Transcendance
Un immense soulagement envahit Luke lorsqu’il revint à Far Carr. Les Néodoués étaient toujours en vie, mais plus aussi nombreux que lorsqu’il les avait quittés – au moins cinq étaient partis. Son regard se posa sur Soraya, prostrée.
Red.
Son cœur se serra et les larmes lui montèrent aux yeux. Puis la jeune femme se redressa, s’avança à grands pas, et il ne vit même pas la gifle venir, au contraire de ses défenses douées qui catapultèrent l’amie d’Abi en arrière. Les traits déformés par le chagrin, celle-ci se releva, tandis qu’un grondement s’élevait en provenance de la plage, comme si la mer s’était soudain mise à bouillonner.
Coira accourut.
Le cœur de Luke se serra et les larmes lui montèrent aux yeux. Puis Soraya se redressa, s’avança à grands pas, et il ne vit même pas la gifle venir, au contraire de ses défenses douées qui catapultèrent la jeune femme en arrière. Les traits déformés par le chagrin, celle-ci se releva, tandis qu’un grondement s’élevait en provenance de la plage, comme si la mer s’était soudain mise à bouillonner.
Coira était déjà auprès de Soraya.
- Où étais-tu? jeta-t-elle à Luke.
- Chris et Enya avaient besoin de moi, répondit-il d’un ton las. Où sont les autres?
Ce fut Daisy qui répondit. La moitié des Néodoués avaient décidé que les choses étaient allées trop loin et étaient rentrés dans leurs familles.
- Mais nous, nous sommes restés parce que nous voulons nous battre, ajouta-t-elle d’un ton ferme.
Luke ne dit rien, consterné. Sa petite sœur n’était pas censée être un soldat. Elle aurait dû jouer avec ses enfants de son âge, rire, réviser ses cours. Puis un rugissement de Soraya, qui cherchait à se dégager de l’étreinte de Coira, interrompit ses pensées. Il se rappela toutes les fois où il avait essayé de frapper Sil et où il avait été repoussé par ses défenses douées.
- Laisse-la, demanda-t-il.
La jeune femme blonde, les yeux rouges et les joues dégoulinantes, se dressa devant lui, tremblant de colère.
- Désolé pour tout à l’heure. Vas-y, je ne me défendrai pas.
Sa tête vola aussitôt de côté, sous l’effet d’une gifle monumentale. Puis Soraya lui martela le torse en vomissant un flot d’insultes.
- On te faisait confiance! finit-elle par sangloter en s’essuyant rageusement les yeux.
Luke se détourna. Laissa libre cours à son chagrin. Sentit Nikkin s’approcher et poser maladroitement la main sur son épaule. Ce simple contact était si réconfortant qu’il fut à deux doigts de s’écrouler sur le Néoégal. Oh, comme il aurait voulu se blottir contre lui, se laisser envelopper par sa chaleur.
C’était sans compter son téléphone qui se mit à vibrer.
Luke avait déjà commis une fois l’erreur de ne pas décrocher. Il ne la commettrait pas deux fois.
- Reviens tout de suite! dit Abi d’une voix tendue, dans le combiné.
- Il faut que je trouve un nouvel abri pour les Néodoués et…
- Amène-les ici. Tu me raconteras tout après. Et dépêche-toi!
Qu’est-ce qui pouvait encore se passer? Luke avait eu son compte d’émotions pour les dix prochaines années, mais il se força à repousser Nikkin et à ouvrir un portail jusqu’au bunker de Mount Rock. Qu’Abi lui ait demandé d’amener les Néodoués était plus qu’inquiétant: ils avaient tout fait pour les soustraire à l’état-major et au gouvernement de transition, alors pourquoi les conduire là- bas? Mais il n’avait plus la force de réfléchir.
Coira, Daisy et les autres ne protestèrent pas. Quelques minutes plus tard, ils furent pris en charge par une collègue d’Abi.
