Guren
Bonsoir tout le monde !
ça fait un sacré bail, dites-moi...toutes mes excuses pour ce retard, j'ai été particulièrement occupée, ces deux derniers mois. Pour ne rien arranger, ma beta-readeuse a disparu quelque part dans la nature (Kohei, si tu lis ces lignes...c'est que tu es en vie et c'est déja ça !) donc même si j'ai essayé de mener une croisade sérieuse contre les fautes d'orthographe/style/whatever, je ne vous garantie pas la même rigueur que lors des précédents chapitres. Pour compenser tout ça, ce chapitre-là est relativement long...un peu trop peut-être...vous me donnnerez vos impressions, à ce sujet :)
Sur ce, à la prochaine et bonne lecture !
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Les premiers jours que passa Natsuki avec Alyssa bouleversèrent profondément sa routine.
La solitaire réalisa vite qu’elle ne pouvait pas se permettre de laisser sa sœur seule dans son appartement et aller en cours comme si de rien n’était.
Personne dans l’administration ne connaissait leurs liens de parenté et elle renonça à appeler le service de la scolarité pour leur expliquer la situation. Finalement, Natsuki passa un coup de fil à l’infirmerie et laissa un message à Youko en espérant que cela suffirait.
La jeune fille raccrocha avec une impression étrange et se rendit compte en regardant le téléphone que c’était la première fois qu’elle prenait la peine de justifier une de ses absences.
Alyssa passa toute la première semaine dans sa chambre. Voir sa jeune sœur se morfondre ainsi dans une pièce plongée dans la pénombre toute la journée la désolait, mais Alyssa refusait de bouger, lui opposant un mur de tristesse et un silence désespéré.
Parfois Natsuki l’entendait pleurer. Quand Alyssa était incapable de retenir ses sanglots, elle s’asseyait au coin du lit, pour simplement offrir sa présence.
Elle se revoyait alors à l’époque pénible de sa convalescence peu après l’accident de voiture. De nombreuses fois elle avait voulu s’isoler de tous, suffoquant dans une pièce sans intimité. L’idée d’exposer son désespoir aux yeux d’un autre lui était alors intolérable. Elle voulait panser seule ses blessures. Mais parfois, le poids de sa solitude était tel qu’elle avait passé des nuits entières roulée en boule sous ses couvertures, à sangloter en espérant que quelqu’un, n’importe qui, passerait la porte de sa chambre d’hôpital.
Et alors, Natsuki prenait sa petite sœur entre ses bras, incertaine, ou s’éclipsait discrètement selon ce qu’elle croyait être le mieux.
Pourtant, elle proposa plusieurs fois à la fillette de quitter cette chambre sombre, au moins pour les repas. En vain. Natsuki lui apporta donc à manger sur un plateau, mais décida de prendre ses repas avec elle, assise en tailleur sur le lit.
Le reste du temps, Natsuki s’affairait dans les autres pièces. Sa chambre, occupée par Alyssa, était un peu à l’écart des pièces communes. Consciente que sa sœur préférerait garder un maximum d’intimité dans son nouvel environnement et que cette partie de l’appartement convenait le mieux pour cela, elle décida de déménager ses quartiers dans le salon.
Elle troqua son canapé contre un futon et assembla une commode et une armoire qui prirent place contre le mur.
La première fois qu’Alyssa voulut prendre une douche, Natsuki courut dans la salle de bain pour lui expliquer quelques détails avant.
- Tiens regarde, c’est un peu compliqué. Il faut faire attention quand tu ouvres l’eau, des fois c’est mal enclenché et l’eau chaude n’arrive pas…il faut faire comme ça, tu vois ?
Le bruit de la douche cessa lorsque Natsuki décidait d’une date de rendez-vous avec un plombier.
- Et avant jeudi, ce n’est pas possible ? Bon…Les serviettes sont dans le placard sous le lavabo ! cria-t-elle à travers la porte en couvrant le téléphone d’une main.
Depuis, une feuille de papier couverte de rappels avec un signal danger tracé au marqueur rouge était scotchée à côté du tuyau de douche dans une pochette plastique à l’étanchéité discutable.
Natsuki avait passé le restant de la journée à vérifier chaque recoin de l’appartement en quête d’objet dangereux, de coins de tables acérés et de carrelages glissants.
Tout ça avait un air de déjà-vu, songea-t-elle en essayant de réparer l’interrupteur d’une vieille lampe qui exhibait des fils électriques dénudés.
Ses premiers temps ici, perdue et livrée à elle-même, n’avaient pas été une partie de plaisir. Elle scotcha un post-it sur le frigo, pour ne pas oublier d’expliquer à Alyssa comment marchait la plaque électrique et lui éviter la splendide brulure qu’elle s’était faite la première fois qu’elle s’en était servie.
Après réflexion, elle colla aussi un autre papier d’avertissement à côté de la plaque.
La cuisine. C’était peut-être l’endroit qu’elle détestait le plus à l’époque. Jamais elle n’oublierait la première fois qu’elle s’était rendue à l’école avec un bento minable dont la confection lui avait pris deux heures pénibles et vexantes, alors que les autres enfants déballaient des paniers-repas colorés préparés par leurs mères. Des années étaient passées depuis, mais elle se sentait encore misérable en y repensant.
Un bento, pensa-t-elle en collant un autre bout de papier sur le frigo. Il ne faudrait pas qu’elle oublie d’en faire un pour sa sœur, quand elle retournerait à l’école.
Les jours passèrent et l’appartement et le frigo se couvrirent de post-it.
À la fin de la semaine, Natsuki ne tenait plus en place.
Après avoir remis un peu d’ordre dans une cuisine déjà impeccable, la jeune fille s’assit devant la télé et zappa en regardant l’écran d’un œil distrait. Les minutes s’écoulèrent avec une lenteur exaspérante et elle ne tarda pas à trouver l’inaction insupportable.
Natsuki finit par jeter la télécommande sur le canapé et fut devant la chambre en deux enjambées. Elle crut au départ que la pièce était vide avant qu’elle n’aperçoive une mèche de cheveux qui dépassait de la pile de draps roulés en boule dans un coin du lit.
Ce fut le déclic. Natsuki tira les rideaux sans prévenir et ouvrit la fenêtre en grand.
- Debout là-dedans !
L’attitude d’Alyssa l’inquiétait et lui inspirait une sorte d’impatience agacée. Une chose lui paraissait évidente à cet instant : il était hors de question qu’elle laisse plus longtemps la fillette se morfondre au lit jusqu’au soir, ça ne pouvait rien lui apporter de bon.
La tête d’Alyssa émergea des couvertures et elle la gratifia d’un regard contrarié. Tant mieux, songea Natsuki. Elle préférait ça à l’expression abattue qu’elle affichait les autres jours.
