Némésis

Chapitre 1 : Lui

5712 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 31/07/2024 00:45

Préface

 

Voici quelques mots avant de commencer cette histoire. Des versions des X-Men, il en existe des tas. Entre les comics, les animés, les films Marvels (beaucoup de films), les flux temporels qui changent l’avenir ou encore le multivers, il est assez difficile de s’y retrouver.

J’ai aimé chaque version, à des niveaux différents bien évidemment. Il y a des scénarii qui m’ont passionnée et d’autres qui m’ont laissée un « mouais… ». Mais la franchise m’a toujours émue face aux destins tragiques de ces personnages si fragiles alors qu’ils détiennent entre leurs mains le pouvoir des dieux.

Récemment, j’ai visionné le nouvel animé « X-Men 97’ », que je conseille pour les connaisseurs. Cela m’a replongée en enfance (mon dieu, les années que je viens de me ramasser en pleine face !!!). Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est la suite de l’animé de 1997 mais avec un scénario mieux construit et un dessin retravaillé. Je regardais l’ancienne version quand j’étais enfant et, malheureusement, j’ai revisionné cette version (aïe mes yeux !) pour me remettre dans le bain de cette nouvelle saison. J’ai eu envie de prolonger ce sentiment de nostalgie, d’où l’idée de cette fanfiction.

Bon, c’est bien joli tout ça mais je veux en venir où avec tout ce charabia ? J’aimerais poser un contexte spatio-temporel pour permettre aux initiés de comprendre la logique de cette histoire. Pour faire simple, je vais me baser sur les films Marvels (les comics, je n’y ai pas accès pour être crédible dans tous les rebondissements). Il est fort possible que je fasse apparaître des protagonistes de l’animé « X-Men 97’ » (franchement, la nouvelle version j’aime assez car elle brise les codes). Donc, si vous avez vu juste les films, il est assez facile de comprendre cet univers.

Je ne vais pas aller jusqu’à la version « Dark phénix » ou « Logan ». J’aimerais garder le personnage de Jean Grey et un Wolverine assez en forme. Je n’ai pas envie de parler des nouveaux mutants et encore moins de la disparition des X-Men.

Attention, certaines scènes parlant de maltraitances pourraient choquer les plus sensibles d'entre vous.

Bonne lecture !

 

 

1. Lui

 

Le ciel était maussade comme son humeur. La pluie tombait depuis des jours, couvrant la ville de ce voile sombre qui empêchait tout rayon lumineux d’égayer cette fourmilière urbaine. Les gens couraient dans tous les sens, pressés par une chose ou l’autre sans se rendre compte qu’en réalité ces choses n’étaient pas vraiment importantes. Les humains sont si stupides !

Shadow appuya l’arrière de son crâne sur la façade contre laquelle il était adossé. Tout cela l’indifférait. Le bruit, les gens, le temps, il avait l’impression que rien ne pouvait réellement l’atteindre. Même l’eau qui ruisselait sur lui le faisant frissonner ne lui donnait aucunement l’impression d’exister.

Il observa ce ciel ténébreux. Bientôt, la nuit tomberait. Bientôt, il se mettrait en chasse. Et de cette chasse, une âme innocente succomberait à cette fatalité inexorable.

C’était le même scénario soir après soir. Shadow aurait pu changer ce destin funeste pour l’une de ces vies. Il n’en faisait rien. Il couperait simplement un fil de vie, tout comme les Maures dans la mythologie grecque. Si cela pouvait l’empêcher de souffrir lui, le reste n’avait pas d’importance. Il ferma les yeux, tout comme il avait fermé son cœur à la souffrance d’autrui. Le jeune homme déglutit difficilement. Il détestait ce moment où l’inactivité l’obligeait à philosopher sur sa raison d’être.

Le jeune homme reporta son attention sur les quidams passant devant lui. À ses yeux, ils n’étaient pas humains mais des objets qui lui permettraient de vivre une journée de plus sans souffrance. La ville, le tintamarre des voitures, l’odeur puante des égouts le laissaient de marbre. Depuis quand n’avait-il plus goût à rien ?

