elle ne put s’empêcher de la prononcer à voix haute, en partie pour se rebeller contre cette forme de répression.
-Et si… Et si j’étais moi-même une mutante ?
Lentement, sa mère recula en la toisant du regard. Courtney n’avait jamais vu cette expression mitigée chez Farah, un mélange d’inquiétude et de désapprobation. La jeune fille ignorait ce qu’il se passait dans sa tête mais elle affichait clairement des sentiments négatifs sur son visage à cette simple idée.
Finalement, Farah répondit sèchement d’une voix tranchante :
-Tu n’en es pas une !
Sur ces paroles, elle prit ses affaires et quitta l’appartement. Courtney entendit ses talons claquer un moment dans le couloir de l’immeuble. Ce fut seulement quand le silence revint que la jeune femme se permit de recommencer à respirer.
-Où peut-il être ? Je suis certaine que je suis dans le bon quartier.
Un vent froid d’hiver souffla en sa direction. Réprimant un frisson, Courtney réajusta son écharpe sur sa nuque. Depuis quelques jours, la saison déclinait vers le côté hivernal. Fini les petites vestes d’entre-deux saisons et bonjour les manteaux chauds et les bonnets de laine.
Distraite, la jeune fille marcha dans une flaque d’eau. Elle pesta contre la malchance tout en secouant sa bottine trempée. Elle sentit ses orteils s’engourdir avec la combinaison de l’humidité et du souffle glacial. Elle soupira.
-Qu’est-ce que je fous en réalité ? se questionna-t-elle avec un sentiment de désespoir de plus en plus grandissant.
Et puis, elle se souvint de la raison à son état apathique.
L’inconnu de la discothèque était régulièrement revenu hanter ses rêves. En journée, il n’était pas rare de voir Courtney perdue dans ses pensées. Elle ne cessait de se remémorer cette courte conversation qu’ils avaient échangée. Courtney sentait qu’il s’était passé quelque chose entre eux ce soir-là. Elle n’aurait pu l’expliquer mais, quand il lui avait pris la main, elle avait senti une sorte de connexion entre eux. Quant au songe, il était toujours le même. Et elle se réveillait toujours avec cette sensation d’oppression malsaine. Tout cela avait commencé à l’obséder.
Et puis ses yeux… Elle ne se lassait pas de se remémorer ses yeux pailletés. Bien que maigrichon, ce garçon avait un certain charme qui ne la laissait pas indifférente. Il avait été gentil avec elle et l’avait protégée alors qu’ils ne se connaissaient pas.
L’étudiante avait trainé, tout comme ce soir, quelque fois dans le quartier des discothèques après ses cours dans l’espoir de l’apercevoir. Seul l’échec avait récompensé ses recherches.
-De toute façon, qu’est-ce que je lui aurais dit ? Salut, tu te souviens de moi ? J’ai mangé un burger devant toi. Aaah, soupira-t-elle, c’est nul.
Courtney avança en regardant ses pieds. Aujourd’hui aussi, elle était revenue bredouille de son expédition dans le quartier chaud. Ses copines l’avaient charriée à cause de ses absences répétées. Suite à cela, la jeune fille ne trainait plus avec elles. Une ou deux l’avaient bien accompagnée mais elles trouvaient ça trop glauque pour persévérer avec elle. Après tout, ce n’était qu’un mec !
Vraiment ? Courtney avait la sensation de courir après plus que ça. Cette obsession résultait d’un sentiment de manque et ce garçon était la clé. Elle en avait la certitude. Elle se devait de résoudre ce mystère.
-Salut ma jolie, tu fais quoi toute seule ?
Interpellée, Courtney releva la tête. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas remarqué qu’elle s’était éloignée de l’animation de la rue principale. Elle était isolée dans une petite ruelle où deux hommes l’avaient suivie. À présent, ils étaient devant elle et lui barraient le chemin. Ils étaient jeunes, dans la vingtaine. Ils étaient plus ou moins de la même taille qu’elle, pourtant, ils lui apparaissaient plus imposants. Son regard allait de l’un à l’autre. Ils n’étaient pas spécialement beaux ou laids ni même agressifs dans leur propos. Cependant, quelque chose dans leur expression éveilla en elle un désir irrépressible de s’enfuir.