- Allez jeune fille, à la douche ! tu ne vas pas rester en pyjama toute la journée ! on dirait un poussin qui sort de son œuf…
Alyssa fit une moue boudeuse en passant une main dans ses cheveux ébouriffés, marmonna quelque chose et finit par se lever, pour le plus grand soulagement de sa grande sœur.
Plus tard, alors que l’eau coulait dans la salle de bain, Natsuki constata avec une pointe de panique qu’à part un pyjama et des sous-vêtements, la fillette n’avait plus grand-chose de propre à se mettre sur le dos. La jeune fille songea en pestant qu’elle aurait dû y penser plus tôt et téléphona à Mai pour lui demander de se rendre chez Miyu et récupérer quelques affaires, pendant la pause de midi.
- Tu as les clés pour entrer chez elle ? Bon…merci encore, je préfère ne pas quitter l’appartement tout de suite.
La solitaire retourna en vain placards et penderie en espérant retrouver de vieux vêtements qui pourraient convenir, avant de se résoudre à lui prêter un de ses tee-shirts et un jean devenu trop court pour elle. Encore quelque chose dont il faudrait s’occuper. Dès qu’elle le pourrait, il faudrait qu’elle ramène les affaires de la fillette. Des habits, ses jouets, des photos…elle en profiterait pour vider entièrement son ancienne chambre.
Quand Alyssa émergea de la salle de bain, l’air peu convaincu, Natsuki du bien reconnaître qu’elle flottait dans ses vêtements.
- On va te trouver quelque chose d’autre, la rassura sa grande sœur en la voyant essayer de marcher sans se prendre les pieds dans son pantalon qui trainait par terre. Mai va venir avec des habits pour toi.
Natsuki l’emmena dans le salon avec un sèche-cheveux et ralluma la télé, zappant jusqu’à ce qu’elle tombe sur ce qui ressemblait à un anime pour enfant. Est-ce que ça sœur regardait ce genre de chose ? se demanda-t-elle, un peu nerveuse, alors qu’un générique coloré faisait clignoter l’écran. Elle posa la télécommande à côté d’elle, au cas où la petite fille voudrait changer de chaîne.
Alyssa marqua un temps d’arrêt et considéra tous les petits papiers qui avaient fleuri sur les murs et le mobilier des salles communes.
- Euh…Natsuki ? fit-elle après en avoir lu quelques-uns. J’ai…j’ai dix ans, tu sais ?
Son aînée la détailla d’un coup d’œil. Encore plus pâle et frêle que d’habitude avec un tee-shirt qui lui arrivait aux genoux, Alyssa aurait tout aussi bien pu en paraître cinq. Natsuki fit une moue gênée en espérant qu’elle n’avait pas vexé la fillette.
- Quand j’avais dix ans, il m’est arrivé quelques bricoles ici, au début. Alors…tiens, regarde, dit-elle en dégageant les mèches de cheveux de son front.
Elle désigna une fine cicatrice qui se profilait juste au-dessus de l’arcade sourcilière.
- J’ai glissé et je suis tombée sur un coin de la table basse, expliqua-t-elle.
C’était juste après avoir quitté la clinique où elle s’était remise de l’accident de voiture. Elle avait trébuché en se précipitant pour ouvrir la porte d’entrée, persuadée que c’était son père qui rentrait. En ouvrant, le visage en sang, elle était tombée nez à nez avec un vieil homme qui l’avait immédiatement conduite à l’hôpital.
- L’avantage dans tout ça, c’est que j’ai fait connaissance avec mon voisin. Depuis, j’ai changé la table basse, fit-elle tapotant les coins arrondis.
Alyssa la regardait, l’air peu convaincu et Natsuki réalisa que sa façon de présenter les choses infantilisait encore la fillette.
- Me regarde pas comme ça ! j’étais …je ne sais plus combien de fois je me suis brûlée en préparant les repas et…
Natsuki s’interrompit en rougissant et se sentit soudain un peu bête.
- On ne sait jamais.
Alyssa détourna la conversation avec indulgence.
- Et ton voisin ? Il est toujours là ?
- Non. Il a déménagé deux mois plus tard.
Natsuki n’en dit pas plus. Le vieil homme était parti s’installer en maison de retraite, mais il avait gardé un œil sur elle au moment où elle en avait le plus besoin.
- Allez, assis toi, je vais te sécher les cheveux.
Lorsqu’elle eu finit, Natsuki hésita de nouveau, une brosse à la main. Jusqu’à présent, Alyssa avait simplement gardé ses cheveux détachés.
Est-ce qu’elle se coiffait seule habituellement ou bien était-ce Miyu qui s’en occupait ? Il lui semblait qu’à son âge, elle se débrouillait par elle-même…
Dans le doute, elle entreprit de s’en charger. Alyssa ne broncha pas jusqu’à ce que la brosse accroche un nœud :
-Aïe !
-Désolée…j’ai presque fini.
La suite fut nettement plus délicate. C’était la première fois que Natsuki coiffait quelqu’un d’autre et elle n’avait aucune envie de tirer les cheveux de sa sœur. Quand elle eut finit, un autre anime défilait à l’écran et elle se rendit compte avec effarement qu’elle était à des kilomètres du résultat escompté. En la voyant faire la moue, Alyssa fila s’observer dans la salle de bain et en revint aussi vite en riant aux éclats.
- Toutes mes excuses, j’ai fait ce que j’ai pu, avoua Natsuki d’un air mi-amusé, mi-dépité.
- Ce n’est pas grave, s’amusa Alyssa en ôtant les élastiques qu’elle avait dans les cheveux. Je vais les laisser comme ça, pour aujourd’hui.
Un voile de tristesse effaça son sourire et Natsuki en conclut que c’était probablement Miyu qui la coiffait, habituellement. Quelqu’un frappa à la porte, mettant un terme au silence maladroit qui s’étirait.
- Ce doit être Mai, je reviens.
La rouquine se tenait devant la porte, flanquée de deux gros sacs.
- J’ai fait aussi vite que j’ai pu ! j’ai pris un peu tout ce que j’ai pu trouver, tu feras le tri…et là-dedans, fit-elle en désignant l’autre sac, tu as de quoi faire un bon repas ce midi. Tu as de la chance, j’ai réussi à sauver ça de Mikoto !
En l’entendant, Natsuki écarquilla les yeux en constatant qu’elles avaient sauté le petit déjeuner.
- ça va ? Tu fais une drôle de tête…
- Oui, oui, tout va bien…j’essaye juste de m’en sortir sans faire n’importe quoi, résuma Natsuki en se frappant le front. Merci pour tout, Mai.
- Je t’en prie. Tu veux que je reste, ce midi ?
