Guren

Chapitre 2

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 01:10

L’amphithéâtre était déjà quasiment plein lorsque Shizuru y fit son entrée.
Elle se retrouva dans les derniers rangs, juste à côté d’un jeune homme dont les cheveux ébouriffés laissaient penser qu’il n’avait probablement pas pris la peine de se passer un coup de peigne.
A côté de la majorité des autres élèves qui avaient fait l’effort d’être présentables pour leur premier jour, il paraissait bien négligé.

D’un bref regard, Shizuru essaya d’évaluer le nombre d’étudiants qui se trouvaient dans la salle quand une demi-douzaine d’hommes franchit les portes, avant de monter sur l’estrade.
Le brouhaha se réduisit instantanément à quelques murmures, pour faire place à un silence total lorsque l’un des nouveaux arrivants s’installa derrière le pupitre pour prendre la parole.

- Bonjour à toutes et à tous et bienvenue à l’Université de Kyoto. Je suis Koichiro Hoshima, Directeur de…

Ces quelques mots suffirent pour que Shizuru sente son intérêt s’amenuiser au profit d’une rêverie sans but, bercée par le son de la voix du directeur qui résonnait dans le micro.

Shizuru avait toujours eu du mal à se concentrer sur les longs discours quand ils lui paraissaient sans intérêt: le monologue sans enthousiasme d’un professeur au tableau ou les grandes présentations solennelles de ce genre ne retenaient jamais son attention plus de quelques secondes. Haruka en avait fait plusieurs fois les frais.

Le profond soupir de son voisin la ramena un peu à la réalité et Shizuru eut le temps de le voir étouffer un bâillement. Au moins elle n’était pas la seule ici que les exposés sans fin assommaient.
Le jeune homme surprit son regard et fit un grand sourire endormi.

- Quelle barbe, marmonna-t-il avec un air entendu.

- Hideki ! souffla son autre voisine aussi fort que le silence de l’amphithéâtre le lui permettait. Tu pourrais faire un effort quand même ! On ne rentre pas tous les jours à l’université !
Le tout agrémenté d’une tape sur le bras.

- Tu dois être la seule que ça intéresse ici, fit l’autre en se retenant de bâiller de plus belle.

Shizuru regarda la scène avec amusement et une certaine envie. Ces deux-là avaient de la chance de se connaître. Au milieu de tous ces visages inconnus, elle se sentait étrangement exposée.

- Toi, tu as l’air d’être d’accord avec moi…Comment tu t’appelles ? demanda le jeune homme en se tournant de nouveau vers Shizuru.

Avec ses yeux grisés d’ennui et sa voix ensommeillée, il avait vraiment l’air de tomber du lit.

- Shizuru. Fujino Shizuru. Ravie de faire ta connaissance… Hideki.

L’autre esquissa de nouveau son sourire somnolent.

- Tu vis sur le campus ?

- Oui, depuis deux jours. Je suis arrivée en soirée.

- Tu as eu le temps de faire une visite du coin ?

La discussion qu’ils venaient d’entamer semblait bien plus l’intéresser que le discours de Mr Hoshima sur le rôle capital de la recherche et des progrès technologiques dans l’avenir de l’humanité. Shizuru ne pouvait pas lui en vouloir.

- Une partie seulement. Le campus est vraiment gigantesque.

- C’est sûr…ça fait une semaine que j’ai emménagé et j’en ai toujours pas fait le tour.

- Pas étonnant, tu passes ta vie sur ce piano ! intervint l’autre fille d’un air railleur. Au fait, fit-elle en tendant la main par-dessus la table, je m’appelle Seiko.

En voilà une qui avait l’air d’avoir de l’énergie à revendre, songea Shizuru en sentant sa poigne enthousiaste. A côté de Hideki, elle offrait un beau contraste. Mais sa première remarque l’avait interpellée.

- Tu ne serais pas dans la résidence Kumano par hasard ? demanda-t-elle au jeune homme.

- Si, pourquoi ?

- Il y a des chances pour que je sois ta nouvelle voisine, alors. Tu as une façon de jouer très énergique, annonça Shizuru sur le ton de la conversation.

Hideki fit une grimace d’embarras.

- Ah…désolé…j’ai pris l’habitude d’être seul, la résidence était complètement déserte avant ce week-end.

