Transcendance

Chapitre 62 : SILYEN

2491 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 3 mois

Silyen se figea, alors qu’il s’éloignait du miroir. Il sentait quelque chose à travers le lien, mais ce n’était pas Luke, car il aurait immédiatement reconnu sa présence. Il s’agissait de Daisy, évidemment, plus futée qu’il ne l’avait imaginé. Et selon ce qu’il déduisait, elle venait de se servir dans ses souvenirs comme dans un buffet à volonté.

   Sil n’avait pas menti à Luke, quand il lui avait dit que sa sœur en savait bien plus long sur le lien qu’il ne l’imaginait. Elle avait découvert quelque chose que lui-même ignorait: cette connexion permettait d’entrer dans l’esprit de tous ceux qui étaient reliés entre eux. L’Egal l’avait laissée faire, lors de ses incursions, curieux de voir où tout cela mènerait, sans compter que sans son Don, il ne pouvait pas la chasser.

Il revint brusquement jusqu’au miroir, parce que penser que Daisy ne se trouvait que dans son esprit était une erreur. Elle était bien plus près qu’il ne l’imaginait. Il effleura les gravures qui ornaient le cadre, plongeant le regard dans les volutes de Don qui tourbillonnaient, sans rien découvrir de nouveau. Ses mains commencèrent soudain à trembler, et une peur mêlée de rage déferla, accompagnée d’une sensation de brûlure. Luke… Bon sang, on aurait dit que le jeune homme ne savait plus se servir de son Don. Ses défenses douées auraient au moins dû interdire ce genre de désagrément, même si les combats devaient atteindre leur paroxysme en Grande-Bretagne.

Puis soudain, le miroir émit un flash de lumière. Aveuglé, Sil ferma les yeux et crut entendre une voix féminine dire son nom. Les points sur son front, son cou, son torse et son bas-ventre palpitèrent. Tout devint lumineux et les volutes sortirent du miroir pour l’entourer, exactement comme lorsqu’il avait absorbé le Don de la Grande-Bretagne, même s’il n’avait aucun souvenir de ce moment-là. Fasciné, il ignora la douleur qui pulsait dans son corps pour passer les doigts dans le vortex lumineux, comme s’il caressait une tempête de sable. Le tourbillon s’éleva, resta un instant en suspension avant de fondre vers le bas.

 

Lorsque Silyen reprit conscience, sa première pensée fut qu’il ne s’était jamais senti aussi bien, même lors de sa nuit avec Luke. Il tourna la tête. Le miroir était redevenu comme d’habitude, reflétant de paresseuses volutes de Don – les motifs sur son cadre s’étaient éteints. La caverne semblait plus petite, à moins que ce ne fût Sil qui soit devenu plus grand. Puis la plus délicieuse des sensations le parcourut : le Don coulait en lui. Il baissa les yeux et vit que tout son corps émettait un rayonnement doré.

Il inspira doucement, retenant l’exultation qui montait en lui. Dans ses rêves, il avait récupéré tant de fois son pouvoir… Mais l’air avait des effluves trop précis pour ne pas être réel ; une multitude d’informations olfactives assaillaient ses narines, jusqu’à celle de la moisissure qui tapissait les parois de la caverne. Puis une tempête de bruits s’éleva. C’était forcément réel, se répéta Sil, en réglant instinctivement ses sens, comme il avait eu l’habitude de le faire quand il était encore Doué. Il passa un pouce sur le creux de sa main, suivant sa ligne de vie, et sur une impulsion, créa un petit bateau doré, qui navigua sur l’air.

Un hoquet étranglé le secoua, mi-sanglot, mi-éclat de rire. Un son consternant, mais ça n’avait pas d’importance, tout ce qui comptait, c’était qu’il avait enfin retrouvé son pouvoir. Enfin, pas exactement son Don, mais du Don tout de même.

Il se tourna vers le miroir doré, se souvenant de la voix qui avait murmuré son nom. C’était Daisy Hadley, il en était désormais sûr, et même dans ses délires les plus fous, il n’aurait jamais cru qu’il récupérerait son pouvoir grâce à une obscure fillette roturière. Pourtant, c’était le cas, il ne voyait pas d’autre explication, et la compréhension se fit lentement : il avait eu l’impression que l’adolescente était proche parce qu’elle avait dû se tenir devant un portail donnant sur le monde du Don, dont elle avait franchi le seuil. L’énergie que cela avait libéré avait jailli à travers le miroir. Une décharge de Don pure, qui avait réussi là où Luke avait échoué.