Se demandant comment le gouvernement de transition trouverait de la place pour autant de monde, Luke écouta sa sœur d’une oreille distraite, dans leur chambre. Il crut soudain avoir mal entendu :
- Quoi? fit-il.
- Dave Russel. Il va dire qui tu es réellement à toute la Grande-Bretagne, répéta Abi.
- Mais… Il ne peut pas savoir qui je suis… ?
- Quelqu’un t’a filmé au moment où tu as enroulé la mer et lui a vendu l’enregistrement. Russel a fait le lien. En tout cas, c’est que Rebecca Dawson a dit.
- Mais…
- Il veut se venger, Luke! Parce qu’il pense c’est toi qui as empêché le missile d’exploser ! Avec toute cette histoire, il a été renvoyé de l’état-major et il va sûrement devoir passer devant la Cour martiale. Il n’a plus rien à perdre.
Luke pensa à tout ce que ça impliquait et il eut l’impression que sa vie s’effondrait comme un château de cartes. Heureusement, Abi avait déjà pensé aux solutions:
- Il faut que tu fasses une déclaration. J’en ai parlé avec Rebecca Dawson - je te préviens, elle t’en veut beaucoup de lui avoir caché qui tu étais - mais elle est d’accord avec moi. Au moins, Dave Russel sera court-circuité. On a bien sûr pensé à lui imposer un Silence ou un Oubli, mais il a déjà transmis l’information, alors si ce n’est pas lui qui la donne, ce sera quelqu’un d’autre…
Luke se prit la tête entre les mains et se laissa tomber sur le lit. Les médias n’arrêtaient déjà pas de se poser des questions sur lui, sans parler des réseaux sociaux. Il n’osait même pas imaginer l’effet de la bombe qu’il allait lâcher. Et surtout, est-ce que l’état-major et le gouvernement de transition continueraient à lui faire confiance? Puis il pensa à sa mère.
- Nous l’amènerons chez des parents des Tresco en Australie, fit Abi, qui avait réponse à tout.
- Elle est d’accord?
Sa sœur eut une expression terriblement coupable. Apparemment, il faudrait négocier.
- Tiens, je t’ai rédigé quelque chose, fit-elle en lui tendant une feuille.
Luke parcourut les mots tracés d’une écriture soignée, mais les lettres se brouillaient devant ses yeux, remplacés par une odeur de cendre et de fumée. Il revoyait sans le vouloir Far Carr, à moins que ça ne soit ce foutu bunker confédéré.
- Fais-le, toi, gémit-il. Tu as toujours été douée pour ça. J’ai… Je suis fatigué Abi. Je ne vais pas y arriver.
Il sentit sa sœur le prendre par les épaules:
- Hé, ça doit venir de toi. Je sais que tu en es capable. Tu te souviens de la fois où Daisy avait cassé le vase? Tu as sorti un discours si dingue à maman qu’elle ne savait plus s’il fallait la féliciter ou la punir.
Le vase. À ce souvenir, Luke eut un faible sourire. Mais on ne pouvait pas comparer un si petit incident à un discours en direct à des millions de personnes. Il soupira, se passa la main dans les cheveux. Sauf que ce n’était pas comme s’il avait le choix, non? Sa soeur avait raison. Ça devait être lui.
Tout s’enchaîna très vite. Abi le conduisit le long des couloirs du bunker, où sa présence suscitait toujours des regards émerveillés ou impressionnés. Puis il pénétra dans un autre monde: un véritable studio de télévision. Il s’agissait du décor de toutes les allocutions officielles du gouvernement de transition depuis le début de la guerre.
Un bureau et un immense drapeau de la Grande-Bretagne se dressaient au centre d'une forêt de câbles, de spots et de caméras. Et devant, Gavar était en train de parler. L’Egal renfrogné et agressif que Luke avait connu n’existait plus: le grand-frère de Sil se tenait droit, parlait distinctement, le menton relevé, comme s’il avait fait ça toute sa vie. Il encourageait les Britanniques à tenir, assurait que le dôme leur permettait de consolider leur défense.
