Gemini War, Tome 1, First Avengers

Si j'ai décris l'agence de New York comme peuplée, celle de Washington, elle, était sur-peuplée. Rien que dans le hall où nous entrâmes, je manquais de percuter (et de me faire percuter) par au moins cinq agents. Le brouhaha des paroles, des bruits de pas et des bruissements de papier montait jusqu'au plafond pourtant haut de la pièce. 

Je vérifiais que James me suivait bel-et-bien avant de de me diriger vers les escaliers menant à l'étage. L'Agence préférait éviter les ascenseurs autant que possible. En effet, ceux-ci nécessitaient des réparations assez fréquentes, en plus de parfois provoquer des accidents regrettables.

C'est donc à pied que nous rejoignîmes les portes de bois brun des bureaux. Je m'arrêtais devant la dernière du couloir. Au battant était accroché une plaque dorée avec l'inscription

« Henry D. Gamble, directeur ». Je soupirais et frappais à la porte.

"-Entrez !"

Je m'exécutais et refermais la porte derrière nous. La pièce était illuminée par de larges fenêtres sur le mur droit ainsi que par un luminaire rond suspendu au plafond. Le sol était d'un parquet couleur miel et les murs blancs étaient couverts de coupures de journaux, photos et autres décorations qu'affectionnait particulièrement Gamble. Ce dernier était d'ailleurs installé dans un fauteuil de cuir confortable derrière un large bureau sur lequel gisaient des piles de dossiers ainsi que deux cadres photos.

"-Agent Allen, sergent Barnes." Nous salua le directeur en posant le dossier qu'il lisait.

Il retira les lunettes qu'il portait et nous indiqua les deux fauteuil se trouvant devant le meuble de bois massif.

"-Je vous remercie d'avoir accepté de vous joindre à nous sergent." Commença Gamble une fois Buck et moi assis.

"-Je vous en prie, mais je dois avouer ne pas voir en quoi ma présence peut vous être utile." Répondit mon coéquipier avec un air interrogateur.

"-Oh, ne vous en faites pas, ce n'est rien d'extravagant ! Je veux juste pouvoir confirmer les éléments de ce rapport avec un tiers." Expliqua Henry.

Je haussais un sourcil circonspect. Mes soupçons se confirmaient.

"-Pour un peu, je jurerais que vous mettez ma parole en doute." Remarquai-je en croisant les bras sur mon torse.

Le regard du directeur se durcit immédiatement :

"-Ce ne serait pas la première fois que vous mentez dans un rapport il me semble Allen."

Je serrais les dents pour éviter une réplique trop violente. Je le savais de toutes manières. Si il y avait un élément de ma carrière que Gamble devait ramener à chaque fois que je le contrariais, c'était ça.

"-J'ai fait ce qui était juste." Dis-je simplement, espérant que cela suffirait à clore le sujet.

J'aurais largement préféré que cette histoire ne sorte pas de l'Agence mais visiblement, mon boss en avait décidé autrement.

"-Non ! Vous avez fait ce qui était juste pour vous ! Vous avez mit en danger des agents, des innocents ! Tout ça pour une quoi ?! Pour rien !" s'exclama t-il, perdant son calme légendaire.

Le regard confus de James alternait entre Gamble et moi, essayant vainement de comprendre sur quoi j'avais bien put mentir pour que la discussion prenne un tel tournant.

Je n'y prêtais cependant aucune attention, me concentrant sur la rage qui m'animait. 

Comment est-ce que cet enfoiré pouvait dire que c'était injuste ?! Que ce n'était pas la chose à faire ?! Que c'était pour rien... ? Je savais ce que j'avais fait, qui j'avais mit en danger et pourquoi ! J'en avais rien à foutre qu'il me dénigre moi ! Mais il n'avait pas le droit de dénigrer ça ! Pas après ce que ça nous avait coûté ! 

Je remplaçais ma colère par un air froid et implacable. Je savais pour qui je travaillais, je savais quoi faire pour lui faire peur. Et le masque que je portais chez Hydra avait toujours fait l'affaire.

