Résonances

Chapitre 2 : Première rencontre

3316 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/09/2022 19:47

Musique recommandée (mais bien sûr non obligatoire) pour lire ce chapitre: Musique: Vitalic - Carbonized

https://www.youtube.com/watch?v=GfysDM7v1i0

Pour les illustrations, c'est par ici ☺️ https://forum.fanfictions.fr/t/les-puissants-x-fiction-originale-fanfiction-resonances/4556/6



Le cauchemar commença vraiment une demi-heure plus tard, quand Alexis se trouva pris en sandwich entre Tom et ses potes déchaînés. Il était au premier rang du concert de Vitalic, un DJ électro, selon le petit programme violet du festival qu’il serrait et desserrait convulsivement dans son poing. Les hauts parleurs crachaient leurs décibels sans pitié et la foule sautait dans tous les sens, prise de folie. Alexis perdit le compte des fois où il se fit sauvagement piétiner les pieds ou rentrer dedans. Il répliquait en expédiant des coups de coude vengeurs. Bordel, il n’était pas une putain d’auto-tamponneuse. Et le DJ n’avait rien de mieux à faire qu’haranguer la foule, pour encourager tout le monde à sauter encore plus haut. Bien sûr, les gens obéissaient avec enthousiasme, tels de bons petits soldats. Voilà pourquoi Alexis s’était juré de ne plus jamais aller à un festival. Le cocktail d’odeurs, allant du vomi à la sueur en passant par l’alcool, le tout arrosé de litres de poussière, lui fit tourner la tête. Et à côté de ça, Tom se portait comme une fleur, sautillant et hurlant à plein poumons. La musique avait cet effet magique sur lui: elle le propulsait dans un monde où ses peurs habituelles n’existaient plus. Si seulement ça pouvait aussi marcher sur lui, songea Alexis. En attendant, Tom lui lança un regard transcendé auquel il ne prit pas la peine de répondre, planté comme un phare maigre et noir au milieu de l’océan de fans déchaînés.

   Une boule d’angoisse enfla soudain dans sa gorge jusqu’à prendre tout l’espace. Il commença à haleter, ses poumons se remplirent de la poussière âcre que les gens soulevaient à chaque saut. De l’air! Il lui fallait de l’air! Mais surtout, ne pas inquiéter Tom. Il tira le jeune homme vers lui, et lui cria dans l’oreille qu’il allait pisser. Puis il s’enfonça dans la foule comme un brise-glace. Enfin, un brise-glace… façon de parler, parce qu’avec son physique, il était plutôt un navire de seconde zone. Tout juste sa haute taille et ses cheveux violets en imposaient assez pour qu’on le laisse passer.

  Enfin, après avoir zigzagué pendant au moins cinq minutes, il arriva dans les eaux plus calmes de ceux qui profitaient du concert assis au pied de bouquets d’arbres. Il put enfin aspirer une grande goulée d’air. La tranquillité. Du moins, la tranquillité relative que pouvait offrir un festival sold out.

  Il s’aperçut qu’il s’était penché en avant, les mains sur les genoux, pour mieux reprendre son souffle. Il se redressa en toussota, espérant que personne n’avait remarqué son moment de faiblesse. Ou peut-être que qui sait, Tom n’avait pas cru à son excuse de toilettes et allait surgir d’un instant à l’autre, pour s’assurer qu’il allait bien.

   À la place, une voix à l’accent aristocratique s’éleva, réussissant à être aussi moqueuse que désagréable.

– Ton tatouage. D’où vient-il?

  Alexis sursauta, comme s’il avait été pris en faute. Il regarda en tous sens et finit par trouver celui qui avait parlé. Il était perché sur une des branches de l’arbre voisin, les jambes pendant nonchalamment dans le vide. Alexis pensait être un champion toute catégorie au niveau de la pâleur. Mais l’inconnu le battait à plate couture, et pas qu’un peu. En plus, les cernes sous ses yeux lui donnaient un air livide, quasiment maladif. Sa masse de cheveux bouclés et décoiffés était hérissée de brindilles, comme s’il venait de traverser un buisson. Quant à ses yeux… Alexis n’avait jamais rien vu de pareil. Ils étaient aussi dorés qu’une étoile, si beaux qu’ils frôlaient l’absurde. Un souvenir lui revint en tête: le moment où, avec sa grande soeur Lola, ils avaient regardé la trilogie de Twilight en cachette – parce qu’ils ne voulaient pas se prendre la honte si quelqu’un l’apprenait. Le vampire dont l’héroïne tombait amoureuse avait des yeux similaires… Tout se mit à tanguer… Et si les vampires existaient vraiment? Et si une faille spatio-temporelle s’était ouverte entre la réalité et la fiction? En plus, les habits de l’inconnus étaient franchement bizarres: un sweat à capuche, un jean et des bottes d’équitation. Les poils d’Alexis se hérissèrent, ses muscles se tendirent, comme ceux d’un chevreuil aux abois. Quelque chose clochait. Qui qu’il soit, ce garçon était dangereux.

