Un combat de tous les instants

Chapitre 73 : Silence radio

2868 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2020 22:44

- Raph, je t’ai dit de te ménager ! soupira Donatello.

C’était la quatrième fois qu’il découvrait son frère hors du laboratoire, alors qu’il avait à peine assez de force pour tenir debout. À mesure que l’absence de Léo, Marion et April se prolongeait, et que l’angoisse grandissait à la base, Raphaël avait fini par comprendre que non, ce n’était pas normal qu’ils tardent autant à revenir.

Depuis, il passait son temps à scruter le ciel de la dimension X, en espérant y voir apparaître le technodrome à bord duquel étaient censés se trouver leurs amis, mais en vain. Donatello avait quant à lui de plus en plus de mal à empêcher Casey de sauter dans la seconde navette furtive et de partir à leur recherche.

Malgré ses efforts pour ne pas sombrer dans l’appréhension la plus totale, Donnie avait de plus en plus de difficulté à se convaincre que le trio allait bien. Il avait tenté de contacter à deux reprises la soucoupe furtive, mais n’avait obtenu aucune réponse. Avait-elle été détruite après que Léo l’eut informé, via son système de communication, de la prise du technodrome ?

Le sentirait-il s’il leur était arrivé malheur ? Bien sûr que non. Il n’avait même pas eu l’instinct de se fier aux mises en garde de Mikey lorsque celui-ci avait tenté de l’avertir de l’explosion imminente des alambics.

- Raph, tu connais Marion, se força-t-il à plaisanter. Tu crois vraiment que des Kraangs pourraient venir à bout d’elle ? Je te parie que même Shredder en serait incapable.

Raphaël ne réagit pas. Il continuait de fixer le ciel de son œil valide, l’autre étant masqué par un morceau de tissu. Il avait été touché d’apprendre que Marion portait son bandeau sur elle, à l’instar de celui de Mikey, mais visiblement, ce ne serait pas cela qui lui porterait chance.

- Les gars ? lança Casey, dans leur dos.

Seul Donnie se retourna pour le voir se diriger vers eux, de sa démarche toujours claudicante. Il semblait encore plus anxieux qu’il ne l’était avant de se retirer pour faire un somme.

- Il y a un problème.

- Il n’y en a pas qu’un, marmonna Raph.

- À ta place, je me réjouirais plutôt que Marion ne soit pas là pour le moment. Michelangelo a disparu.

- Quoi ? s’écrièrent en chœur les deux ninja, les yeux exorbités.

- Il était avec moi dans le dortoir quand je me suis couché, mais à mon réveil, plus aucune trace de lui. J’ai fouillé tout le bâtiment de fond en comble, sauf, évidemment, le labo de Marianne.

La jeune femme en avait condamné l’accès et avait interdit à quiconque de la déranger, sauf en cas d’apocalypse. Donne la soupçonnait d’avoir besoin de s’isoler complètement pour affronter seule, à sa façon, les doutes et les peurs que lui inspiraient l’absence prolongée de sa sœur.

- D’ailleurs, comment ça se fait que tu aies déserté la salle informatique ? interrogea Casey. Ce n’était pas à ton tour de veiller sur les moniteurs ?

- Si, mais je...

Donnie avait en réalité quitté son poste pour la même raison que Raph. Si Marianne l’avait su, elle serait probablement rentrée dans une colère noire, mais il était incapable de rester immobile face à des écrans pendant que leurs amis étaient portés disparus. Et voilà que Mikey venait également de se volatiliser.

- Peu importe, admit Casey. Il faut qu’on le retrouve fissa. Ce serait bien notre poisse que les autres rentrent maintenant et que Marion découvre qu’on a perdu Mikey. On est bon pour finir dans le ventre de Kraath tous les trois.

- Pourquoi pas tous les quatre ? Le choléra pourrait aussi garder un œil sur lui, de temps en temps.

Casey haussa les épaules. Il était de notoriété au sein du groupe que Marion ne gardait jamais rancune de rien à Marianne. Elle était également la seule à ne pas s’offusquer du caractère ou du comportement de sa sœur. Chaque fois que les autres s’en plaignaient, elle répondait simplement qu’elle était ainsi et qu’il fallait faire avec, un conseil qu’elle-même n’avait pas de mal à appliquer, ce qui était loin d’être le cas de ses amis.

