La première Eve
Chapitre 13 : Tu t'souviens des jours anciens, et tu pleures
6944 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 30/04/2019 23:32
Chapitre 13 : Tu t'souviens des jours anciens, et tu pleures
Un peu plus tôt, la même soirée…
LILITH
Debout au pied de la tour blanche, la tête levée et les yeux clos, des ruisselets de larmes séchant déjà sur ses joues sombres, Lilith scrutait de tous ses sens l'espace éthéré qui l'environnait. Aussi facilement que quiconque pouvait entendre une voix s'élever haut et fort au milieu de conversations assourdies, aussi facilement qu'on pouvait repérer une tache rouge au milieu de vastes étendues nuancées de gris, ou l'odeur d'un cookie sorti du four quand on meurt déjà de faim, elle savait que Lucifer et Mazikeen étaient presque en bordure de la ville. Parfois les capacités angéliques étaient quand même pratiques.
Ainsi suivit-elle la trace entremêlée de leur lumière et ombre respectives.
Cela se trouvait loin de l'océan, dans l'un de ces lieux nauséabonds, similaires à celui qu'elle avait déjà visité pour tuer l'enfançon impur, quelques jours auparavant.
Officiellement, son unique objectif n'était que de confronter Lucifer. De lui faire dire qu'Amenadiel déformait la vérité, de lui faire confirmer en le regardant au fond des yeux brillants de désir qu'il ne faisait que jouer avec cette mortelle, pour relever un défi, parce qu'elle osait se refuser à lui (quelle idiote voudrait faire cela d'abord ?) même si la réponse lui importait peu. Cette attitude-là venant de Lucifer aurait pu avoir un sens. Cela lui ressemblait ! C'était compréhensible et plus naturel.
Lorsqu'elle atterrit directement dans « l'hôpital » (un nom assez mystérieux en réalité, car elle ne voyait là aucune trace avérée d'hospitalité), elle s'aventura prudemment dans cet environnement nouveau et déplaisant. L'un dans l'autre, ce n'était qu'un regroupement de centaines de pièces minuscules, toutes imprégnées par l'odeur du désespoir, de la peur, de la souffrance qui régnaient entre ces murs grèges. C'était à tel point que, pendant une minute, elle aurait presque cru qu'elle était de retour en Enfer… Pourquoi les humains choisissaient-ils de vivre dans des endroits aussi bondés ? Mystère. Pourquoi leur fallait-il construire autant de tours de Babel où ils s'entassaient en vaines piles arrogantes qui montaient jusqu'au ciel ? L'escalade ne les y conduirait pas. N'apprenaient-ils donc jamais rien de leurs erreurs passées ?
Elle était sur le point de partir sur le champ lorsqu'elle l'aperçut enfin. Samael était seul, assis sur une chaise ordinaire, sa veste toute froissée et il arborait un regard triste et inquiet qui planait comme une ombre sur son beau visage. Elle ne connaissait que trop bien cet air sombre et malheureux, celui qu'il avait en pensant à elle, des milliers d'années plus tôt.
Toutefois, l'irruption malvenue d'une petite créature naine l'empêcha de s'approcher davantage. La miniature humaine avait les cheveux bruns, elle faisait la moitié de sa taille et le regardait avec un très évident sentiment de… ravissement. Lilith n'aurait certes jamais pu imaginer cela de la part d'une femelle aussi petite... Plutôt par curiosité, elle observa leur couple improbable alors qu'ils devisaient en partageant un menu composé de fines tranches croustillantes et dorées qu'ils extrayaient d'un tout petit pochon bruyant.
C'était une source d'étonnement de constater que Samael pouvait être aussi à l'aise avec un enfant. Il avait toujours pris grand soin de faire étalage de son profond désintérêt à leur encontre. Elle espérait un peu que ce ne soit pas à cause de ce qui s'était passé entre eux.
Toujours elle chérirait dans son cœur le souvenir des jours où elle attendait ses enfants comme la plus délicieuse sensation qui fût. A mesure qu'ils grandissaient dans son ventre, elle les ressentait tourner comme de petites bulles de lumière et d'amour, toujours à fredonner des mélodies, tout comme leur père. Sous la puissance de leur amour pur, il arrivait qu'elle se sente presque ivre parfois, et elle aimait cela. Oh, elle en avait pleuré pendant des jours lorsqu'elle avait dû les cacher dans la forêt et les y abandonner. Parce qu'elle ne pouvait pas – parce qu'elle refusait de – les tuer, un piège inévitable s'était refermé sur eux tous, à la minute où leurs pleurs affamés avaient alerté Dieu…
Elle secoua la tête. Pourquoi se sentait-elle désolée ? Il n'y avait jamais eu aucune issue de secours à ce dilemme.
Mais tout au fond de lui-même, peut-être bien que Samael avait deviné qu'il avait engendré de nouvelles vies, parce que c'était pile le moment où il s'était mis à agir vraiment bizarrement.
Toutefois, ici et maintenant, avec cette petite fille brune, il se comportait assez normalement, autant qu'un ange le puisse en tous cas : il lui faisait la conversation, il écoutait vraiment ce qu'elle disait. C'était étrangement magnanime. Elle n'avait pas l'air d'être juste l'une de ses domestiques pour la nourriture, comme dans cet endroit qu'il régissait en centre-ville. Lorsque la fillette lui sourit, Lilith reconnut alors « l'Héritière » à sa dent qui manquait. Tous ces humains lilliputiens étaient difficiles à distinguer les uns des autres, mais l'Hybride était à peu près sûre d'elle maintenant. Et d'autant plus que cela permettait d'expliquer le comportement paranormal de Lucifer.