A ses côtés, Seiko leva les yeux au ciel d’un air désespéré. Shizuru sourit de nouveau. Elle ne s’était pas du tout imaginée son nouveau voisin de cette façon. Les quelques accords qu’elle avait entendu deux jours plus tôt lui avait suggéré un solitaire nerveux incapable de tenir en place.

- Ara, je n’ai absolument rien contre la musique, bien au contraire !

Hideki eut l’air soulagé.

- Je ne jouerais plus aussi fort, c’est juré… Plus de métal passé 21h30 !

- Ne te prive pas pour en jouer le matin, tu as mon approbation, lui assura Shizuru le plus sérieusement du monde.

C’était juste une façon de parler. Aussi musicien soit-il, Hideki avait une tête à rester au lit le plus longtemps possible plutôt que se jeter sur son synthé à l’aube.
Ceci dit, c’était presque dommage. Shizuru n’était pas particulièrement fan de ce type de musique mais ce serait toujours mieux que la sonnerie de téléphone stridente qui lui servait de réveil, seul bruit capable de la tirer de son sommeil.

- Jouer je ne sais pas…mais un CD, ça t’irait ? c’est le seul style musicale qui arrive à me réveiller, renchérit Hideki, ravi et à demi-sérieux.

- Vos autres voisins vont adorer…mais ne compte pas trop sur lui pour te réveiller en avance, il est du genre à émerger cinq minutes avant le début des cours, lança Seiko.

- Je te remercie, grogna Hideki.

Toute discussion fut interrompue lorsque des applaudissements s’élevèrent pour saluer la fin du discours de bienvenue.
Un autre homme prit la place du Directeur et attendit que le silence se fasse en souriant. Il enchaîna alors immédiatement sur un monologue d’accueil de son cru.

Hideki soupira une fois de plus et Shizuru dut faire un effort pour ne pas l’imiter. La matinée s’annonçait très longue.


En sortant de l’amphithéâtre, Shizuru s’était tout d’abord imaginée prendre un panier repas et manger seule, au calme. C’était sans compter Seiko et surtout Hideki qui n’avait visiblement aucune envie de laisser filer celle qui, selon lui, avait un potentiel d’attention aussi foudroyant que le sien.

Ils lui avaient montré la cafeteria et les trois étudiants avaient ensuite déjeuné ensemble, échangeant de bon cœur leurs premières impressions.
La discussion avait été tout ce qu’il y a de plus banal, un simple exercice d’intégration.
Shizuru s’y plia bien volontiers en essayant de conserver son habituelle discrétion, malgré l’enthousiasme de Seiko qui lui interdisait le moindre temps mort.
Hideki vint à sa rescousse à plusieurs reprises, ses remarques tranquilles tempérant de temps à autre le caractère curieux de son amie.

Shizuru s’était attendue à passer quelques temps en solitaire avant de nouer contact avec un petit groupe. Pourtant, à la fin du repas, elle dut avouer qu’elle avait passé un moment agréable et qu’elle avait trouvé là deux personnes intéressantes.

Elle apprit très vite que ces deux-là se connaissaient depuis leur première année au lycée et constata qu’ils s’entendaient à merveille malgré leurs échanges continuels de taquineries.

La discussion se prolongea bien au-delà du déjeuner, et la nouvelle arrivante se surprit à se détendre et parler avec moins de réserve à ces deux inconnus

Ils se donnèrent rendez-vous plus tard dans l’après-midi et Shizuru se retrouva finalement seule, dans sa chambre.
En ouvrant le clapet de son téléphone, elle eut un moment d’hésitation.
Il y avait peu de numéros dans son répertoire : quelques contacts de Fuuka lorsqu’elle dirigeait le conseil des étudiants et des amis proches, ce qui ne regroupait même pas une demi-douzaine de personnes. Et il y avait celui de Kenjiro.

Shizuru ne l’avait pas appelé depuis des années.
Ils s’étaient échangés quelques lettres, bien trop formelles.
Comme si la distance avait rendu impossible d’exprimer leur complicité.