- Le retrouver, c’est une chose, mais où est-ce qu’on est censé le chercher, si tu as déjà regardé partout ? interrogea Donnie.

- Tss, siffla Raph, Le connaissant, il serait capable de passer à côté d’un éléphant sans le remarquer, surtout s’il pense à April au même moment.

- Oui, ou à Marion.

Les deux frères se fusillèrent mutuellement du regard en raison de cet échange de piques, mais ne prolongèrent pas la dispute inutilement et s’accordèrent sur la nécessité de fouiller encore une fois minutieusement chaque partie du bâtiment. Michelangelo étant désormais de petite taille, il pouvait s’être faufilé n’importe où.

***

- Je te dis qu’elle va nous tuer, se lamenta Casey, deux heures de vaines recherches plus tard.

- Tant qu’à choisir, je préfèrerais que ce soit Marion, grogna Raph. J’ai ma fierté.

- Eh bien, ravale-la, pour une fois, répliqua Donnie.

Il n’était cependant pas mieux loti. Le poing levé, il ne parvenait toujours pas à se résoudre à toquer à la porte du laboratoire. Qu’est-ce que Michelangelo ferait à l’intérieur ? S’il avait eu le malheur de s’y faufiler avant que Marianne ne s’y enferme, elle se serait aperçue de sa présence depuis longtemps et l’aurait renvoyé dans le couloir d’un coup de pied dans la carapace.

- Vous êtes sûr que vous avez bien inspecté le moindre recoin ? demanda-t-il pour la énième fois, afin de gagner un peu de temps.

- Tu vois, toi non plus, tu n’as aucune envie de frapper à cette fichue porte ! Moi, j’aime encore mieux retourner explorer chaque centimètre carré de ce labo, et même aller vérifier dans l’estomac de Kraath, plutôt que de faire face au chol...

- Vous allez la boucler, bon sang !

Le sang des trois amis se glaça lorsque la porte s’ouvrit d’elle-même, laissant apparaître dans l’encadrement le visage furieux de Marianne. Ils reculèrent tous d’un pas, plus terrifiés que s’ils s’étaient retrouvés face à Shredder en personne.

- Qu’est-ce que vous fichez là, d’abord ? aboya-t-elle. Qui surveille les moniteurs ?

- Euh... C’est... hum... lui.

Ils se désignèrent mutuellement du doigt, ce qui eut pour unique effet d’accentuer la colère de Marianne.

- Allez vous enfermer tous les trois en salle informatique et restez-y ! tonna-t-elle. J’ai besoin de me concentrer, alors si jamais vous vous approchez encore une fois de cette porte, je vous jure que vous le regretterez.

Raph et Casey furent les premiers à tourner précipitamment les talons pour mettre le plus de distance possible entre cette furie et eux. Donnie ouvrit la bouche, décidé à l’informer malgré tout de la disparition de Michelangelo, mais le regard noir avec lequel Marianne le foudroya l’en dissuada. Elle se moquait de toute façon comme d’une guigne du cadet des tortues.

Il emboîta donc le pas à ses deux compères. Bien que Raph ait regagné le dortoir, le lit qu’il avait occupé durant son inconscience prolongée était toujours là, et le ninja, ainsi que Casey, était assis dessus lorsque Donnie les rejoignit. Lui-même se laissa tomber sur la chaise qui faisait face aux écrans de surveillance.

- Sensationnel, ton plan, fulmina Raph. Tu m’expliques comment on fait pour trouver Mikey, maintenant qu’on est consignés ici par miss-je-sais-tout ?

- Si tu n’avais pas crié aussi fort, peut-être que...

- Si tu n’avais pas autant tergiversé parce qu’en réalité, tu avais encore plus les pétoches que nous à l’idée de toquer, ça ne serait pas arrivé non plus.

- Bon, ça suffit, les gars, coupa Casey. Ce n’est pas en vous prenant le bec qu’on va faire avancer les choses. Faut essayer de réfléchir logiquement.

