Transcendance

Chapitre 30 : LUKE

4304 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/05/2024 20:49

La fumée était si épaisse qu’elle cimentait la gorge et le nez, entravant toute tentative de respiration. Des cendres flottaient comme de millions de sinistres flocons de neige, et puis il y avait l’odeur de brûlé. Même lors des attaques qu’il avait déjouées un peu partout en Grande-Bretagne, Luke ne s’était pas retrouvé au milieu d’un chaos pareil.

Et cette fois, il avait bien cru qu’il ne s’en sortirait pas.

Les yeux remplis de larmes, il eut l’impression de cracher ses poumons, tituba sur un sol inégal et crissant. Enfin, il réussit à prendre une douloureuse inspiration. Ne surtout pas penser que le Far Carr n’existait plus. Il fallait plutôt trouver les autres, oui, les Néodoués. Heureusement, ils n’étaient pas loin: ils surgissaient comme des fantômes du brouillard de fumée noire… Thibaud, Mira, Elora, Nikkin… Le cœur de Luke fut soudain sur le point d’exploser. Il fouilla la brume calcinée du regard, comme un fou. Daisy, où était Daisy? Laura, Killy, Coira… Puis soudain, elle fut là, l’air terrorisée, les cheveux en bataille. Il se rua sur elle, s’assura qu’elle allait bien, s’apercevant qu’il avait à nouveau accès à son Don. Il fit aussitôt naître un vent puissant, balayant la fumée et les cendres, les repoussant loin vers la forêt, puis éteignit des nids de flammes au passage. La scène lui apparut alors dans toute son horreur. Où que son regard se pose, il n’y avait qu’un énorme tas de débris, d’où dépassaient des poutres, des morceaux de porte ou de lavabo, la carcasse de murs. Bon sang, comment allait-il expliquer ça à Silyen s’il le revoyait un jour? Le cœur lui manqua, tandis que les derniers événements s’entrechoquaient dans son esprit.

Il ne dormait pas lorsqu’il s’était rendu compte que le Don avait été coupé, peu après la rentrée de Steve. Il s’était rué vers une fenêtre, mais n’avait vu que des ombres dans le parc.

Sortir n’était pas une option, à moins de vouloir mourir brutalement, avait soufflé son instinct. Alors quoi? Il n’en revenait de compter autant sur son pouvoir et de se sentir si faible sans lui, alors qu’il avait été roturier durant quasiment toute sa vie.

Faute de mieux, il s’était rué dans les chambres des Néodoués, les tirants du lit en leur hurlant de le suivre. C’est alors que l’idée avait surgi des profondeurs de sa mémoire. Ils avaient traversé les couloirs au pas de course, arrivant devant la porte verrouillée d'une chambre. Un coup d’épaule avait suffi à la défoncer.

La porte créée par Silyen était toujours là ; Luke l’avait découverte par hasard au cours de leurs expérimentations dans les mondes, quand ils vivaient tous les deux à Far Carr, et il n’avait jamais su pourquoi l’Egal l’avait laissée.

Sauf qu’aujourd’hui, elle allait avoir toute son utilité.

À ce moment-là, Luke s’était dit que c’était de la pure folie, qu’ils auraient mieux fait de tenter de sortir, mais il était trop tard. Alors il s’était concentré sur la porte, priant pour qu’elle ne disparaisse pas tout de suite, vu qu’elle avait été créée avec le Don. Derrière se trouvait un ciel semblant sans fin. Aucun sol ne se dessinait en contrebas, juste une épaisse couche de nuage. Le jeune homme avait empoigné Lucy et Killy, complètement paniqués, et les avait fait basculer. Leur hurlement s’était vite arrêté: ils avaient atterri dans le bouclier invisible protégeant l’accès à la porte, en forme de bulle géante. Il avait fait pareil avec les autres Néodoués, même si Soraya avait tenté de résister en hurlant des choses qu’il n’avait pas comprises. Nikkin avait été le dernier. A sa vue, Luke avait senti un immense soulagement l’envahir, parce qu’il avait craint que le jeune homme ne soit encore parti dans une de ses escapades nocturnes. Puis un bruit effroyable, accompagné d’une terrible vibration, avait tout englouti.