- Il te prépare le terrain, souffla Abi.
En effet, car quelques minutes plus tard, Gavar déclarait:
- Je vais laisser la parole à une personne que vous connaissez tous, mais qui ne s’est jamais officiellement adressée à vous. Certains le connaissent sous le nom d’Alexis Jones, d’autres l’appellent le Bouclier. Sachez qu’il a tout mon soutien.
Puis il quitta le champ des caméras, et Luke crut qu’il allait s’évanouir. Sa soeur le poussa doucement en avant.
- Allez, l’encouragea-t-elle.
Quoi? Comment ça? Il n’aurait même pas le droit à une répétition, à une séance de maquillage ou à un minimum de préparation? Un bloc de plomb tomba dans son estomac et gonfla jusqu’à emplir toutes ses entrailles. À l’école déjà, il avait toujours détesté les tests oraux ou les exposés, où il avait l’impression que la moitié de la classe, assommée d’ennui, ne l’écoutait pas, tandis que l’autre moitié se moquait de lui.
Tout compte fait, affronter une escouade entière de soldats confédérés aurait été préférable. Les paumes moites, Luke se retrouva en face de l’œil d’une caméra. À sa droite, dans l’ombre, Gavar lui fit un clin d’œil ; à moins qu’il n’ait rêvé?
- C’est quand vous voulez, fit une femme.
Luke hésita à ouvrir un portail pour s’enfuir. À la place, il hocha la tête, chiffonnant son bout de papier entre ses mains. La lueur d’un projecteur lui vrilla les yeux et il dut réajuster ses sens doués de toute urgence. Il regarda la feuille, la caméra, la feuille. Se racla sa gorge. Il devait avoir l’air ridicule.
Il avait douloureusement conscience que les secondes passaient et qu’il n’avait pas encore prononcé le moindre mot. Doc Jackson ou même Dina auraient dû se trouver à sa place. Ils avaient toujours su trouver les mots justes, mais ils n’étaient plus là.
Il n’y avait que lui.
- Citoyens de Grande-Bretagne, lut-il, les yeux baissés. Beaucoup d’entre vous me connaissent sous le nom d’Alexis Jones…
Mais ça n’allait pas. La gorge de Luke était aussi sèche que le désert du Sahara et sa voix tremblait tellement qu’il semblait avoir cent ans. Il cligna des yeux pour chasser la sueur sur ses paupières, prit trois grandes inspirations, éloigna la feuille.
- Si je m’exprime devant vous aujourd’hui, c’est pour vous faire un aveu. Mais d’abord, laissez-moi vous poser une question: qu’est-ce que vous feriez si quelqu’un à qui vous tenez énormément était en danger ? (Il marqua une pause, les genoux flageolants.) Maintenant, imaginez que vous receviez le Don sans rien avoir demandé, et qu’une guerre éclate. Vous essayez évidemment de défendre votre pays, parce que vous avez les moyens de le faire. Sauf que comme quelqu’un me l’a dit un jour : autant vous mettre une cible dans le dos, et je ne parle même pas de ceux que vous aimez. Alors que faites-vous?
À ce moment-là, la voix de Luke faillit flancher. Mais il se reprit et regarda droit dans la caméra. Il avait toujours du mal à croire qu’il était en train de parler à tout le pays, dans cette salle qui regroupait plus de câbles que de techniciens. Allez Luke, s’encouragea-t-il.