Donnie leva les yeux au ciel. Réfléchir logiquement ? Avec Casey et Raph ? Autant leur permettre de faire une sieste pendant qu’il s’en chargeait seul.

- À quoi ? La seule chose de logique que je vois, moi, c’est qu’il n’est pas ici, souligna Raph. Ni dans le labo, ni dans la navette furtive, ni dans l’enclos de Kraath. Et on sait aussi qu’il n’a pas pu franchir le bouclier. Il n’a pas pu, n’est-ce pas ?

- Non, confirma Donnie. Il a beau être léger, s’il l’avait touché, l’alarme se serait forcément déclenchée. Le champ de force a été conçu de manière à réagir au plus infime contact.

- Qu’est-ce qui a pu le pousser à disparaître comme ça ? soupira Casey. D’habitude, il est soit dans la salle informatique, soit dans la cuisine à dévorer des restes, soit dans l’un des dortoirs à dormir comme une marmotte. En somme, il reste fidèle au Mikey qu’il était avant sa mutation.

Ils se turent, chacun se perdant dans ses pensées et analysant ses propres théories, jusqu’à ce que Raph lâche :

- Marion.

- Quoi, Marion ?

- Où que soit Mikey, ça a forcément un rapport avec Marion, c’est logique. Elle est toujours avec lui, et même quand elle part en mission, ce n’est jamais plus de quelques heures, or là ça fait des jours qu’il ne l’a pas vue. Elle lui manque et il est perturbé.

- Mikey est né perturbé, rappela Casey. Et j’ai soulevé chaque couverture et chaque oreiller du dortoir des filles, il ne s’y trouvait pas.

Les trois garçons soupirèrent. Ils étaient en train de se demander comment la situation pourrait être pire quand, par la force de l’ironie, l’alarme retentit, annonçant une intrusion dans le périmètre.

- Il ne manquait plus que ça, grommela Casey. Je saute dans la navette furtive. Donnie ?

- Vas-y, fonce. Moi, je... Attends une minute. C’est un technodrome !

- Un technodrome ? Tu penses que ça pourrait être...

Donnie ne prit pas le temps de répondre. Il bondit de son siège et traversa au pas de course la distance qui le séparait de l’extérieur. Il n’accorda même pas un regard à Marianne, debout le seuil du laboratoire, malgré le regard interrogatif qu’elle lui adressa.

- Léo ? April ? Marion ? C’est vous ? s’époumona-t-il, les mains en porte-voix, à la lisière du champ de force.

La rouquine apparut dans une trouée grossièrement percée sur le flanc du technodrome. Elle se pencha pour lui faire signe, visiblement tenue par Léo, car Donnie crut apercevoir une patte verte. Comme Casey lui avait emboîté le pas, quoique moins vite du fait de sa claudication, il se tenait à présent lui aussi hors du bâtiment, mais plus près de l’entrée.

- Va désactiver le bouclier, vite !

Donatello ne comprenait rien. Pourquoi ses amis n’avaient-ils pas averti de leur retour ? Il les avait pris pour une menace, étant donné que l’appareil n’était pas identifié. Heureusement qu’il avait eu le réflexe de vérifier avant d’envoyer Casey à l’assaut. Cet idiot aurait été capable de tirer dans le tas sans réfléchir.

La barrière grésilla, puis disparut le temps pour le technodrome de pénétrer dans l’enceinte. Il se posa en douceur sur le sol, au centre de la zone d’atterrissage. Le trio en descendit pendant que le bouclier se remettait en marche et que Marianne les rejoignait.

- Qu’est-ce que vous avez fabriqué, bon sang ! s’exclama Donnie, mi-soulagé, mi-furieux. On était mort d’inquiétude !

- Sans blague ? répliqua Marion. Désolé, mais ce n’était pas la joie pour nous non plus. On a grillé la navette furtive et endommagé tout le système du technodrome.

- Et comment vous avez accompli cet exploit ? s’agaça Marianne.