Sans un mot, elle fit demi-tour. Rapidement, l’un des hommes se positionna en face d’elle. Il fit claquer sa langue sur son palais en signe de réprobation. La jeune fille était encerclée.
-Non, non, non. On n’est pas méchant. On veut juste faire connaissance.
-Je suis désolée. On m’attend ailleurs. Je me suis trompée de chemin.
-Dis-nous où. On t’accompagne si tu veux. On va pas laisser une demoiselle toute seule dans ce quartier, dit l’homme en face d’elle en saisissant son poignet.
-S’il vous plaît, lâchez-moi, supplia une Courtney dont la panique augmentait à chaque seconde.
-Regarde Tony, tu lui fais peur avec tes mauvaises manières, intervint l’autre en se rapprochant du dos de leur prisonnière.
Le cœur de Courtney battait la chamade. Elle avait du mal à respirer sous l’effet de la peur. Ses poils se hérissaient. Quelque chose en elle remua, comme si une autre voulait se manifester. Elle avait chaud et froid en même temps. Sa tête lui tournait. Elle essayait de réfléchir à comment s’échapper alors que ces hommes la collaient de plus en plus et lui touchaient les épaules. Elle craignait de perdre connaissance et d’être ainsi à la merci de ses agresseurs.
-Au secours ! hurla-t-elle dans sa tête.
Ce fut à ce moment-là qu’elle sentit sa peau crépiter. Les deux hommes la lâchèrent, surpris par la décharge qu’ils venaient de recevoir. Courtney les regarda également avec des yeux ronds. Elle ne comprenait pas ce qu’il venait de se passer. Était-ce de l’électricité statique ?
-Ah ! Te voilà !
Tous les trois se tournèrent vers le nouvel arrivant. C’était l’inconnu d’Halloween. Il marcha vers eux d’un pas rapide et décidé. Il prit le bras de Courtney et la rapprocha de lui permettant ainsi de l’écarter de ses assaillants.
-Je te cherche depuis un moment. Tu n’étais pas au point de rendez-vous. Je me suis inquiété. Allez, on y va maintenant, dit-il en enlaçant ses épaules d’un bras.
-Hé, mec ! interpella le Tony en saisissant son col. Tu fous quoi là ? Tu vois pas qu’on était occupé avec mademoiselle ?
-Oh, pardon, sourit l’inconnu. Mais cette fille est mon amie.
Le jeune homme toucha le poignet de cet homme grossier. Courtney ne pouvait pas voir ses yeux car ils étaient cachés par une grosse paire de lunettes noires. Pourtant, elle crut apercevoir une lueur derrière ces verres sombres.
-J’avais rendez-vous avec elle. Maintenant, vous allez me lâcher et nous laisser partir.
Tony se redressa lentement. Son visage se détendit et ses yeux s’agrandir tout en perdant toute lueur intelligente. Il regarda son comparse puis reporta son attention sur l’inconnu. Doucement, ce dernier lâcha son poignet.
-Oui, t’as raison. Il est temps qu’on dégage.
-Mais, Tony…
-On dégage, j’ai dit, ordonna-t-il en lançant un regard noir à son acolyte.
L’autre homme était quelque peu déstabilisé. Il ne comprenait pas ce revirement de comportement chez Tony. Il regarda le jeune homme sourire innocemment. Un frisson désagréable lui parcourut l’échine. Il ignorait ce qu’il s’était passé mais il n’était pas prêt à le découvrir si sa vie était en danger. Et ce sourire-là n’avait rien de rassurant contrairement aux apparences. Sans demander son reste, il suivit Tony et s’en alla.
Pendant tout ce temps, Courtney restait concentrée sur le visage de son mystérieux sauveur. Elle était persuadée de ne pas avoir rêvé cette lueur derrière les verres teintés. Inconsciemment, elle leva le bras et le tendit vers le visage masculin. Le jeune homme interrompit son geste en enlaçant ses doigts aux siens. Il referma sa poigne. Il l’attira à lui et Courtney admira son propre reflet dans les lunettes noires.
-Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il.
-Je… Je…
L’étudiante ne savait que répondre. « Je voulais seulement vérifier un truc. » « Attends, tu permets : j’ai envie de voir tes yeux. » Clairement, ce n’était pas une approche appropriée pour des retrouvailles même si ces dernières étaient étranges.