Toujours sous le sceau de l'invisibilité, elle progressa à pas feutrés dans leur direction, avide d'entendre les détails d'une conversation qui semblait les passionner tous deux. Lui enseignait-il quelques-uns de ses futurs devoirs en tant que Reine des Enfers ?
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Les mots la frappèrent sans prévenir. Juste quelques syllabes qui venaient de la petite conseillère et qui encourageaient le Diable à demander sa mère en « mariage ».
Bien qu'elle connaisse le sens de ce mot parce que Dieu lui avait enseigné ce rite pour humains, sa première réaction fut pourtant de douter de ce qu'elle venait d'entendre. Même pour Samael, contracter une union sacrée avec une mortelle était un peu extrême. C'était une chose que de rechercher du réconfort auprès de ses familiers contre les rigueurs de la solitude. Une chose de leur donner de l'attention et de l'affection en retour... Après tout, même inférieures, il s'agissait de créatures complexes, douées de sensibilité et de raison… Mais les épouser ?
Elle réfléchit quelques instants à cela, repensant à ce que lui avait expliqué Amenadiel sur la façon dont la Terre avait changé son amant en quelqu'un qui s'appelait Lucifer Morningstar, qui se préoccupait dorénavant de suivre d'étranges et absurdes règles locales… Elle savait pourtant grâce à ses serviteurs du LUX que Lucifer ne les suivait pourtant pas toutes, préférant flirter avec les zones d'ombres et les angles morts, plutôt que de se faire prendre délibérément la main dans le sac.
L'image l'amusa un petit peu. Il avait certainement une motivation secrète pour agir ainsi. C'était beaucoup plus probable.
A la façon dont il décochait un sourire des plus prometteurs et peut-être légèrement fier à la très jeune, ses doutes s'éclaircirent soudain. Les règles et les lois. Tout ceci n'était probablement rien d'autre qu'un moyen d'assurer la sécurité du transfert de propriété de l'enfant qu'il avait choisie pour être sienne ! Pas parce que les humains auraient été en mesure de la lui reprendre (ils n'étaient vraiment pas de taille face à lui) mais bien parce que Dieu aurait pu y trouver à redire... Si oui, Lucifer se devait de procéder de façon à ce que son Père ait les mains liées et ne puisse pas s'y opposer.
Etape numéro un, d'abord accepter la comédie d'un mariage avec la mère d'une famille déjà brisée. Et déjà brisée devait être un détail important. Ensuite, se débarrasser des parents après un moment, ou simplement attendre qu'ils meurent rapidement (c'était si bien vu de sa part de les avoir choisis parmi ceux qui pouvaient périr jeunes « dans l'exercice de leurs fonctions »). En plus, cela expliquait aussi pourquoi Maze habitait avec elles : pour s'assurer qu'elles étaient sous bonne garde… Enfin, récupérer une petite humaine douée, entièrement acquise à sa cause et correctement formée.
C'était limpide, vraiment.
Elle se sentait prise par un indicible soulagement en le suivant à son tour pour entrer dans la chambre de sa rivale. Mais le spectacle à l'intérieur détruisit en miettes ses dernières illusions.
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ELLA
Tout près de là, debout contre un mur à proximité des ascenseurs de l'hôpital où avait été conduite Chloé, Ella regardait son téléphone avec la plus pure incrédulité. Avec détachement, elle remarqua que sa main tremblait toujours légèrement.
Voir le nom du Père Agostin clignoter sur l'écran l'avait pourtant remplie d'une impatience joyeuse, au début. Elle s'imaginait qu'il avait trouvé le temps de rassembler des informations sur un puissant exorcisme permettant de bannir « l'ifrit » qui tuait des bébés. Elle se sentait assez fière de constater qu'il avait enfin fini par la prendre au sérieux, après un jour ou deux ; en tous cas assez pour qu'il la rappelle, en assurant qu'il avait besoin de l'aide d'un spécialiste du Vatican et qu'il la recontacterait bientôt.
Pendant ce temps, elle avait apprécié la façon dont le Capitaine Pierce s'était montré d'un grand soutien à sa façon : en refusant de laisser sa propre condition de santé se mettre en travers de leur enquête sur le meurtre, en continuant à demander des rapports toutes les heures, en repassant lui-même tous les fichiers, avec cet air sur le visage qui trahissait son profond désir de voir arriver des progrès. Il émettait cette vibration puissante et réconfortante qui faisait savoir à tous qu'il ne lâchait pas l'affaire, coûte que coûte. Et cela avait donné à Ella le regain de courage dont elle avait besoin pour faire ce qu'elle avait à faire.
