Transcendance

Chapitre 32 : ENYA

4796 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/07/2024 22:28

Un musique accompagne ce chapitre. C'est un air très personnel pour moi, qui signifie beaucoup de choses et me tire parfois une petite larme. ^^

https://www.youtube.com/watch?v=vG-xxeTtCXE&list=PLRW80bBvVD3UE0HNUBXkrE8CdelCrlpib&index=15



Enya était plongée dans le noir. Elle essaya d’ouvrir les yeux, mais ses paupières collaient à sa peau ; autant tenter de soulever un immeuble de quarante étages. Puis tous ses poils se hérissèrent. C’était la menace… Celle qu’elle sentait en permanence, celle qui créait un sentiment diffus d’urgence dans son ventre, celle qui venait d’un monde où même Silyen Jardine, quand il possédait encore son Don, n’avait pas pu pénétrer.

Le sentiment de malaise se mua en une peur blanche, terrifiante, absolue. Même lorsqu’elle avait face à un Skotol, une des pires bêtes du monde des Rawena, Enya n’avait pas eu aussi peur. Elle gémit, tenta désespérément d’ouvrir les yeux, alors qu’un atroce mal de crâne lui vrillait le cerveau. Le noir, derrière ses paupières, sembla soudain virer au gris. Un petit carré plus clair apparut, comme quand on fixe une lampe trop longtemps. La forme grandit, devint de plus en plus lumineuse, jusqu’à prendre la teinte dorée du Don.

La terreur monta d’un cran. Quoique soit cette tache, c’était quelque chose que personne n’était prêt à imaginer. Il fallait la chasser, faire revenir les ténèbres, sauf qu’Enya n’y arrivait pas. Elle était paralysée, seule dans le noir, totalement impuissante. Elle eut l’impression que des langues de feu couraient sur ses bras, s’enroulaient autour de son cou, emprisonnaient ses jambes. Folle de terreur, elle voulut se secouer frénétiquement. Mais elle n’arrivait toujours pas à bouger. Elle ne pouvait même plus crier. La migraine lui dévorait le crâne… Ces flammes qui l’entouraient…. Elle allait brûler vive, mourir… MOURIR.

Soudain, elle réussit à ouvrir les yeux. Son cœur, qui allait exploser dans sa poitrine, se calma brutalement. Il n’y avait pas de flammes. Pas de forme lumineuse. Pas de douleur. Pas de migraine. Juste un plafond blanc auquel se balançait un lustre étincelant. Elle fronça le nez, songeant que l’odeur ne correspondait pas à l’image: au lieu d’effluves fraîches et lumineuses, l’air empestait le renfermé. Elle voulut se lever. S’aperçut qu’elle était menottée à une chaise. Des filins lumineux enserraient sa taille, ses bras et ses cuisses, ce qui représentait une version high-tech des colliers de gruach. On pensait donc qu’elle était douée. La deuxième constatation fut bien plus douloureuse et lui fit monter des larmes brûlantes aux yeux: son médaillon n’était plus autour de son cou. Putain, ce n’était pas possible. Ce bijou, c’était tout sa vie. Il l’avait sauvée tant de fois ! En être séparée, c’était comme se retrouver nue, sans défense. Puis elle songea à Chris et les larmes devinrent encore plus brûlantes. Seigneur, pourvu qu’il soit en vie. S’il-vous-plaît, s’il-vous-plaît.

Mais une préoccupation après l’autre… D’abord, savoir où elle se trouvait. Promenant son regard autour d’elle, elle vit que son intuition était bonne: les lieux avaient tout l’air d’un bunker aménagé pour l’élite confédérée, si elle se fiait aux senteurs, à l’absence de fenêtres, au lustre qui se balançait au plafond, aux meubles coûteux et au tapis persan qui recouvrait le sol. Il y avait aussi un lit et au fond, une porte qui semblait mener à une salle de bains, ainsi que plusieurs caméras camouflées que son œil entraîné repéra en quelques secondes. Les minutes ayant suivi l’explosion se reconstituèrent peu à peu dans sa tête. Leur plan désespéré, à Chris et à elle, avait dû fonctionner, et la bombe avait explosé sans blesser qui que ce soit. Mais l’énergie dépensée pour ce petit miracle avait été si colossale qu’elle avait dû s’évanouir.