Natsuki accepta de bon cœur et l’entraina dans la cuisine avec un sourire soulagé. Son amie jeta un coup d’œil intrigué au frigo constellé de post-it avant de prendre les choses en main comme si elle avait passé des années dans cet appartement. Le repas fut prêt en quelques instants et les trois filles s’installèrent à table pendant que Mai leur rapportait les derniers événements survenus à Fuuka en faisant passer les plats.
La cuisine de la rouquine était excellente et Natsuki insista pour servir copieusement sa sœur qui regardait la nourriture avec une morosité peu convaincue. Il suffit d’une bouchée pour qu’Alyssa se mette immédiatement à dévorer le contenu de son assiette sous les regards ravis des deux autres.
Mai en profita pour raconter les derniers exploits d’Haruka au conseil des élèves et réussis même à arracher un sourire à la petite fille. Natsuki lui fut reconnaissante d’évoquer la routine simple de l’Académie : après avoir passé deux jours enfermée ici, une nouvelle présence dans l’appartement et des nouvelles fraiches du monde extérieur ne pouvait faire que du bien à la fillette.
- Tu t’en sors pas si mal que ça, on dirait, observa Mai alors qu’elle aidait Natsuki à essuyer la vaisselle.
Alyssa était dans le salon, installée devant la télévision.
- Tu trouves ? demanda son amie avec une certaine reconnaissance. Je fais ce que je peux. Mais ça fait bizarre d’avoir quelqu’un d’autre ici…je ne me sens pas très à l’aise.
Mai la regarda froncer les sourcils avec amusement. Il lui semblait que Natsuki était bien plus nerveuse à l’idée de faire un faux pas avec sa sœur plutôt qu’à celle de se retrouver avec une présence inhabituelle dans son appartement. Peut-être son ami ne se rendait elle-même pas compte que sa gêne était plus un manque de confiance en soit qu’autre chose.
La rouquine posa une assiette sur le plan de travail en désignant les papiers colorés qui tapissaient le frigo d’un air goguenard.
- Tu ne vas pas t’y mettre non plus hein…elle est peut-être moins maladroite que moi à son âge, mais on ne sait jamais, marmonna Natsuki d’un air boudeur.
Mai éclata de rire.
- Tu t’en sors bien, répéta-t-elle, pour la rassurer.
C’était la vérité. Au moins, Alyssa ne se trouvait pas prostrée dans un coin de l’appartement, en larmes, et elle sentait suffisamment de prévenance dans les gestes de la solitaire pour estimer que la fillette était entre de bonnes mains.
- En vérité, je sais à qui je ferais appel pour garder Mikoto la prochaine fois…
Natsuki lui lança un regard catastrophé avant de réaliser que Mai plaisantait.
- Soit tranquille, je réserve cet honneur à Reito…ça va aller, cette après-midi ?
- Oui, ne t’inquiète pas. On devrait y arriver, j’ai quelques idées !
Les quelques idées de Natsuki se résumaient essentiellement à quitter cet appartement et prendre l’air pour se changer les idées. Elle réussit à convaincre sa sœur de sortir quelques heures pour se promener au parc, lui offrir une glace et discuter un peu avec la fillette si elle le souhaitait.
La solitaire savait qu’il était difficile d’aborder un sujet de conversation avec Alyssa sans évoquer Miyu. Pourtant, elle y parvint dans la plupart des cas et le reste du temps, la fillette faisait ce qu’elle pouvait pour contrôler sa tristesse. Alyssa avait un certain courage, reconnut son aînée avec un curieux sentiment de peine et de fierté, impressionnée par la vitesse à laquelle sa jeune sœur avait décidé de se reprendre en main. Le temps passa, les mots devinrent plus naturels et les silences plus paisibles.
Lorsque l’après-midi toucha à sa fin, Natsuki proposa de l’emmener au cinéma, mais Alyssa préféra rentrer et retrouver le calme de l’appartement. Sa sœur dépoussiéra sa vieille Playstation devant les yeux pétillants de la fillette et la laisser jouer pendant qu’elle préparait le repas du soir, amusé de la voir aussi enthousiaste pour quelques jeux vidéos. Pour la première fois de puis la mort de Miyu, Alyssa trouva le sommeil sans verser de larmes.
Dès lors, de nouvelles habitudes se mirent en place.
Natsuki du décaler son réveil afin d’avoir le temps de préparer un petit déjeuner digne de ce nom et aider sa sœur à se préparer pour aller à l’école : elle ne pouvait plus se permettre de quitter son appartement, une tartine à la main, pour filer à l’Académie à moto, un quart d’heure avant le début des cours.
Ce fut probablement le fait de devoir désormais prendre le bus tous les matins qui lui fut le plus difficile. Avec tous les arrêts, il fallait plus du double du temps à cet espèce de tas de ferraille plein à craquer pour les emmener à destination. Coincée au milieu d’une foule d’élèves trop compacte pour pouvoir simplement esquisser un geste, Natsuki ne pouvait s’empêcher de regretter la liberté qu’elle avait avec sa Ducati.
La première fois qu’elle accompagna Alyssa jusqu’à l’école, la solitaire eut vite l’impression désagréable d’être observée avec insistance. Elle se retourna pour constater que la plupart des gens la regardaient sans la moindre discrétion, clairement surpris. Natsuki les ignora et leva la main pour saluer sa sœur qui disparut dans le bâtiment.
Le même phénomène se produisit le soir, lorsque Natsuki revint chercher la fillette. Cette fois-ci, la solitaire ne put s’empêcher de lancer des regards agacés aux mères et étudiants qui venaient récupérer les enfants après les cours. La jeune fille avait le sentiment d’être devenue une sorte de bête curieuse.
Elle repéra vite Alyssa qui se trouvait en pleine discussion avec deux élèves du lycée à quelques pas de l’entrée.
En la voyant approcher, la petite fille lui fit signe et vint à sa rencontre.
- ça s’est bien passé, aujourd’hui ?
C’était son premier jour de classe depuis la mort de Miyu. Natsuki espérait sincèrement que l’on ne l’avait pas trop importunée avec des questions et que, d’une façon ou d’une autre, Youko avait trouvé une explication à fournir aux maîtres d’école.
- Alyssa nous a dit qu’elle restait chez toi, en ce moment, intervint une des lycéennes avant que la fillette ne puisse répondre.
Natsuki considéra l’expression soucieuse et étonnée de son interlocutrice en se demandant ce qu’il y avait de si inquiétant à cette déclaration.
- Euh…oui, répondit-elle simplement en tentant de se remémorer le prénom de son interlocutrice.
Etait-ce Ayuki ? Imari ? Elle l’avait pourtant croisé des dizaines de fois dans les couloirs. Elle remarqua alors le garçon qui se tenait à côté d’elle.