Il fit une moue désapprobatrice sans s’en rendre compte. Il savait qu’au fond, ce n’était pas tout à fait vrai. Une chose lui importait réellement : l’amour de ses deux grands frères. Une famille, c’était tout ce qu’il avait toujours espéré et qu’on lui avait refusé. S’il se montrait conciliant et docile, peut-être que ses frères le féliciteraient enfin. Dans le cas contraire… Le jeune homme ne préféra pas y penser, sentant le frisson de la peur l’envahir rien qu’à cette perspective.

Des rires l’interrompirent dans ses pensées. Des enfants sautillaient dans la rue. Ils étaient quatre : Spiderman, Capitaine América, un masque d’Iron Man et un gnome vert ressemblant vaguement à Hulk. Ils secouaient leur petit panier avec allégresse. Une candeur enfantine se peignait sur leur visage.

-Ah oui, murmura Shadow, c’est Halloween ce soir.

Le jeune homme avait oublié cette date importante. Maintenant qu’il observait attentivement la foule, il remarqua d’autres costumes portés par des personnes de tout âge. Il y avait une Veuve Noire ou encore un sorcier balafré. Malgré le temps automnal, les gens n’hésitaient pas à porter des tenues légères ou à afficher de grands sourires mouillés par la pluie.

-Pourquoi ? songea le jeune homme. Les humains haïssent les mutants. Pourtant, ils n’hésitent pas à se déguiser en personnage ayant des pouvoirs. Ce sont des hypocrites envieux !

Il serra les poings. Il était frustré et en colère. Mais cette rage était surtout portée sur lui-même. Il avait beau haïr les humains, lui aussi étaient envieux de leur vie ordinaire. Lui aussi, il aurait aimé vivre en humain. Cela faisait-il de lui un hypocrite également ?

Naïfs, ignorant, des groupes d’enfants passèrent en riant bruyamment. Deux garçons en Thor et Loki évoquèrent la soirée de folie prévue au bar du coin. Tous marchèrent devant Shadow, aucun ne lui adressa un regard. Il était inconnu, insignifiant, invisible…

-Bon, se dit-il, il faut que je m’y mette si je ne veux pas finir en charpie !

Shadow se redressa. Il se mit au milieu du trottoir. Le mutant écarta discrètement les bras, paumes ouvertes. Il ferma les yeux et avança lentement. Grâce à ses pouvoirs de télépathie, il pouvait disparaître aux yeux de tous et devenir une ombre parmi les ombres (Shadow en anglais).

Ses doigts frôlèrent les gens. Chaque personne émettait des ondes particulières. Celles qu’il cherchait, étaient celles émises par les autres mutants, si reconnaissables parmi les gens ordinaires. Dès qu’il en repérait un, Shadow le suivait, prêt à livrer sa proie aux limiers de ses frères. Le jeune homme percevait parfois des bribes de pensées des gens par ce lien : « Que vais-je faire à manger ? » « Est-ce qu’il va bien ? » « J’aimerais tellement avoir cette promotion ! ». Des pensées bien futiles pour lui qui vivait en dehors du vrai monde.

-J’aimerais tellement être libre !

Cette pensée le réveilla. Qui avait émis cette réflexion ? Le jeune homme scruta les visages autour de lui. Tous ces visages et aucun lui permettant de se repérer dans cette marée humaine. Il fit volte-face, pensant que la personne l’avait dépassé. Sans réfléchir, il se fraya un chemin en bousculant les humains idiots et rieurs. Il saisit les poignets de ces inconnus sans retrouver ce cri de désespoir.

Brusquement, son cœur manqua un battement. Son sang se glaça dans les veines. Il fut aspiré dans un trou noir. Il avait la nausée ; son estomac ne parvenait pas à rester en place ; une boule l’empêchait également de déglutir correctement. La peur n’était pas un mot assez fort pour expliquer ce qu’il ressentait.

Il avait déjà connu l’effroi, l’abandon et même la trahison. Mais ça, le mutant n’avait jamais ressenti un tel désespoir, sachant que sa vie prenait fin ici, dans ce monde désolé et aride qui l’entourait soudain. Des crânes pavaient le sol sous ses pieds. Le ciel était rouge de sang. Le silence était assourdissant.