- Que faites-vous? répéta-t-il. Vous pouvez dire à vos proches de se cacher, ou les protéger avec un bouclier doué, mais il existe un meilleur moyen encore. J’ai…
On y était. Le grand moment. Luke se demanda s’il aurait préféré avouer qu’il sortait avec Silyen Jardine, enfin… si c’était encore le cas. Il chassa cette douloureuse pensée, prit une grande inspiration et laissa le Don affluer au bout de ses doigts, crachant et crépitant. Puis il leva les bras pour rendre la démonstration aussi impressionnante que possible. Son pouvoir monta à l’assaut de son corps, le brouilla. Puis aux yeux de tous, il redevint Luke Hadley.
- Voilà qui je suis en réalité : Luke Hadley. Celui qui a lancé la grève de Millmoor, puis qui a été manipulé par le Don pour assassiner le chancelier Zelton. Je suis vraiment, vraiment désolé d’avoir caché ma véritable identité. J’espère que vous comprendrez que ce n’était pas par lâcheté, mais simplement dans l’espoir de protéger ceux que j’aime.
Voilà, c’était fait.
Les mots venaient désormais facilement. Ils coulaient en un flot ininterrompu:
- Je suis comme vous. Un simple citoyen de Grande-Bretagne qui crève de trouille et qui ne dort plus depuis je ne sais plus combien de jours. Jamais je n’aurais pensé que notre pays puisse un jour être bombardé, que des gens soient assassinés juste parce qu’ils sont Britanniques. Mais c’est arrivé. J’ai vu des femmes, des enfants mourir parce que je n’étais pas arrivé assez vite. (Sa voix trembla.) Alors aujourd’hui, j’ai quelque chose à vous confier. Je ne peux pas vous garantir que le dôme tienne pour toujours, et s’il cède, même si nous avons peur, nous ne pourrons pas rester là, à attendre de nous faire réduire en esclavage. Nous avons réussi à nous libérer, ce n’est pas pour porter de nouvelles chaînes ! Je ne peux pas… (Il avala sa salive.) Je ne peux pas vous garantir que tout ira bien, mais je vous jure que je ferai tout ce que je pourrai. Je lutterai pour que chacun puisse avoir un avenir! Alors vous battrez-vous avec moi? Vous battrez-vous pour la Grande-Bretagne?!
Il cria si fort ces derniers mots qu’ils ricochèrent dans toute la salle. S’apercevant que tous ses muscles étaient contractés, il expira doucement avec l’impression de sortir d’un rêve. L’instant semblait suspendu. Puis un timide applaudissement s’éleva, bientôt suivi par d’autres, et à la fin, ce fut une véritable ovation. Une masse de cheveux blonds lui chatouilla soudain le cou.
- Tu as été incroyable! lui chuchota Abi à l’oreille en le serrant contre elle.
Luke en doutait. Il avait seulement essayé de ne pas se ridiculiser. Enfin, la bonne nouvelle, c’était qu’il se sentait soulagé d’un poids, même si ça n’effaçait ni la mort de Red, ni la disparition d’Enya, ni la destruction de Far Carr.
- Tu crois qu’ils me pardonneront? souffla-t-il.
Il parlait évidemment des citoyens de Grande-Bretagne. Voir les réactions durant le discours n’avait pas été possible à cause des projecteurs, mais il remarquait désormais que malgré les applaudissements, la pièce s’était vidée de moitié. Probablement des gens qui avaient mal encaissé la nouvelle.
- Pas tous, mais beaucoup, j’espère, répondit Abi tout aussi bas. Le gouvernement de transition est divisé. Rebecca Dawson est de ton côté, mais les anciens Egaux préféreraient qu’on te fasse subir un interrogatoire, pour être sûr que tu es digne de confiance. Enfin, ne t’inquiète pas, on ne les laissera pas faire.
Leur bulle de calme éclata au moment où une horde d’employés du gouvernement de transition déferlèrent dans la salle avec la ferme intention de féliciter Luke. Ce dernier hocha la tête, et sentit ses lèvres commencer à le tirer, à force de s’obliger à sourire.
Puis Gavar lui broya la main:
- Bien joué, Hadley!
- Rien que le fait de ne pas avoir vomi est une victoire, répliqua-t-il avec un pâle sourire.
