Un combat de tous les instants

Chapitre 66 : En éclats

3017 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 06/06/2020 21:37

- Mikey ! s’égosilla Marion. Mikey !

C’était à peine si elle entendait le son de sa voix. L’explosion l’avait assourdie. Un pan de la cloison métallique avait été arraché et s’était effondré sur Donatello, dont seule une patte dépassait. April gisait non loin de lui et tentait de se redresser sur un coude, à demi-sonnée.

- Qu’est-ce qui se passe ? cria Léonardo en faisant irruption. Nom d’une carapace, que...

- Mikey est là-bas ! hurla Marion, hystérique, les yeux gorgés de larmes. Il est... Il a...

Le ninja bleu n’attendit pas qu’elle soit en mesure d’articuler une explication cohérente. Il l’enjamba pour s’enfoncer dans le nuage de vapeur, qui était en train de s’évaporer. La visibilité redevint correcte juste à temps pour éviter à Léonardo de mettre le pied dans une flaque visqueuse d’un jaune verdâtre, parsemée d’éclats de verre. Du rétro-mutagène.

- Oh non, Mikey...

Marion enfouit son visage entre ses mains. Elle ne voulait pas voir cela. Et si son ami était... Si l’explosion l’avait... Elle éclata en sanglot. April se traîna jusqu’à elle pour entourer son buste de ses bras, mais cela ne la rasséréna en rien. Seules les paroles de Léo lui apportèrent une once d’espoir.

- Il est vivant, Marion, mais...

- Mais quoi ?

Elle risqua un regard en direction du ninja. Il venait de se pencher pour ramasser quelque chose sur le sol. Lorsqu’il se redressa, elle découvrit qu’il s’agissait d’une tortue tout ce qu’il y avait de plus ordinaire, enveloppée dans un bandana orange. Non... Non, cette tortue n’avait rien d’ordinaire. C’était Mikey, son Mikey. Il avait été rétro-mutagéné.

Un bruit métallique l’arracha à sa contemplation effarée du petit reptile que Léo tenait entre ses pattes. Donnie repoussa la tôle sous laquelle il était affalé, et Marion se jeta sur lui sans attendre qu’il se soit complètement dégagé. De son poing à la force surhumaine, elle le frappa à la tête. Sous la violence du choc, le crâne du ninja rebondit contre le sol.

- C’est ta faute ! s’époumona-t-elle en continuant de marteler sa face et son torse, au point de fissurer sa carapace. Il a essayé de te prévenir ! Il avait dû voir que l’alambic était sous pression, et toi, stupide génie de pacotille, tu...

- Marion, arrête ! s’exclama April. Tu vas le tuer si tu continues !

Elle agrippa la jeune fille par le bras, mais Marion n’eut aucun mal à se dégager et se remit à frapper Donatello de plus belle. Si Raphaël, Casey et Marianne ne les avaient pas rejoints au même instant, les secondes du ninja mauve auraient certainement été comptées.

Raph et Casey ne perdirent pas de temps à essayer de comprendre ce qui s’était passé avant leur arrivée. Ils empoignèrent chacun Marion par une épaule et réussirent à l’éloigner de Donnie, auprès de qui April s’agenouilla. L’adolescente chercha à échapper à l’étreinte de ses deux amis, mais Marianne se dressa face à elle et la gifla, à la surprise générale.

- Ça suffit, ordonna-t-elle d’une voix si naturellement autoritaire qu’elle n’eut même pas besoin de hausser le ton. Sauf si tu as envie de devenir la copie conforme de notre père.

Marion cessa net de s’agiter. En sueur, le souffle court, elle se serait sans doute même effondrée si Raph et Casey ne l’avaient pas tenue. Ce dernier la relâcha afin de permettre à la tortue de l’asseoir sur le sol. Le regard dur de Marianne se voila de dépit lorsqu’il balaya les alentours pour constater l’étendue des dégâts.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle avec raideur.

Donnie, calé sur l’épaule d’April, cracha un filet de sang. Sans oser lever les yeux vers la jeune femme, il murmura :

- Surpression.

- Comment est-ce qu’une surpression a pu se produire ?

- Quelque chose a dû lâcher quelque part, et ça a entraîné la formation d’un bouchon, total ou partiel. C’est la seule explication que je vois.