Puis soudain… ce parfum… Oooh, non. Non, non, non. Elle avait redouté et recherché cette fragrance depuis si longtemps. Une odeur de cuir, chaleureuse et réconfortante, à laquelle elle s’accrochait les jours où le manque la faisait trop souffrir. Elle referma les yeux, consternée. Chris avait raison. Elle n’avait jamais vraiment réussi à se détacher d’Axel. Des souvenirs tourbillonnèrent dans sa mémoire, gorgés de soleil, d’amour et d’éternité. Un abominable mensonge.

-     Enya.

Cette voix. Elle voulut garder les yeux fermés, mais toutes les fibres de son corps lui criaient de les rouvrir.

-     Axel, cracha-t-elle en le fusillant du regard.

Il s’était tenu juste derrière sa chaise et maintenant, il était là, assis juste en face. Le jeune homme n’avait pas changé depuis la dernière fois où elle l’avait vu. Il portait son éternelle veste en cuir brun, avait le même teint bronzé et les mêmes yeux bleus que Chris, mais là où son petit frère était élancé, il était tout en muscles. Ses épais cheveux blonds, rasés sur le côté, se hérissaient en tous sens sur le sommet de sa tête et ses mains longues et fines étaient ouvertes sur ses cuisses. Un demi-sourire étirait ses lèvres, comme s’il venait de faire une bêtise. Le genre d’expression qui faisait craquer n’importe quelle fille, et Enya avait été assez bête pour tomber dans le panneau, à l’époque.

En attendant, elle remarqua que ses doigts étaient contractés et qu’il n’osait pas la regarder dans les yeux.

-     Euhm… J’espérais te revoir dans d’autres circonstances. Tu es vraiment passée dans le camp britannique ? lâcha-t-il.

La question était tellement absurde qu’Enya éclata de rire. S’attendait-il vraiment à ce qu’il lui dise que durant tout ce temps, elle avait joué les agents doubles pour les États-Conférés?

-     Il n’y a rien de drôle, marmonna Axel, avec cet air vexé qui avait autrefois été attendrissant.

Le rire d’Enya redoubla d’intensité, puis mourut lorsqu’elle sentit la main d’Alex sur sa joue. Sa peau la brûla, se glaça. Encore cet effet, après tout ce temps.

-     Lâche-moi! gronda-t-elle.

Il s’exécuta et Enya inspira brusquement. Elle avait retenu son souffle sans s’en rendre compte. Normalement, son cerveau aurait dû tourner à plein régime pour échafauder un plan, mais il était paralysé, habité par un écho qui se répétait à l’infini. Onze mots qui hantaient son passé. Deux phrases qui lacéraient ses souvenirs. « J’ai l’impression de jouer un rôle. De ne pas être moi. » Enya se débattit mentalement, en vain – l’odeur d’Axel ravivait sa mémoire. Elle revit l’immense parc privé des Grailingstream autour de la Maison-Blanche lors d’une soirée de septembre, si radieuse et pourtant déchirante. Des feuilles encore trop vertes pour songer à ternir. Une brise mordante. Un soleil à l’agonie. Axel qui se tournait vers elle et lui lâchait ces deux phrases. Elle-même, sonnée, comme si son corps ne lui appartenait plus. Comme si ces stupides mots l’avaient anesthésiée. Elle n’avait pas réalisé que leur étreinte, dans la chambre d’Axel, serait la dernière. Il y avait eu ses propres phrases, maladroites, désespérées. Axel, mâchoire serrée, qui regardait droit devant lui.

Dans le taxi qui l’avait ramenée dans son minuscule appartement, à Washington, Enya avait refusé de craquer. Les émotions, le désespoir, l’impression que son univers s’écroulait sous ses yeux, elle avait tout ravalé. Pas une larme n’avait franchi ses paupières. La seule chose qu’elle ne pouvait pas contrôler, c’étaient les cauchemars.

Et cette question, lancinante. Pourquoi? POURQUOI?!

Enya avait cherché Axel une bonne partie de sa vie. C’était idiot, mais grandir dans un autre univers sans l’avoir voulu, avant de revenir dans son propre monde, l’avait condamnée à se sentir en décalage avec les autres. Bien sûr, il y avait eu Hayden, mais leur histoire n’avait pas duré. Et puis au hasard d'une compétition de hip-hop à laquelle elle participait, elle était tombée sur Axel, le célibataire le plus convoité des États-Confédérés, accompagné d’une escouade de gardes du corps. Ça s’était fait tout seul, vraiment, de façon presque banale. Ils avaient discuté, eu l’impression de se connaître depuis une éternité, échangé leurs numéros.