La porte avait disparu. Le bouclier doué, qui n’était plus retenu, était tombé dans le vide, et Luke avait eu la peur de sa vie. Heureusement, après une centaine de mètres de chute, il s’était aperçu qu’il avait récupéré son Don - l’avantage d’être dans un autre monde. Il avait fait léviter tout le monde, stabilisé son apparence « d’Alexis Jones », puis créé une porte vers Far Carr.

 

Dans l’air à nouveau transparent, Luke aperçut quatre silhouettes masquées. Il y eu un instant de flottement. Puis l’atmosphère éclata en mille morceaux. Lui et Nikkin attaquèrent simultanément, envoyant une vague de Don sur les inconnus. Parallèlement, il déploya un bouclier derrière lui. Deux silhouettes s’affaissèrent, mais les deux autres avaient déployé leur propre bouclier - un cercle sur lequel une fine couche de Don miroitait. Puis un objet fendit l’air avec un scintillement métallique. Une matière gluante et inconnue en jaillit, se déployant le long du bouclier de Luke comme une deuxième peau.

- Fais-le disparaître! Ton bouclier, enlève-le! cria Nikkin.

Excellente idée. Luke obtempéra, puis Nikkin envoya une salve de Don. Derrière lui, Killy et Jeff l’imitèrent et la substance disparut.

Sauf qu’on n’y voyait plus rien. Les assaillants avaient fait naître un épais brouillard - l’un d’eux maîtrisait peut-être l’eau ou le vent… Luke fit naître de vigoureuses bourrasques, hélas, plus personne n’était en vue. Les deux inconnus avaient dû réussir à masquer leur pouvoir, ce qui ne signifiait rien de bon.

Nikkin se pencha sur les corps évanouis et eut une grimace d’incompréhension. Ce n’étaient peut-être pas des Confédérés, à voir leurs yeux bridés et l’étrange tatouage sur leur front. Il y avait encore autre chose. Sous eux, une grande flaque rouge et poisseuse s’ouvrait comme une corolle sur l’herbe verte.

Ils avaient la gorge tranchée.

 Probablement pour les empêcher de parler, réalisa Luke en sentant ses derniers doutes s’envoler. C’étaient des Tiāncái, des membres de groupe d’Egaux chinois rebelles qui avaient aidé Bouda à les capturer, Sil et lui. Sa naïveté lui explosa en pleine figure : comment avait-il pu les oublier ? Ils revenaient probablement venger la mort des leurs.

Mais ce n’était pas le pire.

Lorsqu’il se retourna et vit la tête des autres, il sut que quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas seulement le choc de l’attaque. Soraya sanglotait, appuyée contre Coira, tandis que Laura et Daisy l’entouraient de leurs bras. Steve était rouge de fureur, Lucy ouvrait la bouche, comme frappée par la foudre. Le regard de Luke les balaya. Il se mit à le compter machinalement, le ventre labouré par la peur. Un, deux, trois, quatre… Il sentit le bras de Nikkin se poser sur son épaule… Cinq, six… Oh non, non, non. Le dernier, où était le dernier? Il se tourna en direction des cendres de Far Carr puis de la forêt du manoir, comme si Red allait soudain en surgir.

Ce fut Steve qui brisa le silence assourdissant, seulement entrecoupé par les pleurs de Soraya.

-     Et nous étions censés être en sécurité ici? C’est bien ce que tu nous as dit, Alexis?

Luke encaissait chaque mot comme un coup. Il n’avait plus qu’une envie : se recroqueviller et espérer que tout ça ne soit qu’un abominable cauchemar. Il revoyait le sourire de Red, ses blagues hilarantes, sa bonne humeur. Non, non, non ! Doc Jackson, son père et maintenant Red… Quoiqu’il fasse, des gens continuaient à mourir autour de lui. Pourquoi n’arrivait-il pas à les protéger? Pourquoi?! Mais alors, un sentiment inattendu prit la place du désespoir : une rage brûlante, alimentée par la douleur et l’injustice.

