Résonances

Chapitre 3 : Sur le toit, un plafond d’étoiles

2695 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/09/2022 11:37

Pour l'illustration du chapitre, c'est par ici ☺️


https://forum.fanfictions.fr/t/les-puissants-x-fiction-originale-fanfiction-resonances/4556/21



Ils passèrent à côté d’immenses files de festivaliers qui patientaient aux stands de nourriture. Alexis vit deux ados se saisir les mains en riant, pour faire passer dessous chaque personne revenant du comptoir avec sa précieuse bouffe. Une odeur de frites et de saucisses saturait l’air, faisant gargouiller son estomac. Puis Tom longea une scène avec des bruits et des gens bizarres, un chalet en bois proclamant: « Crêpes » où la file était nettement plus courte.

– Hé, tu m’emmènes où? finit-il par demander, tandis qu’ils s’éloignaient des spots et de leur lumière aveuglante.

  Tom se contenta de rire et Alexis dut redoubler de vigilance pour marcher, parce qu’il ne voyait plus les trous dans le terrain. Il lâcha une bordée de jurons quand il faillit se tordre une cheville pour la troisième fois de suite, maudissant son petit ami, qui, malgré les bières qu’il avait ingurgitées, progressait comme une fusée. Puis il s’en voulut: ce n’était pas parce qu’il détestait l’alcool qu’il avait le droit de le juger.

   Enfin, Tom s’arrêta. De toute façon, il n’avait pas le choix parce qu’ils étaient arrivés devant la barrière métallique qui clôturait le festival, recouverte d’une bâche noire. Alexis lâcha un soupir de frustration. Sérieux, Tom lui avait fait faire tout ce chemin pour pisser tranquillement?

   Sauf que le jeune homme s’accroupit puis… disparut. Alexis fit un bond deux mètres, avant de se ressaisir. Il y avait forcément une explication rationnelle à ce phénomène…. Il vit enfin ce que la nuit lui avait caché: un trou dans la barrière, quasiment invisible. Il s’accroupit et se faufila à la suite de Tom. L’herbe était si sèche qu’il soulevait de grands nuages de poussière qui le firent tousser, jusqu’à ce qu’un énorme éternuement lui secoue les bronches.

  Il se redressa et aperçut un champ englouti par les ténèbres. Les sons et les lumières du festival semblaient presque lointains. Il tourna la tête, à la recherche de Tom, et s’aperçut qu’il était déjà reparti au pas de charge. Alexis réussit à le rejoindre en un seul morceau, mais avec un pied parfumé à la bouse de vache et de nouveaux jurons plein la bouche. Ils se trouvaient désormais au pied du bâtiment qui devait abriter les cuisines, à sentir l’odeur qui s’en dégageait. Les choses devenaient de plus en plus mystérieuses, songea Alexis avant d’apercevoir…

  Comment Tom avait-il réussi à porter un truc pareil? Mais si, une échelle était bel et bien appuyée contre la paroi en bois.

– T’es complètement dingue Tom! Et tu penses vraiment qu’t’es en état?

– Bah quoi, t’as peur?

– Bordel!

   D’habitude, c’était plutôt lui, la tête brûlée, alors que Tom campait le rôle du petit ami prudent et inquiet, sauf quand il était bourré, apparemment… Les bras d’Alexis, peu habitués à ce genre d’exercice, protestèrent immédiatement lorsqu’il agrippa l’échelle. Il posa le pied sur le premier échelon. Il s'était à peine hissé d'un centimètre lorsque ses jambes commencèrent à flageoler et à le supplier de ne pas quitter la terre ferme. Hum, c'était peut-être le bon moment de révéler à Tom qu'il avait le vertige, sauf qu'il détestait passer pour un faible. Et pis, c'était qu'une stupide échelle. Il n'allait pas se laisser terroriser par quelques putains d'échelons. Il serra les dents. Posa le pied sur le deuxième barreau. Surtout ne penser à rien. Si Tom pouvait le faire, il n'y avait pas de raison qu'il en soit incapable. Un troisième barreau. Argh, c'était haut! Quatrième barreau. Cinquième. Ce n'était plus des tremblements dans ses mollets, c'étaient des castagnettes! Et voilà que ses dents s'y mettaient aussi. Sixième barreau. Septième. Ne. Pas. Regarder. En. Bas. Et soudain, sans savoir vraiment comment, il fut le toit. Il aurait pu l'embrasser, comme un marin arrivant sur une plage après un naufrage. Progressa en rampant. Et découvrit un spectacle féérique. Vu d’en haut, le festival ressemblait à un feu d’artifice - du moins selon le bref coup d’oeil qu’il osa jeter. Les lumières miroitantes étaient tranchées par l’ombre des festivaliers et les spots de la petite scène. Et le plus beau, c’est qu’il n’y avait plus personne autour d’eux. Plus de bruit à déchirer les oreilles. Plus de snobinard agaçant. Juste un cocon hors du temps.

   C’était être dans le festival sans y être.

   Un moment juste incroyable.

    Le noeud qui serrait le torse d’Alexis se desserra d’un coup, remplacé par une boule dans la gorge.