-Laisse tomber, finit-elle par dire rougissante.
Ce gars était trop près. Elle s’écarta, gênée par sa propre audace.
De son côté, Shadow se réjouit intérieurement de l’embarras de cette jeune fille. Il voulait la revoir depuis l’autre soir mais ne savait pas s’il en avait le droit. Cette fille était si pure et innocente. Pouvait-il l’entraîner dans son enfer ? Parviendrait-il seulement à la cacher aux yeux de ses deux grands frères ? Quand il avait entendu son appel mental, il s’était précipité pour l’aider. Il n’avait pas réfléchi. Il désirait simplement l’aider. Cela avait été plus fort que lui, comme si un lien s’était créé entre eux.
-Je te raccompagne.
Il raffermit sa prise aux doigts de la jeune fille perdue afin de se mettre à ses côtés. Doucement, il l’entraina vers l’agitation de la rue principale. Aucun d’entre eux ne dit un mot. Courtney ne s’indigna même pas de ses doigts entrelacés aux siens. Ce contact lui semblait si naturel.
Rapidement, le tandem arriva devant un arrêt de bus. Ils s’arrêtèrent sans savoir quoi se dire. Courtney voulait le retenir, lui parler, comprendre pourquoi elle rêvait sans cesse de lui. Cependant, pouvait-elle lui avouer cette dernière partie sans passer pour une cinglée ou une obsédée ?
L’inconnu la salua silencieusement et fit mine de partir. L’étudiante ne l’accepta pas. Elle se plaça devant lui.
-Attends ! Je ne connais même pas ton nom.
-Je n’en vois pas l’intérêt. On ne se croisera certainement plus.
-Et si moi je te disais que j’ai envie de te revoir.
Le cœur du jeune homme s’emballa. Cette déclaration le touchait plus qu’il ne l’aurait voulu. Lui qui avait toujours été rejeté par tous était face à une personne qui cherchait à le garder près d’elle. Il ignorait comment réagir à ces mots.
-Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée…
En guise de réponse, Courtney présenta sa main. Elle avait un sourire candide et véritablement charmant. Ses yeux verts étaient pétillants.
-Salut. Je m’appelle Courtney Walsh.
L’inconnu hésita. Il semblait gêné.
-Je n’ai pas vraiment de nom. Mais, on m’appelle Shadow, dit-il en serrant la main tendue.
-Shadow ?
Courtney serra amicalement la main masculine.
-C’est joli comme nom. Je suis vraiment enchantée de faire ta connaissance, Shadow.
Du pouce, Shadow ne put s’empêcher de caresser cette peau douce. La main de la demoiselle était propre, parfaitement manucurée et non rêche comme la sienne. Il prit conscience que sa paume devait coller et que la sensation devait être désagréable. Aussitôt il retira sa main. Il les mit en poche afin d’imposer le plus de distance possible entre eux.
-Ce n’est pas bien, déclara-t-il. Je ferai mieux d’y aller.
-Non !
Courtney ne pouvait pas le laisser s’enfuir. Elle eut la conviction que s’il partait maintenant, elle le perdrait pour toujours. Elle accrocha son bras. Il sembla surpris par son geste. Il voulut se dégager. La jeune fille ne se laissa pas faire.
-Je t’en prie ! Je veux juste discuter avec toi !
Sa voix se voulait plus suppliante qu’elle ne l’aurait voulu. Shadow l’observa. Il y vit quelque chose qu’il ne connaissait que trop bien : de l’espoir mêlé à de la tristesse. C’était ce même espoir qui habitait son regard lorsqu’il se contemplait. Que représentait-il donc pour cette inconnue ?
-Je…
Ce fut à ce moment-là que son ventre gargouilla bruyamment. Shadow détourna la tête, le rouge lui montant aux joues. Il avait beau être pauvre, il avait une certaine fierté, surtout devant une aussi jolie jeune fille.
Courtney comprit assez rapidement que Shadow était dans une situation pécuniaire précaire. Le jeune homme portait les mêmes vêtements que la fois précédente. Malgré le froid naissant, il n’avait aucune protection contre cette morsure glaciale. De plus, elle devait s’avouer que l’odeur qui se dégageait de lui n’était pas plaisante. Elle se souvenait de lui comme un jeune homme maigrichon. En réalité, il avait l’air affamé.