Mais son monde venait juste de s'écrouler, cinq minutes plus tôt. Le Père Agostin en personne lui avait simplement demandé d'arrêter de l'appeler, et qu'il apprécierait qu'elle aille dorénavant prier dans une autre église pendant quelques temps. Comment pouvait-il la laisser tomber comme ça juste au moment où elle avait le plus besoin de lui ? Elle le connaissait depuis plusieurs années maintenant ! S'il y avait bien UNE affaire où il pouvait prouver que la Foi était justifiée, c'était bien celle-ci ! Mais ses seuls mots d'adieu avaient été : « Désolé, mais il n'y a rien que je puisse faire. »
Elle avait essayé en vain de le rappeler pour le forcer à s'expliquer mais sa ligne avait été carrément coupée, sans aucune possibilité de laisser un message.
Une ride profonde plissait le creux de ses sourcils sombres lorsqu'elle réalisa finalement que toute cette situation lui en rappelait d'autres plus familières : les activités de gang de ses frères, à Chicago… Le Père Agostin réagissait clairement comme s'il était effrayé. Ou placé sous une menace impérieuse à laquelle il ne pouvait se soustraire. C'était forcément ça. Il n'aurait pas pu prêcher contre les démons depuis son premier jour de séminaire, pour détaler peureusement en réalisant que toute l'histoire était vraie, n'est-ce pas ?
Pourtant, il avait fui, métaphoriquement parlant. Presque comme s'il avait aperçu le Diable en personne…
Et puisqu'on parlait de lui… Les yeux d'Ella vagabondèrent un peu plus loin pour trouver Lucifer en train de parler gentiment avec Trixie.
Elle voyait comme un excellent souvenir la fois où elle avait réussi à le choquer authentiquement (mais il avait presque semblé ravi de l'être) lorsqu'elle lui avait demandé de la rejoindre à l'église pour prier… Il ne fallait pas être un génie pour piger que le bonhomme s'attendait à une toute autre proposition de sa part, mais depuis, elle n'avait jamais rien lu d'autre dans ses yeux que du respect. Même quand il se laissait aller, pour la forme, à l'appeler « petite mécréante » …
Elle trouva fondé de se demander si le Père Agostin n'avait pas découvert qu'elle travaillait quotidiennement avec un homme se faisant passer pour le Diable, et s'il ne fallait pas y voir la raison de sa défection instantanée.
Mais tout ceci passa brutalement au second plan lorsqu'elle vit la silhouette de la femme qui marchait quelques pas devant elle disparaître complètement de sa vue, en un clin d'œil.
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Sa première réaction instinctive face à cette situation inexplicable avait été de se cacher derrière la première porte qui voulut bien s'ouvrir. A vitesse de distorsion 8, son cerveau habile venait juste de comprendre qu'elle ne faisait désormais plus partie de la liste rassurante du personnel de la Scientifique – ceux qui soulignaient les indices, transmettaient les preuves et fournissaient des explications – mais pointait au tableau blanc des témoins irrationnels, effrayés et perturbés par ce qu'ils croyaient avoir vu. Et le frisson qu'elle ressentait n'était pas particulièrement plaisant.
Jetant un petit coup d'œil dans l'entrebâillement de la porte, elle vit Dan qui remontait le couloir avec Trixie, et son téléphone se mit à vibrer en la faisant sursauter tandis qu'elle étouffait un petit cri. Un autre coup d'œil sur l'écran suffit à lui confirmer que c'était bien Dan lui-même qui essayait de la joindre... La bouche ouverte, elle se sentit soudain complètement perdue et infoutue de savoir ce qu'elle aurait bien pu lui dire qui n'aurait pas aggravé l'état déjà navrant son dossier psychiatrique infantile...
Assez vite pourtant, ses priorités furent de nouveau rebrassées, parce que quelque chose d'autre venait de capter instantanément l'attention de tout le monde en faisant cesser les appels de Dan : le son assez spécifique de détonations d'armes à feu de gros calibre et sans silencieux, résonnant quelque part dans les étages inférieurs. Oh, Seigneur ! Il y avait des snipers ? Qu'est-ce qui se passait encore ?
En dépit de sa peur, elle se décida très rapidement et choisit de se regrouper avec les autres. En ressortant pour aller vers la porte de la chambre de Chloé, elle fut toutefois forcée de s'arrêter en discernant assez clairement quelque chose de transparent flotter sur le seuil. Le « flou » pivota et se transforma bientôt pour prendre l'apparence de la femme qu'elle avait vue sur le portrait-robot. Laquelle s'enfuyait dans l'autre sens, sans demander son reste.
Question : qu'est-ce qu'une meurtrière de sang-froid comme elle pouvait avoir vu là-dedans qui là-dedans qui la fasse pleurer comme ça ?
La jeune légiste décida que ses collègues allaient devoir se débrouiller avec les coups de feu mais qu'il était de son devoir de poursuivre leur unique piste sur l'affaire de l'infanticide.
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LILITH, CAÏN, TRIXIE
Lilith sanglotait si fort qu'elle ne voyait presque pas où elle allait.
Là-bas dans cette chambre, l'horreur l'avait frappée de plein fouet. Elle avait vu ce que Dieu avait ourdi pour se venger de ses deux enfants rebelles. Chancelant debout sur le seuil, elle avait ressenti la présence écrasante et triomphante qui remplissait la pièce. Cela, elle aurait pu essayer de s'y faire. Mais le pire avait été la félicité qui transfigurait le visage subjugué de Lucifer, serré tout contre Chloé Decker. Le pire avait été la ferveur et la tendresse avec lesquelles il avait embrassé son front et murmuré des mots d'amour et de réconfort empreints d'une si adorable maladresse...