La dernière fois qu’elle l’avait vu, Kenjiro l’avait serré maladroitement contre lui en lui souhaitant bonne chance pour ses études. Shizuru entrait alors au collège, à Fuuka, loin de Kyoto.
Elle avait encore en mémoire l’image de sa grande silhouette qui s’éloignait, tête baissée, alors qu’il la laissait seule devant le train qui devait la mener à l’Académie.
Un au-revoir sur un quai de gare pour enterrer des années de rires, de larmes et de soutient mutuel.

Shizuru prit une grande inspiration et appuya sur la touche d’appel.
Elle entendit la tonalité caractéristique lui indiquant que le téléphone sonnait.

La bouche sèche, Shizuru aurait presque souhaité que personne ne décroche.
Elle n’avait même pas pensé à ce qu’elle devait dire…
Quand un « Allô » retentit à l’autre bout du fil, elle sursauta presque.

- Allô ? répéta son interlocuteur.

- Kenji ? bonjour, comment vas-tu ? c’est Shizuru…

- Shizuru…Shizuru ! ça alors !

Elle l’entendit éclater de rire à l’autre bout du fil et ne put s’empêcher de sourire. Sa voix était peut-être légèrement plus grave que dans ses souvenirs mais le ton était aussi enjoué qu’auparavant.
Un grand poids fut ôté de son cœur et Shizuru sut que la discussion serait aussi détendue que s’ils s’étaient quittés la veille.

- ça fait…ça fait une éternité que je ne t’ai pas entendu !

- En effet…beaucoup de choses se sont passées.

- Pareil de mon côté…nous sommes des gens occupés. C’est de famille, que veux-tu ! mais ça me fait plaisir ! que me vaut cet honneur ?

- Je suis rentrée à Kyoto. Il y a deux jours. A la fac.

- La fac ?

Il rit de plus belle.

- Désolé, j’ai une image en tête de toi au collège qui refuse de partir. Mais c’est une bonne nouvelle !

- Tu es en ville ? J’aimerais bien te revoir.

- Euh…je suis à Tokyo en ce moment…des histoires compliquées. Je ne rentre pas avant la semaine prochaine. On pourra se donner rendez-vous à ce moment là !

- Oh…très bien, la semaine prochaine alors, déclara Shizuru avec une curieuse déception. Est-ce que c’est grave ?

Kenjiro souffla dans son téléphone et Shizuru se l’imagina faire un geste vague dans le vide en guise de réponse.

- Hé bien…non, pas spécialement. Je t’en parlerais. C’est bien que tu sois rentrée.

Shizuru n’insista pas.

- Tu es allée voir ta mère ? enchaîna-t-il.

- Pas encore, admit Shizuru, simplement.

- Vas-y ce week-end, ça lui fera sûrement plaisir.

Shizuru marqua une pause pour retenir un rire bref.

- Je n’en suis pas si sûre, dit-elle d’un ton égal.

- Fais-le quand-même…je vais devoir te laisser, on se rappelle dans quelques jours ?

- Très bien, à plus tard.

Kenjiro raccrocha.
Shizuru contempla son téléphone en s’étonnant de la facilité avec laquelle ils avaient tout deux repris contact.
Elle en fut soulagée. Kenjiro était l’un des membres de sa famille avec lequel elle s’entendait le mieux. Enfants, ils avaient été inséparables.
Il était celui qui avait rendu son départ de Kyoto particulièrement difficile.

Encouragée, Shizuru songea que renouer avec d’anciennes connaissances ne serait peut-être pas si terrible, finalement.


Il faisait presque nuit quand quelqu’un frappa à la porte de sa chambre.
Seiko se tenait devant elle avec un grand sourire.

- Salut ! Je ne te dérange pas ?

- Absolument pas. Entre, proposa Shizuru en s’effaçant pour la laisser passer.

- En fait je viens te dire qu’on va se faire un petit plateau télé avec Hideki, ça te dit ? fit Seiko en pointant du pouce la chambre d’à côté.

Shizuru dut réfléchir un instant, un peu surprise. A Fuuka, à part Reito et Natsuki, peu de gens se risquaient à proposer ce genre de chose à la présidente du conseil des étudiants. A croire que son poste la rendait inaccessible. Mais l’aura de prestige qu’elle s’était fabriquée à l’académie, alimentée ensuite par tous les élèves, n’existait plus ici.