Avec Axel, le temps coulait toujours beaucoup trop vite, chaque seconde filait entre les doigts. Il savait dissiper les idées noires avec une simple blague, se battait pour être aussi extraordinairement normal qu’Enya, malgré son statut de fils aîné du président. Leurs esprits tissaient des conversations fascinantes et le jeune homme avait toujours l’air d’avoir avalé une encyclopédie. Non, plusieurs encyclopédies et Wikipédia en prime. Ils avaient fait des 4000 mètres juste pour le plaisir, même si Axel avait dû ruser pour échapper à la vigilance de son père, qui jugeait une telle activité trop dangereuse. C’était peut-être pour ça que Spencer Grailingstream ne l’avait jamais appréciée, songea Enya en luttant pour s’arracher à ses réflexions. Et son erreur à elle avait été de ne jamais se demander si elle représentait ce dont Axel avait besoin.

Pourquoi ? POURQUOI?!

La question fendit le voile de souvenirs.

Axel était toujours là. Aussi beau, inaccessible et frustrant qu’un mirage. Sauf qu’il avait l’air d’avoir pris un coup. Enya s’aperçut alors qu’elle venait de lui hurler sa question à la figure. Elle s’empêcha de s’excuser.

-     Enya… Si tu savais à quel point j’ai regretté de t’avoir quittée….

-     La vérité, Axel! cria-t-elle. Arrête avec tes phrases dégoulinantes! Les sourcils du jeune homme se froncèrent:

-     C’est la vérité. J’ai fait une erreur…

-     Ah oui? C’est drôle, tu n’es jamais venu me le dire...

-     À cause de mon père! rugit Axel.

Les caméras. Les caméras étaient désactivées, sinon jamais il n’aurait pu dire ça, songea Enya. A moins que ça ne fasse partie d’une mise en scène du clan Grailingstream. Autant essayer de savoir:

-     Pourquoi est-ce que je te croirais?

-     Mais enfin, tu as bien vu comment ça s’est passé, quand je vous ai présentés pour la première fois!

Spencer Grailingstream l’avait regardée comme un mégot de cigarette se décomposant dans un caniveau, se souvint Enya, puis il lui avait posé des questions très précises sur sa vie, sa profession, ne la lâchant que lorsqu’Axel avait enfin réussi à réorienter la conversation.

-     Il m’a dit que tu travaillais pour les services secrets suisses. Et par-dessus ça, je découvre que tu es douée. C’est toi qui m’as menti, Enya!

Non! Ça n’était jamais venu sur le tapis! Même quand il l’avait quittée dans ce parc! Il avait prétendu que c’était parce qu’il n’avait plus de sentiments. Elle hésita à nier. Prit sa décision en une fraction de secondes.

-     Je suis désolée de te l’avoir caché. Vraiment. Mais ce n’est pas pour ça que je suis sortie avec toi! Je savais que c’était une mauvaise idée, sauf que je n’ai pas pu m’en empêcher, OK? Tu sais qui je suis, Axel! Tu le sais!

Il eut un petit rire amer.

-     Alors qu’est-ce que je fais là? insista Enya. Pourquoi je ne suis pas dans une des cellules confédérées, en plein interrogatoire? Détache-moi, au moins!

Axel se leva brusquement. Il se dirigea vers le bureau, où il chassa une poussière imaginaire. Enya tenta de calmer son cœur, qui battait la chamade, profita de sa maigre lucidité pour scruter la pièce à la dérobée.

-     Tu n’as aucune idée de ce que c’est, d’être le fils du président des États-Confédérés. Je n’ai pas le droit au moindre faux pas, finit par dire Axel à voix basse, le dos toujours tourné.

-     Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je te dirais que tu as toujours le choix…

Il leva la tête, la secoua. Ses épaules se tendirent, ses poings serrèrent comme par réflexe. Il luttait contre quelque chose… Peut-être contre lui-même. Il poussa un long soupir, puis revint s’asseoir, et Enya maudit sa respiration, qui se raccourcissait. Au moins, elle n’avait pas rougi.

-     Quand je t’ai vue, tout à l’heure, je n’ai pas pu les laisser t’emmener. J’ai agi sur un coup de tête, mais on n’a pas beaucoup de temps. Tu dois venir dans notre camp, Enya.