- Oh, ton frère est dans sa classe ? Ça tombe bien, j’aurais voulu récupérer les cours qu’Alyssa a manquées ces derniers jours, si ça ne te dérange pas. Tu pourrais me prêter ça ? demanda-t-elle au gamin. On te les ramène demain.
La lycéenne la regarda comme si elle venait de lui annoncer qu’elle était la fille cachée d’un alien et d’un pokemon et l’enfant piocha dans son sac quelques feuilles couvertes de gribouillis. Natsuki les rangea soigneusement dans un classeur, consciente que tout le monde la regardait faire. Sa nervosité monta d’un cran et elle du faire un effort pour tourner les yeux vers l’autre fille sans lui hurler d’arrêter de la considérer avec une telle tête d’ahurie.
- Merci ! bon allez, on y va, Alyssa ?
Elle fit demi-tour, les épaules crispées et le regard rivé devant elle. Elle sentit la main d’Alyssa se glisser timidement dans la sienne et ce fut probablement la seule chose qui lui permit de contenir son irritation jusqu’à la sortie de l’Académie.
Les jours suivants passèrent en un éclair. Avant même qu’elle ne puisse vraiment s’en rendre compte, Natsuki vit tout son temps libre partir en fumée. Elle avait évité de justesse un redoublement l’année dernière, en s’engageant à repasser les matières pour lesquelles elle avait échoué. Le surplus de travail alourdit davantage son emploi du temps, déjà bien rempli depuis qu’Alyssa accompagnée de son deuil, de ses soucis, et de toutes ces petites choses qui vont de pair avec une enfant de dix ans avait déboulé dans sa vie.
En vérité, la fillette se montrait suffisamment dégourdie pour pouvoir s’assumer seule dans la plupart des cas. Loin d’être inactive, elle aidait Natsuki du mieux qu’elle le pouvait et sa grande sœur constata vite qu’elle était bien plus mature que la plupart des fillettes de son âge. Les post-its disparurent les uns après les autres et bientôt, seuls les horaires de bus, l’emploi du temps de la fillette et la liste des courses furent épinglés sur le frigo.
Mais Natsuki refusait fermement de la laisser vivre sans garder un œil sur tout ce qu’elle faisait, que ce soit l’accompagner à la chorale, faire ses devoirs, cuisiner ses bento ou simplement préparer son sac de classe. Le jour où Alyssa en aurait assez de se faire chouchouter, elle lui le dirait, mais sa sœur voulait être sûre que la petite fille sache qu’elle avait quelqu’un sur qui compter.
La solitaire commença l’année scolaire en tachant de montrer la même prévenance envers ses propres études : plus d’absences, pas le moindre retard et tous ses devoirs étaient rendus au jour prévu, sans fautes.
La jeune fille se voulait irréprochable.
Lorsqu’Alyssa dormait enfin et qu’il lui restait du travail à finir, il lui suffisait de repenser aux regards posés sur elle le jour où elle avait accompagné sa sœur à l’école la première fois pour que l’énervement prenne le pas sur le découragement. Cette irritation sourde tapie au fond d’elle devint un véritable moteur. Elle avait désormais une fierté à défendre.
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La nuit tombait sur la ville. Natsuki était à quatre pattes dans le salon, à la recherche de sa carte de bus. Elle songea en tâtonnant sous la table basse que son inconscient devait vraiment haïr ce bout de plastique pour qu’elle l’égare ainsi à chaque fois qu’elle en avait besoin. Ah, la voilà ! La jeune fille étira le bras et saisit la carte du bout des doigts, au moment précis où quelqu’un toqua contre sa porte.
Midori se tenait devant l’entrée, un grand sourire illuminant son visage.
- Ah, tu es encore là ! parfait, j’avais peur de t’avoir manqué.
- Midori ?
L’enseignante ne put s’empêcher de rire devant son air éberlué. Elle était ravie de constater que malgré sa surprise, Natsuki semblait contente de la revoir.
- Je viens te kidnapper, on va se faire une petite soirée tranquille, toutes les deux. Ça fait longtemps qu’on n’a pas discuté …depuis la dernière fois, insista Midori d’un air gêné en la voyant hésiter. Je voudrais être sûre que tout va bien de ce côté…
Natsuki n’avait plus aucune raison d’en vouloir à Midori et elle ne comprit pas tout de suite ce que son amie voulait dire. Elles avaient eu l’occasion d’en reparler au téléphone et pour elle l’affaire était close.
- Oh, je…je suis désolée, Midori. Ce n’est pas ça le problème, il faut que je m’occupe d’Alyssa. Je dois aller la chercher, elle m’attend à la chorale, s’excusa-t-elle en tripotant sa carte de bus.
- Ne t’inquiète pas pour ça, Mai doit déjà être là-bas ! elle s’occupe d’elle ce soir, comme ça tu as ta soirée de libre !
- Quoi ? Mais…non, je lui avais promis…
- C’est bon, pas de panique, insista Midori d’un ton apaisant. Il y aura Mikoto, aussi. Et ça ne te fera pas de mal de sortir un peu, on est vendredi soir !
La solitaire était insaisissable ces dernières semaines. Midori avait préféré lui laisser le temps de s’installer convenablement avec Alyssa avant de lui parler en personne, mais elle n’avait même pas eu l’occasion de la croiser dans les couloirs. Finalement, elle avait dû passer par le téléphone pour pouvoir revenir sur leur accrochage et mettre les choses aux points. Une discussion brève, maladroite, mais qui avait mis fin à cette histoire une bonne fois pour toutes. Midori s’en satisfaisait mal et avait décidé d’organiser cette soirée pour pouvoir discuter librement avec la solitaire et conjurer définitivement leur dispute.
Natsuki ne s’imaginait pas que Midori viendrait lui rendre visite seule à seule et elle se voyait mal refuser son offre. Mai et elle avaient visiblement tout prévu pour lui faire prendre l’air, observa-t-elle avec une certaine reconnaissance.
- Bon…ok, j’arrive tout de suite, j’en ai pour deux minutes.
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Le bar où la conduisit Midori lui rappela celui où elle avait l’habitude de rencontrer ses contacts et monnayer des informations sur le First District. Un brouillard de fumée de cigarette flottait au-dessus des tables dépolies qui luisaient faiblement dans la pénombre, sous la lumière faiblarde de quelques spots perdus au plafond. Une vieille chaine hi-fi passait en sourdine des accords de pop éraillés qui se mêlaient aux discussions des clients en un fond sonore ronronnant.
Midori interpella le barman et commanda deux pintes de bière. Elle paya et posa une des chopes devant Natsuki d’un air enthousiaste.
- Je ne sais pas si c’est une bonne idée que je boive tout ça, s’interrogea la solitaire en observant l’épaisseur de mousse qui débordait de son verre.
