Transcendance

Chapitre 40 : BOUDA

1395 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/09/2024 23:03

Extrait du journal intime de Bouda

« Les Soigneurs pensent qu’écrire sur mes journées m’aiderait, ils devaient en avoir assez que je leur pose mille questions. J’avoue que je ne crois pas vraiment à cette méthode, mais bon, ça ne coûte rien d’essayer. C’est étrange, une part de moi doute toujours de tout, tandis que l’autre analyse la moindre information, constamment. Ça en devient lassant.

Par où commencer ?

Peut-être par ce qui s’est produit ce matin. Une immense tristesse a surgi de nulle part et s’est engouffrée en moi, se collant à mon esprit, refusant de s’en aller. C’est probablement lié à mon amnésie…

Je n’en peux plus des gens qui me demandent si j’ai retrouvé la mémoire. Ça me donne juste envie de vomir. De hurler. De gommer cette déception et cette pitié que je lis dans les regards.

J’avais espéré que mes souvenirs reviendraient, mais c’est comme être dans une pièce remplie d’oiseaux à attraper à mains nues. Je dois me faire une raison : ils ne reviendront pas. Jamais.

Qui suis-je ?

Qui suis-je ?

Qui suis-je ?

Pourquoi est-ce qu’on m’a retrouvée au pied de Kilsaï? Qui est ma famille ? Est-ce que quelqu’un m’aime et m’attend à quelque part ? J’ai tellement crié, pleuré, quand ces questions me déchiraient de l’intérieur, que j’ai l’impression de ne plus avoir de larmes à verser. Et pourtant, en voilà qui coulent encore.

Je suis tellement fatiguée…

Mon unique certitude, c’est que je ne viens pas d’ici, parce que rien ne me semble familier. La seule chose qui me parle, bizarrement, sont les pierres de pouvoir : elles provoquent quelque chose en moi, une sorte de trou dans la poitrine. Mais bien sûr, impossible de m’en servir. Je n’en peux plus de me sentir à côté de la plaque, à tout faire de travers. Une loque inutile.

Et il y a encore l’Enkaï. Quelle idiote j’ai été, de lui faire confiance. Cet abruti a failli me tuer ! Maintenant, j’ai peur à chaque fois que je pense à lui et je n’arrête pas de faire des cauchemars où je meurs asphyxiée. Qu’est-ce que j’ai bien pu lui faire? Et qui suis-je, pour l’avoir énervé? Parce que je sais qu’il y a un lien entre nous, je l’ai vu à son regard. Il me connaissait.

Mais tout ça doit rester secret. Si on savait que l’Enkaï m’en veut, je n’ose pas imaginer les conséquences. Le pire, c’est que je ne peux même pas me racheter, comme je ne sais plus de quoi je suis coupable. Et si j’avais été quelqu’un d’horrible ? Et si j’avais fait des choses terribles ? En fait, je crois que dans ce cas, si quelqu’un me révélait mon passé, je serais juste terrorisée. Je crèverais de peur à l’idée de ce que j’apprendrais. Les mots peuvent être des lames, et mes tripes sont déjà en lambeaux.

Parce que je ne peux pas m’imaginer faisant du mal.

S’il-vous-plaît, faites que j’aie été quelqu’un de bien.

S’il-vous-plaît.

Au moins, les Soigneurs continuent à être gentils, comme à l’époque où je leur donnais des coups de main. Je n’ai pas l’impression qu’ils font semblant, ils veulent vraiment qu’on se sente chez nous, Dina et moi. On peut aussi compter sur Cimon, qui me redonne toujours le sourire quand je sombre dans la mélancolie. J’ai parfois l’impression que nous formons une minuscule tribu, tous les trois. Mais quelque chose me perturbe quand même, c’est difficile à expliquer. Comme si tout le monde était trop gentil, comme si la cité entière clochait.