-     Notre camp?

-     Tu m’as compris. Celui des États-Confédérés.

-     Arrête avec tes salades, Axel! Tu te rends quand même compte de ce que ton père est en train de faire! Comment peux-tu le soutenir?

-     C’est toi qui ne comprends rien! répliqua-t-il.

-     Ah oui? Tu restes fidèle à un homme qui assassine un peuple innocent?

Cette fois, une légère hésitation dansa dans les yeux du jeune homme, étincelle grise ternissant ses prunelles bleues. L’Axel qu’elle avait connu était intelligent, elle ne pouvait pas croire qu’il encourage cette guerre de son plein gré.

-     C’est trop tard pour moi, finit-il par lâcher si doucement qu’elle dut tendre l’oreille. Je ne peux plus revenir en arrière.

Ce fut comme un uppercut. Pour cacher sa douleur, Enya cracha la première chose qui lui passa par la tête:

-      Et c’est moi qui ne comprends rien ? Franchement, ton pays pourrait gagner la médaille du lavage de cerveau.

Contre toute attente, le sourire de gamin d’Axel réapparut. Il éclata de rire:

-     Ton humour m’avait manqué!

Puis il se rapprocha encore. Son visage n’était plus qu’à quelques centimètres, et Enya ne put empêcher ses lèvres de frémir, ses yeux de papillonner, tandis que le sang bouillait dans ses veines. Les doigts d’Alex se posèrent sur sa joue, aussi légers que des papillons, glissèrent le long de son menton et caressèrent la zone douce au creux de son cou. C’en était trop! Il fallait le mordre, le frapper ou lui hurler d’arrêter son cinéma. Mais c’était comme demander à la pluie de cesser d’abreuver une terre assoiffée.

-     En fait, tu m’as manqué. Chaque jour, murmura-t-il.

Il se pencha et Enya fut incapable de se détourner. Elle ferma les yeux, avec l’impression d’être de retour à la première fête nationale qu’ils avaient passée ensemble, à regarder les feux d’artifice colorer le ciel nocturne. Ce soir-là, le profil d’Axel s’était découpé sur les eaux du Potomac, ses cheveux blonds ébouriffés, sa chemise remontée sur les avant-bras… C’était une des plus belles images que la jeune fille avait gardée de lui. Et comme à ce moment-là, ses lèvres effleurèrent les siennes. Cette odeur. Cette saveur. Ce fut un baiser doux-amer, rempli de joie, de souvenirs et de promesses brisées. Un instant d’éternité, tandis que l’hésitation se muait en passion, que les langues se cherchaient.

Ce fut finalement le jeune homme qui rompit le contact.

-     Reviens avec moi, implora-t-il.

Enya ferma les yeux, analysant les dernières miettes de ce qui venait de se passer. Elle avait imaginé ce moment tant de fois qu’elle était enfin entrée en collision avec elle-même. Tout ce qu’elle avait cru n’était qu’un beau et doux mirage. Des bribes de passé auxquelles s’accrocher, comme une occasion manquée.

-     Oh, tu n’as pas entendu? demanda-t-elle.

-     Quoi?

-     Le bruit d’un chapitre qu’on referme.

Qu’il médite là-dessus, songea Enya en appelant le Don qu’elle sentait flotter dans la pièce. Les étincelles de pouvoir étaient particulièrement abondantes, ce qui n’avait rien d’étonnant: les Doués l’attiraient.

-     Ce qui m’amuse beaucoup, avec vous, les Egaux, c’est que vous n’avez pas encore compris qu’il existe plusieurs formes de pouvoirs, poursuivit-elle à voix basse.

Alors qu’Axel la regardait sans comprendre, Enya s’immergea dans les étincelles, leur ordonnant de trancher ses liens puis d’annuler les défenses du jeune homme. La seconde d’après, elle bondissait sur lui, le plaquait au sol, une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier.

-      Le pouvoir de gruach ne marche pas sur moi, lança-t-elle. Oh, et c’est drôle, tu ne m’as pas posé une seule question sur ton frère… ça montre bien quel genre de personne tu es….

Vite! Si Axel avait gardé la moitié des facultés qu’Enya lui connaissait, il allait se dégager d’un instant à l’autre. Seul l’effet de surprise lui avait permis d’avoir le dessus, et il devait se demander pourquoi ses défenses douées n’avaient fonctionné. Elle voulut le ligoter avec les filins de gruach, se souvint juste à temps qu’en tant que Grailingstream, il devait être immunisé contre leur pouvoir.