-     Ça suffit! gronda-t-il. Je n’ai pas menti! C’était vraiment l’endroit le plus sûr. Ce manoir était protégé par une enceinte douée et par un Oubli. Je ne sais pas comment ils ont réussi à nous trouver. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour nous sauver. Et… Et ok, ça n’a pas suffi. Et je vivrai avec ça sur la conscience. (Il regarda Soraya, puis les autres). Je ne peux pas vous dire à quel point je suis désolé. (Les mots s’étranglèrent dans sa gorge et il dut inspirer profondément, alors que des larmes roulaient le long de ses joues.)

Le silence retomba. Luke rassemblait son courage pour ne pas s’effondrer. Il savait qu’il allait regretter ce qu’il allait dire, mais il n’avait pas le choix. Il ne pouvait plus refuser de voir la vérité.

-     Écoutez, si le dôme cède, ce qui vient de se passer se reproduira. Les Etats-Confédérés nous pourchasseront, simplement parce que nous sommes Doués. Et si ce n’est pas eux, ce sera d’autres Etats, parce qu’ils voudront savoir d’où nous vient notre pouvoir. Ils nous étudieront comme des animaux ! Je ne vous le demanderai pas si j’avais le choix, mais je ne l’ai plus. Ma sœur, Soraya et… (Il se força à dire son prénom.) Red avaient raison. Nous sommes la seule chance de ce pays. Alors aidez-moi à le protéger! (Il regarda chacun des Néodoués dans les yeux, les uns après les autres. Même Steve avait fermé la bouche). Aidez-moi!

En prononçant ces mots, il eut le sentiment de se briser de l’intérieur, à tel point qu’il se plia en deux, comme pour vomir. Il tenta de faire refluer la nausée, sans succès. C’est alors qu’il comprit. Ces sensations ne venaient pas de lui.

Il tira son téléphone portable de sa poche. Constata qu’il avait trente appels manqués d’Abi. Absorbé par les événements, il n’avait pas senti le vibreur.

Un flot de paroles entrecoupées de sanglots jaillirent du combiné lorsqu’il rappela sa soeur:

-     Pourquoi tu n’as pas répondu? Pourquoi tu n’as pas répondu à ce foutu téléphone!?

Abi était complètement bouleversée. Luke ne réussit à capter que les mots « Chris », « Enya », « Dave Russel », «missile ». Ces bouts de phrase s’entrechoquèrent dans sa tête, refusant de s’assembler. Il éloigna le téléphone de son oreille, incapable d’en supporter plus, mais son ouïe douée continua à enregistrer les paroles de sa soeur.

-     Chris et Enya, ils sont… Ils sont… Il faut que tu ailles tout de suite là-bas…. Pourquoi tu n’as pas répondu?! Si tu avais répondu, ils ne seraient peut-être p-pas… pas…

-     … Peut-être pas quoi? finit-il par demander, la gorge sèche.

Une respiration hachée lui répondit, comme si Abi tentait de reprendre le contrôle d’elle-même. Enfin, elle réussit à expliquer. C’était encore pire que ce que Luke aurait pu imaginer. Chris et Enya avaient enfin repéré Spencer et Axel Grailingstream dans le bunker de Washington. Ils avaient essayé de le prévenir, sans succès, et Dave Russel avait intercepté la nouvelle grâce à des espions au gouvernement de transition. Ce crétin avait décidé de régler l’affaire lui-même. Il avait employé une arme secrète, apparemment développé sous la supervision de Whittam Jardine avant sa mort, puis finalisé sur l’ordre de Bouda, quand elle était encore chancelière. Il s’agissait d’un missile capable de percer des boucliers doués. Et celui-ci avait explosé sur sa cible dix minutes plus tôt.

Lorsque tous les liens se furent faits dans sa tête, Luke sentit le sol l’aspirer. Il tomba sur les cendres de Far Carr.