L’Egal ferma les yeux, un curieux sentiment de culpabilité au fond de la gorge. Puis il se redressa et passa les cinq minutes suivantes à exercer le Don sous toutes les formes qu’il connaissait. C’était à peine croyable. Son nouveau pouvoir surpassait largement celui qu’il avait eu: les quatre éléments, le Don brûlant ou le Don bâtisseur, la facette mentale…. Tout était accessible, en plus d’une foule d’autres possibilités. C’était tout simplement merveilleux.

Puis soudain, une autre sensation, désagréable, le plia en deux, comme s’il eût été sous une enclume, écrasé par un énorme marteau. Se redressant en tremblant, il regarda son torse, ses bras. Rien. Puis il y eut un nouveau choc.

Luke.

  L’Egal créa un portail à toute vitesse, s’émerveillant d’en être à nouveau capable. Au creux de son ventre, le lien commençait à s’étirer et cela ne pouvait signifier qu’une chose: Luke était à l’agonie. Il déboucha dans une ambiance de fin du monde. Le spectacle qui n’aurait pas paru déplacé dans l’Enfer de Dante: là où d’imposants bâtiments s’étaient dressés, il n’y avait plus qu’un champ de ruines calcinées. Seul le Parlement était encore miraculeusement debout, à l’exception d’une de ses tours, mais Silyen le remarqua à peine, notant un formidable Don résiduel, comme si une énorme quantité de pouvoir s’était déversée dans les airs avant de disparaître.

Où était Luke?

Sil s’éleva dans les airs, plus pour savoir s’il pouvait à nouveau le faire que par nécessité, et se laissa guider par le lien. Il surplomba bientôt ce qui avait dû être la tour finement ouvragée du Parlement et qui n’était plus qu’un tas de pierre et de verre brisés. Qu’un monument si beau et ancien ait pu être pareillement saccagé fit monter une rage froide, mais il y avait d’autres priorités: Luke devait être là-dessous.

Sous l'effet du Don, les gravas s’élevèrent lentement. Il fallait procéder avec doigté: la structure était si instable qu’à chaque fois qu’un élément était enlevé, il y avait un risque d’écroulement. Mais Luke n’apparaissait toujours pas. De plus en plus inquiet, L’Egal accéléra le mouvement. Des morceaux de maçonnerie, des parquets carbonisés, de tuyauterie, des gargouilles décapitées lévitèrent. Enfin, quelque chose qui avait dû être blanc à l’origine apparut. Un morceau de tissu. Le cœur battant la chamade, Sil enleva les derniers débris.

Luke!

Allongé sur le lit de ruines, le jeune homme était méconnaissable, le corps tordu dans une position impossible. Il aurait paru mort, s’il n’émettait pas un douloureux sifflement. Quant à ses vêtements, ils semblaient avoir été carbonisés. Seule une des manches de T-shirt était à peu près intacte - c’était elle qui avait attiré l’attention de Sil. La gorge serrée par l’horreur, l’Egal scanna le corps torturé. Les fractures étaient si nombreuses qu’on aurait dit que Luke avait été écrasé à plusieurs reprises par un poing géant. Toutes les côtes et la colonne vertébrale s’étaient brisées. Les rotules étaient en miettes. Le foie, les poumons, la vessie... Pas en meilleur état. Le cœur ne battait que par miracle, soutenu par le Don vacillant du jeune homme, qui se concentrait farouchement sur cette zone.

Une émotion si violente saisit l’Egal qu’il se mit à trembler. Il tomba à genoux:

-     Luke…

Il ne se passa d’abord rien. Puis un œil, doré, s’ouvrit très lentement. Un éclat fugace de surprise, puis de joie le traversa. La pupille disparut à nouveau derrière la paupière, comme si le simple effort de l’ouvrir avait été trop grand. La bouche s’entrouvrit de quelques millimètres.

-     Sil… croassa Luke. Il ouvrit à nouveau un œil, et un filet de sang coula le long de sa bouche. Soudain, ses lèvres formèrent un « O » de surprise. « T-tes yeux…»

-     On dirait que j’ai fini par récupérer le Don, en fin de compte, lâcha Sil, la gorge nouée.

Que le jeune homme puisse encore parler relevait de l’impossible. L’Egal savait qu’il aurait dû le faire taire pour qu’il évite d’aggraver son état, mais il était paralysé.

En attendant, la bouche de Luke s'était à nouveau entrouverte.

« Londres… L-le m-monstre…»

Sil n’avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire. Il regarda les bâtiments intacts, loin au-delà des ruines, qui n’avaient pas l’air de vouloir s’effondrer dans un avenir immédiat.

-     Il f-faut que tu.. aides les Britanniques… reprit Luke, le visage plissé par la douleur.

Une telle phrase aurait hérissé Silyen, auparavant, mais là, il sentit son nez et ses yeux le piquer lorsqu’il hocha à nouveau la tête.

