Transcendance

Chapitre 39 : LUKE

1714 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/08/2024 22:45

Quand il ouvrit la porte, Luke eut le réflexe de créer un bouclier, histoire d’éviter l’inondation du salon de Silyen. Il y avait de l’eau partout. Que fichait Daisy dans la mer? Une telle douleur pulsait à travers le lien qu’il avait l’impression qu’on lui arrachait le cœur. Fou d’angoisse, il créa une bulle d’air autour de sa tête, franchit le seuil et fit disparaître la porte. Trois choses lui sautèrent aux yeux: Daisy, le visage tordu dans une affreuse grimace de désespoir, la cabane où elle vivait et un corps qui dérivait, ses longs cheveux noirs déployés comme un éventail. La Douée chinoise… Celle qui avait détruit Far Carr. Non. Ce n'était pas possible. Et pourtant, c’était horriblement logique. Cette ordure avait décidé de s’en prendre à Daisy plutôt qu’à lui.

Luke fixa à nouveau la cabane, baissa les yeux. Sous ses pieds, ce n’étaient pas des algues, mais de l’herbe. Les pièces du puzzle continuèrent à s’emboîter. Daisy, dont les tatouages bleus semblaient vibrer sur sa peau, avait créé une énorme vague qui les recouvrait comme un dôme.

Sa sœur se rendit alors compte de sa présence. La vague reflua, et Luke vit le corps de la Douée passer à toute allure, alors qu’il faisait appel à son pouvoir pour ne pas être entraîné à son tour. Quelques secondes plus tard, l’eau n’était plus qu’un souvenir, laissant une plage et une cabane détrempées. 

Luke se précipita vers sa sœur, qu’il saisit par les épaules.

-Daisy? ça va? Tu es blessée? Qu’est-ce qui s’est passé?

Sans répondre, elle s’arracha à lui. Tituba, les joues zébrées de larmes. Passa à côté de la cabane, continua sa route et s’écroula à côté d’une forme sombre.

Nauséeux, Luke la suivit.

Son cœur sombra lorsqu’il comprit ce qu’était la forme. Ou plutôt qui. Le teint de Gavar Jardine était encore plus blafard que celui de Silyen. Ses yeux étaient grands ouverts, fixant le vide. Ses cheveux de couleur bronze, caractéristiques des Jardine, étaient maculés de sable et de terre. Le treillis qu’il portait était déchiré et brûlé par endroits, sans qu’il n’y ait aucune blessure visible. Pas de sang. Rien.

-     Fais quelque chose, sanglota Daisy.

Mais il était trop tard. Luke ne percevait plus aucun battement de cœur, et dans le monde clair-obscur du Don, la silhouette de l’ex-Egal, qui aurait dû flamboyer, n’émettait plus aucune lumière. Il posa ses mains sur ses tempes, ne ressentit qu’un affreux vide.

-     Non! s’écria Daisy. Silyen a ressuscité! Fais la même chose avec Gavar!

-     Daisy…

-     Fais-le!

Luke secoua doucement la tête.

-     Silyen était un cas à part. Je ne peux pas…

Il grimaça sous l’effet d’une nouvelle vague de fureur, de désespoir et de souffrance. Daisy posa à son tour les mains sur les tempes de Gavar, même si c’était sans espoir. C’était sa faute, songea Luke, pris d’un terrible dégoût mêlé de désespoir. Une fois de plus, il n’avait pas été là quand il le fallait. La voix exaspérante de la logique luttait pour s’insinuer dans son esprit, suggérant que les choses se seraient passées de la même manière s’il avait été en Grande-Bretagne, parce qu’il avait trop l’habitude de ressentir la colère et la tristesse des autres à travers les liens. Mais il aurait dû être plus attentif plutôt que d’être absorbé par les révélations de Sil, il aurait dû rentrer beaucoup plus vite, et surtout, il n'aurait pas dû oublier cette satanée Douée, il…

Il rassembla des bribes de lucidité. D’abord, vérifier si Daisy était blessée. Ce n’était pas le cas: avec son bouclier, elle s’en était heureusement sortie indemne. Il fallait aussi s’assurer que la zone était sécurisée, ce qui était le cas. Seules des silhouettes tremblantes, cachées plus loin, se trouvaient là. C’étaient Renie et Asrif, qui avaient rejoint Daisy dans la petite cabane, quelques jours plus tôt.

Luke n’avait plus le droit de se laisser aller ; il pleurerait plus tard. Pour l’instant, la priorité était de mettre tout le monde à l’abri. Les deux membres du club, en état de choc, se laissèrent conduire jusqu’à la porte qu’il créa jusqu’à un bunker dans le Cambridgeshire. Mais Daisy hurla si fort, quand il l’arracha à Gavar, qu’il dut la traîner, le cœur brisé. Puis il souleva le corps de l’Egal et franchit le seuil.

