Un combat de tous les instants

Chapitre 67 : L'armada

2974 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 16/06/2020 21:58

Marianne contempla son ouvrage. Elle avait mis un temps fou à reconstruire ses alambics, et l’ensemble de l’appareillage était encore plus instable que son prédécesseur, ce qui augmentait les risques de catastrophe. Il lui manquait des pièces, parfois d’importances, que les autres n’avaient pas réussi à lui rapporter.

Sans Mikey pour mener les opérations, c’étaient Raph et Casey qui effectuaient la plupart des missions, avec April et Léonardo pour les seconder. Comme Marianne s’y attendait, Marion avait été complètement abattue par le sort de son meilleur ami et avait passé des journées entières sans sortir du dortoir.

Quand, enfin, elle s’était résolue à mettre le nez dehors, cela n’avait été que pour rendre visite à Kraath, la jeune kraathatrogon. Avec Mikey juché sur son épaule, Marion avait réussi à vaincre sa répugnance pour la créature, à qui son maître manquait aussi.

Il lui avait cependant fallu beaucoup plus de temps pour consentir à repasser à l’action. Lorsque cela se produisait, elle faisait équipe avec Raphaël, mais quitter la zone sécurisée du laboratoire en sa compagnie et non celle de Mikey, son partenaire attitré, lui serrait toujours le cœur.

Il y avait tout de même un point positif, non pas à retirer de tout cela, mais qui était apparu durant cette sombre période. Les calculs et les travaux de Marianne avaient porté leurs fruits. En couplant les recherches qu’elle avait effectuées sur l’ADN d’April avec ses propres théories et déductions en lien avec l’univers kraang, elle pensait pouvoir mettre au point un rétro-mutagène deux fois et demie plus concentré que le précédent.

Elle cherchait le moyen de la perfectionner encore, mais en attendant, c’était mieux que rien. Cela leur permettrait de regagner un peu du temps qu’ils avaient perdu à cause de ce stupide accident.

Donatello étudiait la structure moléculaire des différentes plantes rapportées par Léo et April au cours d’une mission secondaire quand Marianne quitta l’annexe pour rejoindre le laboratoire principal. Elle annonça au ninja mauve qu’elle avait terminé sur un ton dépourvu de toute émotion.

- C’est... formidable.

Donnie n’était pas plus enthousiaste qu’elle. Les traces des coups que Marion lui avait infligés avaient disparu depuis presque trois semaines, mais c’était dans son cœur qu’il en souffrait encore, parce qu’au fond de lui, il savait qu’il les avait mérités. C’était lui qui aurait dû redevenir une simple tortue, pas Mikey.

Il avait craint, après l’accident, de devoir raser les murs pour échapper à la folie vengeresse de Marion, mais contre toute attente, il n’avait pas subi de représailles autres que celles qu’elle lui avait fait subir sur l’instant. Il aurait même pu croire qu’elle lui avait pardonné si les mots qu’elle avait prononcés, la première fois où il l’avait recroisée, alors que ses hématomes commençaient tout juste à se résorber, ne s’étaient pas gravés au fer rouge dans son esprit :

- Si tu ne trouves pas une solution pour Mikey dans les plus brefs délais, tu pourras aller frapper à la porte de Shredder, parce que le sort qu’il t’infligera sera tendre comparé à celui que je te réserve.

Donnie se demandait si elle serait vraiment capable de mettre une pareille menace à exécution. Il l’avait vue dans une rage telle qu’il lui était permis d’en douter, et surtout de la redouter, mais Raphaël lui avait affirmé que c’était plutôt bon signe, qu’il devrait même interpréter cela comme une marque de pardon de la part de Marion. Cela signifiait qu’elle lui offrait une chance de se racheter.

Marianne était également de cet avis. Elle ne se mêlait pas beaucoup des querelles au sein du groupe, mais elle lui avait tout de même assuré que sa sœur n’était pas capable de planifier une vengeance sur le long terme. Elle était impulsive, et quand elle s’emportait, c’était presque exclusivement sous l’effet de la colère, ou de la peur.

- Tu peux relancer la production de mutagène avec la nouvelle formule, indiqua Marianne. Mais il va falloir faire encore plus attention à la pression, parce que le problème risque de se répéter.