Lilith détectait sans peine l'indubitable intervention de Dieu, tirant les ficelles de cette machination… Il essayait de lui reprendre Samael, en l'attirant avec le pouvoir d'un autre ange pour faire en sorte qu'il veuille rentrer de lui-même à la Cité d'Argent… Et pas n'importe lequel. La Justice. Celle qu'il avait réclamée dès le début de sa rébellion... Cette femme n'était de toute évidence pas une simple mortelle comme elle l'avait bêtement cru d'abord. Elle empestait la puissance céleste et de la pire espèce : la vertueuse ! Et ça en disait suffisamment long. Mais comment le pauvre Samael avait-il pu s'y laisser prendre ?
Meurtrie, l'Hybride ne supporta pas d'en voir davantage et ne voulut pas croire qu'il était bon acteur. Pour la toute première fois, elle envisagea pour de bon que Samael puisse être définitivement perdu pour elle et hors d'atteinte. Avec tout ce qu'avait dit Amenadiel juste avant...
Elle préféra s'enfuir une nouvelle fois, non sans ressentir comme une petite pression mentale, désolée mais discrète, qui cherchait à la retenir mais n'arrivait qu'à la faire fuir encore plus vite. Celle de la Mort. Lilith l'ignora et ne s'arrêta pas. Cet endroit était un hôpital, beaucoup de gens mouraient parmi les humains, et il était finalement moins surprenant de ressentir la présence d'Azrael en ces lieux plutôt que celle de l'Écarlate.
Il avait toujours dit que le rouge était sa couleur.
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Elle attendait impatiemment que ces satanés ascenseurs daignent refonctionner et quand ils s'ouvrirent enfin, ce fut sur la haute silhouette de Caïn qui lui bloqua le passage. Au moins eut-il la décence d'avoir l'air sincèrement surpris lui aussi. Peut-être que cela signifiait qu'il n'avait pas trouvé un quelconque moyen retors de la pister ? Non, certainement pas. Son visage toujours séduisant et ses grands yeux bleus choqués disaient assez que leur rencontre n'était que purement fortuite.
— Lilith !
Elle l'arrêta aussitôt d'un geste pour le congédier d'une paume ouverte.
— Pas maintenant. Sois tranquille : je n'ai rien fait de mal qui puisse menacer ton minuscule pouvoir ici-bas. Et je vais simplement t'ignorer, aussi longtemps que tu feras de même pour moi. Adieu !
La mâchoire tendue, il abaissa les yeux vers elle et ces derniers bouillaient de colère, de regret et de désir mêlés. Il attrapa son coude dans une poigne de fer et la conduisit un peu en retrait, là où ils pourraient parler sans attirer trop l'attention. Sa voix basse crépitait presque de passion contenue lorsqu'il exigea de savoir :
— Pourquoi est-ce que tu pleures ? Qu'est-ce que tu as encore fait cette fois ?
Confuse, elle cligna des yeux sans comprendre, mais à la vérité les sentiments qui l'agitaient ne l'intéressaient pas du tout. Comme elle se sentait faible et trahie au plus profond d'elle-même, elle choisit la seule voie qui lui restait : contrattaquer témérairement.
— Ce ne sont pas tes affaires. Je pleure si j'ai envie de pleurer. Ou ça aussi c'est interdit par la loi ici ? Est-ce qu'il faut demander la permission à chaque fois qu'on a besoin de faire couler des fluides ?
Il afficha un petit rictus en décodant son sarcasme sous-jacent. Elle avait toujours été du genre à apprendre très vite. Sa réponse fut plus effrontée que prévu :
— Et bien ça dépend desquels, et si ce sont les tiens ou pas…
Quoi qu'il en fût, au fond, elle s'en fichait. Elle haussa les épaules.
— Fiche-moi la paix. Je croyais qu'on était bien d'accord là-dessus. Mais si tu veux revenir sur ta parole, j'irai tout droit raconter à Samael qui tu es en réalité…
— T'es vraiment qu'une foutue garce insupportable, tu sais ça ? répondit-il d'un ton acide et lourd de menace. J'étais juste en train de me demander si, après tout ce temps, tu ne voulais pas qu'on fasse la paix et qu'on tourne la page sur tout ça… C'est ridicule de continuer à se battre maintenant : nous avons le même ennemi ! Peut-être devrions-nous plutôt… nous entraider ?
Caïn la regardait droit dans les yeux mais elle pouvait pratiquement voir tourner tous les rouages de son cerveau. Et dire qu'il s'était toujours cru malin... Elle cligna trois fois des yeux avant de lui rire au nez avec amertume.
— Le même ennemi ? Arrête de te voiler la face, Caïn ! Dieu n'est pas ton ennemi ! C'est ton juge et ton tortionnaire ! Tu n'es pas de taille contre lui et tu le sais très bien !
Ils se dévisageaient hargneusement face à face. Leurs lèvres n'étaient qu'à quelques millimètres les unes des autres et il rêvait de sa revanche, tout en buvant des yeux son image. Il rêvait de la faire supplier, crier et pleurer, pour toutes les choses horribles qu'elle avait faites sans remord à sa famille… Mais leur dispute tourna court quand ils entendirent des coups de feu venir du premier étage.