-Ce n’est qu’une illusion, ce n’est qu’une illusion, ce n’est qu’une illusion, se répéta-t-il tel un mantra, comme si cela pouvait l’aider à s’en sortir.

Shadow aurait voulu crier, ne serait-ce qu’une plainte pour briser ce silence pesant. C’était impossible. Son corps ne lui appartenait plus. Il était telle une statue dans ce jardin de désolation. Des larmes maculaient ses joues, incapable de les stopper.

Shadow en avait la certitude : il allait mourir. Ce n’était pas une croyance ni une pensée négative. Il savait que son heure était venue. Ce sentiment de fatalité qu’il avait fait ressentir à ses proies lui revenait en pleine figure. Il ne put retenir une sensation d’injustice avec ce constat. Sa vie avait été misérable. Il avait fait tout ce qu’il lui était possible de faire pour survivre. Même s’il n’était pas fier de ce qu’il avait accompli jusqu’à maintenant, le jeune homme ne méritait pas de finir comme ça !

-Tu veux changer ?

Des mains brillantes étaient apparues devant lui. Elles effacèrent les larmes. Elles se voulurent rassurantes. La mâchoire de Shadow était contractée. Il aurait voulu bouger, s’écarter.

-Alors ? le taquina cette voix douce et féminine.

Shadow réfléchit. Il se détestait. Il souffrait. Il voulait exister pour de vrai. Il voulait compter pour quelqu’un pour ce qu’il était et non pour ce qu’il pouvait apporter. Il voulait…

-Oui, cria-t-il. Je veux changer !

Les bras l’enlacèrent. Shadow sentit la chaleur de quelqu’un l’envelopper. Il sentit cette personne le serrer fort contre elle et sut enfin ce que c’était d’être serein. Il s’abandonna à cette chaleur réconfortante.

Lorsque Shadow rouvrit les yeux, une fille aux grand yeux verts le fixait. Elle le voyait sans le voir. Le jeune homme comprit rapidement que son camouflage était toujours actif. Il était de nouveau dans cette grande ville qui l’avait vu naître. Il tenait fortement le poignet de cette fille magnifique.

L’inconnue était grande avec des rondeurs prononcées. Elle ne correspondait pas aux standards de mannequinat si typiques de sa taille.

-Elle est mignonne, pensa Shadow malgré lui.

Son visage était rond avec des fossettes. Elle avait quelques taches de rousseur. Des cheveux châtain clair encadraient ce visage légèrement maquillé. Ses lèvres étaient peintes d’un rouge cramoisi flamboyant. Elles demandaient qu’à être embrassées.

Pourtant, ce visage était inquiet. La jeune fille semblait perdue.

-Courtney, ça va ? demanda une de ses amies.

-Je ne sais pas. J’ai l’impression que quelque chose me tient. Je n’arrive plus à avancer.

-C’est peut-être un fantôme. Après tout, ce soir, c’est Halloween.

Le groupe féminin se mit à rire à l’exception de la dite Courtney. Elle balayait son regard devant elle. Elle essayait de savoir ce qui la retenait sans y parvenir. Cela l’angoissait.

Brusquement, Shadow la lâcha. Il avait l’impression d’avoir touché quelque chose d’interdit, de défendu. La jeune fille retira sa main et frotta son poignet. La sensation avait disparu mais elle se sentait encore mal à l’aise.

-Tu vas vraiment finir par nous faire flipper, grogna une de ses amies.

-Allez ! On va pas se prendre la tête pour un truc comme ça. Ce soir, on fait la fête. Ok, Courtney ?

-Oui, oui, répondit la jeune fille avec incertitude.

Les filles se prirent par la main et filèrent vers le quartier chaud de la ville.

Mutante !

Ce mot retentissait dans la tête du jeune homme tandis qu’il voyait la jeune fille s’éloigner. Shadow avait compris. Cette fille était une mutante latente. Et pas n’importe laquelle ! En plus de son don de télépathie, Shadow pouvait deviner le potentiel de chacun. Et cette fille, c’était… Wouah !!