À sa grande surprise, sa vanne pourrie fit rire l’Egal :
- Tu me rappelles l’humour de Silyen. (Il réfléchit avant de rajouter, les yeux perdus dans le vide.) Enfin bref…
Luke tourna brusquement la tête vers lui, et Gavar se méprit sur son expression.
- Mon frère avait peut-être l’air bizarre, Hadley, mais il lui arrivait de se montrer normal. Rarement, mais ça arrivait.
- Tu veux dire… Est-ce qu’il pardonnait, parfois? balbutia Luke.
Un fol espoir enflait dans son cœur, si violent qu’il en avait presque mal.
Gavar le regarda d’un air soupçonneux:
- En quoi ça t’intéresse, Hadley?
- Je… bafouilla Luke, soudain rouge vif.
- Laisse tomber. De toute façon, il est mort... Il se croyait plus malin que tout le monde, et regarde où ça l’a mené. Merci de remuer le couteau dans la plaie.
Refusant de réagir à la provocation, Luke n’allait pas laisser tomber si facilement:
- Mais quand vous étiez petits, tu as bien dû lui faire des blagues, ou je ne sais pas… Tu as dû voir s’il était capable de pardonner…
- Bordel, Hadley! On avait cinq ans de différence. Tu crois sérieusement que j’allais lui faire des blagues?
Oh. Vu sous cet angle… Heureusement, l’ex-Egal se radoucit, puis étonnamment, l’ombre d’un sourire s’épanouit sur ses lèvres:
- Il y avait longtemps que je n’avais plus pensé à cette époque. (Son regard devint lointain, comme s’il arrivait à voir au-delà du temps, remontant les années.) En vérité, Sil était trop malin pour qu’on puisse lui faire des farces. Il n’y a eu qu’une seule fois… Jenner avait caché des insectes dans sa nourriture. Figure-toi qu’il a trouvé ça étonnamment bon et qu’il a lu un tas de livre sur le sujet.
Luke eut un faible sourire en pensant que ce genre de comportement correspondait exactement à Sil. Puis la foule se referma sur eux, et il s’échappa finalement en créant une porte jusqu’à Manchester, entraînant Abi avec lui.
La maison familiale était toujours debout, ce qui représentait un soulagement en soi. Un Far Carr 2 n’aurait pas été supportable. Le son d’une télévision allumée s’élevait depuis le salon – apparemment un journaliste rappelait tout ce que l’on savait de « l’incroyable Luke Hadley, le héros de Millmoor ».
Mais le jeune homme n’avait d’yeux que pour sa mère, sa mère à qui il n’avait plus réussi à parler depuis les révélations de Daisy, parce qu’elle refusait systématiquement ses appels. Elle tenait une tasse de thé entre les mains, qui se brisa en mille morceaux en s’écrasant par terre. A voir sa tête, elle n’avait rien pardonné, songea désespérément Luke en refermant le portail ; il ne tenait pas à ce que le gouvernement de transition voie sa maison, parce que les derniers lambeaux de sa vie privée lui appartenaient encore.
- Fais-le sortir, je ne veux pas le voir, ordonna sa mère à Abi.
Celle-ci lâcha un énorme soupir.
- Maman, il faut que vous mettiez vos différends de côté. On est ici pour te mettre à l’abri. Luke…
- … A enfin arrêté de mentir, la coupa sèchement Jacqueline Hadley. Il apparemment jugé qu’il devait la vérité à la Grande-Bretagne plutôt qu’à sa mère.
À ces mots, Luke dut puiser dans ses dernières ressources pour ne pas fondre en larmes. Il n’en pouvait plus, il avait l’impression d’être redevenu le petit garçon qu’on réprimandait après une bêtise. Il brûlait de demander pardon, de faire n’importe quoi pour que tout redevienne comme avant, mais il pensa à Sil. Il ne pouvait quand même pas s’excuser d’être ce qu’il était, aussi douloureux que ça soit.