-J’ai faim ! dit-elle soudainement. On va au fast food ?
Plus qu’une demande, ce fut un ordre. Courtney commanda un menu maxi, sachant pertinemment qu’elle ne toucherait pratiquement pas à son plat. Du coin de l’œil, elle surveilla son nouvel ami. Elle l’avait obligé à garder une place assise dans le restaurant. C’était totalement superflu vu le peu de monde à cette heure tardive. Ce fut le seul prétexte valable qu’elle trouvât pour le garder à l’intérieur pendant sa commande.
Enfin servie, elle plaça le plateau entre eux. Elle vit le jeune déglutir. Il était hypnotisé par ses frites.
-Mange ! Je ne mangerai pas tout. Autant ne pas gaspiller cette nourriture.
Shadow se redressa. Malgré ses gros verres fumés, Courtney devina son regard noir. Il croisa ses doigts sur la table, comme pour se retenir de toucher au repas.
-Je n’ai pas besoin de ta pitié.
-Ce n’est pas de la pitié, je veux juste partager quelque chose avec mon nouvel ami. Maintenant, si tu es trop coincé pour apprécier, je me ferai un plaisir d’avoir une indigestion devant toi pour ne rien te laisser.
-Un nouvel ami ? On ne se connait pas.
-Quoi ? Tu ne connais pas l’adage : un inconnu est un ami que tu ne connais pas encore. Tu m’as sauvée tout à l’heure, je peux au moins te remercier pour ce geste-là.
Le nouvel ami esquissa un sourire. Prudemment, il saisit une frite entre son pouce et l’index. Il la soupesa comme si elle pesait une tonne. Délicatement, il en mordit la moitié. Il la mastiqua une seconde de trop, appréciant visiblement son goût. À son expression, on aurait dit qu’il dégustait le plus raffiné des mets. Courtney en fut émue sans commenter d’une quelconque manière sa réaction.
Elle espérait ne pas froisser son nouvel ami. Il avait véritablement un sourire enchanteur dans ces moments d’insouciance. Elle se questionna sur son âge quand il affichait cette expression. Il semblait plus jeune que ce qu’elle avait pensé au premier abord.
Elle n’osa pas aborder les sujets vraiment importants avec lui, se contentant de manger en silence ce burger qu’elle ne voulait même pas à la base. La jeune fille avait peur de le blesser. Il était comme un animal sauvage qu’elle était en train d’apprivoiser.
-Voilà que je me prends pour le Petit Prince avec le Renard, songea-t-elle.
Cette idée l’amusa beaucoup. Elle ricana malgré elle.
-Qu’est-ce qui te fait rire ?
Courtney releva la tête. Une mèche glissa sur le coin de son visage. Elle la remit inconsciemment derrière son oreille. Shadow suivit du regard le geste. Il en admira la grâce et le naturel.
-Ce n’est rien. Je me disais juste que toute cette mal bouffe n’allait pas m’aider à entrer dans le nouveau jeans que je venais d’acheter.
-Moi, je trouve que tu es très bien comme tu es.
Courtney sourit, touchée par ce compliment anodin. Elle n’avait apprécié ses rondeurs. Elle n’était pas disgracieuse ; toutefois, elle ne possédait pas la taille mannequin non plus. Complexée par sa grande taille, elle apprécia ses mots. Elle le fit comprendre par un regard chaleureux. Shadow sourit aussi, complice de cet échange heureux.
Le silence se réinstalla sans pour autant être gênant. Courtney savourait ces instants paisibles. Son père lui avait toujours dit que si un silence n’était pas pesant entre deux personnes, c’était que ces personnes étaient faites pour être ensemble. Il avait tellement raison.
La jeune fille admira le contour du visage masculin, profitant de son inattention pour le détailler. Shadow avait de beaux traits : une mâchoire carrée, des lèvres fines et une peau couleur miel. Il était dommage qu’elle ne pût contempler ses yeux à cause des ces foutues lunettes de soleil. Assis face à face, la jeune fille remarqua aussi les détails qui lui avaient échappés la fois précédente : la barbe mal rasée, la lèvre fissurée, un bleu s’épanouissant sur sa pommette.
