Luca 2

Chapitre 3 : Chapitre 1 : retour à Porto Rosso

2230 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/07/2021 14:01

Luca regardait défiler les arbres et les montagnes à travers la fenêtre du train à destination de Porto Rosso. En face de lui, dans le compartiment où il se trouvait, Giulia avait la tête posée sur la vitre et dormait. Ils avaient discuté pendant la majeure partie du trajet, mais le voyage était long et soporifique. Les longs cheveux bouclés roux de la jeune fille, qu'elle avait laissé pousser en trois ans, tombaient sur une partie de son visage. Luca jeta un œil à sa montre en cuir que lui avait offert l'école et vit qu'il ne restait plus qu'une heure avant leur arrivée. Comme il faisait très chaud dans le compartiment, Luca portait une chemise blanche à manche courte et avait retiré sa veste et sa cravate. Il pensait à ses parents, à sa grand-mère et à Alberto. Sa jambe droite tressautait d'impatience. Il faut dire que son retour n'était pas le seul événement qui le troublait. Clara, à la fin du dernier cours de l'année, lui avait dit qu'elle l'aimait. Elle était allée le voir à son bureau, s'était penchée sur son cahier et y avait laissé une soi-disant « dédicace ». Alors qu'elle partait aussi vite qu'elle était venue, Luca a pu lire les deux petits mots écrits à la hâte au crayon à papier : « Je t'aime ». Luca avait senti toute la chaleur de son corps lui monter aux joues. Était-ce une mauvaise blague ? En tout cas, il ne pensait pas que Clara était du genre à se moquer de lui de cette façon. Et puis pourquoi lui aurait-elle écrit cela à l'abri des regards sinon ? Il avait cependant l'habitude de ses moqueries cinglantes et était d'autant plus surpris de cette déclaration. Et puis surtout, comment pouvait-elle tomber amoureuse de lui, lui qui n'était même pas humain ? Mais il est vrai que depuis un moment, « la princesse des glaces » ne lui faisait plus trop de réflexions. Elle lui disait même au contraire quelques mots sympathiques de temps à autre. Luca n'avait jamais été amoureux. Les seules choses qu'il savait sur l'amour lui avaient été racontées par Enzo. Il lui disait que l'amour, c'était comme si tu avais des petites sardines qui nageaient dans ton ventre. Il avait aussi vu ses parents s'embrasser quelques fois mais cela le répugnait. Il entendit soudain une voix féminine qu'il connaissait bien le tirer de ses rêveries : « Regarde Luca ! On y est presque, je reconnais les champs d'Olivier de Porto Rosso ! ». Il fit ce que lui avait demandé Giulia, et remarqua ces fameux champs en terrasses qui indiquaient qu'ils étaient tout proches de la gare de leur village. Comme pour ponctuer leur observation, la conductrice du train annonça par l'interphone : « Nous allons arriver en gare de Porto Rosso. Pensez à ne rien oublier dans le train et faites attention à l'écart entre le marchepied et le quai. ». Luca et Giulia se levèrent et prirent leurs lourdes valises remplies de livres et de vêtements. Dans la valise de Luca se trouvait aussi la boîte de crayons de couleurs qu'il souhaitait offrir à Alberto. Il avait en effet repéré chez la mère de Giulia plusieurs grandes boîtes de crayons dont une avec un requin imprimé sur le carton. Cela lui avait fait penser à Alberto et il s'était dit qu'il rêverait surement d'une boîte comme celle-là. Il demanda à Fio : « Ils sont de très bonne qualité ces crayons de couleurs non ? ». Fio, qui avait l'habitude que son jeune colocataire s'intéresse à ce qu'elle faisait lui répondit distraitement, occupée à lire le journal sur le fauteuil jaune du salon : « Oui ils font surement partis des meilleurs que j'ai pu essayer. J'en ai même deux autres boîtes en stock. ». Luca imagina alors la joie qu'Alberto aurait s'il possédait ses crayons. Comme Fio avait remarqué son obsession pour son matériel d'art, elle le questionna : « Pourquoi ? Ils t'intéressent ? », ce à quoi Luca répondit avec peu d'assurance, surpris : « Hein ? Non... Je pensais... Je pensais juste qu'ils pourraient plaire à mon ami Alberto. Il adore dessiner lui aussi... Tu sais où je pourrais en trouver comme ceux-là ? » « Désolé Luca, je pense qu'ils sont trop chers pour toi mais, par contre, je peux t'en donner une boîte si tu veux. Viens avec moi. ». Luca allait protester mais Fio déclara : « Ne t'inquiète pas, tu m'as beaucoup aidé à entretenir la maison et ne parlons même pas de l'argent que tu m'as fait gagner en acceptant que je te peigne. Donc je te dois bien ça ! ». Elle le conduisit dans son atelier, seul endroit où Giulia et Luca n'avaient pas le droit de faire le ménage. De la peinture tâchait le sol et les murs, des pinceaux et du matériel d'art en tout genre couvrait chaque parcelle de meuble et un grand chevalet était placé au centre de la pièce. Une toile représentant le chien de Fio, un petit corgi noir portant le nom de Nerone, en train de boire y était posée. Fio amena Luca jusque devant une grande armoire en bois dont les poignées étaient colorées par la peinture et l'ouvrit. Elle dévoila ainsi un bazar monstre, et en retira tant bien que mal une boîte de crayons identique à celle que Luca avait pu observer. Elle était miraculeusement intacte et c'était dans ces moments-là que Luca pensait que Fio était un peu sorcière. « Voilà ! Tu pourras l'offrir à ton ami. ». Et c'est ainsi que Luca parvient à obtenir des crayons de couleurs de bien meilleure qualité que ceux qu'avait trouvé Alberto quand il était encore à Porto Rosso.