   Il regarda autour de lui. Apparemment, personne n’était inquiet. Les gens bavardaient ou gardaient les yeux braqués sur la scène.

– D’ordinaire, les gens polis répondent, insista l’inconnu avec un reniflement méprisant. À moins que tu ne sois sourd. Ce qui n’est guère étonnant, avec le volume sonore que ce festival croit bon de nous infliger.

  Un sourire involontaire étira les coins de la bouche d’Alexis, qui se reprit aussitôt. Ce type était pratiquement en train de l’insulter. Malgré tout, il était intrigué.

– Mon tatouage? répéta-t-il. Lequel?

  Ses bras, enfin ce qu’on voyait depuis les bords du T-shirt noir à col en V qu’il portait, étaient constellés de motifs. Des notes de musique s’enroulaient autour de son biceps, surmontant des masques grimaçants. Un chausson de danse ornait le creux de son coude, ses lacets s’enroulant autour d’un appareil photo. Une manière de garder sa famille avec lui, gravée dans sa peau. Et puis, bien sûr, Tom était là aussi: les différentes phases de la lune semblaient s’envoler comme des bulles de savon sur les veines minces de son avant-bras. Une façon de symboliser la lumière qu’il lui apportait depuis leur rencontre, chassant l’obscurité dans laquelle il vivait.

   C’est alors qu’un phénomène étrange se produisit. Un des tatouages se mit à briller sous l’effet d’étincelles dorées surgies de nulle part. Alexis cligna des yeux. Les étincelles avaient disparu, à moins qu’il ait rêvé? À la place, il n’y avait que son tatouage: une salamandre devant un portail dont le fer forgé débordait de feuilles et d’oiseaux fantastiques. Un truc qu’il avait trouvé sur internet et qui lui avait parlé. Il se souvenait parfaitement du jour où il se l’était fait graver sur la peau, chez son oncle. C’était à un moment où il avait l’impression de tomber dans un puits sans fond, sans personne pour le rattraper, pas même Lola, occupée à larguer son énième petit ami. Il s’était raccroché à cette salamandre, parce qu’on racontait que cet animal résistait au feu, et qu’il avait terriblement besoin de se dire qu’il allait survivre lui aussi, quoiqu’il se passe dans sa vie.

– Ce tatouage-ci, confirma l’inconnu, avec un sourire qui était tout sauf rassurant.

  C’était dingue, Alexis aurait juré qu’ils avaient plus ou moins le même âge, sauf que quelque chose dans l’attitude, les mots ou les yeux du jeune homme lui donnait l’air beaucoup plus vieux. Comme s’il avait déjà vu trop de choses dans sa vie. Et on aurait dit qu’il avait un petit accent anglais. Bordel, pourquoi il avait soudain envie de le dessiner, pour essayer de trouver la réponse à cette putain question d’âge? On s’en foutait. La seule chose à faire, là tout de suite, c’était de partir retrouver Tom ou d’aller pisser pour de bon.

  Sauf que l’inconnu soupira, puis sauta avec grâce de son perchoir, pour approcher à une vitesse impossible. Avant de comprendre ce qui se passait, Alexis sentit des doigts froids sur sa peau, sur l’emplacement exact de son tatouage. Un violent frisson le secoua, tandis que l’inconnu commentait:

– Hmmm, il manque le P et le S, mais c’est assez ressemblant…

   Alexis se dégagea brutalement.

– Hé! Je t’ai donné l’autorisation de m’toucher? !

   L’inconnu sourit, comme s’il avait dit quelque chose de très amusant et recula en levant les mains, ce qui rappelait ces films débiles de cow boy où le héros montrait qu’il n’était pas armé.

– Tu portes l’emblème de ma famille, les Parva Jardine. Mais je suppose qu’évidemment, tu l’ignorais.

– Quoi?

– Tu devrais vraiment te faire déboucher les oreilles. Ou attaquer le festival en justice, qui sait, peut-être que tu gagnerais, avec ton air de chien battu? Je suis sûr que les jurés seraient touchés.

  Quel fils de… Le poing d’Alexis partit tout seul, s’arrêta brusquement, à trois centimètres de la joue de l’inconnu. Il y eut un instant de flottement. Puis comme un circuit qui redémarre, le cerveau d’Alexis se remit en route. Frapper quelqu’un au milieu d’un festival bondé n’était peut-être pas une très bonne idée. Malgré sa rage, il se força à baisser le bras, se disant que sa raison avait dû le stopper à temps, voilà tout.

