Un combat de tous les instants

Chapitre 16 : Sur le fil du rasoir

3491 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:37

Marion et April posèrent Donatello en douceur sur le sol avant de s'effondrer à demi sur lui, haletantes. Elles n'avaient pas parcouru quatre cents mètres qu'elles étaient déjà épuisées. Il avait beau s'agir de la plus mince des tortues, c'était également la plus grande. De ce fait, elle pesait son poids, que les deux adolescentes avaient des difficultés à soulever.

- Il est trop lourd, on n'y arrivera jamais, gémit la rouquine. On n'a même pas parcouru un tiers du chemin et je ne sens plus mes bras.

Son amie ne pouvait lui donner tort, car ses muscles étaient encore plus douloureux qu'après un entraînement intense d'escrime. L'une était une kunoichi novice, l'autre une bretteuse d'exception, mais ni l'une ni l'autre n'avait la force physique nécessaire pour transporter un mutant à travers les égouts.

- J'aurais bien suggéré de fabriquer une civière et de le traîner derrière nous, mais ce n'est certainement pas ici que nous allons trouver du matériel, commenta Marion, dépitée.

Elles restèrent silencieuses quelques minutes, afin d'en profiter pour reprendre leur souffle. L'effort leur donnait soif, or elles n'avaient pas d'eau à leur disposition, hormis celle nauséabonde qui s'écoulait dans les différents boyaux souterrains.

Qui plus est, Marion était inquiète pour Michelangelo. Si Raphaël s'était retrouvé en mauvaise posture au point de devoir appeler à l'aide, alors qu'il était le meilleur combattant du groupe, et aussi celui qui avait l'égo le plus démesuré, cela signifiait à n'en pas douter qu'il s'était heurté à un, voire plusieurs adversaires redoutables.

Certes, Mikey était avec Leatherhead, mais à la vue de l'état dans lequel se trouvait Donnie suite à un face à face avec lui, cette pensée était loin de lui apporter un quelconque réconfort.

- Bon... Il faut qu'on s'y remette avant de ne plus avoir la force de continuer à avancer du tout, indiqua April d'un ton las.

A contrecoeur, Marion l'approuva et, de façon concomitante, elles se mirent debout. Alors qu'elles empoignaient respectivement les épaules et les jambes de Donatello, le T-Phone de celui-ci se mit à sonner. Elles échangèrent un regard surpris, car cet appel ne pouvait provenir que de Léo. Avait-il réussi à localiser Karai ?

Comme l'adolescente auburn était la plus proche du mobile de Donnie, ce fut elle qui décrocha. Elle porta l'appareil à son oreille et prononça un « allô » encore un peu essoufflé. Ce fut au tour de Léonardo d'être étonné. Sa voix, quoique très difficile à entendre à cause du manque cruel de réseau, trahissait sa stupeur.

- Marion ? Qu'est-ce que tu fais avec le T-Phone de Donatello ? Tu n'étais pas censée être restée au repaire ?

- Quoi ? Je t'ai laissé deux messages pour t'expliquer la situation ! Tu ne les as pas écoutés ? Et si tu ne l'as pas fait, pourquoi est-ce que tu appelles, d'ailleurs ?

- J'ai retrouvé Karai, sauf qu'elle m'a mordu et ses crochets sont empoisonnés. Je vais avoir besoin d'un antidote dans les plus brefs délais.

- Ce n'est pas vrai ! s'exclama l'adolescente. C'est une catastrophe !

- Non, ça va, ça pourrait être pire. Enfin, ça le sera si Donnie n'intervient pas, parce que...

- Tu ne comprends pas, c'est la situation qui est catastrophique. Donnie est inconscient suite à une rencontre impromptue avec Leatherhead, qui est lui-même parti avec Mikey secourir Raph et Casey, car ils ont envoyé un signal de détresse. C'est plus ou moins ce que j'ai déjà expliqué à ton répondeur.

- Où êtes-vous ? interrogea Léo, dont les paroles étaient de moins en moins audibles.

- Nous marchons en direction du repère. Nous aurons bientôt atteint la rame 8 du métro. Et toi ?

- Je n'en ai pas la moindre idée, et il n'y a pas assez de réseau ici pour me permettre de vous pister par GPS.

- Et les traceurs ? s'enquit April, qui s'était efforcée de suivre la conversation, car Marion avait activé le haut-parleur. Si nous activons l'un de ceux que nous gardions pour Karai, ils émettront un signal directement lié à ton T-Phone par le biais de l'application que Donnie avait pré-installé.