– TADAAAAAAM!!!! s’exclama Tom, apparemment très fier de lui.

   Alexis se rua en avant. Son petit ami avait un équilibre trop instable pour rester au bord du toit.

    Il le ramena doucement au sol. Mais c’était sans compter la motivation de Tom, qui se redressa comme un ressort et hurla:

– ON EST LE ROIS DU MOND…..

 Vite, Alexis l’interrompit d’une main placée sur sa bouche.

– Chuuuuut! siffla-t-il.

   Si quelqu’un se rendait compte qu’ils étaient là-haut, ils étaient bons pour une intervention des securitas. Ils restèrent silencieux un moment, chacun écoutant le souffle de l’autre. S’apercevant qu’Alexis tremblait de froid, Tom finit par se retourner et le serra doucement contre lui, lui transmettant un peu de sa chaleur. C’était entre autres pour ça qu’Alexis aimait le surnommer « Le radiateur ambulant ».

– Lexis, je suis trop trop trop content d’être là avec toi. Je t’aime beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup…

– Beaucoup?

– Ouiii!!! Beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, bea…

– … Et moi je t’aime tout court.

   Woah. Alexis n’arrivait pas à croire que ces paroles avaient franchi ses lèvres. Et pourtant, elles flottaient dans l’air, se répercutant à l’infini. Il espéra que Tom, ivre comme il l’était, n’avait rien entendu, parce qu’il n’avait dit ces mots qu’une fois. À l’époque, Tom y avait répondu, mais la phrase n’avait jamais résonné à nouveau, comme si elle était devenue trop pesante, trop lourde de sens. C’est vrai quoi. Il n’y avait jamais de bon moment. Alexis n’allait pas sortir ça au resto, avec des pâtes plein la bouche, ou à la fin d’un banal coup de fil. Aussi con que ça paraisse, tout ça avait de la valeur pour lui.

    Mais c’était trop demander à Tom:

– QU’EST-CE QUE T’AS DIT?

– CHUT! Et j’ai rien dit d’important, oublie.

– MAIS…

   Leurs lèvres s’entrechoquèrent. Parfois, un baiser était le meilleur moyen d’obtenir le silence, et Tom se laissa faire avec enthousiasme. Il s’agrippa à Alexis comme une bouée, le plaquant contre le toit. Puis il enfouit sa tête dans les boucles violettes, un sourire béat sur les lèvres, avant de se retourner pour plonger son regard dans les étoiles. C’était un jeu qu’ils adoraient depuis qu’ils s’étaient mis ensemble: repérer les constellations dans le ciel: Cassiopée, Orion, la Grande Ourse, Le Dragon, …

   Les secondes passèrent, courtes et infinies.

– Au fait, qu’est-ce qu’il te voulait, le copain de Luke?

   Aïe. Alexis aurait préféré que Tom évite de lui poser la question, mais ne pas y répondre aurait pu sembler suspect. Sans cesser de contempler Cassiopée, il lâcha:

– Il voulait savoir d’où venait mon tatouage. Celui avec la salamandre. Genre, ce s’rait l’emblème de sa famille, mais si tu veux mon avis, il m’a peut-être raconté des conneries.

   Tom le regardait, maintenant:

– C’est quoi son nom?

– Un truc qui ressemble à jardin. Jardine, ouais, c’est ça. Et avant, il y a un truc qui commence par P.

– Hmmm, ça doit être une de ces vieilles famille anglaises. Max m’en a peut-être parlé une fois ou l’autre…

  Max, le frère jumeau de Tom, l’intello cool de service, qui savait tellement de choses. ll était temps de changer de sujet:

– Hé, et comment t’as réussi à organiser tout ça?

   Le sourire de Tom devint éclatant, et ses explications, embrouillées, jaillirent comme un torrent dans l’air froid de la nuit:

– Les autres m’ont parlé de deux mecs qui avaient volé une échelle au festival, hier soir. Ils ont raconté aux securitas qu’ils devaient aller réparer des trucs aux backstages et ils ont réussi à entrer là-bas comme ça. Du coup, je leur ai demandé si je pouvais la leur emprunter quand t’es allé pisser, au camping. Et le truc de dingue, c’est que ces deux mecs avaient aussi repéré un trou dans la clôture. J’ai demandé aux autres s’ils pouvaient installer l’échelle quand on est arrivé, histoire de te faire une surprise. Je sais que les festivals, c’est pas ton truc, et que tu voudrais un peu de tranquillité.

   Oh.

    La douce chaleur qui habitait Alexis devint plus vive, plus intense, et le noeud dans sa gorge se resserra de trois crans. Il ne savait pas quoi dire. Il aurait voulu embrasser Tom et ne plus le lâcher. Il aurait voulu….

   Mais l’instant de lucidité de son petit ami s’arrêta là, parce que son regard accrocha le cristal qu’il portait en permanence autour du cou. La pierre brillait comme une mini-étoile filante, au gré des faibles lumières qui ricochaient sur ses facettes.