- Allons, pas de chichis, c’est le week-end ! Santé !
L’enseignante lui décocha un sourire radieux et leva son verre pour trinquer. Devant son air joyeux, Natsuki rendit les armes et l’imita.
- Santé !
La solitaire se laissa aller contre le dossier de sa chaise et eut l’impression de se détendre pour la première fois depuis la mort de Miyu. Mai prenait soin d’Alyssa et la petite fille allait bien, c’est tout ce qu’elle avait besoin de savoir pour l’instant.
- Alors, tout se passe bien ? demanda Midori en levant les yeux de son verre.
- Oui, j’ai l’impression qu’Alyssa va mieux. Ça a été un peu…maladroit au départ. Mais je crois qu’on a trouvé de bonnes pistes et on commence à bien s’entendre…
À mesure qu’elle prononçait ces mots, elle réalisa avec surprise que c’était la vérité. La gêne des premiers jours s’était estompée et quelque chose de plus naturel et spontané s’installait à la place.
- Il paraît que tu la chouchoutes, oui ! s’esclaffa Midori.
- Tu exagères.
- On n’entend que ça dans tout Fuuka.
- Tout Fuuka devrait se trouver une vie, maugréa Natsuki en fronçant les sourcils.
Midori éclata de rire devant son air grognon. Les potins de l’Académie, songea Natsuki avec énervement, quelle plaie ! Elle but quelques gorgées et reposa sa chope avec un soupir et un curieux tiraillement de tristesse au creux du ventre, comme si le gout âcre de la bière venait de calmer d’un coup son irritation. Son regard s’adoucit et elle finit par esquisser un sourire.
- C’est un peu de ma faute aussi, je suppose…depuis que je suis à l’Académie je me suis un peu comportée comme…
- Un grand méchant loup solitaire ? Proposa Midori en levant un sourcil d’un air amusé.
- J’avais un autre mot en tête, mais oui, disons ça comme ça, répliqua Natsuki sur le même ton.
Elle n’avait pas assez de mauvaise foi pour se voiler la face. Même si sa situation actuelle l’agaçait au plus haut point, Natsuki était consciente que son comportement y était pour quelque chose. A l’époque, elle était loin de s’imaginer que cela finirait pas la préoccuper autant. À l’époque, rien n’avait d’importance en dehors de sa vengeance. A l’époque, elle ne se faisait pas trop d’illusion et savait qu’elle mourrait probablement en se mesurant au First District si cela pouvait lui permettre de faire tomber l’organisation.
Mais Natsuki avait survécu et il lui fallait maintenant vivre avec les conséquences de ses actes et de l’isolement dans lequel elle s’était plongée. Peut-être que si elle commençait par assumer la réputation qu’elle s’était forgée avec les regards des autres, elle arriverait à changer cette image avec le temps.
- J’ai peut-être réalisé certaines choses, ces derniers jours, avoua-t-elle en considérant les marques circulaires laissées sur la table par sa chope humide.
- Du genre ?
- Du genre…parlons d’autre chose, veux-tu ? je n’ai pas envie d’en parler.
Quelque part en elle, la voix d’une petite fille de dix ans à peine, étendue dans un lit d’hôpital, sanglota que ce n’était pas sa faute et que tout ceux qu’elle aimait l’avaient affreusement blessée. Natsuki étouffa ces mots comme elle le put, consciente que la donne avait changé depuis. Midori la regardait se débattre dans ses pensées, surprise par cette confession.
- Je sais que les remises en question c’est de ton âge, mais ne te prends pas trop la tête. Tu as traversé beaucoup de choses ces derniers temps.
Le regret qui plissait ses traits s’effaça alors et Natsuki releva le menton, les yeux brillants de détermination.
- Mais il est hors de question que je me laisse traiter comme une incapable ! ces pimbêches de l’académie…à voir leurs têtes on aurait cru que j’allais battre Alyssa tous les soirs ! n’importe quoi…
Son amie ne fit pas de commentaires, un peu confuse. Après leurs disputes, elle avait cru un instant que Natsuki serait incapable de s’occuper de la fillette et avait été à deux doigts de lui enlever Alyssa sous le coup de la colère. Au dernier moment, elle avait réalisé qu’elle n’avait pas le droit de faire ça : Natsuki n’avait jamais été quelqu’un qui prenait les choses à la légère et l’image insensible qu’elle pouvait renvoyer était bien loin de la réalité. Et aujourd’hui, son amie s’en sortait mieux qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Midori en était sincèrement ravie et s’en voulait beaucoup d’avoir oser mettre en doute la prévenance dont la jeune fille pouvait faire preuve.
- Encore toutes mes excuses, pour l’autre jour, reprit Natsuki, comme si elle suivait ses pensées. Je me suis très mal exprimée…
- Laissons tomber ça. Les circonstances étaient…particulières, on en a déjà parlé. Je n’ai pas été un modèle non plus, dans cette histoire. Est-ce que je peux juste te demander si tu en as parlé à ta famille ?
Midori connaissait peu de choses sur les circonstances de la naissance d’Alyssa : elle savait que la fillette avait été créée à partir des cellules de la mère de Natsuki, et c’était à peu près tout.
Miyu avait refusé de la laisser chercher à contacter directement la famille de la solitaire en arguant qu’elle préférait que Natsuki soit mise au courant la première de leurs liens familiaux.
Midori n’avait pas insisté en pensant que Miyu voulait ainsi préparer le terrain et ménager les parents : à la façon dont la situation lui apparaissait, ils n’étaient certainement pas au courant qu’ils avaient une autre fille. La Sears avait du leur voler des cellules, peut-être en profitant d’une opération chirurgicale. La société ne manquait pas de ressources, après tout.
- Ma famille ? Mai ne t’as jamais raconté ? Ou Miyu ?
Midori secoua la tête et Natsuki remercia la discrétion des deux filles. Avec ses bases de données, Miyu devait probablement tout savoir à son sujet, mais avait choisi de garder tout ça pour elle, jusqu’au bout.
- Je sais juste que tu vis seule.
Natsuki leva son verre et avala une gorgée qui lui parut encore plus amère que les autres.
- Tu vois la route qui longe la falaise, à la sortie de la ville ? Notre voiture a traversé la barrière de sécurité, à un virage. J’étais sur la banquette arrière avec mon chien, ma mère conduisait. Je suis la seule que l’on ait pu repêcher.
Silence. Natsuki n’avait même pas envie de préciser les circonstances du drame, la trahison de sa mère et la responsabilité du First District dans tout ça. Un autre jour, peut-être.
- Je suis désolée, je ne savais pas. Et…ton père ?
- Mon père s’est barré quelque part avec sa maîtresse, pendant l’année que j’ai dû passer à l’hôpital, après l’accident. Il m’envoie des sous de temps à autre, mais on ne se parle plus. C’est comme ça depuis huit ans, à peu près.