- En essayant de transférer le programme de furtivité d’un navigateur à l’autre, expliqua April. Le problème, c’est qu’il y avait des données incompatibles qui ont provoqué des dégâts des deux côtés. La soucoupe a implosé et le technodrome s’est mis dans une sorte de... veille. On a juste réussi à faire repartir les moteurs, mais les communications, les radars... Tout était bloqué.

- C’est April qui a dû guetter les dangers tout du long et trouver des endroits sûrs où se cacher avec un vaisseau aussi voyant, le temps qu’elle se repose. C’est pour ça qu’on a mis si longtemps à rentrer, et qu’on n’a pas pu vous avertir.

- Mais le message...

- Je l’ai envoyé avant de lancer le transfert du programme. On pensait que ce serait difficile de passer inaperçu sur le chemin du retour avec un technodrome, mais c’aurait été une partie de plaisir, par comparaison avec ce qui nous a attendus.

- Est-ce qu’un jour, un seul d’entre vous accomplira quelque chose sans commettre une catastrophe ? se lamenta Marianne.

- Si Mikey avait été là..., commença Marion avec un regard noir à l’intention de Donatello, qui détourna les yeux, deux fois plus gêné qu’à l’accoutumée.

Il observa le laboratoire à la dérobée, espérant voir surgir Casey et Raph. Peut-être que le fait de retrouver le ninja rouge suffirait à adoucir un peu la fureur de Marion lorsqu’elle apprendrait qu’ils avaient perdu son meilleur ami. Ou peut-être replongerait-il dans le coma plus vite qu’il n’en était sorti.

Les lâches... Ils avaient décidé de le laisser affronter cette situation tout seul. À moins qu’ils n’aient choisi de profiter de la sortie de Marianne pour se faufiler dans le laboratoire, le seul endroit qu’ils n’avaient pas exploré, mais également celui où il était le moins probable d’y découvrir Michelangelo.

- À l’avenir, lâcha Marianne, vous n’aurez plus d’excuse.

- Que...

- Booyakasha !

Tous se figèrent, la bouche bée et les yeux écarquillés, au son de cette voix si enjouée. Marion fut la première à se ressaisir. Elle écarta sa sœur et Donnie en jouant des coudes pour voir Michelangelo, le Michelangelo qu’elle avait toujours adoré, marcher à sa rencontre. Presque aussi étonnant, Raph se tenait dans son sillage, lui qui était encore inconscient à son départ.

- Oh, Mikey ! Raph !

Elle se jeta d’abord dans les bras du ninja orange, presque méconnaissable sans son fidèle bandeau autour des yeux. Marion s’empressa de l’ôter de son visage afin de le restituer à son propriétaire légitime, puis l’embrassa sur le front.

- C’est si bon de te voir redevenu... toi.

Elle se tourna ensuite vers Raphaël, esquissa un geste, mais se ravisa à la dernière seconde. Pas d’effusion de sentiments entre eux, surtout pas en public. Cela ne leur ressemblait pas. À la place, il se contenta de marmonner :

- Pas beau à voir, n’est-ce pas ? Tu me rends le mien ?

Marion retira le bandeau rouge de son poignet et il le noua comme un cache-œil, dissimulant en partie sa face défigurée. Comme son œil valide ne semblait pas non plus vouloir croiser son regard, l’adolescente en conclut qu’il avait honte de sa nouvelle apparence, ou plutôt de ce qu’elle en penserait.

Machinalement, elle effleura les cicatrices que les griffes de Tiger Claw avaient laissées sur son propre visage, un peu moins visibles et boursouflées qu’autrefois, mais irrémédiablement présentes. Elle voulut prononcer quelques mots pour réconforter Raph, mais Casey ne lui en laissa pas le temps. Il lui adressa son sourire le plus enjôleur – autrement dit, le plus ridicule – et s’avança vers elle.

- Puisque tu n’as rien à me rendre, que dirais-tu de me donner un petit bis...

Le coup de poing que Michelangelo et Raphaël lui assénèrent en même temps sur le sommet de crâne fit rire Marion et taire l’adolescent. Tout en se massant la tête, il se redressa et bougonna :

- C’est pas juste... J’suis un héros, moi aussi.

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