Tant pis. La jeune fille appela le pouvoir de persuasion que contenaient quelques-unes des étincelles et l’envoya dans les tempes d’Alex de toutes ses forces. Lorsqu’il comprit ce qui se passait, celui-ci rua et parvint à se dégager, mais il était trop tard.

-     Arrête! ordonna Enya.

Axel se figea aussitôt, muselé par le Don.

La jeune femme savait qu’il était en train de combattre avec son propre pouvoir, si fort. Elle n’avait pas beaucoup de temps.

-     Tu vas me conduire à ton père, et saboter le système de communication de l’armée confédérée. Jure-le-moi!

Axel eut une affreuse grimace. Il tremblait de tout son corps et la regardait avec une. telle incompréhension qu’elle sentit une bouffée de culpabilité lui serrer la gorge. Mais comme elle le lui avait dit, il y avait toujours le choix. Elle avait fait le sien.

-     Jure-le, Axel! Le serment doué!

Ses étincelles allaient bientôt exploser sous les coups de boutoir doués du jeune homme.

-     Je…

Il saignait du nez. Enya sentit tout son corps trembler sous l’effet du combat mental qu’ils menaient. Ses genoux la lâchèrent.

-     Jure-le! gémit-elle.

Axel lâcha un cri de souffrance, le dos arqué, tous les muscles tendus. Sa peau dégoulinait de sueur.

-     Je... jure…de…, finit-il par souffler.

-     La suite! haleta Enya, augmentant encore la pression, l’esprit si tendu qu’elle le sentait prêt à exploser.

-     … de saboter… le système de communication de l’armée confédérée…

-     …Et?

Mais le Don d’Axel prit le dessus.

Enya se retira aussitôt de son esprit. Les secondes éclatèrent comme des battements de cœurs sous sa peau. Elle matérialisa sa ceinture, devenue invisible lorsqu’elle s’était évanouie afin de dissimuler ses armes, puis saisit une sphère qu’elle propulsa droit sur la porte avant de battre précipitamment en retraite. L’explosion souffla Alex, qui s’écrasa contre le mur du fond.

Sans perdre une seconde, la jeune fille se rua en avant, franchit un nuage de fumée et de débris, passa par l’ouverture. Devant elle se trouvait un couloir éclairé par la lumière chirurgicale de néons, désert pour l’instant. Axel avait donc vraiment caché sa manœuvre à son père.

Malgré tout, sortir de ce bunker, sans plan ni repères relevait du suicide. Il n’y avait donc qu’un plan possible, et Enya s’enfonça profondément dans son esprit, pensant de toutes ses forces à Hayden. Puis elle vit tout à coup un détail qui lui avait échappé : des filins de gruach étaient fixés en haut des murs, si discrets qu’ils passaient presque inaperçus. Le cœur battant la chamade, elle sauta en l’air, crocheta le filin. Mais ses doigts dérapèrent et elle retomba. Elle dégaina son poignard. Prit son élan. Cette fois, un bout de filin se mit à pendre dans le vide. Elle tira de dessus, l’arrachant du plafond sur deux mètres de longueur, et réitéra l’opération avec l’autre filin.

-     Les mains derrière la tête! hurla une voix à l’accent confédéré.

Voilà, la cavalerie était arrivée. Enya leva lentement les deux bras, fixant la dizaine de soldats qui lui faisaient face, à l’autre bout du couloir. Elle expira, posa ses deux paumes sur l’arrière de son crâne. Entendit qu’Axel franchissait le seuil de la porte, derrière elle.

-     Nous contrôlons la situation, Monsieur. Sauf votre respect, veuillez ne pas rester sur la ligne de tir! lança aussitôt le soldat.

Mais en réalité, ils ne contrôlaient rien du tout. Une porte apparut dans les airs, au grand soulagement d’Enya, qui contempla le bois et la poignée familière. Luke surgit, alerté via le lien qu’elle lui avait demandé de tisser entre elle et Hayden, juste avant son départ pour la Maison-Blanche.

Une cacophonie de voix éclata dans le couloir. Le soldat, Axel et Luke, tous s’étaient mis à parler en même temps, tandis que les armes changeaient de cible. Enya tenta de hurler encore plus fort :

-     On doit partir! Il y a des câbles de gruach partout. J’ai juste réussi à les arracher là où on est.