- Bien sûr ! sourit Shizuru.

- Chouette ! Je t’en prie, installe-toi chez lui, je vais juste chercher un truc dans ma chambre et je reviens, lança-t-elle en filant vers les escaliers.

Shizuru fut accueillie par des accords de jazz déversés par une petite chaine hifi posée sur une étagère.
Le désordre régnant dans la chambre était ahurissant.
Le lit était à moitié défait, des habits traînaient par terre, quelques chaussettes avaient colonisé le bureau en compagnie d’une pile d’assiettes et de ce qui était très probablement un caleçon.
Il y avait des boitiers de CDs partout et des partitions éparpillées sur le synthé qui trônait fièrement en face du lit.
Hideki se tourna vers elle avec son grand sourire tranquille et Shizuru nota qu’il avait l’air un peu plus réveillé.

- Désolé, j’ai pas trouvé le temps de ranger…s’excusa-t-il en se grattant la joue.

Shizuru se rendit compte que son effarement était tel qu’elle l’avait sans doute laissé transparaître. C’était bien la première fois que la vue d’une chambre en désordre faisait tomber son masque.

-Tiens, fit-il en lui tendant un pot de nouille instantanée encore fumant. Promis, la prochaine fois, je ferais de la vraie cuisine…

Shizuru sentit qu’il était mal à l’aise malgré tout. Elle éclata de rire.

- C’est parfait Hideki, vraiment…et c’est gentil d’avoir pensé à moi pour ce soir ! Merci beaucoup.

Elle était sincère et le jeune homme se redressa un peu.

- Tant mieux, alors ! Tiens, file-moi un coup de main, on va mettre le PC sur le synthé, comme ça on pourra regarder le film en s’asseyant sur le lit…

Seiko fit son entrée à ce moment avec un saladier rempli de pop-corn.

- Tadaaaaam. Oula, quel bazar, tu bas des records ce soir !

Le pianiste n’eut pas le temps de rétorquer quoique ce soit. Son téléphone choisit ce moment précis pour sonner.

- Allô ? Ah, bonsoir maman…

Seiko pouffa de rire alors qu’il prenait une jolie teinte écarlate. Elle aida Shizuru à remettre la couette en place sur le lit et placer les oreillers contre le mur pour improviser un canapé, pendant qu’Hideki répondait à ce qui semblait être un véritable interrogatoire en règle.

- Ralala, ces mères je vous jure, râla-t-il en raccrochant finalement.

- M’en parle pas, la mienne voulait tout savoir, renchérit Seiko.

Shizuru sourit simplement en lissant inutilement la couette. Ce fut le seul instant de la journée où elle aurait souhaité que quelqu’un la contacte et prenne de ses nouvelles. Reito peut-être…ou Natsuki.
Mais son téléphone était resté désespérément muet.
Demain ou un autre jour, probablement, se dit-elle sans vraiment y croire.
Reito devait être débordé puisqu’il faisait partie du conseil étudiant de l’université. Quand à Natsuki…c’était Natsuki, tout simplement.

- Shizuru ?

- Hum ?

Seiko lui avait visiblement posé une question qui lui avait échappé.

- Je te demandais simplement si ta mère t’avait fait le même cirque…

- Oh…non.

Seiko haussa un sourcil, un peu surprise par la simplicité de la réponse.

- Elle n’est pas vraiment disponible pour le moment, expliqua Shizuru. Mais je ne me fais pas de soucis, j’aurais de ses nouvelles bien assez tôt ! dit-elle mine de rien, avec ce sourire impeccable dont elle avait le secret.

Ce n’était même pas un mensonge. Seulement une autre vérité déguisée, comme elle savait si bien le faire.

- Je n’en doute pas une seule minute ! fit Seiko en se laissant convaincre par son attitude insouciante.

- Bon, on se le regarde ce film ? lança finalement le pianiste en se laissant tomber sur son lit.

Shizuru prit place à son tour, ravie d’avoir une occasion de se changer les idées.


Yop tout le monde
Pas de Natsuki dans ce chapitre...Celui-ci avait un côté volontairement "Slice Of Life". Après tout, il faut bien que je place un cadre pour Shizuru, quand meme

Critiques et autres commentaires sont toujours les bienvenus ! A la prochaine !


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