Quand ses pouvoirs s’éveilleraient, elle serait capable de mettre le monde à ses pieds. Elle était une source de pouvoir infini. Si on ne la détruisait pas maintenant, les humains n’auraient aucune chance contre elle.

Shadow hésita. Que devait-il faire ? La suivre ou ignorer cette vision de l’horreur ? Le jeune homme apercevait encore au loin le groupe de filles. Courtney portait un joli déguisement de Chaperon Rouge. La jupe lui arrivait juste au-dessus des genoux. Des collants noirs camouflaient ses jambes. Une petite cape rouge cachait son buste. Cette traînée rouge demandait qu’on la suivît.

Une envie soudaine le submergea. Il rabattit sa capuche noire sur ses cheveux trempés. Il mit ses mains dans la poche ventrale de son sweat délavé. Le jeune homme avança d’un pas rapide. Il avait dit qu’il voulait changer et il le ferait. Mais, un loup reste un loup, surtout quand la proie est si tentante.

 

 

Shadow observa ces singes balancer leurs corps au rythme de la musique. Il détestait ce genre d’endroit. Il y avait trop de monde et la musique, en plus d’être de mauvais goût, rendait les gens sourds. Si ce n’était que ça, il aurait pu le supporter. À croire que l’humanité cherchait vraiment à le dégoûter en lui exhibant ses pires spécimens. Ici et là, les imbéciles s’enivraient jusqu’à perdre connaissance, un sourire béat sur les lèvres.

Le jeune homme s’était positionné dans un coin sombre, une boisson à la main. Il n’avait pas envie d’être suspect aux yeux des rares vigiles. Un gars louche qui observait les danseurs avec intérêt ce serait suspect. Aussi, avait-il essayé d’être nonchalant, un verre à la main. Il ne savait pas si c’était réussi, du moins, l’espérait-il.

À présent, il ne savait que faire. Normalement, quand il repérait un mutant, il le suivait jusqu’à ce que celui-ci se retrouvât seul. Là, il prévenait par télépathie les hommes de ses frères qui le capturaient et l’emmenaient vers sa dernière destination.

Shadow observa cette fille danser sur la piste. Il s’était déjà fait la réflexion quand ses yeux avaient rencontré les siens : elle était superbe. Il ignorait si elle dansait bien mais ses mouvements ne le laissaient pas indifférent. Il avait déjà éprouvé du désir, de la concupiscence jamais. Elle était à sa portée et il la convoitait. Pouvait-il s’en emparer ?

La jeune fille fit un signe à son amie. Elle murmura quelque chose à son oreille. Cette dernière baissa la tête en signe d’acquiescement. Un sourire aux lèvres, Courtney quitta le troupeau. Elle vint dans sa direction. L’avait-elle repéré ? Elle regardait sur sa gauche. Shadow regarda dans la même direction : les toilettes. Elle visait les toilettes. Il en fut soulagé et en même temps déçu.

Le jeune mutant reporta son attention sur elle. Au même moment, comme appelée, elle se tourna vers lui. Son sourire s’agrandit. La jeune fille changea de direction et s’approcha. Il douta qu’elle pût s’adresser à lui et pourtant c’est ce qu’elle fît.

-Wouah ! Tes yeux sont géniaux. Comment tu as réussi à faire ça ? Ce sont des lentilles ?

Ses yeux ? Shadow avait brièvement oublié sa propre apparence. Ses parents avaient su dès sa naissance qu’il était un mutant rien qu’avec ses yeux. Ses globes oculaires étaient d’un noir profond, parsemés de paillettes violettes. On l’avait traité de monstre, d’erreur de la nature, d’être sans âme. Personne n’avait jamais relevé la beauté de cette couleur atypique.

Avec le jeu de lumières artificielles de la boîte de nuit, il ne doutait pas que les reflets devaient devenir hypnotisant. Cela avait-il fasciné la jeune fille ?

