Transcendance

Chapitre 17 : LUKE

2255 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/02/2024 14:17

Lorsqu’il eut retrouvé le courage de repartir à Far Carr, Luke passa la soirée avec Coira. Heureusement, celle-ci ne lui posa aucune question, se contentant d’écouter les nouvelles du jour, puis la conversation s’étiola. Le coma incompréhensible du Roi Merveilleux planait comme une ombre au-dessus d’eux.

Le lendemain, Luke se réveilla comme après un enterrement. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il serait resté enfoui sous ses couvertures, mais il avait un plan à exécuter. Il mangea les œufs au bacon que Coira, adorable, avait préparé, puis il ouvrit une porte pour arriver directement dans la chambre d’Abi.

-     Comme tu peux t’en douter, l’état-major – ou plutôt notre cher général Dave Russel -, a refusé, lâcha-t-elle d’un ton tendu.

Luke haussa les épaules. Il s’y attendait. Reste qu’ils n’avaient plus beaucoup de temps. Il regarda l’ordinateur d’Abi, où sa destination apparaissait sur une plate-forme de géolocalisation installée à distance par Hilda et Tilda. Les deux sœurs informaticiennes avaient agi avec leur méticulosité habituelle et Luke scruta la façade du bâtiment s’affichant sur l’écran. Il n’eut besoin que d’une seconde pour créer une porte, qu’il rendit immédiatement invisible. Il regarda Abi:

-     Prête?

-     Prête, confirma-t-elle en prenant une grande inspiration.

Luke laissa son Don les entourer, les rendant invisibles à leur tour - sauf l'un pour l’autre, parce que sinon, ils n’allaient pas s’en sortir - puis il ouvrit silencieusement la porte. Sa sœur franchit le seuil et étouffa un cri. Elle était quasiment tombée nez à nez avec un soldat britannique. Ce dernier fronça les sourcils, car même s’il ne voyait ni Luke, ni Abi, ni la porte, il sentait que le Don était à l’œuvre, et il n’allait pas tarder à apercevoir la chambre à travers le battant entrouvert. Vite ! D’une simple pensée, Luke l’endormit, le retenant pour éviter le bruit de la chute.

   Puis il détailla les environs. La longue caserne militaire se dressait juste devant. Sa façade en béton était percée de fenêtres aux bordures rouges, mais quelque chose n’était pas normal: d’énormes lézardes faisaient penser que le bâtiment était prêt à s’écrouler, tandis que le gazon, alentours, était retourné, comme si un géant avait arraché des mottes entières puis les avait projetées dans tous les sens.

-     Dépêchons-nous, souffla Abi.

Luke ne se le fit pas dire deux fois. Il perça une large ouverture à travers le mur grâce à son Don. La façade en béton laissa place à une bouche ronde et béante. Une salle commune apparut de l’autre côté, pourvue d’une longue table en plastique, d’un coin cuisine, d’un micro-ondes et d’un frigo. Des chaises gisaient par terre, brisées, tandis que le frigo était à moitié carbonisé et que le sol brillait, comme s’il était recouvert d’une légère pellicule d’eau. Pour couronner le tout, il régnait une odeur, qui, à défaut d’être identifiable, était épouvantable.

Et au milieu de ce décor chaotique se trouvaient une dizaine de personnes si stupéfaites qu’elles étaient figées sur place. Elles avaient des mines de déterrés, d’énormes cernes et les yeux injectés de sang, comme si elles n’avaient pas dormi depuis plusieurs jours. Luke se rendit à nouveau visible, fit de même pour Abi.

-     On vient vous tirer de là, annonça sa sœur.

Il y eut un moment de flottement.

Puis plusieurs choses se produisirent simultanément.

Une boule de feu surgit de nulle part.

Le robinet éclata, libérant un puissant jet d’eau. 

La terre trembla.

In extremis, Luke arrêta la boule de feu, bénissant ses réflexes doués. Il plongea dans le lien, ouvrit les yeux dans le monde clair-obscur du Don, repéra instantanément la fille à l’origine du tremblement de terre, dont le pouvoir s’enfonçait dans le sol comme les racines d’un arbre. Alors que les dalles commençaient à se fissurer, il força le Don de l’inconnue à refluer. Enfin, il fit refluer l’eau.