- La vraie explication, c’est qu’on a eu au moins trente secondes pour intervenir, mais qu’il les a gaspillées, siffla Marion. Et maintenant, maintenant...

Elle posa des prunelles implorantes sur Léonardo, qui avança jusqu’à elle pour déposer Michelangelo sur ses genoux. Raph et Casey restèrent bouche bée en comprenant de quoi il en retournait.

- Est-ce que quelqu’un pourrait avoir l’amabilité de m’expliquer les faits de façon complète et cohérente, s’il vous plaît ? s’impatienta Marianne.

- J’ai été réveillée par une intuition, raconta April. J’avais anticipé la catastrophe, et mes perceptions m’ont guidée jusqu’ici, avec Marion et Mikey. Il a compris qu’il y avait un problème avec l’une des bonbonnes, mais...

- Mais cet idiot a refusé de l’écouter ! On sait tous que tu ne veux pas de nous dans ton labo, et personne ne se serait risqué à y mettre un pied sans y avoir été invité si on n’avait pas estimé que c’était nécessaire.

Marion pressa la petite tortue contre elle, puis plongea ses yeux dans ceux, minuscules, de l’animal. Mikey était-il encore lui-même ? Ou son cerveau était-il redevenu celui d’un simple reptile ? La reconnaissait-il seulement ?

- Je lui rendrai son apparence, Marion, murmura Donnie. Je te le j...

- Toi, la ferme ! Ne t’avise plus jamais de m’adresser la parole, c’est clair ?

- June, ramène ma sœur au dortoir, intima Marianne en se pinçant l’arête du nez d’un air las, ce qu’elle était, faute d’avoir pu achever son cycle de sommeil.

- Je m’en occupe, intervint Raphaël.

Il souleva Marion avec toute la délicatesse dont il était capable et la cala contre son torse, tandis qu’elle-même continuait à serrer Mikey dans ses bras. Marianne attendit qu’ils aient quitté la pièce pour reprendre la parole.

- Il va me falloir des jours pour reconstruire une machine à rétro-mutagène. Peut-être même des semaines, étant donné qu’on manque de matériel. Est-ce que vous allez pouvoir m’en procurer d’autre, sans votre fer de lance ?

- On se débrouillera, assura Léonardo.

- Et toi ! ajouta-t-elle en se tournant vers Donatello. Toi qui as passé tant de temps à me convaincre des qualités de Michelotto dans cette dimension... Pourquoi est-ce que tu as refusé de l’écouter ?

- Je croyais que... Je pensais...

Donnie secoua la tête. Il n’avait aucune excuse. Tout ce qu’il avait cherché à faire, c’était protéger les alambics de Mikey, mais son cadet n’avait jamais commis un seul faux pas dans la dimension X, contrairement à la Terre où il les accumulait. Qui plus est, Marion avait raison. Personne, pas même son cadet, qui multipliait pourtant les frasques, ou Raph, qui avait une sainte horreur des ordres, ne se permettait plus depuis longtemps d’enfreindre les règles de Marianne.

- Va chercher les androïdes et donne-leur l’ordre de nettoyer cet endroit. DJ, prends ton tour de garde. Les moniteurs sont restés sans surveillance trop longtemps. Et Lorenzo... Trouve-toi un coin où dormir. April et moi allons nous installer dans votre dortoir pour cette nuit.

Le ninja bleu songea à protester face à cette injustice, mais il se ravisa. Étant donné l’état dans lequel Marion avait mis Donatello, il valait mieux la laisser seule, ou du moins seule avec Raphaël. Il n’y avait que lui qui soit capable de rivaliser avec la violence que la jeune fille avait dévoilée un peu plus tôt.

- Demain matin, une fois que tout le monde – ou presque tout le monde – se sera remis des événements de la nuit, nous nous réunirons pour réfléchir à ce que nous allons faire. Dans l’immédiat, je doute que quiconque soit en mesure de se concentrer.

April observa Marianne. Cela ne lui ressemblait pas de se montrer aussi patiente, et surtout aussi compatissante, mais elle supposa que, en dépit de son impassibilité, la réaction furieuse et agressive de sa sœur avait dû la toucher.

***

Marion, étendue sur sa couchette, avait tant pleuré qu’il ne lui restait plus aucune larme dans le corps. Raphaël, assis sur le lit d’April, s’était contenté de la laisser sangloter sans prononcer un mot, après qu’elle l’eut repoussée lorsqu’il avait tenté de lui prendre la main.

