Un combat de tous les instants

Chapitre 74 : Par amour

3160 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 20/11/2020 21:31

- Alors tu ne nous comprenais pas ? Et tu ne savais pas non plus qui nous étions ?

Mikey secoua la tête en signe de dénégation. Marion, Raph et lui étaient assis sur la clôture de l’enclos de Kraath, ravie d’avoir retrouvé son maître initial. L’adolescente tenait la main du ninja orange dans la sienne, posée sur ses genoux, et avait placé l’autre au contact de celle de Raph.

- Je ressentais, mais je ne savais pas. J’aimais bien t’entendre me parler, je me sentais en sécurité avec toi et j’avais conscience de tenir à toi, mais c’est tout. Et Marianne... Elle me faisait peur. D’ailleurs, mon premier réflexe, quand j’ai retrouvé mon apparence dans son laboratoire, ça a été de vouloir redevenir une tortue.

Marion ne releva pas. Elle n’arrivait toujours pas à croire que c’était sa sœur qui avait rendu à Michelangelo son apparence normale. Elle ne se serait pas du tout attendue à cela de la part de son aînée.

- En fait, c’est Donnie qui a accompli le plus gros du travail, affirma Mikey. Elle m’a dit qu’elle avait simplement eu à compléter ses travaux et à revoir quelques calculs, mais qu’il touchait au but quand elle s’en est mêlée.

- Oui, mais pourquoi elle s’en est mêlée, justement ?

- Parce qu’elle a compris qu’on avait besoin de Mikey.

Raph ne s’était pas beaucoup exprimé depuis qu’ils s’étaient isolés tous les trois, ni même depuis le retour de mission de Marion, Léo et April, et lorsqu’il le fit, ce fut en regardant droit devant lui. Il refusait obstinément d’exposer son visage défiguré au regard de Marion.

- Marianne ? s’exclama Marion. Elle ne l’a jamais pris au sérieux.

- Elle ne l’admettra surtout jamais, comme aucun d’entre nous.

Mikey esquissa un sourire en coin. Il n’avait pas oublié la conversation qu’il avait eue à North Hampton avec Raphaël, quand celui-ci l’avait supplié de veiller sur Marion en dimension X, alors qu’elle n’avait pas encore recouvré l’usage complet de son bras droit. Il lui avait concédé bon nombre de qualités, même si cela avait été essentiellement par intérêt, et aussi à contrecœur.

- Toujours est-il, poursuivit Raph, qu’elle a dû ouvrir les yeux après ce qui s’est passé l’autre jour. Moi dans le coma, Casey sur la touche, Mikey réduit à l’état de tortue de poche, sans parler de vous qui étiez portés disparus depuis des jours... Ça ne laissait plus beaucoup d’option. Et comme elle ne peut pas accélérer notre processus de guérison, rendre à Mikey son apparence usuelle était le plus « simple » à accomplir.

- Mouais.

Marion n’était pas vraiment convaincue, bien que l’explication soit à la fois logique et cohérente. Après tout, Marianne avait le sens pratique, et au-delà des sentiments que lui inspirait Michelangelo, ainsi que l’affection que sa cadette lui portait, il était possible qu’elle s’y soit résignée par nécessité, au mépris de ses propres intérêts.

Marion voulut se tourner vers Raphaël, mais il avait à présent penché la tête sur le côté et ne réagit pas lorsqu’elle fit glisser son doigt sur le sien. Le silence s’imposa, et personne ne le brisa. Mikey avait parlé presque sans discontinuer de son expérience en tant qu’animal, mais il subodorait qu’il était de trop pour les sujets que son amie et son frère avaient à aborder.

- C’est pas tout, mais c’est épuisant d’être redevenu soi-même, déclara-t-il en feignant un bâillement. Je crois que je vais aller me coucher. Après avoir avalé six ou sept parts de pizzax. Ce serait malheureux que la faim me réveille.

Il pivota sur lui-même en lançant ses jambes par-dessus la palissade et se laissa tomber de l’autre côté. Il lui faudrait quelques jours pour se réhabituer à marcher sur deux pattes, mais il était ravi de ne plus se déplacer au ras du sol.

- Je crois que... commença Raph.

Un regard foudroyant de son cadet le dissuada de lui emboîter le pas, alors que c’était précisément ce qu’il s’apprêtait à faire. Il n’aurait même jamais dû accepter de les accompagner jusqu’ici, mais Marion avait insisté pour qu’il se joigne à eux, et après avoir passé tant de jours à guetter son arrivée, il n’avait pas pu se résoudre à refuser.