- Excellente idée.

L'adolescente glissa sa main dans la poche de son short et enclencha le micro-appareil afin qu'ils libèrent ses ondes. La voix de Léo, entrecoupée de grésillement, leur indiqua quelques secondes plus tard qu'il les avait repérés.

- Vous êtes loin ! se lamenta-t-il. J'ai peur que les effets du venin ne progressent trop rapidement pour me laisser le temps de vous rejoindre.

Marion plaqua une main contre son front afin de réfléchir à une solution. Mikey allait sûrement avoir besoin de Léo, Léo avait besoin de Donnie, Donnie avait besoin de maître Splinter. Comment allaient-ils se sortir de ce cercle vicieux ? Alors qu'elle se posait la question, elle eut une illumination.

- Eh ! s'exclama-t-elle. April, Michelangelo m'a dit que tu avais réussi à infiltrer la conscience des tortues à North Hampton, lorsqu'elles étaient sous l'emprise des Démons des Rêves.

- Oui, mais elles dormaient. Il m'a simplement suffi de les tirer du sommeil. Là, il faudrait guérir Donnie pour qu'il revienne à lui, or mes pouvoirs ne me le permettent pas.

- Non, mais si tu as accès à son esprit, il peut t'expliquer quel genre d'antidote préparer afin de soigner Léonardo. Si ça fonctionne, tu fonces à son labo le préparer, tu en profites pour avertir maître Splinter que son aide serait la bienvenue pour Donnie, pendant que moi, je reste ici et je continue à faire la liaison entre tout le monde.

April ne mit que quelques secondes à acquiescer, en dépit de son scepticisme premier. Le plan que Marion venait d'énoncer était le meilleur, et surtout le seul, qu'ils avaient à leur disposition pour tenter de sortir de cette impasse.

- Léo, il va falloir que tu me décrives tes symptômes avec précision, lança la rouquine d'un timbre assez fort pour qu'il puisse l'entendre.

- J'ai l'impression que mes muscles s'engourdissent progressivement. Ma vision se trouble et je suis pris de vertige, par instants. Pour le moment, c'est supportable, mais ça progresse vite. À cette allure, je dirais que d'ici une bonne vingtaine de minutes, je ne serai même plus en état de tenir debout.

- D'accord. Je vais essayer de faire au plus vite, mais je ne te promets rien. Garde ton T-Phone à portée de main. Nous te rappellerons dès que nous aurons du nouveau.

Marion rompit la communication et ramena son attention sur April, qui avait déjà plaqué ses deux mains sur le crâne de Donatello. Les paupières closes pour mieux se concentrer, elle semblait être entourée par un léger halo clair. Soudain, sa tête bascula vers l'avant, pour ne plus être qu'à quelques centimètres de celle de la tortue. Elle avait réussi à pénétrer son esprit.

***

Michelangelo et Leatherhead, après avoir suivi le signal émis par le T-Phone de Raphaël, retrouvèrent l'appareil sur le sol d'une galerie, l'écran méchamment fendu. Il n'y avait aucune trace du ninja au bandeau rouge, pas plus que de Casey. En revanche, des gouttes de sang maculaient le sol par endroits.

- Oh non ! paniqua aussitôt Mikey. Qu'est-ce qui a bien pu leur arriver ? Il... Nous... Je... Argh ! Ils sont tous morts !

- Je t'ai connu plus positif que ça, mon jeune ami. Regarde cette trace, là-bas. On dirait que quelque chose a été traîné sur plusieurs mètres, avant d'être soulevé.

Le crocodile mutant désigna une trainée écarlate, dont ils se rapprochèrent afin de mieux l'examiner. Michelangelo admit que son partenaire avait raison et que ses amis avaient certainement été enlevés. Alors qu'il se demandait par qui, la réponse lui sauta aux yeux. De longues estafilades marquaient la paroi en face d'eux, qu'il n'eut aucun mal à identifier.

- Rahzar ! s'exclama-t-il. Il était sans doute avec Fishface, voire Tiger Claw. Pas étonnant que Raph et Casey n'aient rien pu faire. Il faut qu'on les retrouve, mais face à eux, on n'a aucune chance.

La tortue se mit à courir dans tous les sens, les pattes plaquées contre son crâne, alors que sa voix se faisait de plus en plus aiguë. Il était en proie à la panique la plus totale et Leatherhead n'eut pas d'autre choix que celui de l'attraper par la carapace afin de l'immobiliser. Il pouvait parfois se montrer aussi calme qu'il n'était violent, comme c'était le cas en cet instant.