- Oh.
Midori était abasourdie. Elle s’était imaginé que Natsuki était partie de chez elle, probablement suite à une dispute, et avait choisi de vivre sa vie toute seule de son côté en coupant les ponts avec sa famille. Elle ne pensait pas s’être trompée à ce point. L’enseignante ouvrit la bouche pour s’excuser, avant de constater que ce qu’elle pourrait dire blesserait plus son amie qu’autre chose.
Natsuki se força à boire pour se donner une contenance, et constata que le gout n’était pas si atroce.
- Je m’y suis faite, tu sais. C’est sur qu’Alyssa aurait pu débarquer dans une famille nettement plus joyeuse, fit-elle d’un ton plus léger. Mais au moins, moi, je suis là et je ne compte aller nulle part !
Midori esquissa un petit sourire. Quelques jours auparavant, l’enseignante avait songé lui demander si elle souhaitait que sa sœur reste avec elle ou si elle préférait retrouver son indépendance et lui confier la fillette le temps que leurs parents soient prévenus. Maintenant, elle n’avait même plus envie de lui poser la question. Natsuki était probablement la personne la mieux placée pour comprendre une orpheline et peut-être qu’aider la fillette lui permettrait de mieux appréhender son propre passé.
- Et tu es une grande sœur modèle, il me semble : conduite exemplaire en classe, assiduité…laisse-moi te dire que pour la rentrée tu fais une forte impression à tes profs ! s’exclama-t-elle pour changer de sujet.
Son amie considéra cette remarque un instant, se demandant s’il s’agissait d’un compliment ou non, et si elle devait s’énerver de nouveau ou estimer qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle. Les émotions se succédèrent de concert sur son visage et Midori finit par éclater de rire.
- Oh, Natsuki ! tu es un vrai livre ouvert quand tu veux !
La solitaire piqua un fard, vexée d’avoir ainsi baissé sa garde sans s’en rendre compte.
- Je n’ai pas l’intention de passer un an de plus à Fuuka, marmonna-t-elle pour ne pas s’étendre sur le sujet. Et j’aimerais bien aller à l’Université, pour continuer des études.
- Des études en quoi ?
Natsuki leva les mains en signe d’indécision.
- Aucune idée. En Droit, peut-être. Je n’ai pas vraiment pris le temps d’y réfléchir.
Serait-ce encore possible, avec Alyssa ? se demanda Natsuki, pour la première fois. Midori l’empêcha de creuser davantage la question en la taquinant sur le choix de son orientation pendant les minutes qui suivirent. Au moment de partir, l’enseignante prit une pièce entre ses doigts et la présenta à la lumière des spots.
- Tu as encore des restes de l’époque ou on était des Himes ?
- Je ne peux plus matérialiser mes éléments et je n’ai plus de child, expliqua Natsuki.
- Et ça ?
Midori coinça la pièce par la tranche, entre le pouce et l’index, et la plia en deux comme elle l’aurait fait d’un morceau de carton.
- Jamais essayée avec une pièce, mais oui, je devrais pouvoir le faire sans trop de soucis, concéda son amie avec un sourire entendu.
- C’était super pratique, à l’époque ! Je pouvais faire tournoyer une hallebarde de plus de vingt kilos comme si c’était une tige en bambou ! s’esclaffa Midori. Je suis contente d’avoir gardé ma force de Hime, ça marche aussi pour plier les grosses règles en métal et c’est génial pour calmer les élèves qui font la foire en classe !
Natsuki leva les yeux au ciel.
- Bon allez, direction le bowling ! s’exclama l’enseignante en se levant d’un bond.
- De quoi ?
- Tu ne pensais quand même pas t’en sortir avec juste une petite heure au bar ? La nuit ne fait que commencer !
Natsuki reconnut avec une pointe d’appréhension le regard victorieux et le large sourire enthousiaste que Midori affichait à chaque fois qu’une soirée interminable était en vue. Elle n’était pas prête d’aller se coucher.
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Alyssa referma le magazine qu’elle feuilletait distraitement et le reposa sur la table basse. Des ronflements légers montaient à côté d’elle, à l’endroit où Mikoto dormait, étendue de tout son long à même la moquette.
Il était presque deux heures du matin. Mai avait quitté la chambre peu avant dix heures, suite à un coup de fil de Tate en précisant qu’elle en avait pour une minute. Il lui semblait de plus en plus improbable que la rouquine rentre avant le lendemain.
Au départ intimidée par la présence de Mikoto, elles avaient fini par sympathiser en se défiant sur tous les jeux vidéos et tous les jeux de société que possédait Mai. Mikoto faisait preuve d’une imagination débordante, inventant des variantes et des nouvelles règles toutes les cinq minutes. Même si le caractère de la jeune fille était le plus parfait opposé du sien, Alyssa se surprit à apprécier son dynamisme et sa fantaisie et passa une bonne soirée.
Seulement, l’énergie dont faisait preuve son amie n’avait d’égale que la profondeur de son sommeil et Mikoto s’était endormie comme une masse alors qu’elles réfléchissaient à la façon de combiner le jeu de go et la bataille navale.
Désœuvrée, Alyssa ne se sentait pas assez fatiguée pour aller au lit et commençait à se trouver mal à l’aise dans ce studio qui lui était étranger. Peut-être ferait-elle aussi bien de rentrer chez Natsuki. Sa sœur n’habitait pas si loin, après tout, et le voisinage était tranquille. Sa décision prise, la petite fille recouvrit Mikoto d’un couverture et parti après avoir laissé un mot sur la table.
Il faisait froid dehors. Alyssa se mit en marche d’un pas rapide en empruntant la rue qui longeait le parc. Elle avait parcouru la moitié du chemin lorsqu’une ombre bougea sous un lampadaire. Alyssa ralentit le pas. Rien. Un chat, peut-être. Une centaine de mètres plus loin, un léger crissement derrière elle s’éleva dans l’air, comme si quelqu’un s’amusait à promener une lame de couteau sur le bitume.
Alyssa se figea, la bouche sèche et le cœur battant à tout rompre. La terreur se déversa dans ses veines. Le tiraillement qu’elle éprouvait au fond de son être ne faisait aucun doute : Jamais elle n’aurait pu oublier cette impression, ce sentiment qui l’envahissait à chaque fois qu’elle invoquait un orphan pendant la guerre des HiME.
La petite fille s’élança en avant et la chose qui la suivait se lança à ses trousses.
