Transcendance
Le choc allait le tuer, songea Sil, en pleine chute libre.
Mais il était à Kilsaï.
Il dut vider sa dernière pierre - son aigue-marine - pour atténuer suffisamment l’impact lorsqu’il heurta l’eau. Malgré tout, il eut l’impression que son corps se brisait en mille morceaux.
Il coula comme une pierre. Où était le haut? Le bas?
Il faisait si froid. Si noir. Et cette douleur ! La lumière s’éloignait à toute allure, tandis qu’il plongeait dans les profondeurs du lac. En plissant les yeux, il réussit à apercevoir une forme floue, plus loin, et agita les bras et les jambes, nageant maladroitement dans sa direction.
Le corps de mère semblait intact, mais le choc avait dû violemment comprimer sa cage thoracique, déchirant ses organes internes. Ses yeux, grands ouverts, n’étaient plus que des orbites vides. Ses cheveux flottaient autour d’elle, tel un sinistre linceul. Puis un courant la retourna et Sil vit que son dos formait un angle bizarre. Sa moelle épinière s’était brisée.
Il n’y avait plus rien à faire. Même avec le Don, il aurait été trop tard. Ce n’était pas possible… Il s’agissait sûrement d’une erreur, d’un cauchemar. Ça ne pouvait pas être réel ! Un sanglot comprima la gorge de l’Egal, et il lutta pour le ravaler. Sauf que l’image de mère prenant son petit déjeuner à Kyneston se mit à flotter devant lui, et tout son corps trembla. Deux larmes débordèrent, se mélangèrent à l’eau.
Avec l’impression de s’arracher le cœur, Sil tendit la main. Il ferma les yeux de sa mère, déposa un baiser sur son front et dut puiser dans toute sa volonté pour la lâcher. Il s’effondrerait plus tard.
Une autre forme dérivait plus loin. Le cadavre de Cimon. Mais l’air commençait à manquer et les pierres ne contenaient plus une seule goutte de Don, constata l’Egal. Dire qu’il avait donné le pendentif d’Awen à la vieille Féin. Un coup d’œil vers le haut lui apprit ce qu’il savait déjà. Il n’avait plus le temps de remonter.
Il n’y avait plus qu’une solution. L’Egal plongea dans le lien, se connecta à Luke et attendit une seconde, deux, trois - aucune porte ne se dessina. Il tenta de garder son calme, alors que ses poumons commençaient à le supplier. Sa main griffa son ventre, là où le filin invisible partait, même si c’était totalement inutile.
Alors il plongea encore plus profondément dans le lien, et crut voir une porte tremblotante se dessiner devant lui. Mais il s’agissait d’une hallucination, car lorsqu’il cligna des yeux, la lueur disparut. Un manque d’air prolongé entraînait ce genre de conséquences.
Silyen savait qu’il ne pourrait retenir indéfiniment le mécanisme physiologique qui le poussait à respirer - raison pour laquelle personne ne pouvait se suicider en retenant son souffle. Il se força à rester calme et à réfléchir, mais le besoin d’inspirer occupait toutes ses pensées. L’évanouissement n’était désormais qu’une question de secondes. Des points blancs remplirent son champ de vision, la tête lui tourna, comme s’il avait bu une bouteille entière du meilleur whisky de Gavar. Cruelle ironie, ce dernier apparut soudain devant lui, le regard accusateur. L'Egal faillit boire la tasse. Puis il se reprit, voulut murmurer « Gavar » en tendant la main vers lui. Mais lorsqu'il fut sur le point de le toucher, son frère disparut.
Le cerveau de Sil se dilua dans un monde d’une obscurité étourdissante. Le noir n’était d’ailleurs plus aussi noir. Des rais de lumières rampaient, se dévorant les uns les autres. C’était un brasier ! Un énorme brasier qui allait tout engloutir!
Mère, Cimon, Bouda, Gavar. Tout se mélangea.
Sil ouvrit la bouche pour crier, avala de l’eau. Toussa. Respira à nouveau par réflexe. Seule de l’eau entra à nouveau. De l’air! Il lui fallait de l’air !
Note de l'autrice: Woaow, je ne crois pas avoir déjà posté un chapitre aussi minuscule. ^^ En fait, j'ai détaché cette partie du dernier chapitre de Silyen en date, parce que je trouvais que l'effet serait plus percutant (sans mauvais jeu de mot). Pour les réclamations, n'hésitez pas à m'envoyer un MP niark niark! Et... priez pour Sil...!