- Cherchons-les. Avec un peu de chance, ils n'auront pas eu le temps de quitter les égouts.

- Ou peut-être qu'ils les ont déjà livrés à Shredder. Oh non ! Il va transformer Raph en soupe de tortue et Casey en... Je ne sais même pas quel plat on cuisine à base d'humain !

- Michelangelo, tu as peut-être encore une chance de les sauver, ne la gâche pas en paniquant inutilement.

Le jeune mutant prit une profonde inspiration pour tenter d'étouffer son angoisse. Cela fonctionna à demi. Il réussit à s'apaiser suffisamment pour emboîter le pas à Leatherhead, qui se dirigeait déjà vers un tunnel adjacent, mais pas assez pour interrompre son flot précipités de paroles.

- Et si Tiger Claw est là ? Il est pratiquement impossible à vaincre. Oh, je sais, toi tu es un grand costaud, mais une fois qu'il t'aura tiré deux ou trois lasers dessus, tu...

- Ne t'inquiète pas pour moi, mes écailles sont résistantes. Qui plus est, j'ai survécu aux Kraangs et à la dimension X. Ce n'est certainement pas un gros chat qui va m'effrayer, même armé.

- Toi non, mais moi oui. Gloups...

Mikey continua à déblatérer ainsi durant de longues minutes, jusqu'à ce qu'un cri finisse par couvrir le son de sa voix. Il s'interrompit immédiatement pour tendre l'oreille. Le bruit d'une eau agitée lui parvint, ainsi que des rires tonitruants. Il désigna immédiatement une galerie à Leatherhead.

- Par là !

Ils se mirent à courir dans la direction que la tortue venait d'indiquer, pour arriver sur la rive d'un bassin au coeur duquel s'était formé un puissant tourbillon. Les pieds de Raph et de Casey, suspendus à un crochet, frôlaient presque sa surface. Ils étaient en piteux états, tous les deux, couvert d'estafilades et ensanglantés.

Fishface envoya une nouvelle décharge sur le bandeau rouge à l'aide de son pistolet électrique. Contrairement à l'adolescent, Raphaël n'avait pas encore hurlé de douleur, mais des gémissements lui échappaient. Il ne pouvait lutter contre eux, sa souffrance était bien trop grande.

- Tenez bon, les amis ! s'écria Mikey. On arrive ! Booyakasha !

Sans réfléchir une seule seconde, il s'élança, ses nunchakus à la main. Il savait qu'il ne pourrait libérer les deux prisonniers que s'il parvenait d'abord à vaincre les trois sbires de Shredder, alignés sur la rive opposée, car ceux-ci ne le laisserait jamais faire. Il sauta sur un tuyau, qui fit en l'occurrence office de pont, et chargea. Leatherhead, après avoir poussé un rugissement féroce, l'imita.

Tandis que Michelangelo fondait sur Rahzar, son ancien meilleur ami devenu son pire ennemi, le crocodile mutant chargeait Tiger Claw. Il fut accueilli par une salve de lasers tirés de son pistolet. Alors que le combat commençait à faire rage, Raphaël, réagissant à l'arrivée salutaire de son frère, s'écria :

- Mikey, le levier ! Actionne le levier !

Même si la tortue ne pouvait pas les délivrer immédiatement, elle pouvait interrompre la progression de la chaîne, qui les enfonçait dans l'eau. Celle-ci leur mouillait désormais les genoux, à Casey et à lui. Comme elle était glacée, l'adolescent frissonnait à son contact, au contraire du ninja qui était relativement protégé grâce à ses écailles de reptile.

- Le levier ? Quel levier ? s'enquit son cadet, tout en esquivant les excroissances tranchantes de Rahzar.

- Celui qui est contre le mur ! Dépêche-toi !

Mikey chercha rapidement des yeux l'objet que Raphaël tentait de lui décrire, mais alors qu'il balayait les environs du regard, tout en continuant à parer les assauts de son rival, il reçut un projectile dans le dos. Il s'agissait de Fishface, violemment repoussé par Leatherhead, de nouveau gagné par la folie du combat.

Face contre le ciment, Michelangelo eut juste le temps de rouler sur le côté pour échapper aux griffes de Rahzar. Le choc avait été si puissant que sa carapace lui semblait presque douloureuse, mais cela ne l'empêcha pas de sauter sur ses pieds et de reprendre la lutte.