- Je serai attentif, promit Donnie.

« Même si j’aurais dû l’être bien avant... », songea-t-il amèrement.

***

- Fais la belle ! ordonna Marion.

Kraath s’exécuta aussitôt et se redressa de toute sa hauteur. Elle grandissait à vue d’œil, et bientôt, il faudrait agrandir son enclos. Marion avait envisagé de la laisser libre d’aller et venir à sa guise, à présent qu’elle s’était habituée à la créature et qu’elle avait pu constater par elle-même de sa docilité, mais les autres s’y étaient opposés.

- Roule.

Le ver extraterrestre bascula sur le flan et pivota sur lui-même à plusieurs reprises. Un animal de compagnie terrestre n’aurait pas mieux obéi.

- Fais le mort.

Marion esquissa l’un de ses rares sourires quand elle vit la kraathatrogon feindre l’agonie d’une manière très théâtrale. Si elle n’avait pas été une monstruosité née de l’univers kraang, une brillante carrière se serait sans doute offerte à elle à Broadway.

- Qu’est-ce que tu en penses ? demanda l’adolescente. Je ne suis finalement pas mauvaise en dressage de bestioles bizarres.

Pour toute réponse, Mikey lui donna un petit coup de tête par le menton. Si seulement elle avait la certitude qu’il la comprenait, qu’il était toujours là, quelque part sous cette apparence originelle, cela lui apporterait un peu de réconfort, en attendant que Donnie trouve une solution.

En partie grâce à Raphaël, sa rancœur à l’encontre du ninja mauve avait réussi à s’estomper, mais même si elle ne ressentait plus la colère qui l’avait poussée à se jeter sur lui dans le laboratoire, Marion ne supportait pas de le regarder en face, ni de lui parler. C’était la raison pour laquelle elle avait opté pour une menace qu’elle ne pensait pas vraiment. Elle voulait juste qu’il trouve une solution pour Mikey à n’importe quel prix, mais aussi qu’il garde ses distances avec elle, parce que le simple fait de poser les yeux sur lui lui rappelait les évènements de cette nuit-là.

- Tu crois qu’il va y arriver ?

Elle interrogeait souvent Mikey au gré de ses pensées, bien qu’il ne puisse ni les lire ni lui répondre. Malgré cela, Marion continuait, et elle n’avait pas l’intention de s’arrêter. Cela contribuait à lui rendre la situation un peu moins pénible.

- Est-ce que Donnie va réussir à refaire de toi notre mangeur de pizza préféré ?

Marion soupira. Elle n’en était pas certaine. Marianne aurait sûrement plus de chances d’y parvenir, mais accepterait-elle, une fois leur tâche en dimension X accomplie ? Même si elle avait appris à travailler avec les tortues, y compris avec Mikey, elle ne les appréciait pas, ou plutôt, elle leur était indifférente.

Marion repensa à la conversation qu’elle avait eue avec Raph au cours des heures qui avaient suivi l’explosion. Tout au fond d’elle, elle savait qu’elle n’avait aucune envie de retrouver le New York dans lequel elle évoluait autrefois. Comme elle l’avait affirmé au ninja rouge, ce n’était pas une vie. Sa vie avait commencé quand elle avait croisé son chemin, puis celui du reste de la bande.

Elle était bien plus heureuse dans les égouts qu’elle ne le serait jamais dans les rues de la ville. Elle détestait le lycée, elle détestait se heurter aux difficultés du quotidien. À bien des égards, son existence n’était pas plus terrible depuis que les extraterrestres avaient remplacé les citoyens.

Marianne, cependant, refuserait de l’entendre, tout comme elle refuserait que sa sœur continue à mener cette vie-là. À ses yeux, les égouts convenaient sans doute aux mutants, mais certainement pas aux humains qui avaient le choix. En conséquence de quoi, il ne serait pas dans l’intérêt de ses convictions de rendre à Marion le Mikey qu’elle chérissait tant.

Et Raph... La jeune fille n’avait pas vraiment réfléchi à l’avenir qui les attendait, tous les deux. Elle vivait surtout au jour le jour, puisqu’ils étaient susceptibles de tomber sous les lasers de l’ennemi à tout moment. Le futur ne leur réservait-il rien de bon ? Ne réservait-il rien de bon tout court ?