D'autres femmes qui suppliaient, d'autres cris de terreur. Des ordres secs qu'on aboyait… Son entraînement de policier revint au galop en un instant. Pourtant, le visage de Pierce s'était fait incroyablement dur et elle pouvait voir qu'il était très mécontent. Elle inclina un peu la tête de côté et dit alors :
— Oh, mais puisque tu aimes jouer les flics, n'aurais-tu pas quelques voyous à arrêter au lieu de les laisser malmener de pauvres civils ? Non ? Oups, mais c'est vrai, que je suis bête, j'ai oublié ! Tu dois laisser faire ça parce que c'est toi, le nouveau baron du crime en ville, n'est-ce pas ?
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Trixie profita d'un silence momentané pour ouvrir la porte derrière laquelle son papa lui avait demandé de se cacher et elle trouva le nouveau chef du commissariat et la maman de Maze en train de parler.
— Bonjour Lilith, bonjour M. le Patron du Crime, il me semblait bien avoir reconnu vos voix ! dit-elle en souriant.
Dans son jeune esprit, « Patron du Crime » ou « Patron de la Crim' » signifiaient tout autre chose. Elle savait bien qu'il existait différents types de Police et elle savait aussi que ses parents travaillaient tous les deux dans celle qui s'occupait « d'élucider des crimes » ou plus clairement qui avait tué qui, comment et où, comme au Cluedo. Du coup, le « Boss de la Crim' » ce n'était pas si bizarre, puisque c'était lui qui commandait la Police.
Mais malheureusement, le Capitaine Marcus Pierce analysa toute la situation avec bien moins de logique enfantine et beaucoup plus de… froide attaque de panique.
— Oh, désolée, je suis Trixie Espinoza, ajouta-t-elle en soulignant son patronyme pour qu'il le reconnaisse. Je cherchais Ella-du-Labo. Est-ce que vous l'avez vue quelque part ?
En dépit de tout – et particulièrement de son instinct premier qui lui commandait de causer la perte de cette petite fille qui venait 1) de le voir parler à Lilith et 2) de le désigner comme un baron de la pègre assez fort pour exploser la couverture de sa double vie – Pierce réussit à avoir l'air inquiet, probablement parce qu'il l'était pour de bon.
— C'est vraiment pas le moment ! Pour l'instant, tu dois trouver un endroit pour te cacher. Il y a des méchants avec des pistolets… Tu pourrais être blessée.
— Est-ce qu'ils sont venus pour Maman ? demanda Trixie avec une frayeur évidente. Je sais très bien que ça va être affreux quand on me demande de me cacher. La dernière fois, le méchant homme voulait nous tuer, Maman et moi, et il a tiré dans le ventre de Lucifer et il y a eu tellement de sang… Il ne bougeait plus...
Estomaquée à la nouvelle, Lilith écoutait très attentivement sans dire un mot, tandis que Pierce répondait :
— Calme-toi. Fais ce qu'on te dit. Tes parents vont se fâcher s'il t'arrive quoi que ce soit…
— Non ! Je veux être avec eux ! Vous ne comprenez rien ! Ma mère est presque morte aujourd'hui !
— Absolument pas ! Je suis venu pour la sauver et l'emmener à l'hôpital. J'imagine qu'il faut juste que je recommence...
— Vraiment ?
— Mais oui. Tu lui demanderas plus tard. Maintenant reste dans cette chambre et cache-toi bien.
Lilith regarda l'Héritière, enregistrant dûment sa petite figure obstinée et boudeuse, ses bras croisés sur sa poitrine plate recouverte d'un gilet affreusement coloré. Elle y vit l'opportunité d'aider Lucifer d'une certaine façon ou peut-être de l'amadouer.
— Ecoute-moi petite fille, je sais que tu as l'habitude d'être avec ma fille Mazikeen, mais je peux te protéger moi aussi. Viens avec moi et quittons vite cet endroit dangereux. Nous attendrons en sécurité à l'extérieur. Tu enverras un message à ta mère avec la petite boîte plate qui parle, pour lui dire que tu es avec moi et qu'elle peut venir te chercher. Est-ce que tu es d'accord ?
— Okay, ça me va. Au revoir, monsieur le Patron du Crime !
— Dis à Chloé Decker que nous serons dans l'église la plus proche.
— Lilith !… commença Pierce mais sans pouvoir finir.
— Hey petite, continuait l'Hybride, tu veux voir un tour de magie ? Je peux nous rendre invisibles !
— Cool ! Je savais bien que Lucifer venait d'une famille de magiciens !
Lilith décocha un sourire en coin pour Caïn lorsqu'elle ajouta tout spécialement pour lui « Fais ce qu'on te dit ». Puis elle plaça une main sur la petite épaule de Trixie et toutes deux s'évanouirent dans les airs.
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De là où elle était, Ella avait tout vu mais mal compris la conversation. Elle courut comme une dératée vers le capitaine Pierce, à grand renfort de bras et de jambes.
— Lopez ? Vous pouvez me faire le topo sur la situation ici, s'il vous plaît ?
— Oui chef. Une patrouille est en route, Chloé est avec Lucifer dans sa chambre et Dan monte la garde. Mais qui était cette femme ? Et pourquoi a-t-elle emmené Trixie ?
Il poussa un profond soupir et opta pour une demi-vérité.