Chris et Enya.

Non.

Ignorant les tremblements qui le secouaient, il déglutit péniblement. Il fallait au moins essayer de tenter quelque chose. Croire que ce n’était pas trop tard, même si c’était complètement absurde.

Il n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait le bunker, mais son instinct semblait le savoir quand il créa une porte. Il avait vaguement conscience de la présence des autres Néodoués derrière lui, de leur voix qui montait dans les aigus. Juste avant que sa raison ne le lâche, il créa un bouclier autour d’eux, au cas où – parce que s’il arrivait quoi que ce soit à Daisy, il ne se le pardonnerait jamais.

Puis il ouvrit la porte et la franchit.

Là où il n’aurait dû y avoir que des cendres et de la fumée, il y avait un décor qui ressemblait beaucoup au bunker du gouvernement de transition, en moins vieux. Les néons clignotaient au plafond, comme s’ils allaient pousser leur dernier souffle. Des corps jonchaient le sol, vêtus de l’uniforme réglementaire des États-Confédérés.

Et puis au centre, Chris Grailingstream était allongé sur le flanc.

Luke se rua sur lui et le retourna. Prit son pouls. Ouf, le cœur battait toujours. Il lui injecta une décharge de Don et vit ses yeux papillonner.

Le jeune homme le fixa durant de longues secondes, comme s’il était en train d’effectuer une mise au point:

-     Luke? murmura-t-il.

À part Abi, ça faisait une éternité que personne ne l’avait plus appelé comme ça, songea Luke, qui observa Chris se redresser péniblement, regarder autour de lui.

-     On a réussi... souffla-t-il.

Puis il sursauta violemment et se mit à slalomer entre les corps, cherchant manifestement quelqu’un.

Enya, comprit Luke. Glacé, il se mit à courir dans l’autre direction, jetant un regard à chaque soldat. Peut-être qu’elle était simplement un peu plus loin, peut-être dans cet autre couloir, ou derrière cette porte…

Sauf qu’un des Confédérés se redressa. Le temps sembla se dilater et Luke vit ses yeux s’écarquiller: il l’avait reconnu. Il lui envoya une décharge de Don, mais l’homme avait eu le temps de s’emparer de son transmetteur.

La lumière des néons vira au rouge, un mugissement déchira l’air.

C’est alors que la chose à laquelle Luke s’attendait le moins se produisit. Son Don disparut. Il plongea dans le lien, tendit, désespéré, ses mains devant lui. Aucun filament doré ne les enveloppa. Pourtant, c’était si facile d’habitude, aussi simple que de respirer. Il se pinça, mais rien ne changea, il ne rêvait pas. Il n’y avait qu’une explication: les Confédérés connaissaient eux aussi les colliers de gruach, ce qu’ils s’étaient bien gardés de montrer pendant leurs attaques. Ils devaient les utiliser de la même manière que les Tiāncái, parce que Luke se sentait exactement comme tout à l’heure, vide et étrangement petit. Pire encore, les soldats reprenaient peu à peu connaissance le long du couloir.

-     Il est là! Alexis Jones! cria l’un d’eux en s’emparant de son fusil.

Ça se présentait très mal. À défaut de savoir quoi faire, Luke se mit à reculer. Il n’avait aucune arme, aucun bouclier, rien.

-     Ne bouge pas! lui lança l’homme en le mettant en joue.

Le jeune homme se figea et leva lentement les mains. Vite, une idée! Qu’aurait fait Sil à sa place? Il aurait improvisé bien sûr, ce qui lui faisait une belle jambe. Heureusement que son instinct était encore là : quand le doigt de l’homme appuya sur la détente, il se jeta sur le côté, sentit la balle lui effleurer l’épaule. Mais lorsqu’il se redressa, il réalisa qu’il était cerné. Les autres soldats avaient profité pour courir d’un côté et de l’autre du couloir afin de lui couper toute retraite possible. Il recula et sentit le mur froid contre son dos.

