Transcendance

Chapitre 33 : ABI

1872 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/07/2024 20:42

Depuis la rupture du dôme ­­trois jours plus tôt, Chris et Abi travaillaient d’arrache-pied avec le club. Ils essayaient de retourner l’opinion publique dans les États-Confédérés, où de plus en plus de gens contestaient la guerre malgré la propagande dont leur gouvernement les abreuvait. Si Chris arrivait à les unifier, son père accepterait peut-être de trouver une solution diplomatique avec Rebecca Dawson ? En attendant, Abi avait eu du mal à maintenir le jeune homme concentré sur l’objectif. Celui-ci semblait éteint depuis son retour des Etats-Confédérés. La seule lueur qui s’était allumée dans son regard, c’était quand il avait décrété qu’il allait repartir là-bas – sous prétexte de sauver Enya. La joie qui avait transfiguré son visage, quand Luke avait appelé pour annoncer sa mission sauvetage, avait été comme un coup de poing. Puis son air triste avait été pire encore, lorsqu’il avait réalisé qu’Enya n’avait pas envie de le voir et voulait rester seule pour l’instant.

Seule dans son bureau à la fin d’une journée harassante, Abi tenta désespérément de penser à autre chose. Elle enfouit la tête dans ses paumes, se massa les tempes du bout des doigts, puis y enfonça ses ongles - un tic donc elle n’arrivait pas à se défaire. Des images horribles traversèrent son cerveau de part en part. Daisy, frappée par un jet de Don, s’écroulant sur une plage inconnue. Luke, capturé et amené directement à Spencer Grailingstream. «Arrête de t’imaginer le pire », s’ordonna-t-elle d’une voix ferme. Mais ce fut l’image de Red qui apparut, faisant remonter une culpabilité acide. Heureusement, le petit « bling » d’un appel entrant créa une diversion bienvenue.

Luttant pour gommer la détresse sur son visage, la jeune fille vit apparaître le visage de Daisy sur l’écran de son ordinateur. Celle-ci avait l’air d’avoir fait des nuits blanches chroniques : ses cheveux, sales, étaient réunis en une natte lâche, et son visage était couvert de suie. Les Néodoués qui avaient décidé de défendre le pays - autour desquels Luke avait tissé des solides boucliers doués - devaient être dans le même état.

-  ... Euh… Tu vas bien?

Abi sursauta, comme si elle sortait d’un rêve, et s’aperçut qu’elle n’avait pas écouté la phrase. Quand elle invoqua la fatigue, les rides sur le front de sa soeur - oh mon Dieu, se pouvait-il qu’à 14 ans, elle ait déjà des rides? - s’estompèrent légèrement. Comme lors de chacun de leurs appels, celle-ci parla des mystérieuses bêtes en pierre, et Abi se força à écouter sans protester. Elle avait d’abord pensé à envoyer sa petite soeur en Australie, en sécurité avec leur mère. Mais curieusement, c’était Luke qui l’en avait dissuadé. Il avait dit que ces monstres, mus par le Don, étaient des sortes de sonars géants, et que Daisy n’avait ainsi plus à participer directement aux combats. Le nouveau général, John McAllister avait approuvé: les radars britanniques que Luke n'avait pas eu le temps de protéger - autrement dit la majorité - avaient tous été pulvérisés. Daisy envoyait donc la flotte britannique là où il fallait, même si de trop nombreux navires avaient déjà réussi à débarquer.

-     La flotte a repoussé quatre attaques aujourd’hui. Un des navires transportait des Doués, alors Gavar s’en est chargé, poursuivait l’adolescente, avec une légère grimace.

Abi fit un effort pour revenir dans la conversation. Des navires. Gavar. Repoussés. Elle voulut féliciter sa sœur, sans y parvenir, parce que rien de tout ça n’était normal. Puis elle se força à sourire, donna à son tour de vagues nouvelles. Même si la ligne était sécurisée, il se pouvait que les Confédérés arrivent un jour à la pirater, alors mieux valait éviter de divulguer des informations stratégiques. 

-      Libby me manque, lâcha soudain Daisy lorsque le silence revint. Enfin… C’est pas comme si j’avais le temps. Mais ce qui m’inquiète, c’est que Thalia Jardine a l’air de devenir de plus en plus dingue. Elle a même interdit à Gavar d’aller se battre! Évidemment, il l’a envoyée se faire voir.

Oh, comme Abi pouvait la comprendre.

-     Elle a peur de le perdre, comme moi, j’ai peur de te perdre, fit-elle doucement.

    Daisy grimaça et désigna les murs rongés par le sel de sa maisonnette. Elle avait élu domicile à Bournemouth, une station balnéaire devenue fantômatique, afin de pouvoir reste proche de la mer, et Luke avait sécurisé la zone.

-     Ne t’inquiète pas.

Un silence. Si Abi n’avait pas connu si bien sa sœur, elle aurait pensé qu’elle était perdue dans ses pensées, mais en réalité, elle hésitait.

-     Vas-y, crache le morceau, l’encouragea-t-elle.

Daisy eut un sourire désabusé.