— Je pense que c'est la meurtrière que nous recherchons. En tous cas, elle lui ressemble. Elle a menacé de faire du mal à l'enfant. Je ne pouvais rien tenter qui risque d'aggraver la situation de la petite. Nous allons devoir lui envoyer un négociateur pour traiter ses exigences. Elle a dit qu'elle serait dans l'église du coin.
— Putain de merde ![1]
— Mhh, je suis plutôt d'accord mais...
— Désolée, c'était pas professionnel. Mais vous avez vu comment elle a disparu ?
— Oui, Lopez ! cracha-t-il assez agressivement en trahissant son état de nerfs. Ça s'est produit juste sous mon nez, comment aurais-je pu ne pas le voir ?!
Puis, il sembla se reprendre et ajouta de mauvaise grâce :
— Je suis désolé, je vois bien que je suis encore en train de vous gueuler dessus...
— Ce n'est pas très important là tout de suite, capitaine. Est-ce que vous voulez que je fasse des recherches pour trouver cette église pendant que vous et les autres vous vous occupez de maîtriser les tireurs ?
— Non, ça ne fait pas partie de vos attributions et vous n'avez pas signé pour ça ! Sortez de ce guêpier tant que vous le pouvez et appelez simplement des renforts.
Ella le regarda tourner des talons et s'en aller sans un mot de plus.
Irritée, elle donna un grand coup de paume sur le bouton d'appel de l'ascenseur et entra dans la cabine vide. S'il voulait des renforts, il allait en avoir ! Mais peut-être pas ceux qu'il imaginait! Elle joignit ses deux mains à hauteur du cœur et ferma les yeux.
— Okay, grand Manitou, c'est Ella. Tu sais que je ne suis pas du genre à te déranger pour rien. Mais là maintenant, on ne serait pas contre un petit coup de main. Lucifer me traite de "grenouille de bénitier", et bien qu'il en soit ainsi ! Je vais aller à l'église et essayer de m'échanger contre Trixie. Si t'es contre ce plan, envoie-moi un signe... Sinon, je devrai considérer que t'es d'accord.[2]
Et puis elle rappela le commissariat pour les mettre au courant.
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AMENADIEL, CASTIEL, AZRAEL
Avec l'équivalent du claquement doux d'un drapeau flottant au vent, Amenadiel et Castiel atterrirent non loin de l'entrée de l'hôpital. Tout était très calme alors que le jour n'était pas encore levé. Une ou deux voitures faisaient manœuvre dans le parking, sans doute des membres du personnel qui prenaient leur tour de garde ou qui le quittaient.
Le grand ange aux larges épaules remercia son presque-frère d'un signe de tête et d'un large sourire contagieux qu'on ne lui voyait pas souvent ces derniers temps.
— Quoi ?
— Rien, se défendit-il. C'est juste que je n'ai pas volé depuis un certain temps et que cela me manque. Je me sens aussi plus fort que jamais. C'est presque comme si je pouvais...
A la surprise de Castiel, le sourire de l'autre s'effaça pour être soudain remplacé par un air plus préoccupé lorsqu'il demanda :
— Est-ce que tu te sens suffisamment bien ? Est-ce que ce n'était pas trop fatigant de me transporter comme ça ?
Tellement prévenant de sa part ! pensa Castiel. Il y avait bien longtemps que Dean et Sam avaient cessé de poser la question...
— Étonnamment... non. Alors de deux choses l'une, soit ce monde comporte beaucoup plus de croyants que le mien, soit...
Castiel laissa sa phrase en suspens, tournant la tête de tous côtés.
— … soit il y a plusieurs anges dans ce bâtiment. Ton frère ne plaisantait donc pas quand il a parlé d'une réunion de famille ?
Amenadiel plissa les yeux et acquiesça de concert.
— Tu as raison ! Je ressens une brusque poussée de pouvoir céleste par ici. Attends, laisse-moi essayer quelque chose...
L'ange noir fouilla ses poches à la recherche d'un jeu de clés qu'il balança négligemment en direction de son nouvel ami. Pris par surprise, Castiel pensa qu'il allait les rater mais se contenta de rester bouche bée à les fixer quand elles restèrent suspendues en l'air.
— Oui ! s'écria Amenadiel avec une joie évidente, juste avant de l'écraser dans une brève demi-accolade de pure satisfaction. Certains de mes pouvoirs sont revenus !
Indécis, l'autre ange en imper était malgré tout un petit peu impressionné, même si son vis-à-vis avait les yeux légèrement humides au-dessus de son sourire radieux.
Lorsqu'il était plus jeune, l'ange du Seigneur Castiel était presque inarrêtable. Il était puissant, terrifiant, et ni les balles ni les couteaux ne parvenaient à entamer son vaisseau. Et puis, avec les années, peut-être en raison de ses trop nombreuses interactions avec ses amis humains (et les tonnes de mouron qu'il s'était fait pour eux), il était graduellement devenu plus vulnérable. Mais très littéralement. Il n'était pas rare aujourd'hui qu'il finisse battu à plates coutures par des démons de bas étage et que ce soit à ses amis chasseurs de le tirer d'affaire...
— Suis-moi, demanda Amenadiel à présent plein de confiance.