Il resta donc assis à sa droite pendant que Mikey s’éloignait. Marion le regarda disparaître derrière le mur du laboratoire, puis ramena son attention sur Kraath, qui somnolait après avoir dévoré avec appétit sa deuxième ration de la journée.

- Ce... C’est vrai, ce que m’a raconté Donnie ? demanda Raph, mal à l’aise, afin de rompre l’atmosphère pesante. Que tu as attaqué l’armada kraang sur son dos ?

- C’est vrai. Raph...

- Ça a dû être... impressionnant. Elle a été blessée, non ? J’ai remarqué la cicatrice sur...

- Raph, le coupa Marion, plus fermement, cette fois.

Il n’insista pas. Il avait conscience que ses tentatives pour badiner sonnaient faux, d’autant plus que ce n’était pas son genre. Il n’avait cependant aucune envie d’affronter le jugement de Marion. Elle n’avait jamais été rebutée par son apparence de mutant, mais maintenant... Maintenant, il était plus laid que jamais.

- Regarde-moi, ordonna-t-elle.

- Je ne peux pas...

- Bien sûr que si, tu peux. Il te reste un œil en état de le faire, c’est largement suffisant.

- Tu sais très bien que ce n’est pas ça le problème.

- Non, effectivement. Le problème, c’est toi. Et ta tête de mule.

Marion sauta à terre en agrippant le poignet de Raphaël pour l’obliger à l’imiter. Il tenta de résister lorsqu’elle glissa ses doigts sous son menton, mais comme elle utilisait son bras droit, il ne put lutter contre sa force et fut contraint de redresser la nuque. Un frisson lui parcourut l’échine tandis que, de son autre main, la jeune fille caressa son visage meurtri.

- Tu te souviens de ce que tu as dit, quand Tiger Claw m’a lacéré la figure ?

- Que ta tronche était assortie à ton caractère, se remémora le ninja rouge. Si j’avais su que c’était en réalité une prédiction pour moi, je l’aurais fermée, ce jour-là.

- On a tous nos cicatrices, Raph. Il y a celles qui se voient – elle effleura avec la pointe de son nez la brûlure qu’il avait à la joue – et celles qu’on arrive à cacher, mais qui sont probablement les plus douloureuses.

Marion souleva la patte de Raphaël pour la plaquer contre son cœur. Ils étaient tous meurtris à leur manière, et pas seulement physiquement. Tout ce qu’ils avaient vécu, ce qu’ils avaient traversé laisserait en eux des traces bien plus profondes que la perte d’un œil ou quelques entailles sur le corps.

- Tu es un crétin irascible et insupportable, tu te comportes comme un abruti la plupart du temps et tu me rends complètement dingue, mais... Moi aussi, je t’aime, Raph.

Le ninja hésita un peu, mais finit par esquisser un sourire à l’écoute de cette déclaration qui n’avait rien à envier à celle qu’il lui avait faite, après l’accident de Mikey. Et lorsque Marion se rapprocha encore afin de l’embrasser, il cessa pour de bon de la repousser.

***

- J’ai raté un épisode ? lâcha Donatello en faisant irruption dans la salle de contrôle du technodrome.

Marianne était à genoux sur le sol, en train de déverrouiller le panneau qui condamnait l’accès aux câbles du système. Étant donné l’état dans lequel le programme de furtivité avait plongé les différents processeurs, elle n’aurait pas été surprise que plusieurs d’entre eux aient fondu. Elle se tourna néanmoins vers Donnie avant d’en avoir le cœur net.

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire que Mikey raconte à tout le monde ? Il paraît que tu as prétendu avoir achevé mes recherches qui étaient déjà très avancées, mais je suis bien placé pour savoir qu’aucune de mes pistes n’était viable. C’est toi toute seule qui a inventé le mutafix.

- Oui, et ? répliqua Marianne. C’est toi qui devais te rattacher aux yeux de ma sœur. Ce n’est pas en faisant étalage de ton incompétence que tu y serais parvenu.

- Mon incom...

Donatello plissa les yeux. C’était la première fois que Marianne se montrait aussi insultante à son égard. Elle l’avait toujours été avec la plupart des membres du groupe, mais il pensait qu’à défaut de l’apprécier, elle éprouvait un minimum de respect envers lui. Visiblement, il se trompait. Ou, plus vraisemblablement, il y avait autre chose.