Le train s'arrêta enfin en gare et laissa descendre Giulia et Luca, leurs bagages à la main. Giulia, après avoir repéré son père sur le quai, laissa tomber sa valise et se jeta dans ses bras. Luca fit de même avec ses parents et Giunone, sa grand-mère, non sans quelques larmes. Daniela Paguro s'exclama « Ce que tu as grandi mon fils ! Je ne t'ai presque pas reconnu ! » et ajouta, après l'avoir analysé de bas en haut : « Tu n'as pas beaucoup grossi par contre... On dirait même que tu as maigri... Ce n'était pas pour rire que Giulia disait que vous mouriez de faim ! ». Luca soupira en souriant : « Maman... ». Giulia apostropha Alberto, qui était resté en retrait. Le jeune pescona avait lui aussi bien grandi. Il était devenu plus grand que Lorenzo Paguro, mais pas encore autant que Massimo. Il portait un débardeur à rayure rouge et blanc, un short à ceinture qui ressemblait beaucoup à celui qu'il portait quand il était enfant et des chaussures de sports noires. Giulia le serra dans ses bras. Alberto hésita à faire de même avec Luca car il était surpris de voir à quel point il avait changé. Il pensait connaitre l'origine de sa gêne, mais ne préférait pas y songer. Il essayait de se persuader que ce sentiment n'existait pas. Quand Luca le prit dans ses bras, les yeux embués par l'émotion, Alberto sentit une agréable vague de chaleur le parcourir et se détendit. Il le serra fortement contre lui sans prononcer un mot par peur de pleurer. Après une petite seconde qui semblait durer bien plus longtemps, Luca se dégagea et lui tapota amicalement l'épaule en souriant, visiblement ému.