Il prit les devants pour franchir les portes de verre de l'entrée principale alors qu'ils marchaient dans un hall d'accueil qui semblait figé dans le temps.
— Mis à part Lucifer, il y a deux autres anges ici. Je ne sais pas à quoi c'est dû...
— Je suis navré mais je n'en reconnais aucun... Est-ce que l'un deux est Lilith ?
— Non, je peux sentir la présence de Caliel et celle de la Psychopompe – qui essaie de se cacher mais n'y parvient pas... Un des petits avantages conférés par l'aînesse, du moins quand mes pouvoirs marchent... plaisanta-t-il avec un humour triste que Castiel ne connaissait que trop bien.
— La Psychopompe ?
— Euh oui. Enfin je veux dire Rae, l'ange de la Mort. Chez toi, il doit bien y avoir quelqu'un qui guide les personnes qui viennent de mourir, non ?
— Et pas qu'une seule ! Plusieurs, en réalité. Ce sont les Faucheuses qui sont envoyées moissonner les âmes par la Mort. Comment l'as-tu appelée ? La Mort est plus une fonction qu'un nom, chez nous...
— Ma sœur s'appelle Azrael mais on l'appelle Rae ou Rae-Rae.
Castiel s'arrêta de marcher tout d'un coup.
— Quoi ? Tu veux dire qu'ici Azrael est une fille, qu'elle est toujours en vie et qu'elle n'a pas été expulsée du Paradis en suivant Lucifer ?
— Euh, oui... Elle est très gentille... Et pour autant que je sache, elle n'a rien fait pour mériter d'être bannie de la Cité d'Argent. Viens, le pressa-t-il. J'ai vraiment hâte de la revoir.
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Ils parvinrent à la retrouver sans aucune difficulté. Elle était soigneusement cachée derrière une énorme plante en pot, mais dans son état de gloire actuel, Amenadiel était simplement trop puissant pour elle.
En ce qui le concernait, il pensait que sa bonne fortune était entièrement due à la présence de leur invité. Se retrouver en compagnie de frères et sœurs – enfin d'autres que Lucifer – lui redonnait plus d'espoir que jamais. Si Linda avait été ici, elle aurait certainement trouvé quelque chose à dire à ce sujet. Amenadiel n'était pas fait pour être seul ici. Aucun ange ne l'était. Et pour info, ni pour être ici, ni pour être seul.
Castiel le regarda accueillir et saluer une petite jeune fille asiatique pourvue d'un casque de cheveux fins et noirs coupés à la Louise Brooks. Elle avait l'air d'être une adolescente ou une très jeune femme, et s'extirpait de derrière les larges feuilles vertes. Son look était assez amusant. Elle portait un gilet à pois, une courte jupe en jean sur ses cannes maigres, ses petits poings serrés sur les hanches, en essayant d'avoir l'air furieux. Ce qui n'était pas très convaincant.
— Rae ! Qu'est-ce que tu fais ici, sœurette ?
— Et bien je ne sais pas, laisse-moi réfléchir... peut-être que j'essaie de bosser ? Certains d'entre nous n'ont pas abandonné le concept pour se tourner les pouces, hein ? C'est un hôpital ici et d'habitude, quand tu ne t'en mêles pas, c'est un bon endroit pour mourir. Donc, si tu pouvais restaurer l'écoulement normal du temps, je pourrais peut-être récupérer quelques clients ?
Amenadiel se put s'empêcher de sourire largement et il demanda à Castiel avec une petite trace de fierté :
— Est-ce tu as déjà entendu quelqu'un mentir aussi mal ? J'ai l'impression qu'elle n'est vraiment pas douée.
— Ce n'est pas à moi qu'il faut demander. Pour moi, vous êtes tous des menteurs pitoyables... commenta l'ange invité distraitement en se gagnant un regard curieux de la Mort.
— Mais qui Diable êtes-vous ? Est-ce que vous êtes un nouveau ? Sur la Tête de Papa, je suis vraiment hors du coup depuis trop longtemps, j'ai tout le temps le nez dans le guidon et ça c'est la preuve irréfutable...
Amenadiel l'arrêta en secouant la tête.
— Non, non. Il ne fait que passer. Il n'est pas de chez nous.
L'étrange petit ange de la Mort cligna curieusement des yeux et demanda au nouveau venu de but en blanc :
— Alors c'est ça votre pouvoir ? Vous créez des portails entre les dimensions ?
— Euh... pas vraiment.
— Écoute, Rae, les interrompit l'Aîné, je sais qu'il est assez fascinant mais nous avons besoin d'informations très vite. Si tu sais quoi que ce soit sur l'endroit où se trouve Lilith, ou Luci, ou même pourquoi Caliel se trouve ici...
Azrael se permit une petite grimace de sympathie.
— Ah ça... Eh bien, désolée mais Caliel n'est pas vraiment là. Par contre sa lame, oui. Je suis venue voir parce que je l'ai ressentie d'assez loin et pour être honnête, j'avais l'intention de la subtiliser discrètement pour la ramener à la Cité d'Argent, parce que... et bien... tu sais ce qui se produit quand certains d'entre nous perdent malencontreusement leur épée (elle toussa faussement dans son poing). Une fois sur place, j'ai entendu dire que la lame s'était attachée à une femme devant témoins et que tout le monde était aux cent coups à cause de ça.
— Où se trouve cette femme actuellement ?