Il y eut un silence.

Puis une autre fille s’élança depuis le fond de la salle. Elle sauta au cou d’Abi, qu’elle enfouit sous une masse de cheveux blonds. Luke ne broncha pas. Quand ils avaient préparé ce plan un peu cinglé, sa sœur l’avait averti que cette amie d’enfance, Soraya, faisait partie du groupe qu’ils allaient « libérer ».

L’air encore un peu choquée par ce qui venait de se passer, Abi se dégagea doucement, puis s’exclama, en voyant le jeune homme qui venait à leur rencontre:

-     Red!

Le couple et Abi se tournèrent vers les huit autres personnes. Le cœur de Luke battit plus vite lorsqu’il vit que les poings de certains étaient enveloppés d’un halo de Don. Il le savait bien sûr, mais le constater de visu restait… déroutant.

-     On peut leur faire confiance, annonça Soraya aux autres.

Le silence vola en éclat. Dans la cacophonie des conversations, l’ouïe douée de Luke saisit au vol les paroles d’un autre couple qui le regardait fixement, avec un effroi mêlé d’admiration : « teeeeeellement dingue, ça doit être Alexis ». Le débat général enfla, et Luke dut avouer qu’ Abi et lui n’avaient pas reçu le feu vert du gouvernement pour cette opération commando, comme le prouvait d’ailleurs leur spectaculaire entrée. Les discussions s’intensifièrent encore, puis l’hypothèse d’Abi commença à se vérifier. Parqué là comme des prisonniers dont on ne savait que faire, coupés du monde et de leur famille, le petit groupe devait être prêt à saisir la moindre opportunité de s’en aller. D’autant plus que le gouvernement de transition avait tenté de parachuter l’un d’eux au front au début de la guerre, ce qui s’était soldé par l’explosion de la moitié de base aérienne à défendre et la mort du malheureux.

C’est ainsi que deux Hadley firent s’évader les personnes les plus puissantes de toute la Grande-Bretagne - Daisy et Gavar exceptés : les Néodoués. Ces anonymes à qui Silyen avait donné le Don, dans l’espoir qu’ils suffisaient à protéger le pays.

 

Après avoir franchi le seuil de la porte créée par Luke, les Néodoués regardèrent autour d’eux étonnés. Aucun d’eux ne s’était attendu à se retrouver dans le manoir d’un Egal. Il fallait dire que le grand hall d’entrée de Far Carr restait impressionnant.

Une fois que tout le monde fut passé, Luke referma la porte d’une simple pensée. La voix d’un des hommes claqua, autoritaire.

-     Et maintenant, répondez ! Qui êtes-vous? Pourquoi est-ce que vous nous avez amenés là?

Luke le détailla. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, avec de rares cheveux et un début d’embonpoint. Le teint pâle, il se tenait droit comme un I, transperçait le manoir du regard, l’air autoritaire malgré son complet froissé. C’était le genre d’homme qui n’avait pas l’habitude d’être contredit et encore moins d’être dirigé. Il rappelait à Luke un ancien professeur de gymnastique, surnommé La Terreur, qui avait l’habitude de faire faire 40 pompes aux écoliers les plus faibles.

 À une époque, Luke aurait bafouillé. Plus aujourd’hui.

-     Je suis Alexis Jones, se présenta-t-il. Voici Abigail Hadley, qui travaille pour le gouvernement de transition. Nous vous avons amené ici pour vous mettre en sécurité. C’est le manoir d’un… ami.

L’homme poussa une exclamation incrédule. Il leva les bras, englobant le hall d’entrée:

-     Parce qu’ici, nous serions plus en sécurité que dans une caserne militaire? Vous plaisantez?

-     Ce manoir est protégé par une enceinte douée. Autrement dit, il est introuvable pour le reste du monde, confédérés y compris, contrairement à une caserne, répliqua Abi.

Luke fut surpris par la fermeté de son ton, mais après tout, la sœur qu’il avait connue, à Manchester, n’existait plus.