-Shadow, tu n’enlèves jamais tes lunettes ?
-Non.
La réponse était sèche et catégorique.
-Pourquoi ?
-Je suis sensible à la lumière. J’en ai besoin pour protéger mes yeux.
-L’autre soir, tu ne les avais pas.
-J’avais des lentilles. Tu t’en rappelles ?
Pris d’une impulsion subite, Courtney leva la main vers cet objet contraignant. Elle désirait tant revoir ses yeux. Il fallait qu’elle sache. La jeune fille avait des doutes depuis un moment sur la véritable nature de Shadow.
Le jeune homme lui saisit le poignet à la seconde où les doigts féminins pinçaient la branche en plastique. Courtney retint sa respiration. Il avait de la force. Sa main était chaude. Elle le vit se pencher sur elle. Elle crut un court instant qu’il allait l’embrasser. La table était donc si petite ?
-Ce n’est pas une bonne idée, Courtney.
La jeune fille humecta ses lèvres. Elle avait des papillons dans le ventre. Elle sentait la chaleur lui monter au visage.
-S’il te plaît, juste une seconde, implora-t-elle. Je suis curieuse. Tu te rends compte que je ne connais même pas la couleur de tes yeux.
-Ce n’est pas important.
-Ça l’est pour moi ! Je veux tout connaître de toi.
Les lèvres du jeune homme s’entrouvrirent. Courtney mordilla sa lèvre inférieure. Elle avait tellement envie de l’embrasser. Elle pouvait sentir son souffle près d’elle. Une voix monta en elle. Une autre émargea de son subconscient l’entrainant derrière un voile obscur...
Je veux être libre !
Elle était dans les ténèbres. Elle frappait désespérément sur la paroi de verre. Shadow était de l’autre côté. Il était dans la lumière. Ses yeux constellés d’étoiles brillaient d’une merveilleuse lumière.
-Aide-moi ! suppliait-elle.
Il posa ses mains sur la paroi. Il scruta le verre à la recherche d’une issue. Puis, il la regarda elle. Il semblait aussi désolé et désemparé qu’elle. Brusquement, ce garçon sembla avoir pris sa décision. Il appuya de toutes ses forces sur ce mur invisible. Courtney l’imita. Le verre se mit à se fissurer…
-Il faut qu’on dégage !
Shadow se leva brusquement. Il renversa le soda en passant à côté de la table. Il souleva le bras de son amie, l’obligeant à le suivre dans sa précipitation. Courtney protesta mais comprit que Shadow ne l’écoutait pas. Il avait les yeux rivés vers l’extérieur. Son visage était blême. Il était terrifié.
-Viens ! Dépêche-toi ! On doit se casser !
-Mais… les frites…
-Rien à foutre ! dit-il en lui prenant la main.
Courtney eut à peine le temps d’enfiler sa veste. Elle essaya de scruter les ombres dans la rue. Elle ne voyait pas ce qui avait effrayé le jeune homme.
Une fois dehors, ils se mirent à courir. Courtney ne reconnaissait pas le quartier dans lequel ils évoluaient. La peur la gagna à son tour. L’ignorance était un ingrédient indispensable à la panique qui était à deux doigts de prendre possession de Courtney.
-Qu’est-ce qui se passe à la fin ?
-Ils m’ont retrouvé. Je suis désolé, Courtney. Je savais que c’était une mauvaise idée. J’aurai dû te tenir loin de moi. S’ils te mettent la main dessus…
-Pourquoi on n’est pas resté dans le restaurant et appelé la police ? On n’aurait été plus en sécurité si ces gens s’en étaient pris à nous. S’il te plaît attends !
-Tu ne les connais pas. Ils auraient guetté dans l’ombre. Puis, ils t’auraient suivie jusque chez toi, près à t’attraper au moment où tu y attends le moins. Il faut déguerpir avant de tomber dans leur piège.
-Mais… qui sont-ils ? Pourquoi…
-Pas le temps ! Continue de courir !
-Non ! Mais attends !
Courtney le tira en arrière. Il s’arrêta, essoufflé par leur course. Shadow ne restait pas en place. Il surveillait tous les côtés, visiblement aux aguets. Il s’approcha de son amie et posa ses mains sur ses épaules. Le geste était protecteur et tendre.