Aujourd’hui était un jour particulier. Aujourd’hui, il avait pu se montrer sous son vrai jour sans avoir peur des remarques. Il pouvait être un monstre parmi les faux semblants. Pour la première fois depuis longtemps, il avait relâché sa garde.

-Oui, ce sont des lentilles, mentit-il.

-J’adore ! Ça donne vraiment trop bien. Et sinon, tu es tout seul ?

-Oui.

-Ah…

Shadow aurait aimé faire davantage la conversation. Il n’était pas très doué pour les interactions humaines. Il voulait qu’elle restât avec lui. Cette fille l’intriguait. S’il ne disait rien, s’il gâchait cette chance, elle allait lui filer entre les doigts. Le jeune homme voulut tendre la main vers elle, l’attraper avant son envol.

Tout à coup, un corps atterrit au milieu de la piste de danse. Tous s’écartèrent, prêts à s’enfuir. Le malheureux blessé se releva difficilement. Les écailles recouvrant sa peau frémirent. Il releva la tête. Il cligna des yeux à la verticale au lieu de l’horizontale à la manière des reptiles. Il ressemblait à un crapaud.

-Ce type est un putain de mutant, hurla quelqu’un depuis le balcon de la boîte.

-On va lui casser la gueule !

Agissant tel un seul homme, un groupe se jeta sur le mutant. Ce fut une cohue générale.

Shadow arrêta de tergiverser. Il attrapa la main de la jeune fille et la rapprocha de lui en un geste protecteur. Il sentit la chaleur de ce corps féminin contre lui, il huma ce parfum fruité. Il plongea son regard dans le sien, désirant la rassurer plutôt que l’effrayer. Elle le regarda avec surprise. Malgré l’incompréhension, cette jeune proie était toujours aussi belle. Il s’accorda une brève seconde de contemplation avant d’agir.

-On se casse ! lui ordonna-t-il.

Sans lui demander son avis, Shadow entraîna la jeune fille dehors. Il savait qu’il la séparait de son groupe mais il savait mieux qu’elle le risque qu’elle courait en restant parmi les agneaux à abattre. Ils coururent un moment. Shadow tira sur la main de sa protégée. Il l’empêchait de ralentir de peur d’être repérés. Le jeune homme ne s’arrêta que lorsqu’il pensa tout danger écarté.

Courtney en profita pour retirer sa main. Elle le foudroya du regard. Ce type l’avait entraînée elle ne savait où. Elle était vraiment dans la merde.

-Tu…

-Je suis désolé, l’interrompit-il. Je sais que tu étais avec des amies. J’ai agi sans réfléchir. Je voulais juste te protéger.

-Me protéger ? répéta-t-elle sans comprendre.

-On va se poser un peu. Puis, tu appelleras tes copines et je te raccompagnerai. On peut pas bouger tout de suite. Il faut attendre que tout ce bazar se calme d’abord.

-Ok…

Courtney était méfiante. Elle aurait dû se mettre en colère. Elle ne connaissait pas ce type. Il pouvait s’agir d’un dangereux psychopathe, un violeur en série ou encore un criminel qui enlevait les filles pour les revendre plus tard.

Elle le détailla. Il était aussi grand qu’elle. Il avait également la peau sur les os, comme si il ne mangeait pas à sa faim. Ses cheveux noirs étaient mi-longs et sales. Ses vêtements aussi n’étaient pas de toute première fraîcheur. Sa peau était basanée, démontrant qu’il était certainement originaire d’Amérique du Sud. Il y avait quelque chose dans son regard, une supplique silencieuse, une lueur émouvante surnaturelle. Était-ce un effet des lentilles ?

-J’ai faim, dit-elle brusquement. Et je dois aller aux toilettes.

-Si tu veux, il y a un fast food là-bas. On peut se poser deux minutes le temps que tu fasses tout ça.

-Ok, ça me va.

Une fois la vessie vidée et l’estomac rempli, Courtney put réfléchir plus posément. Sa main chiffonna l’emballage du burger précédemment dévoré et mit le plateau sur le côté. Elle se relècha les doigts avec gourmandise. Shadow observa cette langue s’activer. En un sens, c’était à la fois mignon et sexy. Indépendamment de lui-même, il se surprit à sourire.