- Maman, on est venu pour ta sécurité. Maintenant que j’ai donné ma vraie identité, tu es en danger. On va te conduire en Australie, chez la cousine d’Armeria Tresco…
Sa mère tremblait si fort que Luke craignit qu’elle ne fasse une crise. Mais elle se radoucit soudain:
- Très bien, écoutez, je ferai ce que vous voulez, si Luke, tu me promets quelque chose.
- Tout ce que tu voudras, fit le jeune homme, soulagé.
- Tu vas immédiatement quitter l’armée. Et si ce que Daisy a dit est vrai, jure-moi de ne plus jamais revoir ce Jardine.
C’était un tel coup bas que les poumons de Luke se vidèrent d’un coup. Il haleta, à la recherche d’air. Cette journée cauchemardesque ne s’arrêterait donc jamais? Sa mère ne réalisait pas ce qu’elle lui demandait. Le visage de Sil se mit à flotter devant lui, puis, étonnamment, celui de Nikkin. Il se souvint des doigts du jeune homme sur ses lèvres, dans la forêt de Far Carr, de l’envie brûlante qui l’avait envahi…
Comme s’il était dans un autre monde, il entendit Abi protester bruyamment, tandis que sa mère restait les bras croisés. Il se força alors à penser à ce qu’il avait barricadé à triple tour dans son esprit et que Coira avait essayé sans succès d’extraire. Oui, il avait volé son Don à Sil. Oui, il l’avait fait au pire moment, quand l’Egal était totalement vulnérable. Mais quoi qu’il pense, ils ne seraient jamais pareils tous les deux. Silyen avait été prêt à abandonner la Grande-Bretagne à son sort, et il resterait toujours égoïste, concentré sur le Don et sur sa petite personne. Luke revit la manière dont il avait été rejeté. Il avait été stupide de poser la question à Gavar ; jamais l’Egal ne lui pardonnerait. Il n’y avait aucun espoir à avoir.
Alors… Serait-ce si terrible de faire ce que sa mère lui demandait?
- Abi, arrête. Maman, je t’ai toujours obéi... enfin… la plupart du temps. Je m’en veux chaque jour de m’être engagé dans le club, à Millmoor. Si j’avais su les conséquences que ça aurait, je te jure que je ne l’aurais jamais fait.
Jacqueline Hadley serra encore plus fort ses bras autour d’elle, ressemblant à un petit oiseau qui frissonnait. Ses lèvres se mirent à trembler, ses yeux devinrent brillants.
- Mais ce qui est fait est fait, poursuivit Luke, avec l’impression de se déchirer en deux. Je ne peux pas revenir en arrière. Je sais que tu t’inquiètes pour moi, que tu aimerais me protéger, mais tu dois comprendre que je ressens exactement la même chose pour toi. C’est pour ça que je ne t’ai jamais tout expliqué. Je ne voulais pas que tu te fasses encore plus de soucis. Et pour… pour Silyen... C’est vrai que j’aurais dû t’en parler, mais j’avais… j’avais tellement peur…
Sa mère tourna la tête, regardant le mur. Des larmes roulaient maintenant le long de ses joues.
- Je ne peux pas renoncer à lui. S’il te plaît, ne me demande pas ça, parce que je n’y arriverais pas. Le Silyen que tu as connu n’était pas… celui que j’ai connu moi à Far Carr. Tu dois lui laisser une chance. S’il-te-plaît…
- Est-ce que tu l’aimes? le coupa sa mère.
Luke se sentit devenir aussi rouge qu’une tomate. Avaient-ils vraiment cette conversation?
Un bruit lui sauva la mise. Des voitures étaient en train de se parquer devant la maison – probablement des journalistes où des habitants qui venaient de regarder le direct.
- On n’a plus le temps. Des gens arrivent, lança-t-il.