-Écoute, je ne peux pas leur échapper mais toi si. Tu vas courir jusqu’à un arrêt de bus, tu vas monter dedans et ne jamais revenir ici. Tu m’entends ?
-Non, souffla-t-elle.
Shadow secoua la tête en signe de mécontentement. Son expression se fit plus belliqueuse. Il se pinça les lèvres.
-Tu vas faire ce que je te dis sinon ça finira mal.
Courtney posa une main sur une des siennes. Elle la caressa espérant l’apaiser un peu. Elle était désemparée. Cependant, elle était plus inquiète pour lui que pour son propre sort.
-Shadow, est-ce que tu te fais maltraiter ? Je veux t’aider. Dis-moi comment je peux…
-Tu ne peux pas !
Il accentua la pression sur les épaules féminines. Il grimaça, luttant contre divers sentiments. Brusquement, il sembla avoir pris une décision. Il retira violemment ses lunettes. Ses paupières étaient closes. Il expira longuement, hésitant à dévoiler le secret de ses pupilles. Les sourcils froncés, il dévoila son regard pailleté à cette fille qu’il venait de rencontrer. Courtney admira ces yeux étoilés.
-Je suis un mutant. Je suis dangereux. Certains sont à ma recherche. Si tu restes avec moi, tu ne t’en sortiras pas. Alors, maintenant, tu vas courir sans jamais te retourner.
-Non, répondit-elle, captivée par cette galaxie.
Shadow la secoua, frustré par la désobéissance de cette fille.
-Mais tu vas faire ce que je te dis !
-Tu n’as aucun ordre à me donner ! Et je n’ai pas peur de toi.
Ils s’affrontèrent du regard. Secrètement, il admira la détermination dont elle faisait preuve. Rares étaient les personnes qui pouvaient plonger leur regard dans le sien sans éprouver de la haine à son égard. Elle le contemplait sans animosité. Elle éprouvait de la contrariété par rapport à ses ordres et non du dégoût. Elle était si près de lui.
-Elle accepte qui je suis, songe-t-il plein d’espoir.
Mue par une envie soudaine, Courtney caressa la joue masculine. Elle sentit les légers picots de la barbe naissante. Elle prit garde de ne pas toucher la trace du coup qu’il avait reçu.
Shadow eut l’impression que ses pieds ne touchaient plus le sol. Quelqu’un, une fille, parcourait son visage délicatement du bout de ses doigts. Même ses parents n’avaient jamais eu ce genre de geste tendre. Il sentit l’émotion le gagner. Il ferma les yeux de peur que des larmes ne s’échappassent. Instinctivement, il pencha sa tête dans cette paume chaleureuse. Doucement, il referma sa main sur celle de la jeune femme.
-Salut Shadow !
Le jeune homme sursauta. Il s’insulta silencieusement d’idiot. Il n’aurait jamais dû se laisser distraire par cette douce tentation que représentait cette jeune fille. Immédiatement, il se positionna devant Courtney, la protégeant de ses bras maigres.
Des hommes se tenaient derrière eux. Courtney remarqua des traits similaires entre un en particulier et Shadow. Ils devaient être parents. Pourtant, cet homme-là n’avait pas l’air avenant. Au contraire, elle sentait la menace se dégager de ce groupe de plus en plus nombreux.
Shadow recula, prenant bien garde d’être toujours entre eux et son amie. Bientôt, le couple fut coincé par un mur.
-Bordel, Shadow, tu fous quoi là ? Tu crois que je vais t’autoriser à roucouler avec une pute ? Tu sais pourtant que je peux te retrouver n’importe où grâce à ce petit joujou, dit-il en exhibant une application sur l’écran de son téléphone.
-C’était bien trouvé de le pucer comme un animal, hein Zack ?
-Exactement ! Tu es un animal, Shadow. Et les chiens désobéissants, on les éduque. Alors, viens ici que je puisse t’éduquer comme il se doit, dit Zack en tapant son poing dans sa paume.
Shadow ne bougea pas. Il tremblait. Il était terrorisé par le nombre des hommes de ses frères. De plus, il n’avait jamais désobéi à son grand frère, Zack. C’était contre nature pour lui. Il luttait intérieurement contre des années de conditionnement malsain.