"-Aux dernières nouvelles, vous êtes celui qui a besoin de nous Henry... Je surveillerais mes paroles à votre place..." sifflai-je sur ton froid à la menace sous-jacente.

Je vis la détermination dans le regard de Gamble vaciller. Touché. Il ne me faisait pas confiance mais il n'était pas idiot, il ne me sous-estimait pas. Il savait que si Dan était un bon agent, obéissant aux ordres, je restais une variable qu'il ne pouvait pas contrôler. Gamble ne nous avait engagé que pour nos « talents » et c'était le seul moyen de pression que j'avais sur lui pour le moment...

"-Je pourrais très bien vous faire virer..." finit par répliquer Henry, "Virer de l'Agence, de l'armée! En un coup de fil, vous pourriez très bien être renvoyé en Angleterre !

-Vous n'êtes pas stupide, vous ne le ferez jamais, pour la simple raison que vous ne prendrez jamais le risque de me voir me retourner contre vous." Contrai-je sans changer mon expression d'un cil.

"-Je pense que vous avez tous les deux besoin de vous calmer !" Nous interrompit James, visiblement excédé par la situation. "Sasha, je ne pense pas que le menacer serve à grand-chose, tu es espionne bordel, tu n'est pas censée savoir gérer ce genre de situation ?"

Je m'apprêtais à répliquer vertement mais le brun ne m'en laissa pas le temps. Il se tourna vers Gamble, ses yeux bleus prenant des tons orageux :

"-Quant à vous, je pense que vous devriez sérieusement réfléchir un peu plus à ce que vous dites. Vous pouvez peut être les renvoyer de votre agence, mais vous n'avez aucun moyen de les virer des commandos, ni Steve, ni moi ne vous laisserions faire. Sur-ce, je pense que vous saurez vous débrouiller avec un simple rapport pendant que nous allons gagner la guerre, non?" Termina t-il en se levant.

Le brun me fit signe de le suivre ce que je fis, pour une fois muette. Ce n'était pas vraiment ce à quoi je m'attendais en entrant dans ce bureau...

Buck ne décrocha pas un moment avant d'être dans la rue, sans agents autour.

"-C'était une sortie un peu mélodramatique, tu ne crois pas ?" Lançai-je. "Je suis presque sûre que tu as fait peur à mon boss.

-De nous deux, je pense que c'est toi la plus effrayante. Sérieusement, j'aurais eut moins peur de Johann Schmidt si il avait été avec nous pendant que tu parlait à Gamble." Répliqua le sergent sans pour autant se départir de cet air sérieux qui tranchait avec son habituel sourire amusé.

"-De qui tu penses que j'ai appris ?" Répliquai-je, "Je ne suis pas capable de créer des masques depuis ma naissance darling, j'ai appris chez Hydra."

Bucky s'arrêta immédiatement. Oups. J'étais peut être pas forcée de parler de ça... Enfin, mieux valait qu'il l'apprenne maintenant que plus tard, dans la bouche d'un autre.

"-Vous êtes resté chez les ordres de Schmidt combien de temps au juste ?" s'enquit, ou plutôt s'exclama, le sergent en me dévisageant.

Je pense qu'il prenait tout juste conscience d'à quel point notre job était tordu.

"-Buck, ça fait neuf ans qu'on fait ça avec Dan. On avait tout juste seize ans lorsqu'on a commencé." -je soupirais- "On a passé cinq ans chez Hydra, on venait juste d'être envoyé sous couverture dans l'armée quand Steve et toi avez rencontré Dan." Répondis-je finalement.

James pâlit légèrement. Tu m'étonne, ça devait lui faire un sacré choc d'apprendre que quelqu'un qu'il considérait comme son meilleur ami avait travaillé pendant cinq ans chez ceux qui l'avaient torturé. 

Voyant qu'il restait muet, je repris :

"-On rendait toujours des comptes aux alliés, tout ce qu'on a fait été approuvé...

-Alors pourquoi avoir mentit dans un rapport ? Si tout ce que vous avez fait était approuvé, pourquoi mentir ?!" m'interrompit Buck.