L’air siffla au-dessus d’elle. Par réflexe, Alyssa se jeta sur le côté. Une mâchoire d’acier se referma sur les pans de sa jupe et elle cria. Le tissu se déchira et elle sentit le souffle chaud et dégoutant de la créature contre sa jambe. Tremblante, Alyssa se redressa en trébuchant et se rua vers les grilles du parc. Elle eut à peine le temps de se faufiler entre les barreaux avant que des crocs aigus comme des poignards ne claquent sur ses talons.
C’était une sorte de gros félin, avec un long museau et une gueule qui s’ouvrait sur deux rangées de lames. Ses pattes ressemblaient à des serres d’oiseaux démesurées. Alors qu’elle s’enfuyait à travers le parc, elle pouvait se l’imaginer en train d’escalader un arbre pour passer de l’autre côté des grilles aussi distinctement que si elle le regardait faire. Ainsi était le lien qui les unissait.
- À l’aide !
L’orphan gagnait du terrain, jamais elle ne pourrait lui échapper. Les poumons en feu et une terreur sans nom au ventre, elle le sentait se rapprocher, de plus en plus vite. Il bondit. Alyssa fit volte-face et hurla avec l’énergie du désespoir.
- NON !
La créature fut projetée en arrière, comme si elle venait de heurter un mur invisible. Pantelante, la fillette le vit rouler à terre et se relever avec un grondement furieux.
- Va-t-en !
La créature ne s’enfuit pas, mais resta soudée au sol, incapable d’attaquer. Inconsciemment, Alyssa s’était servie de son pouvoir, de cette étrange capacité mentale qu’elle seule pouvait déployer pour contrôler ces créatures. Comme elle l’avait fait pendant le Festival.
Le monstre devant elle poussa un rugissement rageur, impuissant, et un combat de volonté commença.
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Un choc sourd contre la porte d’entrée la tira de ses rêves. À peine consciente, Natsuki fronça les sourcils et se retourna avec un grognement contrarié. Le silence s’étira de nouveau et elle se sentit replonger avec délice dans le sommeil, jusqu’à ce que les coups reprennent.
La jeune fille daigna ouvrir un œil et marmonna un juron incompréhensible en constatant qu’il était à peine 5h. Elle plongea la tête sous sa couette en espérant que celui qui la dérangeait à une heure pareille se découragerait, mais on frappa une nouvelle fois.
- J’arrive ! hurla-t-elle d’une voix rauque de sommeil.
Natsuki se mit debout avec une fureur épuisée et l’impression d’avoir un corps en plomb.
Son regard embué de sommeil se vissa au sol, au niveau d’une paire de pieds qui avait l’air d’être à des kilomètres plus bas. Elle évita de justesse une basket qui trainait au pied du lit et contourna soigneusement un oreiller, trop fatiguée pour prendre le risque de l’enjamber.
- A tous les coups, c’est Midori….Putain, mon seul jour de grasse matinée depuis une éternité…Tu me traines en ville jusqu’à pas d’heure et tu débarques le lendemain avec ta tronche d’ahurie devant ma porte…je vais te tuer…
Son pied se prit traitreusement dans la manche d’une veste jetée à même le sol, à l’endroit où Natsuki l’avait laissé la veille alors qu’elle se déshabillait, épuisée, avant même d’atteindre sa chambre. Elle se rattrapa de justesse à une commode, mais son genou heurta violemment un coin de tiroir.
- Merde !
Des larmes de douleur lui piquèrent les yeux et le tambourinement contre sa porte reprit avec une énergie qui la mit hors d’elle.
- J’arrive ! rugit-elle de nouveau. Putain, où sont mes flingues…
Le coupable pouvait s’estimer heureux qu’elle ne puisse plus matérialiser ses éléments. En atteignant l’entrée, Natsuki plaqua un œil contre le judas avant d’ouvrir la porte en grand et étriper sur place le responsable de tout ce raffut.
Le fautif était bel et bien roux, mais d’une nuance trop claire pour que ce soit Midori.
- Mai, t’as intérêt à avoir une bonne excuse, marmonna-t-elle en guise de salut.
Son amie se précipita à l’intérieur sans jeter un seul regard à la solitaire échevelée, débraillée et terriblement endormie qui la regarda faire avec un regard assassin.
- Est-ce qu’Alyssa est ici ?
- Quoi ?
- Alyssa ?
La fatigue de Natsuki s’évapora d’un coup et un terrible pressentiment s’abattit sur elle telle une douche froide.
- Elle n’est pas chez toi ? demanda-t-elle tout en connaissant déjà la réponse.
Mai secoua la tête en regardant autour d’elle d’un air paniqué, comme si la fillette pouvait s’être cachée quelque part ici. Elle avait l’air au bord des larmes.
- Elle n’était pas dans la chambre quand je suis rentrée…Je suis sortie pour voir Tate et en revenant…elle a laissé un mot pour dire qu’elle rentrait…
Natsuki ne l’écoutait plus. Elle enfila un jean en sautillant et se rua sur une paire de baskets qu’elle chaussa sans prendre le temps de faire les lacets.
- Où…où tu vas ?
- Fouiller tout le voisinage ! cria Natsuki en s’élançant dehors. Appelle la police !
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Une part de son esprit avait conscience de la chaleur qui réchauffait lentement son corps transi de froid. Autour d’elle, la luminosité changeait, transformant les ténèbres en ombre imprécises. Il lui semblait même percevoir le chant des oiseaux qui accompagne la venue de l’aube. Elle pouvait aussi ressentir la sueur sur son visage crispé en un masque de concentration qui lui piquait la peau mais ces sensations étaient plus confuses qu’un rêve.
Alyssa ignorait depuis combien de temps elle se trouvait ainsi, debout dans ce parc, immobile comme une statue. Les yeux rivés sur ceux de la créature qui lui faisait face, le monde extérieur disparaissait dans une brume imprécise.
L’orphan grondait devant elle. Parfois, il faisait claquer ses mâchoires et sa queue fouettait l’air avec un sifflement menaçant comme pour rappeler qu’il lui suffirait d’une seconde pour la mettre en pièce.
Alyssa pouvait le sentir se débattre, ruer contre les entraves que lui imposait son esprit avec l’acharnement d’un fauve fou furieux : le premier qui baisserait le regard serait à la merci de l’autre.
Elle devait tenir, se répéta-t-elle. Le jour se lèverait, on finirait par remarquer son absence et des recherches seraient lancées. On la retrouverait vite. Elle serait sauvée.
Les bords de sa vision se brouillèrent, sa conscience vacilla et l’orphan rugit. Ses griffes labourèrent le sol et il se ramassa comme un tigre prêt à bondir. Sa concentration faiblissait. Alyssa se redressa et prit une grande inspiration, terriblement consciente qu’elle était à bout de force. L’orphan hésita. Le duel reprit. Elle devait tenir.