-Tu n’es pas un grand bavard, toi.

-Non.

-Moi non plus. Dans ce genre de situation, je ne sais jamais trop quoi dire.

-J’ai rarement l’occasion de discuter.

-Ah…

Un silence gêné s’installa entre eux. Shadow surveillait la rue depuis la fenêtre. Il était sur le qui-vive. Courtney en profita pour analyser l’expression de son visage. Malgré leur saleté, ses mèches sombres tombaient de manière sexy sur son front. S’il était moins maigre, ce type aurait pu faire tomber toutes les filles. Et puis, sans vraiment l’expliquer, Courtney avait confiance en lui. Quelque chose dans ses yeux l’avait touchée.

La jeune fille joua un moment avec son emballage. Elle s’ennuyait. Elle inspira longuement avant de soupirer bruyamment. Elle comprit qu’il ne dirait rien. Aussi, elle décida de briser ce silence pesant.

-Au fait, il s’est passé quoi tout à l’heure ?

-Tu l’as vu non ? dit-il sans la regarder. Il y avait un mutant.

-Et ?

Shadow tiqua. Venait-elle réellement de poser la question ? Elle le regardait les yeux emplis d’incompréhension. Ses sourcils étaient relevés en signe d’interrogation. Elle ne comprenait pas tout ce que ce mot représentait. À lui seul, « mutant » désignait une cible sur les êtres vers qui on pointait le doigt. C’était un appel à la haine, à la déferlante de violence. C’était une condamnation.

-C’était un mutant.

-Je sais. Mais en quoi c’est un crime de naître différent ?

Il faillit lui dire que elle aussi était différente. Shadow se rappela à temps que ses pouvoirs étaient latents. Elle ne savait pas. Elle était encore dans une bienheureuse ignorance. Sa vie était « normale ». Shadow ne pouvait se résoudre à être celui qui détruirait cette paix factice.

-Écoute, dit-il en recouvrant une de ses mains de la sienne, les mutants sont des êtres dangereux.

-Tout le monde peut être dangereux. Avoir du talent ne fait pas de toi un monstre.

Courtney ne retira pas sa main. Elle était concentrée sur ce jeune homme à l’aspect si misérable et en même temps si fort. Elle se perdit dans ce ciel étoilé qu’étaient devenus ses yeux.

Shadow éveilla ses sens maintenant qu’il était en contact avec elle. Il se montra davantage prudent, de peur d’être une nouvelle fois happé dans cet univers chaotique et destructeur. Il sonda délicatement son esprit.

« Personne ne mérite de souffrir. » « Certains humains font beaucoup plus de mal que les mutants. » « Personnellement, je n’en ai jamais rencontré et je n’ai jamais été blessée par eux. » « Pourquoi toujours faire une généralité de la pensée et des actes d’un petit groupe. » « La haine engendre la haine. »

« Moi aussi, je veux être libre ! »

Cette dernière pensée le guida. Il se visualisa dans un espace où il flottait. Il parcourait ses pensées, ses souvenirs, ses idées. Tout cela se matérialisait sous forme de tableaux actifs ou plutôt d’écrans qui voguaient d’un coin à l’autre de cet espace immense et sans frontière. Shadow s’accrocha à celle de la liberté. Il avait lancé un lasso afin d’être guidé vers elle.

Bientôt, il fut stoppé dans sa progression. Un mur invisible était dressé autour d’une partie de l’esprit féminin. Shadow vit apparaître une paroi de verre dans ce dédale de pensées. Derrière ce mur, il y avait une autre Courtney, inconnue, inaccessible. Cette Courtney aspirait à la liberté. Shadow tendit la main vers cette paroi. Il connaissait ce sentiment. Lui aussi, il voulait être libre. Elle était un écho de lui-même.

-Tu sais, certains talents sont plus problématiques que d’autres, dit-il dans la réalité.

-Comme ?

L’autre Courtney derrière la vitre s’approcha. Elle flottait également, ses cheveux s’éparpillant autour de son visage. Elle semblait nager dans l’océan. Elle positionna sa main sur la vitre, jumelle à la sienne.