Elle n’avait jamais posé la question aux tortues, mais cela lui traversa brusquement l’esprit. Pourquoi se donnaient-ils autant de peine ? Elle se rappelait ce qu’elle avait dit sur Shredder, sur le fait que Splinter avait laissé à ses fils le soin de l’affronter alors qu’il était son ennemi. Cela valait aussi pour les Kraangs. Même si les tortues étaient nées de leur mutagène, les extraterrestres étaient les adversaires de l’humanité tout entière.

Pourquoi Mikey, Raph, Donnie et Léo luttaient avec un tel acharnement, au risque de tout perdre ? Dès que les humains auraient repris possession de New York, ils recommenceraient à se cacher, à ne sortir que la nuit et à protéger une population qui, si elle devait avoir vent de leur existence, les traiterait au mieux comme des monstres, mais certainement pas comme les héros qu’ils étaient en réalité.

Marion ferma les yeux et imagina qu’une brise légère lui caressait le visage, inexistante en dimension X où aucun vent ne soufflait. Rien n’avait de sens. Peut-être fallait-il tout simplement arrêter de réfléchir, de chercher une logique là où il n’en existait pas. Peut-être était-ce même précisément cela, la vie... Un imbroglio de choix et de hasards, de causes et de conséquences, de destin et de libre arbitre.

Alors qu’elle s’apprêtait à rouvrir les paupières, l’alarme retentit.

***

Léonardo et April abandonnèrent la navette furtive avec laquelle ils étaient partis en patrouille. Ils avaient donné l’alerte avant même d’atterrir, et Raph, Casey et Donnie se précipitèrent à leur rencontre. Marion mit plus de temps à les rejoindre, car l’enclos de Kraath se situait à l’autre extrémité de la plateforme.

- Une troupe massive de Kraangs marche vers nous, révéla Léo sans détour. Je pense qu’ils ont compris qu’ils n’arriveraient pas à percer nos défenses s’ils s’obstinaient par la voie des airs, bien que ce soit leur technique de prédilection, alors ils ont décidé de changer de stratégie.

- Quelles forces en présence ?

- On a repéré trois canons, plus d’une centaine de nano-soucoupes, autant de biotroïdes et cinq fois plus d’androïdes, énuméra April. Apparemment, ils ont décidé de ne pas lésiner sur les moyens.

- Je me disais bien que c’était trop calme, fulmina Raph. Ça fait quoi ? Dix jours qu’on n’a pas essuyé une seule attaque ? On aurait dû se douter qu’ils préparaient un gros coup.

- Qu’est-ce qu’on fait ? s’enquit Casey. On saute dans les vaisseaux furtifs et on va tirer dans le tas ?

Le ninja rouge approuva aussitôt son plan, mais Donatello tempéra :

- Vous avez envisagé la possibilité que ça puisse être une diversion ? Si on envoie les deux navettes à l’assaut et que le laboratoire subit une attaque en parallèle, il sera vulnérable.

- Je suis d’accord, admit Léo. Le problème, c’est que face à une armada de cette taille, une seule soucoupe ne suffira pas. Il va falloir convaincre Marianne de nous fournir des androïdes.

La jeune femme était toujours réticente quand il s’agissait d’envoyer des robots au combat. Ils en perdaient à chaque fois plus qu’ils n’en rapportaient d’assez intacts pour pouvoir être reprogrammés, or Marianne tenait à conserver un contingent en état de marche pour l’offensive finale qu’ils lanceraient contre la « ruche » où étaient détenus les New Yorkais.

- Elle est censé avoir du bon sens, non ? grogna Raph. À quoi nous servira une armée d’androïdes si le labo tombe avant qu’elle nous autorise à l’utiliser ?

Quoi qu’il en coûte à Léonardo, il fut forcé de reconnaître que son cadet avait raison. Après avoir acquiescé avec raideur, il déclara :

- Si Marianne accepte, il faudra au moins deux personnes pour diriger la troupe. April, tu es avec moi ?