Voilà donc ce que ressentaient les animaux, quand ils étaient acculés après une traque. Son regard bondit d’un soldat à l’autre, cherchant une ouverture, n’importe quoi. Mais ils resserrèrent les rangs, mi-exaltés, mi-effrayés.

Sur un signe de celui qui avait parlé, ils levèrent leurs armes.

C’était drôle, Luke aurait toujours pensé que dans un moment pareil, sa vie défilerait devant ses yeux. Sauf que rien ne vint. Il ne sentait même pas la peur, il y avait juste une sensation de vide et la certitude qu’il allait mourir, n’allait jamais pouvoir s’expliquer avec sa mère ou avec Sil. Il laisserait ses sœurs sans défense. Et toute la Grande-Bretagne.

Non.

Ça ne pouvait quand même pas se terminer comme ça. Ce n’était pas possible.

-     Écoutez… commença-t-il.

Mais alors que le chef ouvrait la bouche pour ordonner à ses hommes de tirer, le monde bascula.

Luke fut catapulté, atterrit sur quelque chose de dur. Il y eut un craquement sinistre, suivi d’une explosion de douleur dans les côtes. Le monde avait sombré dans une mer écarlate, du sang dégoulinait des parois, remontait le long de ses pieds, de ses jambes, de son torse, alors qu’un goût métallique envahissait sa bouche. Sa respiration s’accéléra, comme si elle voulait sortir trop vite de son nez. C’était une crise de panique, il en avait assez fait pour les reconnaître. Il ferma les yeux. Pensa à un petit bateau doré, se forçant à ralentir son souffle. Quand il rouvrit les yeux, il comprit que les murs n’étaient pas éclaboussés de sang - ce n’était que cette fichue lumière rouge.

Une forme dorée se dessinait au milieu du couloir. Les bras en croix, la tête renversée en arrière, Chris déchaînait son Don, créant un cyclone qui écrasait tout le monde contre les murs. Puis lorsque tous les soldats furent hors de vue, repoussés à chaque extrémité du couloir, le vent mourut d’un coup. La tête de Chris bascula vers l’avant. Tremblant de tous ses membres, le jeune homme sembla reprendre ses esprits. Il aperçut Luke. Se traîna jusqu’à lui.

-     Ça va? Je… Je suis vraiment désolé, je ne voulais pas te faire de mal, lâcha-t-il.

Luke grimaça en faisant bouger chaque partie de son corps. Un porc et pic semblait logé dans son torse, mais sinon, tout semblait fonctionner.

Il regarda Chris, dont les mains étaient encore imprégnées de pouvoir.

-     C’est grâce à mon sang, fit ce dernier. Les défenses créées pour ma famille reconnaissent toujours les Grailingstream, histoire que nous ne soyons pas privés de notre Don.

-     Une chance. Non, garde tes forces, marmonna Luke, lorsque Chris se pencha vers lui, voulant manifestement réparer ses côtes.

Le jeune homme recula. Puis ses yeux s’agrandirent, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose. C’était le cas:

-     Enya! On doit la trouver!

Sauf qu’ils n’avaient plus le temps. L’alarme continuait à sonner et des renforts pouvaient surgir à tout moment. Il fallait quitter cet endroit.

-     Allez, viens, grogna Luke.

Essayant d’ignorer la douleur qui lui vrillait le torse à chaque pas, il clopina jusqu’à une porte, tandis que des bruits de pas et des voix résonnaient.

Mais Chris ne l’avait pas suivi. Son regard était tombé sur un médaillon bleu abandonné sur le sol. Aucune fille aux cheveux bruns à proximité, mais le doute n’était pas permis : ce bijou était celui d’Enya. Quand il le ramassa, une intense lueur dorée l’enveloppa, si forte que Luke dut plisser les yeux. C’est alors qu’il vit… mais… c’était impossible. Sur les bras, le cou du jeune homme, des lignes sinueuses et brillantes apparaissaient. Exactement les mêmes motifs que lorsque lui ou Daisy manipulaient l’eau. Il n’eut pas le temps d’en voir plus. Une immense pression enflait autour de lui, comme lorsque l’aile est de Kyneston avait été pulvérisée par la tante de Silyen.