-     Ne te moque pas, alors. Je ferais mieux d’en parler à Luke, mais il est plutôt occupé ces temps (ce qui arracha enfin un sourire à Abi). Ça concerne les liens qu’il a tissés entre nous et lui. Il m’a expliqué que c’était un moyen d’alerte pour lui, au cas où j’étais en danger. Mais en fait… je crois que ça va beaucoup plus loin que ça.

Abi n’avait pas d’avis sur la question. Elle se sentait toujours dépassée lorsqu’il s’agissait du Don, mais le ton de Daisy l’intriguait:

-     Qu’est-ce que tu veux dire?

-     Hé bien… J’ai peut-être trouvé une nouvelle utilisation. Je ne suis pas sûre...

Abi haussa les sourcils, mais Daisy se referma soudain comme une huître, comme si elle trouvait son propre raisonnement ridicule.

-     Enfin, ça n’a pas d’importance, oublie.

Elle refusa d’en dire plus.

 

 

Les jours suivants furent intenses. Chris se rendit sur le terrain, utilisant son Don aérien pour repousser des attaques de bombardiers, sous l’œil des caméras. Les images étaient retransmises sur des réseaux sociaux et des chaînes confédérées piratées, comme un remake de l’ancienne stratégie des Egaux.

 De son côté, le club formait une équipe plus redoutable que jamais. Il repérait les protestataires confédérés et les arrosait d’informations sur la réalité de la guerre, attisant leur rébellion naissante. De même, chaque image de char confédéré détruit était relayée et abondamment commentée pour soutenir le moral des Britanniques.

L’opinion publique internationale commença à vaciller. Beaucoup de pays non doués commencèrent à encourager la Grande-Bretagne, dans ce qu’ils estimaient être un combat de David contre Goliath. Rebecca Dawson attisa de son mieux les braises. Elle martela que le droit international avait été violé et qu’il fallait faire pression sur les États-Confédérés en rompant les relations commerciales. Certaines nations commencèrent timidement à réduire leurs importations, sans que cela ne change la donne: l’ennemi restait encore assez riche pour poursuivre la guerre pendant des mois. Heureusement, la chaîne de ravitaillement continuait à fonctionner grâce aux portails de Luke. Mais la logistique devint compliquée, certains camions se heurtaient aux blindés confédérés.

Le seul bol d’air fut amené par un petit repas festif que Luke et Abi organisèrent avec leur mère en l’honneur de Daisy, décidés à oublier momentanément les tensions. Occupé à soutenir l’armée, Gavar avait retenu la date par on ne savait quel miracle. Il se débrouilla pour faire parvenir un dessin de Libby, censé représenter un pré fleuri et des papillons, et un magnifique gâteau. Ils le dégustèrent tous ensemble dans la maisonnette de Bournemouth, les bougies émettant des ombres tremblotantes sur les murs en bois. Ce fut une fête bien plus lugubre que la précédente, à Manchester, remplie d’Happy Panda et de cris de joie, mais c’était mieux que rien.

Enfin, une partie de l’avancée confédérée fut stoppée à Swindon grâce à Enya, surnommée « l’ange bleu » à cause de son bouclier. Mais le prix fut terrible pour les civils qui n’avaient pas évacué la ville: ruines, maisons éventrées, immeubles aux vitres brisées transpercées par les obus… la banlieue fut quasiment pulvérisée lors de la bataille. C’était comme un cauchemar dont Abi n’arrivait plus à se réveiller. Une de ses amies d’école venait de cette région, et ne pas savoir si elle était en vie était intolérable. En plus de la nourriture, la demande en matériel médical devenait toujours plus importante. Les hôpitaux se remplissaient de civils et de soldats blessés.

Et elle était là, plantée devant son ordinateur, en sécurité dans le bunker du gouvernement de transition. Ça ne pouvait plus durer. Elle rassembla ses affaires, prit son courage deux mains pour s’expliquer avec Rebecca Dawson et partit pour l’hôpital de Reading, où des renforts étaient demandés.



Note de l'autrice: Après les émotions du dernier chapitre, on calme un peu le jeu avec Abi, qui est davantage observatrice qu'actrice. Mais ça va bientôt changer. 🤗

Je me suis pas mal documentée avant d'écrire ces quelques phrases, et j'ai également aimé écrire le dialogue entre les deux soeurs. Quant à l'idée de l'anniversaire, elle m'a été soufflée par mon cher et tendre, car il fallait montrer que Gavar était un brave type, au fond. C'était aussi l'occasion de vous donner des nouvelles de Thalia Jardine, la mère de Gavar et Silyen, ainsi que de Libby, la fille de Gavar et protégée de Daisy. 😉 Et n'oubliez pas l'allusion à une nouvelle utilisation du lien.


Et réjouissez-vous! Au chapitre prochain se produira quelque chose que vous attendez sûrement depuis longtemps... A vrai dire, peut-être depuis la fin du tome 4. 😜



PS: J'ai beaucoup hésité, concernant la construction de ce chapitre-ci, qui était beaucoup plus long à la base. Mon cher et tendre et une de mes relectrices ont heureusement été de bon conseil, parce que purée, les noeuds au cerveau que je me suis faite, haha! Depuis que j'ai commencé à poster ce tome 5, c'était la première fois que je tergiversais autant.^^

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