- Ça ne te ressemble pas de te soucier du sort de quelqu’un d’autre, souligna-t-il. Surtout du sort d’un incompétent. Tu ne fais jamais rien qui ne serve tes desseins, or je ne vois pas à quoi ça t’avance de m’aider.

- Ça avance tout le monde. Vous aviez l’air perdu sans votre leader, et nous sommes à l’aube de notre offensive finale. Vous avez besoin de lui.

- D’accord, mais si c’est aussi simple que ça, pourquoi est-ce que tu n’as rien dit ? Et surtout, pourquoi est-ce que tu m’as laissé continuer à me casser la tête dans mon coin sur la formule du mutafix ?

- Parce que je n’avais pas l’intention que mon implication soit dévoilée. Je comptais t’accorder tout le crédit de cette réussite, mais le retour simultané de Marion et des autres a chamboulé mon plan.

- Et tu aurais gardé le secret juste pour que ta sœur accepte enfin de me pardonner ? fit Donnie d’un air soupçonneux. J’ai du mal à te croire. Qu’est-ce que tu ne me dis pas, Marianne ?

- Je n’ai rien à te dire.

La jeune femme arracha brutalement la plaque sur laquelle elle s’affairait avant l’arrivée de Donatello, dévoilant des fils effectivement hors d’usage pour la majeure partie. Il allait leur falloir des jours pour remettre ce technodrome en état. Elle espérait au moins que, d’ici là, les Mutanimaux auraient achevé leur part du travail.

- Marianne...

Donnie s’était approché d’elle silencieusement, comme le parfait ninja qu’il était. Elle le repoussa d’un mouvement sec lorsqu’elle sentit sa main lui effleurer l’épaule.

- Pourquoi est-ce que tu te comportes comme ça ? Les autres ont beau prétendre que tu es un robot, je suis certain que ce n’est pas le cas, alors pourquoi, rien qu’une fois, tu ne te confies pas à moi ?

- Pour te raconter quoi ? Qu’en rendant à Michelotto sa véritable apparence, j’ai signé irrémédiablement la perte de ma sœur, et que je ne tiens pas en plus à recevoir pour ça toute la reconnaissance dont elle voudra bien me gratifier ?

- La perte de ta sœur ? répéta Donnie. Que...

Il n’acheva pas de poser sa question, car la réponse lui apparut d’elle-même, sans que Marianne ait besoin de la formuler. Il venait de comprendre ce qui la taraudait. Elle avait peur Marion refuse de regagner la surface, même une fois qu’ils auraient sauvé la Terre et arraché New York aux tentacules des Kraangs. Qu’elle choisisse de rester avec son petit frère de cœur, plutôt que sa véritable sœur.

- Elle ne t’abandonnera pas, affirma-t-il. Elle t’aime, malgré tout le mal que tu te donnes pour étouffer tes sentiments et ceux que tu inspires aux autres.

- Tu n’as aucune idée de... Tu ignores ce qu’étaient nos vies avant l’invasion des Kraangs. Marion n’a jamais eu l’occasion de s’épanouir. Enfin, jamais avant que je la retrouve en compagnie d’une bande de tortues mutantes, d’une kunoichi, d’une hybride à moitié kraang et de... de... l’autre, là. DJ.

- Et toi, tu n’as aucune idée de combien tu lui as manqué. Quand Raph l’a rencontrée, elle affrontait seule un commando de Kraang. Elle aurait été prête à braver tous les dangers pour te retrouver, et c’est d’ailleurs ce qu’elle a fait quand elle a décidé de venir te rejoindre en dimension X après avoir reçu ton message. Elle aurait mis cet univers et le nôtre à feu et à sang pour toi s’il l’avait fallu.

- Autrefois, peut-être. Toujours là l’une pour l’autre... C’était moins un accord tacite qu’une évidence, puisque nous n’avions que l’une et l’autre. Mais maintenant, Marion vous a vous.

- En admettant... Si c’était vraiment ce qu’elle souhaitait, pourquoi est-ce que tu ne resterais pas, toi aussi ? Si votre vie est si terrible à la surface, tu ne serais pas prête à l’échanger pour ta sœur, même si ça implique de vivre dans les égouts ?

Marianne secoua la tête en signe de dénégation, sans l’ombre d’une hésitation.

- Je ne suis pas un robot, tu as raison. Je suis humaine. Et ma place est parmi les humains. Je ne te demande pas de comprendre, juste... C’est comme ça. J’ai passé trop de temps à me cacher, à cacher ma sœur, pour passer le restant de mes jours tapie sous terre. Ce que Marion veut, c’est une famille. Ce que je veux, moi, c’est être libre.