    Tom voulut saisir le bijou, mais Alexis le mit hors de portée. Ce qui décocha une cascade de rire clair et musical. Une nouvelle tentative n’eut pas plus de succès, à tel point que Tom finit par sauter sur Alexis pour le chatouiller, jusqu’à ce qu’il referme sa main sur le médaillon, après une lutte aussi âpre qu’amicale. C’était carrément de la triche. Qu’est-ce qu’un gars qui agonisait à moitié après être monté une bête échelle pouvait faire contre ce joggeur de Tom? Alexis, immobilisé par une espèce de prise de catch, lança vaguement sa main en avant, mais il se heurta à une pluie de baisers. Il se laissa faire de bon coeur, puis se dégagea lorsque les lèvres de son petit ami devinrent un peu trop entreprenantes, faisant naître des frissons dans sa nuque et un nuage de papillons dans son ventre. Tom était bourré; normalement, il aurait rarement osé être aussi enthousiaste, c’était l’alcool qui parlait, et Alexis ne tenait pas à profiter de la situation. Ni à gâcher ce moment magique. Ce qui n’empêcha pas son petit ami de saisir son avant-bras, celui où les phases lunaires étaient tatouées. Il déposa un baiser, aussi doux qu’une plume, sur un des croissants de lune, puis sur un deuxième, avant de caresser doucement la lune pleine du bout des doigts. Les frissons d’Alexis s’intensifièrent. Il savait qu’il aurait dû se dégager, mais c’était tellement agréable…

   Soudain, le vibreur de son portable mugit.

  Il sursauta. Farfouilla maladroitement dans la poche étroite de son jean noir, comme s’il sortait d’un rêve embrumé. Allez, ce fichu portable n’était pas bien loin. Enfin, avec un cri de victoire, il réussit à extraire l’engin, et fit remonter son pouce sur l’écran, pour répondre à l’appel.

   Une voix faussement enjouée s’éleva à l’autre bout du fil. La mère d’Alexis avait l’exaspérante habitude de masquer son inquiétude derrière une façade claironnante, pensant sans doute passer pour quelqu’un de cool. Mais son angoisse s’entendait à trois kilomètres, et comme Lola, Alexis en avait plus qu’assez de se faire fliquer à chacune de ses sorties. Reste que c’était le prix à payer pour deux soirs de liberté, et il n’était pas assez con pour laisser passer sa chance.

– Ouais maman, j’ai mes boules Quies, répondit-il en tentant de maîtriser sa voix haletante. Mais oui, je te jure! Elles sont là, dans ma poche. Pourquoi tu me crois pas? Bah non, je les ai pas mis, j’fais une pause entre les concerts. Mais non! C’est pas que je fais la gueule à mes potes! Où tu vas chercher des idées pareilles?!

  En réalité, les boules Quies avaient fini dans la première poubelle venue. Alexis ne tenait pas à se prendre la honte.

   Et à côté, Tom rigolait comme une otarie asthmatique. Alexis lui fit des signes désespérés pour qu’il se taise, mais évidemment, son hilarité redoubla.

– Ce son? Ben j’en sais rien, j’suis à un festival, maman, c’est normal qu’il y ait du bruit! Bon, y a un concert qui va commencer, j’te laisse. Ouais, j’t’appellerai demain.

 Il raccrocha d’un geste rageur. Puis son expression s’adoucit quand il vit le message qui venait d’apparaître sur l’écran.


Hey frérot! Maman est dans tous ses états, elle est persuadée que tes potes, ceux qui se marraient à côté de toi, sont en train de se shooter. J’essaie de la calmer, mais faut bientôt que je file. Profite bien! Et de rien de t’avoir couvert :p Tu es déjà passé à l’action avec le beau Tom? Te tiens les pouces hahaha!


    Heureusement qu’Alexis avait une Lola dans sa vie. Mais à sa manière, elle pouvait être tout aussi exaspérante que leur mère. Rien que sa dernière phrase le prouvait. Sa grande soeur couchait peut-être avec tout ce qui bougeait, sauf qu’il n’était pas comme elle. Il constata d’ailleurs avec soulagement que Tom avait lâché son avant-bras et regardait en direction du concert, la tête et les oreilles dressées, comme cette foutue bestiole dans le Roi Lion. C’était quoi son nom déjà? Timon? Mais putain, pourquoi il pensait à un dessin-animée Disney? Sa petite soeur Aria déteignait beaucoup trop sur lui.

– Lexis, Lexis! Woaaaah!!! C’est pas mon groupe préféré, là?

   Honnêtement, Alexis n’en avait aucune idée. Il n’avait pas les mêmes goûts musicaux que son petit ami. Mais Tom était transfiguré. Il retraversa le toit d’un pas vacillant et descendit l’échelle par on ne savait quel miracle. Il eut quand même la patience d’attendre qu’Alexis descende, ce qui prit au moins dix minutes entrecoupées de prières et de moments de désespoir. À la fin, les dents du jeune homme claquaient tellement fort qu’elles auraient pu lui couper la langue. Ce fut quand Tom proposa de monter pour le charger sur son dos comme un sac de patates qu’il réussit enfin à descendre les quatre derniers échelons.

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