Soraya intervint à son tour:

-     La situation est si grave?

Avec Luke, Abi résuma les derniers événements, sans rien cacher. Elle insista sur le fait que le dôme leur fournissait un répit indéterminé, mais ne signifiait pas la fin de la guerre, car Spencer Grailingstream n’avait pas donné suite aux demandes de pourparlers du gouvernement de transition.

Mais son discours déclencha d’autres inquiétudes. Les Néodoués voulaient rentrer chez eux, après être restés sans nouvelles de leurs familles depuis le début de la guerre. On leur avait confisqué leurs téléphones portables et interdit toute communication pour des raisons de « sécurité », comme ils l'expliquèrent. Heureusement, Abi avait anticipé ce problème:

-     Vous aurez bientôt accès à un téléphone, assura-t-elle. Mais vous ne pourrez pas rentrer tout de suite. Des soldats confédérés se trouvent en ce moment même en Grande-Bretagne. Tant qu’ils n’auront pas été neutralisés, vous êtes tous en danger. Je vous répète que cet endroit est le plus sûr pour vous.

-     Je suis prêt à prendre le risque, lança l’homme en complet.

Ils étaient en train de perdre le contrôle de la situation, songea Luke, qui sentit la colère l’envahir. Il leva les mains, les enveloppa de Don scintillant, mais Soraya fut plus rapide:

-     Steve, je pense qu’on devrait vraiment les écouter !

-     Il est exclu que j’obéisse à deux adolescents! D’autant plus lorsqu’ils agissent contre le gouvernement de transition!

-      C’est à l’état-major que nous désobéissons! Ils vont ont parqué dans une caserne sans vous demander votre avis! Je pense que vous valez mieux que ça! s’exclama Abi, dont la voix montait dangereusement dans les aigus.

Aussitôt, une violente migraine assaillit Luke, comme si on lui avait appliqué une barre chauffée à blanc sur le cerveau. Il s’aperçut que le reste du groupe était dans le même état, sauf le dénommé Steve, qui avait l’air complètement désemparé. Le jeune homme plongea dans le lien, trouva comment agir après quelques interminables secondes de recherche.

 La migraine disparut. Il força ensuite brutalement le Don de l’homme à lâcher prise sur les autres.

-     Voilà pourquoi vous devez rester, gronda-t-il en montant lentement les escaliers, chaque grincement des marches ponctuant ses mots. Vous ne contrôlez pas vos Dons! J’étais comme vous, avant, et j’aurais pu raser un immeuble sans le vouloir. C’est ce que vous voulez ? (Il fit une petite pause, la respiration saccadée.) Sinon, nous pouvons vous aider et vous montrer comment faire. (Il désigna Coira et Hayden, qui étaient apparus sur la balustrade du premier étage.) Pour le téléphone, c’est en haut.

Ses paroles déclenchèrent un mouvement général. Tous les Néodoués se ruèrent dans l’escalier, à l’exception de Steve.

-     J’exige que vous me rameniez chez moi, clama celui-ci. Sinon, je vous jure que je vais porter plainte!

C’est alors que le grand lustre du hall se liquéfia. Ses branches coulèrent silencieusement jusqu’au tapis et formèrent de grandes flaques dorées. Un jeune homme à la peau brune se figea sur les marches de l’escalier, effaré.

-     Désolé, couina-t-il.

Il y avait du pain sur la planche, songea Luke, en luttant pour maîtriser son inexplicable colère.



Notre de l'autrice: des petits nouveaux entrent en scène: les Néoégaux. Vous pourrez les découvrir petit à petit dans les chapitres suivants, et oui, Steve est vraiment insupportable. PS: je me suis beaucoup amusée à imaginer cette opération commando entre frère et soeur. Quant à la caserne, elle est inspirée d'une vraie caserne, qui se trouve pas si loin de chez moi. ;)


Pour voir une illustration de Soraya que j'ai crayonnée, c'est par ici, sur le topic présentant Transcendance: https://forum.fanfictions.fr/t/les-puissants-les-puissants-tome-5-transcendance/5434/24



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