Ce fut à moi de rester muette. Je n'étais pas sûre de vouloir raconter ça.

"Vu tout ce que tu viens de dire, je pense que tu peux lui dire. On est sur le point d'être viré en plus, alors classifié ou pas..."

J'acquiesçais vaguement. Pour le coup, Dan n'avait pas tord.

"-Tu sais déjà que Dan et moi étions gradés chez Hydra, non ?" Commençais-je.

James hocha la tête.

"-On atteint pas ce rang avec les mains propres, même en ayant un gêne différent... On a fait, j'ai fait, des choses qui donneraient des cauchemars à la plupart des gens. L'Agence se foutait des ordres qu'on recevait tant qu'on continuait de leur apporter des informations intéressantes. Nos ordres étaient d'obéir à ceux d'Hydra. 

  Et puis un jour, on a désobéit. Hydra nous a ordonnée d'éliminer une famille complète, parce que le patriarche était un gradé allemand qui gênait Schmidt. Nous étions déjà capitaine à l'époque mais nous étions aussi ses armes préférées, il nous appelait les jumeaux fantômes. Mais Dan ne voulait pas obéir à l'ordre d'exécution. Il pensait que c'était trop, que nos supérieurs seraient contre. Alors on a demandé. Et devine quoi ? Ils en ont rien eut à foutre. Ils nous ont dit d'obéir, que c'était « pour le bien de tous »."

Je vis le regard de Bucky passer de l'inquiétude à un état proche du dégoût. Et ça n'allait sûrement pas s'améliorer.

"-Alors on a obéit. Tué le père d'une balle dans la tête, la mère d'une balle dans le cœur et étranglé un témoin. Il nous restait que les enfants. Un garçon et une fille. Ils étaient à l'étage et n'avaient rien vu. Et c'est là qu'on a foiré. On les a laissé vivre. J'ai même réussit à leur trouver de faux papiers pour quitter le pays. C'est la première chose sur laquelle j'ai mentit dans un rapport.

   Le problème lorsqu'on désobéit une fois, c'est qu'obéir devient de plus en plus dur. On a sauvé une dizaine de personne, et j'ai continué de mentir. On a mit en danger notre couverture et celle des autres agents infiltrés. Je dis « on » mais Dan ne voulait pas mentir à nos supérieurs. Gamble a raison, j'ai fait ce qui était juste pour moi, au mépris des autres. On en a payé le prix de toutes manières..." terminai-je en haussant les épaules.

Buck restant muet, je tirais une cigarette de mon étui et l'allumait, attendant une réaction, quelle qu'elle soit.

"-C'était quoi ?" Demanda t-il finalement.

"-De quoi ?

-Le prix que vous avez payé." Précisa le brun.

"-On a été découvert peu de temps avant que Dan parte en Italie. Mais ça, c'était rien, le vrai prix, c'était les gosses. Schmidt les a fait tué à la minute où il a apprit notre trahison, et leur survie. Il s'est aussi débarrassé de notre coéquipier, un agent supérieur que Gamble avait personnellement entraîné." Expliquai-je en tirant sur ma cigarette dans un semblant de calme.

J'avais tué beaucoup de monde et, même si c'était là indirectement, la mort de cet agent comme des enfants était sur moi.

"Nous. Nous les avons tués. Tu n'es pas la seule responsable."

Je ne répondis rien. Je n'aimais pas sentir Dan culpabiliser, il avait toujours été le plus humain de nous deux.

"-Tu as tord." Dit simplement James, me tirant de mes pensées. "Vous n'avez fait que suivre des ordres injustes. La mort de ces personnes sont sur Schmidt et aussi sur Gamble pour vous avoir autorisé à agir. Vous avez fait ce qu'il fallait."

Je dévisageais mon coéquipier, surprise. J'avouais ne pas avoir vu ça venir. Étant donné le dégoût que son visage avait exprimé quelques instants plus tôt, je l'aurais crut plus enclin à nous tenir responsable, ou du moins qu'il commencerait à se méfier de nous. 

Voyant que je ne disais rien, Buck sourit légèrement :

"-Allez, amène toi Allen, Steve va nous attendre."