— Plus haut. Au troisième étage. Lucifer est avec elle. Je ne me suis pas approchée de trop car je savais qu'il pourrait deviner que j'étais là... Je n'allais tout de même pas me pointer les mains dans les poches en me contentant d'un "Salut, Lulu, désolée de pas être venue te voir en Enfer, trop de boulot ; tu peux me filer l'épée, s'te plaît ?"
— Pourquoi ? demanda Castiel en fronçant le sourcil de surprise. Ça aurait été un bon début pour essayer d'arranger les choses...
— Attends voir une seconde, les coupa encore Amenadiel. Quand tu dis "Lucifer est avec elle" est-ce que tu es en train de dire que cette femme est Chloé ?
Azrael afficha l'air navré des porteurs de mauvaises nouvelles, et Amenadiel sut qu'il avait deviné juste. Parmi tous les habitants de cette ville, ça ne pouvait être qu'elle... Chloé Decker avait le cœur pur. En plus, elle l'avait trouvé charmant dès qu'elle l'avait rencontré à la vente aux enchères, ce qui était un signe de son excellent jugement...
— Ok, faisons un truc. Toi tu restes ici avec Castiel, son aura devrait masquer la tienne pendant que moi je vais délivrer Chloé de l'emprise de l'épée... Et si jamais dans l'intervalle vous apercevez Lilith, vous la...
— Ça ne risque pas, intervint l'ange de la Mort, elle est déjà partie. Je le sais parce que mon amie Ella l'a suivie.
Amenadiel se retourna brusquement, sous le coup de la plus authentique incrédulité.
— Quoi ? Tu es amie avec Ella, genre "Ella Lopez de la Police de Los Angeles qui travaille avec notre cinglé de frère", et elle ne nous a rien dit pendant tout ce temps ?
Azrael se tortilla nerveusement sur place en jouant avec ses mains.
— Chuuut ! S'il te plaît. Ce n'est pas ce que... (Elle gémit faiblement de dépit et d'impatience). Ella... ne sait pas qui je suis vraiment. Elle croit que je suis un fantôme ! Tu ne dois rien lui dire du tout. Je ne veux pas que la précieuse pépite de sa foi soit ternie, de quelque façon que ce soit. Promets-moi que tu ne lui diras rien !
— Mais... je ne peux pas promettre de mentir ! s'indigna le plus vieux des anges.
A son tour, Castiel les yeux écarquillés, arbora une moue entendue, qui exprimait clairement qu'ils venaient de faire la démonstration de ce qu'il soutenait un peu plus tôt...
Mais à la vérité, il commençait pourtant vraiment à bien les aimer. Dommage qu'il doive retrouver ses frères et sœurs habituels sous peu.
— Alors comment tu comptes t'y prendre ?
Le Premier-Né de Dieu, et donc si ça se trouvait l'équivalent de Michael ici, sourit un peu face à la question de sa sœur.
— Peut-être bien que ta lame est perdue au sein du nouvel univers de Maman, Rae, mais j'ai toujours en ma possession le troisième morceau que Papa m'avait donné. Je l'ai retrouvé dans le sable sur la plage, là où Charlotte a été réintégrée, je suppose grâce à toi...
D'un doigt, il souleva la lourde chaîne en argent qu'il portait autour du cou pour montrer la tige gravée qui y était suspendue.
—… mais je peux déverrouiller la "Witchblade" avec ça et, bien sûr, la bonne formule en hénokéen.
— Tu peux vraiment faire toutes ces choses en étant déchu ? s'émerveilla innocemment Castiel.
— J'espère seulement qu'aujourd'hui soit un jour où je peux à nouveau servir à quelque chose, sans interprétation de travers. Juste en étant ce que je suis d'habitude, et crois-moi je ne vais pas passer à côté de ça ! Attends ici Rae, je vais revenir avec le bracelet et tu pourras le remporter à la Cité d'Argent, puisque ni Lucifer ni moi ne pouvons plus y mettre les pieds... Puis, quand Chloé sera tirée d'affaire, ceux qui restent devront trouver une solution pour Lilith...
Castiel opina en croisant les bras, pas très sûr toutefois de la réaction qu'il allait susciter en hasardant :
— En fait, les gars, j'y ai un peu réfléchi, et je crois que j'ai une idée.
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(à suivre)
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Notes de l'auteur
[1] Dans le texte anglais je faire dire à Ella "Holy crap!" un juron généralement traduisible par "merde alors !), littéralement "sainte merde" ce qui est un jeu de mot impossible à restituer littéralement, surtout quand Pierce répond : "Eh bien je n'aurais pas pu résumer ça mieux !".
[2] Dans la version anglaise, Ella appelle Dieu "Big Guy" soit à peu près et normalement dans toute autre conversation l'équivalent affectueux de "mon grand". Le terme que j'ai utilisé dans la bouche de Lucifer est "churchgoer" qui signifie seulement "personne pratiquante" et très littéralement "qui va à l'église". La fin de la prière d'Ella est une vieille blague juive un peu moqueuse (notamment envers les lois de la gravité) qui existe sous de nombreuses formes, spécialement celle où on trouve une pièce par terre : Seigneur, je vais lancer la pièce en l'air, si tu la veux, garde-la, sinon laisse-la simplement retomber et elle sera pour moi.