    Sauf que c’était déjà trop tard. Des festivaliers assis à l’ombre de l’arbre les regardaient avec des yeux ronds, semblant se demander s’il fallait intervenir, faire semblant de ne rien avoir vu ou se contenter de regarder. Foutue curiosité malsaine. Alexis avait toujours détesté ces gens qui accouraient lors d’accidents, dans l’espoir d’apprendre ce qui s’était passé, en essayant d’apercevoir la scène entre deux épaules de policiers.

   L’inconnu semblait s’en être rendu compte, lui aussi, parce qu’il lui passa un bras faussement jovial autour des épaules en disant d’une voix forte:

– Bon, la bière, ça suffit pour ce soir.

   Alexis fut bien obligé de jouer le jeu. Impuissant, il se laissa entraîner et constata qu’au moins, les gens avaient repris leurs conversations.

– Un petit conseil, tu devrais réfléchir avant de te donner en spectacle, lui susurra l’inconnu à l’oreille.

  Alexis se dégagea brutalement.

– On s’connaît pas, OK? Et j’fais c’que je veux. Tes conseils, tu te les fous là où je pense, avec ou sans vaseline!

   Le garçon parut interdit, puis il éclata de rire. On aurait dit des cailloux qui crissaient sur le bitume. Ensuite, il fixa assez longtemps Alexis pour que ça en devienne gênant. Ce dernier, qui se demandait vaguement pourquoi il n’avait pas fui, décrypta soudain la lueur étrange au fond des yeux dorés. Son coeur palpita comme des ailes d’oiseau et le sang afflua à ses joues. Ce mec était gay. Bordel, cette situation était déjà assez absurde comme ça, il était inutile d’en rajouter une couche. En plus, Alexis était en couple, alors pourquoi la sueur commençait à couler le long de sa nuque? Pourquoi ses mains se mettaient à trembler? Arrête de le regarder comme ça, s’ordonna-t-il en s’apercevant qu’il jaugeait à son tour la silhouette longiligne de l’autre, masquée par le sweat-shirt tout aussi informe que son propre T-shirt. Maintenant qu’il était descendu de son arbre, Alexis se rendait compte que l’inconnu était aussi grand que lui. Et ce demi-sourire moqueur plein de promesses…. Il se gifla mentalement. Ce genre de pensée ne lui ressemblait pas – à moins que ce soit parce que l’autre avait l’air aussi incongru que lui dans ce festival. Il sortit nerveusement un paquet de cigarettes de sa poche. Saisit son briquet. Une flamme. Et la fumée, rassurante, libératrice. Voilà ce qu’il aurait dû faire depuis le début, les clopes l’aidaient à garder la tête froide. Et ces foutus frissons qui continuaient. Ce mec restait un inconnu, et un inconnu bizarre, en plus!

– Au fait, j’adore ton style. Il me rappelle celui d’une ancienne connaissance, fit le jeune homme, qui semblait soudain presque amical.

– C’est qui? demanda Alexis sans pouvoir s’en empêcher.

   Il aurait dû partir, trancher le fil de conversation qui le reliait encore à ce mec, plutôt que de le renforcer avec sa question à la con.

– Aucune importance. Elle est morte.

– Ah, fit Alexis, qui se sentit soudain très bête.

   Alors que sa solitude lui explosait au visage, il réalisa soudain que le jeune homme avait aussi peu envie que lui d’être à ce festival. Sa remarque sur le bruit le prouvait. Comme s’il avait lu dans ses pensées, le concerné lâcha:

– Si je suis là, c’est uniquement à cause de mon petit ami. Il doit être en train de sauter avec les autres cinglés du premier rang, avec l’impression de vivre le plus beau jour de sa vie.

– Ben c’est marrant, j’suis un peu dans le même cas. Cadeau d’anniversaire?

– Tentative de réconciliation après une dispute particulièrement vigoureuse. Au fait, moi, c’est Silyen Jardine.

  Pfff, qu’est-ce que c’était que ce nom? Clairement celui d’un gosse de riche habitué à ce qu’on lui obéisse, le genre de mec qu’Alexis a-do-rait. Et son sourire faisait toujours aussi froid dans le dos. On aurait dit que « Silyen » ne savait pas vraiment comment être aimable, comme un aveugle tâtonnant dans le noir, mais après tout, Alexis n’était pas un exemple, parce qu’il avait plutôt tendance à aboyer sur les gens ou à ne pas leur parler du tout. Il regarda la main tendue en plissant les yeux. Ne quand même pas oublier les insultes de tout à l’heure.

– Alexis, finit-il par marmonner, lâchant un nuage vaporeux qui lui masqua le visage.