-     Mais Axel…

-     Les câbles, Luke! Ils ne lui enlèvent pas son pouvoir, juste le tien, cria-t-elle, la rage au cœur.

Heureusement, le jeune homme sembla comprendre. Il la prit par le bras et la balança sans ménagement à travers la porte, avant de la suivre, tandis qu’un tir nourri s’écrasait sur son bouclier doué – sans compter sur les rafales projetées par Axel.

Et aussi simplement que ça, ce fut fini.

Ils venaient d’échapper aux Confédérés…

… Pour atterrir au milieu d’une forêt roussie par une odeur de brûlé. Entre les branches s’élevait une colonne de fumée noire, signe qu’une bataille devait avoir eu lieu à proximité. Des aiguilles de peau collèrent au pantalon blanc et aux bottes d’Enya, qui vit les mains de Luke s’illuminer et se promener devant ses yeux, son front, au-dessus son corps. Il était en train de s’assurer qu’elle n’était pas blessée, réalisa-t-elle. Depuis quand avait-il ce réflexe? Elle eut la réponse quand elle regarda son visage. L’angoisse, au fond de ses prunelles, ne trompait pas. Le dôme avait dû éclater, la guerre avait recommencé, comme elle l’avait redouté quand elle s’était réveillée dans le bunker.

Puis elle songea à Axel, et une boule enfla dans sa gorge, brûlante. Elle toucha ses lèvres, la base de son cou. Une vague de tristesse inattendue la submergea. Elle n’eut que le temps de plaquer ses mains contre sa bouche avant d’éclater en sanglots, songeant qu’elle s’était raccrochée au souvenir d’Axel pendant si longtemps qu’elle avait désormais l’impression de tomber, seule dans le noir, sans personne pour la rattraper. L’air désemparé, Luke les regardait tour à tour, la fumée noire et elle. Il devait être en train de défendre en endroit stratégique ou quelque chose comme ça, mais au lieu de l’abandonner, il la prit dans ses bras. Elle ne l’avait absolument pas mérité, même si elle s’accrocha à lui, et à travers un rideau de larmes, aperçut une vague lueur au-delà des arbres squelettiques. Ce n’était pas l’explosion d’une bombe, non, c’était le soleil qui se levait.

-     Si ça peut t’aider, j’ai ton médaillon. J’irai le chercher après, lui chuchota Luke.

Son médaillon. Cette nouvelle aurait dû la soulager, mais à la place, Enya demanda entre deux hoquets, redoutant la réponse:

-     Et Chris? Tu as eu de ses nouvelles?

Pourvu qu’il ne soit toujours en vie. S’il-vous-plaît. S’il-vous-plaît.

La réponse fut comme une lueur pâle et froide :

-     Il va bien. J’ai pu le récupérer avant toi, quand vous avez protégé le bunker. Il… euh… Il est avec Abi. Je crois qu’ils font équipe.

Abigail Hadley.

Cette fille était intelligente, courageuse, passionnée… Parfaite pour Chris. Enya tenta de s’en convaincre.

Malgré tout, le soleil sembla prendre une teinte cendreuse.


Note de l'autrice C'est un des chapitres dont je suis le plus fière, et j'ai été très touchée de recevoir des retours enthousiastes de mes prélectrices (isn't it Bucky?). 🥲 Je craignais d'avoir rendue Enya détestable malgré moi, dans le tome 4. Je suis donc heureuse d'avoir eu l'occasion de montrer ses failles et sa facette plus humaine. J'ai dû puiser très profondément en moi pour écrire ces lignes, et franchement, ça valait le coup. J'espère que la lecture vous a plus et vous remercie encore une fois: votre fidélité signifie énormément pour moi. N'hésitez pas à m'écrire en MP si vous avez des question ou si vous voulez papoter un peu à propos de cette fic. Et bien sûr, n'hésitez pas à laisser un petit commentaire si le coeur vous en dit.


PS: j'ai modifié la façon dont Axel et Enya s'étaient rencontrés après avoir participé à un topic sur les OC (personnages que j'ai inventés). Le but est de répondre à quelques questions chaque mois. Si vous voulez y jeter un oeil, c'est par ici: https://forum.fanfictions.fr/t/faites-nous-decouvrir-vos-oc/5892/112




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