Dans le bunker, le décor était aussi dévasté que lui-même. La seule lumière provenait d’une ampoule mourante, et entre les murs de béton, Daisy s'était laissée tomber par terre, le corps secoué de violents frissons. Lorsqu’elle se tourna vers lui, le chagrin le frappa comme un uppercut. Asrif et Renie restaient dans un coin, respectant sa douleur.

- Daisy. Je suis désolé, murmura Luke, en ayant conscience que c’était la pire chose qu’il puisse dire.

Les larmes coulèrent de plus belle sur les joues de sa sœur. Elle renifla à plusieurs reprises et hoqueta:

-     C’est ma faute. Il s’est fait piéger par cette saleté de Douée. Elle voulait que je me rende en échange de Gavar… J’ai accepté… Mais G-Gavar… (Elle fut prise par une nouvelle crise de sanglots et mit de longues minutes à se calmer. Puis elle poursuivit d’une voix tremblante.) Gavar a réussi à se libérer. Il s’est jeté sur elle, et là…

Elle n’eut pas la force de continuer, mais Luke imaginait parfaitement la suite. Gavar tué, probablement par une fourberie, comme à Far Carr, puis Daisy perdant les pédales et créant cette gigantesque vague, noyant la Douée. Tout était absurde, totalement absurde. Ils étaient censés avoir traversé le pire avec le régime des Egaux, mais non ! Il fallait qu’une foutue guerre éclate et qu’en plus, sa sœur ait reçu le Don. Dans un instant de folie, il pensa à endormir Daisy et à la transporter vers leur mère en Australie, là où elle ne verrait plus personne mourir et où elle serait enfin en sécurité. Mais elle ne lui pardonnerait jamais et il ne se pardonnerait pas non plus… Puis il pensa à Silyen et son cœur se brisa. L’Egal avait déjà perdu son frère Jenner, son père. Et maintenant Gavar… Bon sang, comment pouvait-il lui annoncer la nouvelle?

-     On doit le dire à Thalia, hoqueta Daisy, comme si elle avait lu dans ses pensées.

Elle se tut, mais le nom de Libby flotta dans le bunker ; la petite était désormais orpheline. Le heaume sentient devenait douloureusement tentant, alors Luke se força à le chasser de ses pensées. Comme un automate, il se leva, essuyant les larmes qui lui brûlaient les yeux.

-     Thalia est toujours à Orpen Mote?

Daisy hocha la tête. Alors, avant de ne plus en avoir la force, Luke dit aux deux autres de prendre soin de sa sœur, puis ouvrit un portail pour récupérer le corps de Gavar.

 Thalia réagit encore plus mal qu’il avait pu l’imaginer, et il se rendit compte de la stupidité à venir la voir directement. A la vue du cadavre, elle se mit à hurler, puis devint hystérique. Rien ne put la calmer et elle tenta même d’attaquer, mais fut repoussée par les défenses douées de Luke. L’Egale calme, impassible et hautaine de Kyneston n’existait plus.

Quand la mère de Sil commença à s’arracher les cheveux, les yeux fous, Luke sentit un début de crise de panique monter en lui. Qu’est-ce qu’il pouvait faire? Il tenta de ceinturer l’ex-Egale pour la forcer à se calmer, mais elle commença à hurler à l’aide, même si personne n’allait l’entendre. Les alentours d’Orpen Mote étaient fantomatiques comme le reste du pays, depuis que le Dôme avait disparu.

-     Mes FILS!!! s’époumona Thalia Jardine.

  Alors Luke eut une idée complètement stupide. Mais que pouvait-il faire d’autre? Thalia Jardine plongeait maintenant ses ongles dans la terre et s’en recouvrait les cheveux.

Il créa une porte et retourna dans le monde de Kilsaï, puis il saisit la femme et, malgré ses protestations, la força à passer le seuil. Derrière, les appartements de Sil étaient illuminés par un flot de soleil. L’Egal était assis sur le rebord de la fenêtre, observant son avant-bras d’un air absent.

Il leva les yeux lorsque Luke apparut.

-     Je… Je ne savais pas quoi faire d’autre… bredouilla celui-ci.

Les cris s’éteignirent.

-     Mère? lâcha l’Egal, l’air complètement perdu.

-     Toi…? murmura Thalia en pointant un doigt tremblant dans sa direction.

Ses yeux roulèrent dans leurs orbites et elle s’évanouit.



Note de l'autrice Désolée, désolée, épargnez-moi s'il-vous-plaît! Pataper SVP! C'est la faute à la trilogie de Vic James, où tant de personnages passent aussi l'arme à gauche. :'( Relire ce chapitre a été très difficile, vraiment. En plus, coïncidence, des morceaux super tristes s'enchaînent en mode aléatoire sur Spotify alors que je poste ce texte.

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