-Allons, Shadow ! On sait tous comment ça va se finir. Je vais te donner la dérouiller de ta vie. Ensuite, je vais te forcer à regarder cette pétasse crever.
-Non, hurla-t-il.
Courtney était importante pour lui. En peu de temps, elle était devenue incroyablement précieuse à ses yeux. Personne ne toucherait son trésor, il se le promit.
L’autre en face devint écarlate. Zack changea de jambe d’appui, signe que son frère allait payer son insolence. Il mit ses mains sur ses hanches et se pencha en avant.
-Quoi ? Répète le chien de chasse ! questionna Zack avec agressivité.
-Non, vous ne la toucherez pas. Je vous l’interdis.
-Sinon quoi ? ricana un des hommes. Tu vas nous mordre ?
-Et pourquoi pas ?
Shadow sauta en avant et saisit l’avant-bras de deux d’entre eux. Ses yeux s’illuminèrent d’une lueur violette. Quand il les lâcha, les hommes se retournèrent contre leur paire et se lancèrent dans un combat effréné.
-Putain c’est quoi ce… commença l’acolyte qui l’avait insulté.
Shadow lui saisit le menton. Cela ne dura qu’une seconde. Et cette seconde suffit largement au jeune mutant pour prendre possession de son esprit. Le détraqué sortit une lame de son fourreau. Il regarda ses « frères » et ne vit que des mutants prêts à l’abattre. Il poussa un cri de guerre avant de plonger sa lame dans le groupe.
Shadow était satisfait de lui. Courtney et lui pouvaient s’en sortir. Il suffisait de les monter les uns contre les autres et le tour serait jouer. Il était capable de la protéger. Dorénavant, il serait son protecteur.
-Je vous avais dit de pas le toucher, ragea Zack.
Shadow se replaça entre sa protégée et son frère. Il n’était pas de taille contre lui. Mais il n’allait pas laisser ce détail l’empêcher de se battre pour elle.
Zack s’avança, décidé à en découdre. Fort de son récent exploit, Shadow leva le poing contre son grand frère. Il était inutile d’user de son pouvoir contre lui à cause de son immunité. Il espéra tout de même le blesser suffisamment afin que Courtney pût s’enfuir.
Zack évita l’attaque sans effort. Ce misérable mutant était décidément trop lent. Zack le frappa à la mâchoire. Il vit ce gringalet reculer en vacillant. Il reconnut qu’il accusait le coup beaucoup mieux qu’à la maison. Il devait en avoir l’habitude depuis le temps. Il lui assena un coup dans le ventre. Shadow cracha. Courtney hurla devant cette violence gratuite. Elle gémissait comme une truie cette misérable aberration de la nature. Zack ne stoppa pas ses coups : il recommença jusqu’à plaquer cette misérable larve contre le mur.
Derrière lui, ses hommes avaient plaqué les trois insurgés au sol. D’autres avaient saisi la fille de part et d’autre. Un rictus naquit sur ses lèvres. La partie était finie pour ces tourtereaux.
-Tu croyais quoi ? Tu croyais être un putain d’héros ? Ça ne marche que dans les comics qui promeuvent ces tarés. Ici, on est dans la réalité, dit-il en s’approchant de l’oreille de Shadow pour lui murmurer la suite. Ici, tu dégustes et elle meurt.
-N… Non… déglutit difficilement le mutant en crachant du sang.
-Si.
-Regarde-la.
Zack tourna le visage ensanglanté de son frère. Courtney le regardait effrayée. Ses yeux étaient exorbités par la peur. Elle respirait de manière saccadée. Shadow sentit sa lèvre trembler. Il pestait contre sa propre faiblesse. Elle était si belle, si pure, et il était incapable de respecter toutes ses promesses. Des larmes pointèrent au coin de ses yeux.
-Je suis désolé, murmura-t-il, tellement désolé. Je voulais changer tout ça.
-Ce n’est pas ta faute, sourit tristement Courtney.
-Ok les gars. Vous allez m’emmener cette mutante dans un coin tranquille et vous me liquider ça.
-Non ! hurla Shadow.
Il poussa son frère qui ne s’y attendait pas. Il lui décocha un crochet du droit ainsi qu’un second du gauche. Un homme l’assomma derrière lui. Le mutant s’écroula tête en avant.