- En face de toi ! continuait de s'époumoner Raph.

Enfin, l'insouciant bandeau orange repéra la tige métallique dont il lui parlait. Il voulut se précipiter vers elle, cependant Fishface, également remis du contre coup, lui barra la route. Mikey devait désormais faire face à deux ennemis, pendant que Leatherhead menait toujours un combat acharné face à Tiger Claw.

Il fit tournoyer ses nunchakus et visa. Si l'un d'eux atteignit le poisson au flanc, Rahzar arrêta le second entre ses lames, pour le trancher avec autant de facilité que si la chaîne avait été en tissu. La tortue avala péniblement sa salive.

- Pas bon, ça.

Les pattes mécaniques de Fishface lui décochèrent un violent coup de poing, qui le propulsa vers le tourbillon, dans lequel Raph et Casey étaient désormais à moitié engloutis. Il se rattrapa de justesse à une bordure humide et, à la force de ses bras, se hissa sur la berge bétonnée.

Il n'avait aucune chance, seul face aux deux bras droits de Shredder, or Leatherhead, malgré la violence de ses attaques, peinait à prendre l'ascendant sur Tiger Claw, qui lui avait infligé de nombreuses blessures sur le poitrail à l'aide de ses tirs puissants. Il avait déjà trop affaire de son côté pour songer à lui prêter main-forte.

À l'aide de son kusarigama, il se suspendit à l'un des tuyaux qui couraient le long du plafond et grimpa à la chaîne. Il espérait se balancer par-dessus la tête de ses deux ennemis afin d'atteindre le levier qui épargnerait à ses amis une noyade certaine, mais Rahzar, comprenant son plan, se tourna vers la barre de fer, qu'il sectionna aussi aisément que l'arme de Mikey.

- Non ! hurlèrent en choeur la tortue, Raphaël et Casey.

Michelangelo, après s'être réceptionné sur le sol, observait avec effroi le mécanisme, qu'il n'avait désormais aucune chance de manipuler. Totalement abattu, il ne prêta pas la moindre attention à Fishface, qui le projeta contre le mur. Celui-ci se fissura et Mikey s'effondra à terre, sous le regard inquiet et impuissant de son frère.

***

Marion était en train d'observer le signal émis par le T-Phone de Raphaël, qui s'était déplacé et qui s'agitait désormais dans tous les sens. Cela signifiait-il que Michelangelo l'avait retrouvé et qu'ils étaient en train de combattre ? A la vue des mouvements brutaux réalisés par le point rouge, elle n'en doutait pas.

L'appareil de Donatello sonna au même instant, ce qui détoura son attention de l'écran. Il s'agissait de Léonardo, dont la voix était très faible au bout du fil. Ce n'était pas à cause du manque de réseau, cette fois-ci, mais du poison qui le vidait de ses forces.

- Marion, je ne vais pas tarder à perdre connaissance. J'ai résisté aussi longtemps que possible, mais...

- Où es-tu ? interrogea-t-elle aussitôt.

- Plus très loin. À quatre galeries au sud. Qu'est-ce que fait April ?

- Elle m'a envoyé un message il y a cinq minutes pour me dire qu'elle était arrivée au repaire et qu'elle s'efforçait de fabriquer l'antidote. Elle m'a aussi indiqué que maître Splinter allait venir me rejoindre, pour s'occuper de Donatello.

- D'accord. Dis-lui qu'elle doit faire vite.

- Compte sur m...

L'adolescente n'acheva pas sa phrase. Le point représentant le T-Phone de Raphaël s'était à nouveau immobilisé. Elle attendit quelques secondes, dans l'espoir qu'il recommence à se mouvoir, mais en vain. Il était figé. Cela n'annonçait certainement rien de bon. Ils étaient certainement tous en danger.

- Léo, tiens le coup. April va s'occuper de toi.

- Tu...

Sans lui laisser le temps d'achever sa phrase, elle raccrocha et bondit sur ses jambes. Elle poussa le corps inconscient de Donatello sur le côté, là où il serait partiellement dissimulé, et pria pour que maître Splinter ne tarde pas à arriver, car elle se sentait terriblement coupable de ce qu'elle s'apprêtait à faire.

En dépit de sa vulnérabilité, elle allait l'abandonner, à l'instar de Léonardo. Son instinct lui soufflait cependant que, à l'instant même, Mikey, Raphaël et les autres étaient ceux qui avaient le plus besoin d'elle.

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