Une seconde passa.

Puis Luke fut soulevé par le Don de Chris, s’écrasa à nouveau contre un mur. La douleur dans ses côtes lui fit monter les larmes aux yeux.

C’était encore pire de l’autre côté. Le couloir était littéralement déchiqueté par une tornade d’une puissance inouïe. Il n’osait même pas penser à ce qui était arrivé aux renforts.

-     Chris! Arrête! hurla Luke.

Les Confédérés restaient leurs ennemis, mais il ne tenait pas à ce que le jeune homme perde le contrôle et se fasse dépasser par son propre Don. Ça avait failli arriver à Silyen, une fois, et Luke ne se souvenait que trop bien de la fois où il avait enroulé la mer.

Mais Chris ne l’entendait pas.

Alors, serrant les dents, Luke se releva, constatant avec soulagement que la tornade se concentrait de l’autre côté du couloir. Il avança un pas après l’autre, luttant contre les rafales qui s’échappaient parfois. Il dut bander tous ses muscles à la fin et se propulsa en avant pour s’accrocher à Chris. Les lignes sinueuses étaient toujours là. C’était donc réel. Mais Luke avait plus urgent à faire.

-     Stop! hurla-t-il.

Il tira brusquement Chris en arrière, pour lui faire perdre l’équilibre, ce qui le sortit brutalement de sa transe.

Le vent se volatilisa, et le jeune homme s’effondra dans les bras de Luke, secoué de sanglots convulsifs. Il répétait le nom d’Enya.

-     Je suis désolé. Mais on doit partir, et ça ne veut pas dire qu’elle soit morte, OK? Allez, lança Luke en commençant à reculer.

Chris finit par le suivre, les yeux bleus dégoulinant de larmes. Il les essuya d’un geste rageur puis se dirigea vers une pièce, au fond de laquelle se trouvait un réduit.

 

À la minute où Luke se retrouva à l’air libre, il récupéra son Don. Cinq secondes plus tard, ses côtes s’étaient ressoudées. Sept secondes plus tard, il était dans le bunker confédéré, dans la chambre d’Abi.

Sa sœur était assise sur son lit. Elle avait la tête enfouie dans ses mains et on ne voyait que ses cheveux bonds et ses épaules qui tressautaient. Elle sursauta si fort, lorsqu’ils arrivèrent, que son expression aurait pu être comique. Sauf que Luke et Chris n’avaient aucune envie de rire.

Abi porta les deux mains à sa bouche. Son regard passait de Chris à Luke. Puis elle bondit de son lit. À la grande surprise des deux garçons, elle sauta au cou de Chris, pleurant et riant à la fois.

-     J’ai eu tellement peur! Comment est-ce possible? répétait-elle.

Pris de court, le jeune homme se figea. Puis il commença à trembler de la tête aux pied et éclata à son tour en sanglots. Il raconta avec des mots hachés qu’Enya avait compris qu’un missile se dirigeait droit sur eux. Ils avaient réussi à se rejoindre juste à temps ; leur pouvoir conjugué avait enveloppé l’arme, qui avait explosé sans causer le moindre dégât, si ce n’était une petite onde de choc.

Woaow. Luke n’était pas loin de craquer, lui aussi, mais il avait quelque chose à régler. Il ouvrit une nouvelle porte jusqu’à Far Carr.

-     Luke! Attends! Il y a quelque chose que tu dois savoir, cria Abi.

-     Je reviens, lui lança-t-il.




Note de l'autrice: Les dominos dégringolent les uns après les autres, les actions s'enchaînent. Luke commence à prendre conscience qu'il tient à son Don. Et... il accepte de ne plus se laisser balloter par les événements, mais de prendre le rôle de leader que tout le monde semble vouloir lui donner. Les dominos continueront à chuter dans le prochain chapitre... ;)

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