-     P-promets-le…, insista Luke, dont la bouche s’emplissait de sang.

Sil répéta sagement:

-     Je te le promets.

-     D…Désolé de devoir t-te laisser… J’au-rais voulu que ça se termine autrement.

Quoi? Qu’est-ce qu’il racontait. Puis Silyen reconsidéra son corps brisé, ses fonctions vitales à l’agonie.

-     Tu ne vas pas mourir, Hadley, répliqua-t-il d’un ton féroce, en envoyant un torrent de Don sur le torse du jeune homme.

Voilà ce qu’il aurait dû faire dès le début. Les étincelles dorées se répandirent le long des membres, se fondirent dans la peau, coulèrent jusqu’aux poumons, au cœur, aux artères, au foie, à la colonne vertébrale qu’elles commencèrent à réparer. Sil ordonna à son Don d’anesthésier l’horrible douleur que cela allait provoquer, puis il sentit autre chose, un dommage psychique… c’était ce que Luke avait tenté de lui cacher au fond du lac de Kilsaï. Il serra les poings quand il réalisa ce que le jeune homme avait subi entre les mains de Spencer Grailingstream et se souvint de sa propre attitude, odieuse, juste après ça… Au moins savait-il désormais comment résoudre ce genre de séquelle grâce aux Féins. Il aurait peut-être dû demander la permission à Luke, mais le jeune homme était capable de refuser par simple fierté, alors délicatement, comme s’il polissait une pierre, il enleva le souvenir, couche par couche, prenant garde de ne pas détruire ce que l’expérience avait « apporté » à Luke, pour que ce dernier n’ait pas à le payer de sa mémoire. Il n’en souffrirait dorénavant plus.

-     Repose-toi, murmura Silyen en se penchant assez près du jeune homme pour sentir son souffle chaud, que le sang rendait métallique.

Ses cheveux bouclés tombèrent en rideau autour du visage de Luke, les isolant du reste du monde. Leurs bouches s’effleurèrent. Puis Sil se redressa, enleva son brassard d’un geste fluide et posa les doigts du jeune homme sur le tatouage, songeant que cela le réconforterait.

-     Repose-toi.., répéta-t-il, hésitant avant d’ajouter avec un demi-sourire. « Mon lapin. »

Les coins de la bouche de Luke tressaillirent, puis à travers le lien, Sil le sentit sombrer dans l’inconscience.

Restait à le mettre en sécurité. Le ciel était encore curieusement calme, mais cela ne durerait pas : la présence d’une aviation de guerre et d’artillerie lourde à proximité était tangible. L'Egal souleva Luke sans effort puis créa un portail jusqu’à Far Carr, s’émerveillant à nouveau de la joie que lui procurait ce simple geste. Mais une mauvaise surprise l’attendait: le tas de ruines qu’il trouva n’avait rien à envier à celui qu’il venait de quitter. Les décombres étaient même plus fins et plus noirs, comme si le manoir avait explosé avant d’être avalé par les flammes. C’était incompréhensible. Le domaine était le lieu le plus sécurisé de Grande-Bretagne, comment avait-il pu être rasé? Luke s’était bien gardé de lui en parler, songea Sil, chassant la colère déplacée qui l'avait envahi.

Où pouvait-il le laisser d’autre? La réponse vint naturellement. Dénicher Abigail Hadley fut très facile grâce au Don. Elle se trouvait dans un hôpital de fortune, sur une zone qui avait l’air d’avoir été récemment traversée par le front. Son mélange d’affolement et de soulagement, une fois que Silyen lui eut expliqué que Luke était hors de danger malgré les apparences, fut presque comique. Presque. L’Egal ne tenait pas à ce qu’on le reconnaisse, alors il renforça le bouclier doué qui protégeait le lieu - et qui avait été créé par Luke, selon Abi - puis décolla. Il allait tenir la promesse qu’il venait de faire.




Note de l'autrice OK, j'ai tout misé sur le "mon lapin" pour dédramatiser ce moment fort en émotions, car évidemment, vous vous doutiez bien que Luke n'allait pas mourir, je me serais auto-infligée une dépression, sinon. XD Si vous ne comprenez pas encore tout, c'est normal. Peut-être avez-vous fait quelques liens? Mais chut, laissons Luke se remettre, encore enveloppé par le moment de tendresse avec Sil (ouiiiiiii!!!!). ;)

PS: J'adore toujours autant écrire du point de vue de l'Egal, qui me donne l'occasion d'écrire des bouts de phrase comme " Et selon ce qu’il déduisait, elle venait de se servir dans ses souvenirs comme dans un buffet à volonté."

Laisser un commentaire ?