Natsuki courait à en perdre haleine. La panique enflait en elle comme une vague, mais elle s’obligea à garder la tête froide. Réfléchir. Alyssa connaissait très bien le trajet entre l’appartement de Mai et le sien. Si elle refaisait le chemin, elle trouverait surement un indice, une trace, qui lui permettrait de comprendre ce qu’il s’était passé. Peut-être…Peut-être avait-elle eu peur en route et s’était réfugiée chez un voisin. L’absurdité de l’hypothèse la coupa net dans son élan. Natsuki s’arrêta pour reprendre son souffle, les yeux clos, bloquant les images qui lui présentaient Alyssa poussée de force dans la voiture d’un cinglé. Elle en eut la nausée.
Elle redressa la tête et aperçut dans l’ombre un morceau de tissus bleu jeté sur le sol, à côté de la grille du parc. De la même couleur que la jupe qu’elle portait en allant chez Mai. Natsuki se précipita dessus et jeta autour d’elle des coups d’œil désespérés. Il faisait encore sombre, mais l’aube approchait. Les lampadaires clignotèrent avant de s’éteindre et lui firent lever les yeux. Son regard tomba sur les longues griffures qui zébraient le tronc d’un arbre, juste à côté, et disparaissaient dans les branches. Quelque chose l’avait escaladé, peut-être pour passer de l’autre côté de la grille.
Natsuki prit un peu d’élan et bondit, invoquant sa force de Hime. Elle parvint à attraper une branche basse et se hissa en hauteur en suivant les traces de griffes gravées dans le bois, jusqu’à se trouver au-dessus de la grille. Elle avait vu juste.
Natsuki sauta de l’autre côté et se rua en avant.
- Alyssa ! cria-t-elle à plein poumon.
C’est alors qu’elle les vit, au loin. Sa sœur, minuscule dans le soleil levant, faisait face à une créature deux fois plus grosse qu’elle. Le soulagement, la stupeur et la peur se mêlèrent dans ses veines et le sang de Natsuki ne fit qu’un tour. Elle ne ralentit sa course que pour ramasser une pelle oubliée par les jardiniers à côté d’un massif de fleurs. Natsuki s’élança, poussée par une fureur décuplée par une panique absurde.
La jeune fille bondit sur le monstre avec un hurlement de rage. Son arme improvisée fendit l’air et elle asséna un formidable coup de pelle dans le museau de la créature qui roula lourdement à terre.
- Alyssa, tout va bien ?
- Attention !
La créature se jeta sur elle et Natsuki eut à peine le temps de lever sa pelle pour se protéger. Des crocs effilés comme des aiguilles mordirent le bois avec violence. Elle réussit à bloquer une des pattes griffues du monstre à deux doigts de sa tête avec le manche, mais l’autre s’abattit sur son épaule. La jeune fille serra les dents avec une grimace de douleur en sentant les serres s’enfoncer dans sa chair.
Debout sur ses pattes arrière, l’orphan tentait de la faire basculer à terre. Si cela arrivait, Natsuki savait qu’elle était perdue. La créature l’éventrerait comme une poupée de chiffon.
La jeune fille poussa de toutes ses forces sur ses bras et décocha un grand coup de pied en avant. La chose lâcha prise avec un feulement de douleur.
Natsuki battit en retraite, le bras en sang.
Un éclair blond s’interposa entre l’orphan et la jeune fille. Alyssa, campée devant sa sœur, les bras tendus devant elle, lançait ses dernières forces dans l’affrontement. La créature rua, prise dans un filet invisible.
- Vas-y ! cria sa sœur.
Natsuki ne se fit pas prier. Elle leva son arme au-dessus de sa tête et la fit tourner entre ses paumes. Le tranchant de la pelle s’abattit en sifflant sur la nuque de la créature et fit jaillir une gerbe de sang noirâtre.
L’orphan s’effondra avec un râle et son corps s’agita d’ultimes soubresauts avant que la vie ne le quitte pour de bon.
Natsuki se laissa tomber à terre avec un profond soupir. Alyssa à ses côtés l’imita. Sa grande sœur lui passa son bras valide autour des épaules et l’attira contre elle, terriblement soulagée. Ses mains tremblaient et son cœur battait la chamade.
- Ne me refait plus jamais ça, gronda-t-elle en lui ébouriffant les cheveux. Tu n’as rien au moins ? s’inquiéta-t-elle en la détaillant des pieds à la tête.
La petite fille avait l’air exténuée, ses mèches dorées plaquées sur son front par la sueur et les yeux voilés par l’épuisement.
-Je vais bien…
- Qu’est-ce qui t’as pris de partir de chez Mai comme ça, en pleine nuit ? interrogea-t-elle, furieuse.
- Je voulais juste rentrer…je n’étais pas à l’aise, chez Mai, pour y passer la nuit…
Alyssa s’interrompit d’un air penaud. La fatigue la rendait plus fragile que d’ordinaire et son aînée vit ses yeux se remplirent de larmes. Natsuki n’insista pas. Une part d’elle était colère, l’autre ravie que la petite fille considère leurs appartements comme son vrai « chez elle ». La solitaire se sentait de toute façon trop soulagée pour avoir le cœur à faire la leçon à la petite fille. Une autre fois, un autre jour.
- Tss…on est pas sœurs pour rien, toi et moi, marmonna-t-elle, en songeant à sa propre conduite pendant les fins de soirées et sa fâcheuse manie de s’éclipser pour rejoindre le calme de son appartement avant de s’endormir sur place.
- En tout cas toutes mes félicitations, tu t’en es très bien sortie, reprit-elle en songeant avec admiration à l’orphan, pétrifié et impuissant devant une gamine aussi frêle. Il va falloir que tu m’expliques comment tu as fait ça.
Devant elles, le corps de la créature se décomposait en une pluie de lumières vertes semblables à un essaim de lucioles. Natsuki frémit en voyant les étincelles se volatiliser dans l’air du matin, douloureux rappel de sa propre mort pendant la guerre des Himes.
- Allez, on va appeler Mai avant qu’elle n’alerte l’armée, la douane, le SAMU et les pompiers…si ce n’est pas déjà fait.
L’orphan avait tracé trois sillons sanglants dans son épaule. Ses pouvoirs de Hime lui garantissaient une guérison rapide et hors du commun, mais elle aurait probablement besoin de quelques points de suture au cas où .
-Mai ? C’est bon, Alyssa est avec moi…oui, elle va bien…oui…elle est saine et sauve, ne t’inquiète pas.
A l’autre bout du fil, son amie pleurait de soulagement.
-Je vais aller voir Youko… rien de grave, un petit accrochage avec le responsable de tout ce bazar…non, je peux pas le livrer à la police, je l’ai achevé à coups de pelle.
Mai étouffa une exclamation.
- Je t’expliquerais tout ça. Je crois qu’on a un très gros problème.