-Lire dans les pensées. Percevoir le mensonge et la cruauté de ton entourage. C’est difficile alors de ne pas éprouver de la rancœur par après.

Cette vision de la jeune fille sourit, un sourire sincère et réconfortant.

-Les gens peuvent se montrer cruels, pas besoin d’être télépathe pour le voir. Mais on peut aussi voir la beauté de son entourage, l’amour profond que certains nous portent malgré leur air patibulaire. On peut voir la vérité derrière les faux-semblants.

L’amour ? Il ne l’avait jamais rencontré. C’était un mot à défaut d’être un sentiment. Shadow appuya un peu plus sur cette paroi vitrée. Il déposa son poids contre elle.

-Peut-être… murmura-t-il, aspiré par ces grands yeux verts qui semblaient voir clairement en lui.

Le jeune homme vit des fissures apparaitre entre leurs mains. D’abord infime, la cassure s’agrandit réalisant une toile d’araignée entre eux.

-Déterminer le cœur d’une personne sur son apparence, je trouve ça injuste. Les actes devraient davantage compter, s’énerva Courtney.

-Je suis d’accord.

Des éclats de verre s’échappèrent de la fissure. Shadow appuya davantage. Encore un effort et Courtney serait libre. Il pouvait au moins faire ça pour elle à défaut de pouvoir s’aider lui-même. Il voulait changer, aider une personne au lieu de la condamner. Cette fille avait un cœur pur. Il se refusait à la livrer à ses frères.

La sonnerie d’un téléphone brisa ce moment. Ils sursautèrent tous les deux et retirèrent leurs mains en même temps. Ils rougirent sans vraiment savoir pourquoi.

Courtney sortit son téléphone de son minuscule sac à main, planqué jusque-là sous sa cape rouge. Elle questionna la personne à l’autre bout du fil. Elle soupira en constatant que c’était sa meilleure amie. Elle lui indiqua le nom du fast food où elle était et promit de les attendre. Quand la jeune fille raccrocha, elle se rendit compte qu’elle était assise toute seule à la table.

 

 

Shadow pénétra dans le hangar sombre. C’était la planque du moment de ses frères et de leur bande. Ils avaient beau faire les fiers avec leur mouvement « Les amis de l’humanité », ils se cachaient tels des rats dans des endroits sombres. Shadow ne comptait plus le nombre de coins lugubres qu’ils avaient habités. Ces gars-là savaient que ce qu’ils faisaient était mal mais ils persistaient dans leur erreur.

Arrivé au campement de fortune, Shadow reçut un uppercut dans la mâchoire. Il perdit l’équilibre et fit quelques pas sur le côté afin de se reprendre. Immédiatement, un autre coup lui percuta le ventre. Il cracha par réflexe et se pencha en avant sous l’effet de la douleur. Il n’eut pas le temps se reprendre qu’un pied le fit valser à terre.

-T’étais où ? cracha une voix agressive au-dessus de lui.

Il essaya en vain de formuler des mots. Sa mâchoire était affreusement douloureuse et il n’arrivait pas à mettre de l’ordre dans ses pensées. Un homme l’obligea à relever la tête en lui tirant les cheveux.

-On a attendu comme des cons toute la soirée ton appel. Ne me dis pas que t’as rien trouvé. Ton GPS nous a signalé que t’étais pas loin du crapaud visqueux que Jamie a déniché.

-Déso.. Dé.. Déso…

-Ferme ta gueule. Tu vas ramasser ce soir pour t’apprendre le respect.

Ses deux frères s’acharnèrent encore sur lui. Comme à son habitude, Shadow se mit en boule afin de se protéger. Il essaya de ne pas pleurer. C’était pire s’ils voyaient ses larmes. Ils lui reprocheraient d’être faible et de ne pas savoir encaisser.

Le jeune homme savait que, en réalité, ses larmes leur faisaient douter du bien fondé de leurs actes. Il avait déjà essayé de les attendrir avec son don. La raclée qu’il avait subie avait été la pire. Shadow n’avait pas calculé que leur haine pour les mutants était plus grande que leur sensiblerie.