Cela l’aurait peut-être blessé, en d’autres circonstances, mais pas là. Marion était bouleversée, et chacune de ses réactions, aussi brutales soient-elles, n’était que le reflet de sa souffrance.

Raph inclina la tête vers la gauche pour regarder Mikey évoluer sur les couvertures. Sous cette forme, il lui rappelait beaucoup Slash à l’époque où il n’était que Spike, sa tortue naine. Malgré toute l’affection qu’il avait eu pour elle, il n’arrivait pas à croire que son cadet ait désormais lui aussi cette forme.

Il fit tournoyer entre ses doigts le bandana orange, duquel il avait dépêtré le petit animal. Michelangelo lui avait toujours donné l’impression d’être un enfant vulnérable, mais jamais aussi vulnérable qu’en cet instant. Et que dire de Marion, que même sa blessure à l’épaule n’avait pas fragilisé autant ?

Elle avait perdu son meilleur ami, les ninja avaient perdu leur frère, et surtout, ils se retrouvaient sans leader, en plein cœur de la dimension X. C’était à se demander s’il ne valait mieux pas tout abandonner et rentrer à New York, voire à North Hampton, en dépit de tout le mal qu’ils s’étaient déjà donnés depuis leur arrivée.

- Qu’est-ce qu’on va faire, Raph ?

L’intéressé sursauta. Après un aussi long mutisme, il ne s’était pas attendu à ce que Marion prenne soudain la parole, même si elle ne l’avait fait que dans un murmure tout juste audible. Il souleva Mikey pour le caler sur son épaule et alla s’agenouiller près d’elle.

- Pour la mission ? Ta sœur est une teigne, elle ne renoncera jamais. Elle va réparer son machin et se remettre au boulot, vu que c’est la seule chose qu’elle sait faire. Et qu’elle la fait plutôt bien.

Marion était trop troublée pour réagir au premier – et assurément au dernier – compliment que Raph formulait à l’égard de Marianne. Elle se contenta de se laisser glisser jusqu’à la tortue et de plaquer le sommet de son crâne contre le sien.

- Pour tout, souffla-t-elle. On a besoin de Mikey. J’ai besoin de Mikey.

- Tu n’as besoin de personne, Marion. Tu es une survivante. Tu as passé des semaines toute seule dans une ville tombée entre les tentacules des Kraangs, tu as vécu des choses effroyables, autrefois, et pourtant, tu as tenu bon.

- Tu appelles ça tenir bon, Raph ? Vivre dans un taudis, galérer pour subsister et multiplier les précautions pour ne pas tomber entre les mains des services sociaux ? Ma sœur est devenue un robot, et moi, je suis comme...

Marion n’acheva pas sa phrase, mais elle serra le poing et le contempla, ce même poing avec lequel elle avait martelé le visage de Donatello. Marianne avait raison. Cette réaction était digne de son père, et encore... Elle avait toujours plus ou moins réussi à se défendre face à lui, alors que le ninja mauve n’avait eu aucune chance de se soustraire à sa fureur et à sa force.

- Je pense qu’on a tous une part de violence en nous, commenta Raph. Simplement, certains la maîtrisent mieux que d’autres. Mieux que moi, en tout cas.

- Je sais que je lui ressemble. Je crois que je l’ai toujours su. Cette colère, cette rage... Je m’efforce de la refouler, même si je ne peux rien contre mon mauvais caractère, mais parfois, je... Je sens bien que je suis comme lui. Quand je suis trop énervée, trop blessée pour me contrôler, je... J’explose. Et dans ces moments-là, en quoi suis-je différente de lui ?

- Déjà, tu te poses la question. Tu crois qu’il le faisait, lui ? Il n’était sans doute même pas assez sobre pour ça.

- J’ai frappé Donnie. J’ai frappé un ami. Je voulais qu’il ait aussi mal que moi.

- Parce que tout était de sa faute. Marion, on sait tous que tu considères Mikey comme ton petit frère, et les liens fraternels sont sacrés, chez toi. Il suffit de voir comment tu te comportes avec le choléra alors qu’on a juste tous envie de la pousser dans la gueule d’un kraathatrogon...