Après ces retrouvailles, le petit groupe partit manger les trenette al pesto de Massimo chez les Marcovaldo. Giulia était aux anges et engloutit les pates avec appétit tandis que Luca caressait prudemment les petits chatons de Machiavelli. Alors que les autres chatons, plus prudents, reniflaient sagement les mains du jeune garçon, un des petits chats, la plus fougueuse de tous, lui sauta sur la jambe et commença à le mordre. Massimo dit en rigolant : « Ah Bartolomea... Elle n'est pas la fille de Machiavelli pour rien ! ». Alberto, qui avait suivi la scène, voyant Luca essayer de décrocher Bartoloméa, retira avec précaution le chaton de la jambe de son ami. Luca plaisanta : « Merci Alberto... Elle devrait savoir qu'elle s'attaque à des poissons trop gros pour elle !». Alberto répliqua : « Tu sais, parfois je me demande si elle ne réussira pas un jour à me croquer un bout de jambe... ». Le soir commençait à tomber. Les trois jeunes amis parlaient de ce qu'ils n'avaient pas pu se raconter par lettres quand les parents de Luca demandèrent s'il voulait passer la nuit à Ligune, chez eux. Mais le collégien répondit qu'il préférait pour l'instant dormir avec Alberto dans la cabane de Giulia. Il précisa en lisant de la déception sur leurs visages qu'il passerait les voir dès demain pour également saluer les voisins. Alberto n'était pas très serein à l'idée de dormir à côté de Luca mais il était à la fois heureux que son ami choisisse de rester à ses côtés. Une fois les Paguro partis, Giulia s'empressa de monter dans sa chambre. Luca et Alberto se mirent en pyjamas, Luca portant une chemise et un bas avec des rayures bleues verticales, et Alberto un vieux polo à Massimo avec un short en tissu marron. Ils grimpèrent dans la cachette secrète de leur amie, deux coussins à la main, les mêmes sur lesquels ils avaient dormi trois ans auparavant. Luca dissimula également le cadeau qu'il allait offrir à son ami dans une couverture. Après s'être installés, ils entendirent Giulia s'écrier : « C'è puzza (ça pue) ici ! Alberto ! T'aurait pu au moins vérifier que tu n'avais rien laissé sous le lit ! ». Elle ouvrit les volets et balança une paire de vieilles chaussettes à Alberto par la fenêtre, qui retomba sur le plancher de la cabane. Luca ne put réprimer un rire. Alberto rétorqua : « Eh ! Je te signale que tu avais aussi laissé des affaires à toi quand tu es partie, et je ne les avais pas jetées par la fenêtre ! ». Giulia sortit la tête à l'extérieur et tira gentiment la langue à Alberto. Elle ajouta : « Bonne nuit les scimmie (les affreux) ! », ce à quoi Luca répondit en singeant la voix de Massimo : « Bonne nuit Giuliettita ! ». Alberto dit en s'allongeant sur le côté inverse de celui où se trouvait Luca : « Ok, bonne nuit. ». Giulia ferma sa fenêtre, et les deux pesconas se retrouvèrent seuls. Luca s'allongea sous la guirlande lumineuse et se tourna du côté d'Alberto. Il prit la parole : « Tu sais, je me disais, on pourrait toujours essayer de partir toi et moi, comme on se l'était promis il y a trois ans. ». Alberto surpris, l'interrogea : « Ce serait super, mais, pour aller où ? » « Au sud. Il parait qu'il y a une grande ville pescona dans la mer au Sud de l'Italie. On pourrait essayer d'y aller ! » déclara Luca. Alberto se retourna face à son ami : « Oui je sais, elle s'appelle Ionie. Mon père venait de là-bas. Mais c'est trop loin, on n'arrivera jamais à s'y rendre en un été. Et puis tes parents et Massimo ne nous laisserons jamais y aller seuls. ». Luca s'exclama : « Ton père venait de là-bas ? Mais peut-être qu'il est retourné dans cette ville alors non ? ». Alberto soupira en se retournant du côté du port : « Peut-être, mais, de toute façon, il ne veut plus de moi, et puis c'est trop loin alors... ». Luca eut quelques secondes de réflexion et dit « Peut-être que ton père n'a pas voulu te laisser seul... » « Pourquoi il serait parti alors ? » dit Alberto avec agacement. Luca ne répondit pas. Après un long moment de silence il dit enfin : « Pardon, je sais que c'est dur pour toi d'en parler. ». Alberto se tourna une dernière fois vers Luca : « Non c'est moi, tu voulais juste me remonter le moral... ». Ils sourirent. Albert reprit : « En tout cas, si je pouvais voyager avec toi cet été, même si c'est pour aller dans les environs, je serais partant. ». Luca trouva que c'était le bon moment pour dévoiler le cadeau d'Alberto. Il sortit le paquet soigneusement enveloppé dans du papier kraft : « Tiens, c'est pour toi. ». Alberto se leva et prit tout de même le paquet que Luca lui tendait avec précaution en demandant : « Qu'est-ce que c'est ? ». Luca lui répondit en souriant : « Tu verras bien quand tu l'ouvriras. ». Alberto déchira doucement le papier kraft et la boîte de crayons de couleurs, celle avec un requin sur le carton, apparut. Il s'exclama : « Ils ont l'air ottimo (super) ces crayons de couleurs ! Où tu les as eu ? ». Luca lui dit que Fio les lui avait donnés en disant qu'ils faisaient partie des meilleurs qu'elle ait pu essayer. Alberto manqua de se heurter à la guirlande lumineuse en prenant instinctivement Luca dans ses bras : « Oh merci Luca ! ». Luca rigola : « De rien ! Comme ça tu pourras mettre plus de couleurs dans tes dessins... ». Leur étreinte fut courte, et les deux amis s'allongèrent à nouveau sur le dos, la boite posée à côté des chaussettes d'Alberto, heureux d'être enfin ensemble. Les deux pesconas dormirent peu cette nuit-là, car ils n'avaient plus l'habitude d'être allongés sur un plancher en bois. 


Laisser un commentaire ?