- C’est toi, sa famille.

- C’était moi, corrigea Marianne. Marion... Elle ressemble à notre père. Parfois pour le pire, comme tu en as fait les frais, mais aussi pour le meilleur. Elle est faite pour l’action, le combat. Elle tenait à peine debout quand elle lui a demandé de commencer à lui apprendre à manier l’épée. À l’époque, je me souviens, elle s’entraînait avec des tringles à rideaux. Maman se plaignait toujours qu’elles disparaissaient, et puis... elle est morte. Et tout a basculé. Fini les tringles à rideaux, fini les entraînements. On ne jouait plus, on se battait pour de vrai.

- Je pense que tu sous-estimes la loyauté de ta sœur. C’est justement pour ça qu’elle ne te laissera pas tomber, parce que vous avez traversé trop d’épreuves ensemble.

- Et je pense que tu sous-estimes ma capacité à éprouver des sentiments. Moi aussi, d’ailleurs. Jusqu’à récemment, je n’aurais pas pu me résigner à l’idée de retrouver New York sans elle, mais que ça me plaise ou non, je dois me faire une raison. Sa place est à vos côtés, désormais. Tu crois vraiment que je supporterais de la voir malheureuse avec moi, plutôt que de la savoir heureuse avec vous ?

- Je crois surtout que le problème ne mérite pas un avis aussi tranché. April et Casey arrivent à faire coexister leur vie à la surface avec celle qu’ils mènent dans les égouts.

- Pour l’instant, oui, mais après ? Quand ils auront fini le lycée ? Quand ils se marieront, sauf peut-être si c’est ensemble ? Quand ils auront des enfants ? À ton avis, quel choix feront-ils, à ce moment-là ?

Donnie n’aurait pas dû aborder ce sujet, car la réponse de Marianne lui fit le même effet qu’un coup de pied de Shredder en plein thorax. Ces mots qu’elle venait de prononcer, il les gardait enfouis profondément en lui depuis longtemps, sans jamais avoir eu le courage de s’y confronter. Et voilà que Marianne les lui jetait au visage...

Il lui fallut plus d’une minute pour encaisser le choc, assez pour permettre à la jeune femme de se détourner de lui et d’entamer un examen poussé des câbles. Elle venait d’en extraire un du ventre du panneau quand Donnie, au terme du délicat débat qu’il venait de se livrer, murmura :

- Très bien... Je suis prêt à endosser le mérite du mutafix à ta place, mais à une condition.

- D’accord.

- Je voudrais que tu...

- C’est d’accord, répéta Marianne d’un ton égal. Je te donnerai le résultat de mes travaux.

Évidemment, elle était bien trop perspicace pour ne pas avoir deviné ce que Donatello attendait d’elle en échange de sa coopération, et surtout ce qu’il comptait faire avec le fruit de ses recherches. Elle ajouta d’ailleurs :

- Dis-moi juste une chose, Botticelli... Tu penses vraiment qu’une fille qui refuse de t’aimer tel que tu es mérite que tu renies ta véritable nature pour elle ?

Donatello observa longuement Marianne. Pendant un temps, il avait pensé éprouver des sentiments à son égard, qui lui aurait peut-être permis de tirer un trait sur ceux que lui inspirait April, mais il se trompait. Son intelligence le fascinait, et il l’admirait pour cela. En revanche, Marianne n’était pas une femme à être, ni même à se laisser aimer. Hormis par sa cadette.

- Quelle personne sensée pourrait tomber amoureuse d’un mutant ? demanda-t-il.

- Ma sœur.

- J’ai dit sensée, se força à plaisanter Donnie. Et... Et tu te trompes. Elle considère Mikey comme son petit frère, rien de plus.

- Ce n’est pas à lui que je faisais allusion.

Ainsi, elle savait... Cela, en revanche, Donatello ne l’aurait pas soupçonné. Depuis quand était-elle au courant ? Il avait toujours songé que, si elle venait à découvrir la relation qui s’était tissée entre Raph et Marion, elle l’aurait désapprouvée. Avait-elle à ce point changé vis-à-vis de sa cadette ?

Au moins, il comprenait mieux ses craintes, à présent. Marion avait effectivement fait son choix. Et April aussi. Contrairement à la sœur de Marianne, elle avait choisi l’humanité.

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