Sa mère n’eut aucune réaction. Ses lèvres restèrent serrées, son regard dur, sa mâchoire crispée. Une bordée d’injure aurait été moins violente que ce silence, cette colère froide. Luke eut alors l’impression que son cœur sombrait dans sa poitrine en comprenant que sa mère n’allait pas bouger. Pourtant, il refusait de l’abandonner ici, parce que même s’il renforçait les défenses qu’il avait tissées en secret autour d’elle, il avait peur que ce ne soit pas suffisant.
En réalité, il n’y avait qu’une seule solution.
Sa mère parut comprendre en même temps que lui. Sa bouche s’entrouvrit légèrement et une expression légère choquée traversa son regard.
Un sanglot lutta pour sortir de la gorge de Luke.
Il n’allait quand même pas faire ça! Il n’en était pas arrivé au point où il devrait utiliser son Don pour forcer sa mère à obéir, non?
Avant qu’il n’ait eu à choisir, les épaules de Jacqueline Hadley s’affaissèrent et son regard perdit son éclat, comme si ses forces s’évanouissaient. De nouvelles larmes débordèrent de ses paupières.
Puis elle les essuya. Eut un sourire triste.
- Très bien. Ce monde vous a forcé à grandir beaucoup trop vite. Mais cela ne veut pas dire que je pardonne Luke.
Le jeune homme sentit sa gorge, son estomac et tous les organes qui pouvaient se serrer se détendre un peu. Il se connecta à Abi à travers le lien et sa sœur le guida jusqu’à la maison de Marisol Tresco, en Australie.
Mais Luke avait à peine posé le pied là-bas, dans une magnifique maison lui rappelant les haciendas du film Zorro, qu’il hurla et dut se retenir au cadre de sa porte pour ne pas s’effondrer.
À travers la douleur qui lui déchirait le ventre, un souvenir remonta. Sil avait eu exactement la même réaction quand la Maison de la Lumière avait explosé.
- Quelque chose s’est cassé, avait-il dit.
Sauf que la Maison de la Lumière n’existait plus. Qu’est-ce qui avait bien pu être détruit?
La réponse s’imposa avec une limpidité glaçante. Le dôme.
Notre de l'autrice N'y aurait-il pas quelques points communs entre Luke et Paul Atréide? Ok, il se peut que je suis beaucoup trop fan de Dune et que j'écoute la BO des films en ce moment même, mais... Il y a quelque chose non? Parce qu'il semble enfin endosser ses "responsabilités" de leader. Et je vous assure que la coïncidence est fortuite... Je ne connaissais pas Dune quand j'ai commencé à écrire ces deux continuation des Puissants.
Concernant l'allocution, je me suis inspirée d'une personne de ma connaissance dont j'admire l'éloquence. Plus précisément, j'ai pris des notes en catimini lors d'un de ses discours (dont on retrouve quelques tournures de phrases dans celui de Luke). Je vous jure que c'était hyper chaud, j'avais trop peur qu'on remarque mon manège. Heureusement que personne ne m'a pincée. ^^ Sinon, je vous jure que je serai dans le même état que Luke si je devais faire un discours devant une nation entière. Je me serais carrément évanouie ou enfuie. Ouuu j'aurais vomi tripes et boyaux. ^^
Quant au dialogue avec Jacqueline Hadley... J'ai dû puiser profondément dans mes émotions pour l'écrire, tant mon coeur se brise pour Luke. Heureusement, une lueur d'espoir se dessine (parce que je ne suis pas si méchante, même si j'en ai l'air, avec toutes ces catastrophes en chaîne ^^).
Sinon, j'ai répondu à de nouvelles questions concernant mes OC Enya, Chris et Nikkin sur le Forum de fanfiction.fr. Pour y jeter un oeil, c'est par ici: https://forum.fanfictions.fr/t/faites-nous-decouvrir-vos-oc/5892/9 ;)