-T’es là pour nous aider. T’es un chien de chasse, un putain d’outil. On te nourrit et on s’occupe de toi parce que t’es utile. Si tu continues tes conneries, tu subiras le même sort que les autres. Compris, sale monstre ?

Shadow ne rétorqua rien. Il savait que cette question était un piège. S’il répondait trop vite, ou s’il se montrait arrogant, ce calvaire perdurerait.

Un de ses frères le souleva par le col.

-T’as compris ? répéta-t-il.

-Ou… Oui…

-Tu m’fais vraiment gerber, dit-il en le lâchant, du dégoût dans la voix.

On lui cracha dessus. Certains remuèrent la poussière pour qu’il en eût dans les yeux. Difficilement, le jeune homme se releva. Sa lèvre et sa tempe étaient douloureuses. Par réflexe, il toucha du bout des doigts ses blessures. Il grimaça sous l’effet cuisant de la coupure. Il constata qu’il saignait.

Shadow laissa son regard errer dans la pièce. Les hommes autour de lui l’ignorèrent. Ses deux frères buvaient une bière avec d’autres en rigolant. Le plus âgé lui jeta un regard noir avant de se détourner de lui. Shadow les avait déçus. Désolé, il baissa la tête.

Le jeune homme se traîna en silence jusqu’à son matelas de fortune. Ça puait la pisse. Un des hommes de ses frères avait dû se soulager dessus pendant son absence. Enfin, c’était mieux que rien.

Les gens peuvent se montrer cruels, pas besoin d’être télépathe pour le voir.

Shadow le savait. Il n’avait pas besoin d’entendre de telles évidences de la part de cette fille pour comprendre cette vérité absolue. Il tourna le dos au reste de la pièce, le visage face au mur de béton. Il refusait que ces humains vissent le mutant apprivoisé pleurer sur son sort.

Déterminer le cœur d’une personne sur son apparence, je trouve ça injuste. Les actes devraient davantage compter.

Shadow aurait aimé que ses parents eussent pensé comme elle à sa naissance. Il n’avait été qu’une déception sans nom juste à cause de ses yeux. Des larmes s’échappèrent. Il mit les mains sur sa bouche, cherchant désespérément à étouffer le sanglot naissant. Il n’était plus un enfant mais un homme. Il n’avait pas le droit d’être faible. Il devait absolument taire ses émotions et redevenir une coquille vide.

Mais on peut aussi voir la beauté de son entourage, l’amour profond que certains nous portent malgré leur air patibulaire.

Le jeune homme avait vu pour la première fois un fragment de cette beauté en elle. Courtney était lumineuse. Elle était pure. Cette innocence parviendrait-elle à subsister face à la cruauté du monde ? Seul l’avenir pouvait déterminer si la vision qu’il avait eue était les prémices de cette horrible fatalité.

-J’aimerais la revoir, songea-t-il en fermant les yeux, vaincu par la fatigue de cette soirée.

Avant de sombrer dans l’inconscience, il eut une pensée au sujet de cette paroi invisible qui bridait les pouvoirs de cette jeune fille. Qui avait pu lui faire ça ? Quel mutant était donc assez puissant pour museler un mutant au potentiel si exceptionnel ? La perspective d’un monstre plus herculéen que cette déesse en devenir l’effraya davantage que tous les coups qu’il aurait pu recevoir de ses frères.



Mot de l'auteur


Merci d'avoir lu ce premiers chapitre. Comme vous le voyez, je pose déjà un univers sombre comme je les aime. Je vais être cruelle à certains moments et il est fort possible que je maltraite mes personnages. Me suivrez-vous dans cet univers?

Attention quand même que tout cela reste de la fiction. Je tiens à préciser que si vous êtes sujet à de la maltraitance, physique ou psychologique, ou que vous assistez à ce genre de scènes, n'hésitez pas à prévenir les autorités compétentes. Personne n'a le droit de vous rabaisser! Nous avons tous le droit d'exister avec nos défauts et nos différences!

Passez d'excellentes vacances et à la prochaine!


Laisser un commentaire ?