-Arrêtez, je vous en prie, supplia la jeune fille.
Quelque chose remua en elle. Elle chercha à se dégager en tirant sur les bras qui la maintenaient. Elle sentait son corps se déchirer. Shadow ne devait pas subir tout ça.
D’un coup de pied, Zack retourna Shadow sur le dos. Le jeune homme était à peine conscient. Son frère se mit à cheval au-dessus de lui. Il le frappa à la tête, s’amusant du retour mou de cette tête de perdant.
-Arrêtez ! Pitié !
Les ténèbres engloutirent son âme prisonnière. Courtney flottait dans l’horreur de la scène. Ses poils se hérissèrent. La paroi en verre se fissurait. Derrière la toile d’araignée que faisait la fissure, Shadow saignait, Shadow perdait sa lumière, Shadow s’éteignait.
-Prête-moi ta lame, ordonna Zack en tendant la main. Il faut qu’il se souvienne, ce petit, qui est le maître, ajouta-t-il en approchant le couteau du visage meurtri.
-Non ! Vous ne pouvez pas !
La paroi en verre partit en éclat…
Les hommes lâchèrent la fille. Elle dégageait beaucoup trop d’électricité statique. Une fois libre, le corps de la jeune fille décolla du sol. Ses yeux devinrent blancs. Cette puissance… Cette connexion avec la nature… Courtney VIT pour la première fois de sa vie le monde qui l’entourait. Elle était capable de bouger ce qu’elle croyait immuable.
Le sol trembla. Les voitures à proximité firent hurler leur alarme sous cette terre instable. Les animaux fuirent avec bruit. D’instinct, ils sentaient le danger grandissant subitement apparu dans cette petite ruelle.
Les lumières artificielles vacillèrent dans toute la ville. Les nuages s’accumulèrent au-dessus de Courtney. Elle leva le nez vers yeux. C’était si facile de les accumuler au-dessus de sa tête de par sa seule volonté. Bientôt, les éclairs apparurent. Le tonnerre gronda. C’était si grisant d’abattre sa colère sous cette forme. Un éclair frappa à deux mètres d’elle, faisant sursauter ses assaillants. C’était amusant de les voir paniquer. Encore une fois, elle fit abattre la foudre non loin d’eux.
Ensuite, elle sentit l’élément liquide dans son corps. Il y en avait partout dans cette ville de béton. Les rivières réclamaient leur liberté. Elles n’étaient pas faites pour rester éternellement souterraines. Alors Courtney céda à leur désir. Les bornes d’évacuation de l’eau éclatèrent au fur et mesure que l’ire en Courtney augmentait. Elle leva les bras, propulsant en même temps cette eau sale à l’air libre encore et encore.
Des flammes apparurent autour d’elle comme si elle était le diable en personne. Son corps lui-même était en feu. Elle criait, mais ce n’était pas suffisant pour apaiser ce sentiment d’injustice qui grandissait en elle. Shadow était toujours inconscient aux pieds de son frère. Il avait été blessé par sa faute, parce qu’il voulait la protéger. Jamais elle ne pardonnerait cette infamie. Il fallait que ces hommes payassent leur arrogance.
Appelée par la terre, Courtney fit un geste de l’index, mimant un objet se levant. Des pics sortirent du macadam. Ils blessèrent les assaillants du couple.
Apeurés, les pauvres humains prirent la fuite. Zack hésita. Il serra les dents, empli de rage et d’amertume. Il n’avait pas envie de laisser sa proie mais il n’était pas très courageux. Cette fille était dangereuse. Il n’avait pas envie d’y laisser sa peau. La mort dans l’âme, il fuit comme le lâche qu’il était.
Épuisée, Courtney s’écroula au sol. Elle s’aperçut qu’ils étaient seuls Shadow et elle. Elle se traîna vers lui, soulevant délicatement sa tête sur ses cuisses. Il ouvrit les yeux. Elle en fut rassurée et caressa son front.
-Hey, murmura-t-il.
-Hey, sourit-elle en retour, soulagée de le voir en vie.
Cependant, elle ignorait ce qu’elle avait fait. Elle ignorait que le monde l’avait entendue s’éveiller. Elle ignorait ce que son éveil allait coûter…