Transcendance

Chapitre 46 : LUKE

1255 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/10/2024 22:25

S’arracher à Nikkin demanda un immense effort. Quand Luke s’envola, après avoir mis le jeune homme en sécurité malgré ses protestations, il se sentit vidé. Ses tempes pulsaient, son énergie n’était plus qu’un souvenir et son Don ressemblait à une bougie agonisante. Si seulement il avait pu s’allonger un peu. Fermer les yeux. Tout oublier.

Il se dirigeait vers le centre-ville, tentant de repérer les avions ennemis, quand l’air vibra. Le son ressemblait un peu à celui d’un skieur sur Ski Challenge, amplifié puissance mille. Enfin, c’était ce que le jeune homme avait bêtement pensé la première fois qu’il avait entendu un tir, probablement pour nier l’horreur. Désormais, cette stupide comparaison faisait bel et bien partie du passé.

Il dressa son bouclier devant lui, mais la roquette ne lui était pas destinée. Alors il jeta son Don en avant.

Trop tard.

L’arme termina violemment sa course dans un imposant bâtiment administratif, probablement le town hall local.

Comme dans un mauvais film, Luke s’aperçut alors que quelque chose était écrit sur le sol, en immenses lettres. « Civils ». Le temps ralentit. La scène sembla éclater en mille fragments, tandis que la signification de ce simple mot s’imprimait dans son cerveau. L’édifice abritait des hommes, des femmes, des enfants… Le cœur au bord des lèvres, le jeune homme tendit les mains, envoyant son Don soutenir les façades qui étaient en train de s’effondrer – merde les murs porteurs devaient être touchés. Puis il arriva devant l’une des fenêtres, sur laquelle il se posa. Un spectacle d’horreur l’y attendait. Du sang couvrait les murs en marbre, et par terre, le sol était jonché de corps. Toutes les fenêtres avaient explosé, arrosant l’intérieur de verre brisé. Des civils, paniqués, couraient en direction d’une porte au fond de la salle, sauf que ça n’était pas la sortie. Le cerveau encore embrumé de Luke réussi péniblement à faire la connexion… ça devait être l’accès d’un bunker… pourvu que ce soit l’accès à un bunker… Mais il devait être déjà bien rempli si tout le monde n’était pas déjà allé s’y réfugier…

Le jeune homme reporta son attention sur les façades, qui ouvraient deux gueules béantes, là où la roquette avait traversé le bâtiment de part en part. Les murs, dangereusement inclinés, ne tenaient que grâce au Don. Ignorant son corps qui tremblait comme une feuille, le jeune homme leva les mains pour se concentrer, repoussa les murs, centimètre par centimètre. Ceux-ci oscillèrent, finirent par se stabiliser.

Des cris s’élevèrent tandis que des gens s’apercevaient de ce qui se passait. Une personne le vit, ce qui signifiait qu’il n’avait donc même plus l’énergie de se maintenir invisible. Son prénom déchira l'air. Il y eut un instant de flottement, puis le cri fut repris par des dizaines de gorges. Luke voulut crier à ces inconscients d’aller se mettre à l’abri, mais seul un son étouffé sortit de sa gorge. Il croisa alors le regard d’un vieil homme, qui se dressait comme un phare au milieu de l’agitation. L’inconnu hocha la tête, comme s’il avait compris le message, et prit les choses en main. Il hurla à la foule de se mettre à l’abri.

Un voile noir tomba alors devant les yeux de Luke. Les couleurs s’éteignirent, les sons s’assourdirent, comme lorsque le missile avait explosé, tout à l’heure. Non, non, non, ce n’était pas le moment. Il ne pouvait pas déjà être allé au bout de ses forces. Mais des points blancs dansaient devant ses yeux. Sans qu’il l’ait appelé, son Don revint comme un boomerang et l’enveloppa dans une tiédeur agréable, commençant à créer un cocon – le cocon qui le régénérerait, comme le Roi Merveilleux. Il y eut une autre sensation, aussi infime qu’une plume effleurant sa peau, celle de murs qui vacillaient, puis s’écroulaient.

Ce fut comme un déclic. Le jeune homme réussit à s’arracher à l’antichambre ouatée de l’inconscience. Il toussa, s’aperçut qu’un écran de poussière épaisse l’entourait. Quand son regard réussit à le percer, il aurait préféré ne pas avoir ouvert les yeux. Il ne restait plus rien de l’édifice qu’il avait tenté de protéger. Les murs s’étaient écroulés dès que le Don les avait quittés. Le vieil homme, tous ces innocents…

Le monde se mit à tanguer. Les sons devinrent assourdissants, la lumière aveuglante, les odeurs insupportables. Luke se mit à hurler sans pouvoir s’arrêter. Il empoigna des gravats à pleine main, à l’endroit où devait se trouver l’entrée du bunker, puis força son Don soulever les plus gros morceaux. Avec une sombre satisfaction, il sentit les derniers lambeaux de son énergie le quitter, alors que la frontière qui le séparait de la mort devenait de plus en plus mince. Une sensation de froid s’insinua dans son corps, transperça ses muscles, se tapit dans ses os. Ses ongles bleuirent, sa peau devint aussi pâle que celle de Silyen ou de Nikkin. Mais il laissa son Don continuer à puiser en lui. L’entrée du bunker! Pourquoi n’était-elle pas encore apparue? Faites qu’il y ait vraiment un bunker. Faites que tout le monde ne soit pas mort. S’il vous plaît, s’il vous plaît, répétait-il, sans savoir s’il prononçait ces mots à voix haute. Mais il n’y avait que des décombres.

Soudain, la peur se resserra autour de sa gorge comme un nœud coulant. L’air déserta ses poumons et il haleta désespérément, avec l’impression d’avoir été plongé dans un bain d’eau glacée. Au milieu de ses pensées affolées, il comprit que ses sensations ne venaient pas de lui. C’était… C’était Silyen! Oh mon Dieu, Silyen qui n’arrivait plus à respirer.

La peur enfla encore, emplit son corps jusqu’à vouloir le faire éclater. Dans le brouillard qui menaçait de paralyser son cerveau, le jeune homme perçut un léger changement. La terreur restait horrible, mais elle avait – était-ce possible ? - une saveur différente. Ce n’était plus une sensation d’étouffement, mais plutôt… le sentiment de quelqu’un qui allait mourir.

Et ce sentiment provenait d’une fille pas d’un garçon. Coira!

C’était le lien avec Coira !

   Sanglotant d’angoisse sans pouvoir s’arrêter, tremblant de tout son corps, Luke se mordit la langue jusqu’au sang.

La terrible réalité s’imposait. Sil ou Coira?

Il n’aurait pas le temps de les sauver tous les deux. Ce n’était qu’une question de secondes.

Sil ou Coira?

 


Note de l'autrice J'ai réorganisé l'ordre des chapitres pour mieux entretenir le suspense, et je n'ai jamais joué à Ski Challenge, mais je trouvais que ça amenait un micro-instant de légèreté dans ces événements si dramatiques. Eh oui, Luke et Silyen sont poussés toujours plus loin... Et vous, quel choix feriez-vous?

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