Et toi, ma Dina chérie ! Dire que je voyais ta naissance comme un horrible compte à rebours. Qu’est-ce qu’on peut être stupide parfois. Je ne savais pas qu’on pouvait aimer autant, se réjouir d’un sourire, d’un éclat de rire. Quand je t’ai serrée pour la première fois dans mes bras, si petite, si légère, j'ai eu le sentiment de te connaître depuis toujours. Un amour instinctif, viscéral, infini qui m’a prise d’un seul coup. Comme si mon cœur s'était détaché et battait maintenant à côté de moi… Grâce à toi, la tristesse, les doutes, l’injustice desserrent un peu leurs griffes.

Mais quand tu me regardes avec tes grands yeux bleus, innocents, j’ai parfois tellement honte. Ma pauvre fille, qu’est-ce que je peux bien t’apporter? Qu’est-ce que tu diras, quand tu comprendras que ta maman n’est qu’une coquille vide ? Incapable de te dire qui est ta famille ? Je ne sais même pas qui est ton père. J’essaie de deviner à quoi il ressemble quand je regarde tes yeux, ton joli nez ou ton menton, et surtout tes cheveux. Au soleil, ils ont des éclats cuivrés, presque roux - je pourrais les regarder pendant des heures.

Tu le comprendras plus tard, quand tu seras grande, mais nous ne pouvons pas rester ici. C’est trop dangereux. J’ai peur de ce que l’Enkaï pourrait nous faire – si tu avais vu son regard, quand il t’a vue pour la première fois… C’était comme s’il avait voulu t’arracher à moi.

Et à l’idée qu’il t’arrive quelque chose, tout mon cœur se brise.

Je n’y survivrai pas.

Ça fait déjà plusieurs jours que je prépare notre fuite, parce que je doute que les Kils nous laissent partir gentiment. Je ne suis pas stupide, je sais qu’ils veulent que leur cité reste secrète. Voilà pourquoi tout le monde y reste à vie. Le plus compliqué sera de le cacher à Cimon. Savoir que tu ne le reverras pas m’attriste profondément ; vous êtes tant attachés l’un à l’autre, tous les deux… Mais le mettre en danger est exclu.

Je dois encore me procurer des provisions, et surtout savoir comment regagner la terre ferme. J’ai quelques pistes, que je dois vérifier, puis je planifierai chaque étape pour nous faire arriver dans le pays le plus proche. J’espère avoir réussi à dérober suffisamment d’objets afin de nous faire survivre un moment.

Et même si j’ai oublié qui j’étais, je suis sûre d’une chose au moins : je reste ta maman, ma Dina chérie. Je t’aime. »


Après avoir écrit ces mots, Bouda enfouit longuement son visage dans ses mains. Les joues tapissées de larmes, elle finit par prendre la feuille de papier, la jeta dans son feu de cheminée, où elle la regarda se consumer. 




Note de l’autrice Voici un chapitre que je viens d’écrire. Alors que j’étais en train de poster le début de ce tome 5 des Puissants, il m’est spontanément venu en tête, sous forme d’extrait de journal intime – faut bien varier un peu, hihi ! Cela permettra de mieux comprendre Bouda, dont le point de vue avait totalement disparu jusqu’à maintenant. 😉 Elle ne ressemble plus vraiment à l’ancienne Bouda, pas vrai ? Qu’est-ce que vous pensez de ce changement? J'ai essayé d'intégrer quelques vestiges de son ancien caractère, telle que l'intelligence ou son esprit sans cesse en mouvement.

Encore MERCI d’être aussi nombreuses et nombreux à me lire ! Vous êtes incroyable ! J’espère que l’histoire vous plaît toujours, et n’hésitez pas à commenter ou à me contacter en MP sur le Forum de fanfiction.fr 😉 J’apprécie énooOoormément les retours.

PS : avez-vous deviné ce qu’était cette « immense tristesse ? »

Et en l’honneur de ce chapitre Bouda, j’ai posté une esquisse sur le topic dévolu à ce tome 5: https://forum.fanfictions.fr/t/les-puissants-les-puissants-tome-5-transcendance/5434/76

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