   Il ne serra pas la main, espérant que l’autre se sentirait mal à l’aise à son tour. Sauf que Silyen ne parut absolument pas perturbé et se contenta de baisser son bras. Pire, il lui fit un clin d’oeil, et le coeur d’Alexis recommença à danser la samba. Aïe, aïe, aïe, il fallait qu’il trouve très vite Tom… Tom! Merde! Il devait être mort d’inquiétude, en ne le voyant pas revenir. Et d’ailleurs, Alexis réalisa soudain qu’avec la masse de gens qui passaient devant eux depuis quelques minutes, le concert s’était terminé.

   Il s’apprêtait à dégainer son portable lorsqu’une voix claire s’éleva autour du brouhaha, légère et musicale.

– Alexis! Tu m’as fait une de ces frousses! T’étais passé où?

  Tom! Tom était là, les cheveux blonds trempés de sueur, ses paillettes lamentablement étalées le long de ses joues comme des poissons échoués. L’inquiétude dans ses yeux laissa la place à la joie. Mais il n’était pas seul. Un jeune homme tout aussi blond, d’à peu près leur âge, se tenait à côté de lui. Avec son visage franc et ses yeux bleus, il dégageait une aura de sympathie qui déplut tout de suite à Alexis - non mais, qu’est-ce que ce mec foutait avec son copain? En plus, il avait un corps de dieu grec, à croire qu’il passait sa vie au fitness. Si au moins il avait l’air con… Mais son regard pétillait d’intelligence.

  Quant à Silyen, il s’était adossé à l’arbre, et regardait la scène avec un air amusé.

– C’est Luke, expliqua très vite Tom, semblant deviner ce qui se passait sous le crâne d’Alexis. J’ai demandé aux bénévoles vers les toilettes s’ils t’avaient vu et il m’a dit qu’il t’avait aperçu en train de marcher vers ce coin. Euh… il parle anglais, si jamais.

   Mouais. Quelle honte pour la langue de Shakespeare, songea Alexis, qui était lui-même bilingue parce que sa mère avait eu la brillante idée de le mettre dans une crèche anglophone, quand il était petit.

– C’est donc toi le fameux mec aux cheveux violets? Je suis fan de ta coupe! claironna Luke avec un grand sourire.

   Décidément. D’habitude, les gens le regardaient plutôt avec un mélange de crainte et de désapprobation, ce qui allait très bien à Alexis. Sauf que l’autre, ne rendant pas compte qu’il s’enfonçait, voulut lui faire un check. Alexis l’ignora superbement, ce qui parut hilarant pour Silyen, dont le sourire passa de pénible à horripilant.

  Tom balança à Alexis un coup de coude qu’il pensait peut-être discret, mais qui ne l’était absolument pas. Il y eut un blanc, pendant lequel une musique électronique puissante, en provenance de la petite scène, remplit tout l’espace. Luke haussa discrètement les épaules en regardant Tom, et putain, Alexis aurait pu le tuer. Les pieds et les épaules du jeune homme suivait stupidement le rythme, signe qu’il trépignait d’impatience de retourner au milieu des festivaliers. Puis… il attira Silyen à lui.

– Vous avez déjà fait connaissance? J’espère que tu as été poli… C’est dingue ces coïncidences.

   Alexis referma sa bouche, qui était grande ouverte.

– C’est mon copain, confirma Luke en ébouriffant les cheveux de Silyen, qui leva les yeux au ciel.

   Tom paraissait visiblement ravi de ce dénouement. Il y avait longtemps qu’Alexis ne l’avait pas vu aussi… détendu et heureux. Même un peu trop parce qu’il lança d’un ton joyeux, dans un anglais approximatif:

– Les gars, on est avec des potes, mais si ça vous dit de vous joindre à nous… On va aller chercher à bouffer après.

   Quoi? Inviter encore plus de monde dans leur groupe déjà immense? Même si le dieu grec était en couple, il était hors de question qu’il approche encore Tom! Et Silyen… Quoique ce mec provoque chez lui, Alexis ne tenait pas à creuser la putain de question. Qu’est-ce qui avait pris à son petit ami, si timide d’habitude? Mais en le voyant vaciller, son verre de bière vide à la main, Alexis comprit d’où lui venait son soudain enthousiasme.

   Alors que lui et l’aristo commençaient à protester en coeur, tandis que Luke acceptait l’offre avec un immense sourire, Tom les surprit encore une fois:

– Mais avant, j’ai quelque chose à faire, lâcha-t-il.

   Il prit Alexis par la main, alors que la musique électro devenait planante, avant qu’une avalanche de notes, accompagnée des rugissements approbateurs de la foule, ne vienne torpiller ce bel instant de tranquillité.

   Tom n’allait cependant pas à la petite scène.

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