Marion aurait aimé esquisser un sourire, mais elle n’y parvint pas. Raphaël porta sa main à sa joue, et elle ne se déroba pas. De l’autre, elle effleura la tête de Mikey, qui dépassait à peine de sa carapace.

- Tu n’es pas ton père, insista Raph. Tu es... toi. Une tête à claque à l’humeur exécrable qui manie l’épée comme personne, qui aime Michelangelo comme personne, et dont je suis tombé amoureux.

Cette fois, Marion réagit. Elle se redressa sur un coude, bouche bée, et ouvrit des yeux ronds.

- Tu... Qu’est-ce que tu as dit ?

- Que je t’aime. Voilà. Mikey voulait que tu le saches. J’aurais déjà dû te l’avouer à North Hampton, avant que Marianne mette au point ton mutaremède, mais je n’ai pas eu le cran de le faire.

- C’était donc si terrible à prononcer ?

- Pas à prononcer, mais je pensais que ça n’avait aucun sens. Quand les Kraangs seront vaincus... Enfin, s’ils sont vaincus, la vie reprendra son cours à New York, et toi... Un jour, la chance tournera pour toi, elle te sourira. Tout te sourira. Tu deviendras la meilleure escrimeuse des États-Unis, mais ça, ça se passera à la surface, tandis que moi, je resterai toujours une créature des bas-fond.

- Tu n’es pas une créature des bas-fond, affirma Marion. Et ma chance a déjà tourné. Elle l’a fait le jour où je t’ai rencontré. C’est dans les égouts que je me sens vivante, avec vous. Tu as raison, Mikey est mon frère, et tous ensemble, nous sommes une famille, un concept que je croyais avoir oublié. Pendant longtemps, ça n’a plus été que Marianne et moi.

- Mais maintenant, il y a April et Casey. Vous aurez des amis sur qui compter. Vous ne serez plus seules. Et vous reviendrez tous les trois, parce que je me doute bien que le choléra préférerait se casser l’autre jambe plutôt que de nous revoir, nous faire un petit coucou de temps en temps. Tu es une humaine, Marion, et moi une tortue. Il n’y a rien pour nous, aucun avenir. Tôt ou tard, la même barrière que celle qui sépare April de Donatello se dressera entre nous.

L’adolescente ne répondit pas. Michelangelo avait quitté l’épaule de Raphaël pour grimper sur ses genoux, et elle l’observa avec tristesse. Sa carapace semblait presque trop grande pour lui, à moins que ce ne soit son corps qui paraisse minuscule.

- Tu devrais lui pardonner, conclut Raph. Peut-être pas maintenant, et peut-être pas en effaçant toute trace de rancune, mais on a tous commis nos erreurs, moi plus que quiconque.

- Léo t’a pardonné, lui ?

- Si tu te compares à Léo, je vais commencer à me demander ce que je fais ici. Ni lui ni moi ne sommes des exemples à suivre, mais Donnie, c’est un brave gars qui s’efforce toujours de faire de son mieux. Même là, je suis convaincu qu’il ne pensait pas mal agir. Le malheur qu’il a provoqué partait sûrement d’une bonne intention.

- Tu as conscience que tu ne fais qu’accroître ma culpabilité en me disant ça ? souligna Marion.

- Je suis sûr qu’il ne t’en veut déjà plus, ou en tout cas, qu’il s’en veut encore plus qu’à toi.

La jeune fille ferma les yeux, fatiguée par le manque de sommeil et toutes les larmes qu’elle venait de verser. Elle se laissa retomber sur le flanc, tout en pressant Mikey contre son ventre. Raph l’embrassa sur le front.

- Repose-toi. Tu y verras peut-être plus clair demain matin.

- Tu restes là ?

- Aussi longtemps que tu voudras, assura-t-il avec un sourire un peu forcé.

- Raph ? murmura Marion d’une voix molle. Ça ne te ressemble pas de me dire tout ça. C’est trop... attentionné.

- Oui, je sais, mais tu l’as dit tout à l’heure. Dans ces moments-là, c’est d’un Mikey dont tu as besoin. Un Raph grognon ne te sert à rien.

Le visage de Marion se détendit un peu, et elle raffermit son étreinte autour de la petite tortue. Le temps pour Raphaël de remonter sa couverture jusqu’à son menton et de la border, elle s’était endormie.

Laisser un commentaire ?