Il se doutait déjà de sa réponse et ne fut pas surpris de la voir secouer la tête en signe de dénégation. Elle n’était pas mauvaise en combat, grâce à la formation que lui avait dispensée maître Splinter, mais elle demeurait tout de même moins expérimentée que les tortues et Casey, ou même que Marion qui maniait l’épée depuis l’enfance.

- Et moi ? fit cette dernière. On ne s’en est pas trop mal sortis quand on a combattu ensemble sur le toit, non ?

Léonardo opina. En réalité, il espérait qu’elle se proposerait à la place d’April, mais il ne le lui aurait pas demandé ouvertement. Depuis l’accident de Mikey, personne ne lui imposait rien. Quand elle prenait part à une mission, c’était uniquement parce qu’elle-même le voulait bien.

Raph, en temps normal, aurait sans doute émis une réplique désagréable visant à la fois Léo et Marion, mais plus rien n’étant normal, il s’abstint, malgré les nombreuses idées qui lui traversèrent l’esprit par réflexe, et le conciliabule prit fin. Tous ensemble, ils s’engouffrèrent dans le quartier général afin de rejoindre Marianne dans son laboratoire.

- Vingt-cinq, pas plus, s’inclina-t-elle au terme d’âpres négociations.

- Vingt-cinq ? s’exclama Casey. Face à une armada ? Tu sais ce que ça veut dire, au moins, armada ? Il y a des centaines de Kraangs qui convergent vers nous, et toi...

- Si vous n’êtes pas capable de vous en sortir avec ça, autant plier bagage et rentrer à New York, répliqua Marianne. Si j’accepte de vous fournir plus d’androïdes, vous me les ramènerez en bouillie, et qu’est-ce qu’il nous restera, après ça ? Les Kraangs auront juste à lancer une seconde attaque dans les prochains jours pour en finir avec nous.

- Elle n’a pas tort non plus de ce point de vue, admit Marion, au grand dam de ses amis.

- Et les pulsateurs d’ondes ? interrogea Léo. Il n’en reste plus ?

- Une demi-douzaine, c’est tout. Vous les avez presque tous utilisés lors de l’assaut sur le technodrome, et je manque de matériel pour en fabriquer d’autres.

Marianne avait mis au point de petites bombes neutralisatrices, moins puissantes que la technologie dont elle avait équipé sa précédente base kraang, mais tout de même très utiles en combat, car elles avaient un rayon d’action d’une vingtaine de mètres. Néanmoins, il fallait toujours les utiliser avec prudence, puisqu’elles détruisaient indépendamment toute forme de technologie, alliée ou ennemie.

- Une demi-douzaine... Ça peut le faire, commenta Raph. On part devant et on balance les pulsateurs sur les canons, parce qu’ils sont les plus à même de nous abattre en plein vol. On vous prévient dès qu’on a terminé, et vous deux, vous rappliquez avec les androïdes. Vous attaquez par ce qui ressemblera le plus à un flanc gauche, pendant qu’on se chargera de tous les Kraangs qui se trouveront sur celui de droite. Ça vous convient ?

Léonardo s’accorda quelques secondes de réflexion. Il aurait aimé mettre au point une meilleure stratégie que celle de son frère, mais l’inspiration lui manqua, et puisque le temps autant que les moyens leur étaient comptés, il renonça à chercher. À contrecœur, il approuva le plan.

- Je compte sur toi pour veiller sur lui en mon absence, dit Marion en déposant Mikey dans le creux des bras d’April.

Ce geste causa à Donnie une bouffée de chagrin. Il était le frère de Michelangelo, pourtant à cause de son erreur, on le traitait comme un étranger vis-à-vis de lui. Il se garda toutefois d’en émettre la remarque. De quel droit se plaindrait-il de cette situation dont il était l’unique responsable ?

- Je vais chercher les pulsateurs d’ondes, annonça Raph. Casey, mets la navette furtive en marche. Vous deux, vous êtes prêts ?

Marion retroussa ses manches et décrocha de son poignet le morceau de tissu orange qui y était noué. Il s’agissait du bandana de Mikey, qu’elle avait pris l’habitude de porter à chacune de ses missions. Elle le plaça au niveau de ses yeux, l’attacha derrière son crâne, puis hocha la tête pendant que Léonardo confirmait :

- Prêts.

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