Entre les mondes
Bouda était sur le point de sortir de son bureau pour rejoindre la salle de réunion principale du Parlement, où l’attendait une séance avec Rebecca Dawson et cette parvenue d’Abigail Hadley, lorsque des coups frappés à la porte lui firent hausser les sourcils.
– Je n’ai pas le temps, dit-elle en haussant la voix.
– C’est urgent, répondit un homme.
– Très bien, entrez.
Cette voix, Bouda l’avait tout de suite reconnue. C’était celle de son meilleur espion. Elle lui avait ordonné de venir la voir qu’en cas de bonnes nouvelles.
Effectivement, les nouvelles étaient bonnes.
Luke Hadley semblait avoir refait surface. Son espion avait intercepté une conversation entre le jeune homme et sa soeur, quelques minutes auparavant. Hélas, il n’avait pas réussi à localiser la provenance de l’appel et le signal résistait à toute tentative de décryptage mais l’important était le contenu de la conversation: le jeune Hadley avait annoncé qu’il reviendrait à Manchester le lendemain. Bouda laissa un sourire satisfait s’épanouir sur son visage. Enfin un peu d’espoir.
Bouda ne laissa rien paraître lorsqu’elle arriva à la séance, avec deux petites minutes de retard qu’elle ne prit pas la peine d’excuser. L'endroit était fastueux: il s’agissait d’une ancienne salle de réception du Parlement, qui avait peu changé. Tout juste une des longues tables en bois verni de la salle à manger y avait été transférée et placée au centre. Les lustres en cristal étincelaient et de grandes fenêtres laissaient entrer la lumière à flots. Des dossiers et un verre d’eau posés devant elles, Abigail et Dawson regardèrent Bouda s’assoir. Elles expliquèrent les résultats de leur enquête, se concentrant surtout sur deux agents infiltrés qui allaient les mener jusqu’aux leaders de cette ridicule Résistance.
– Merci, mais où sont vos résultats concrets? les coupa Bouda.
Les deux femmes se regardèrent. Rebecca Dawson s’apprêtait à prendre la parole lorsque l’Egale enchaîna, en sortant son propre dossier:
– Nous sommes en train de vivre une hécatombe, dit-il elle en exposant les images des Egaux tués par la résistance. Si nous ne voulons pas que tous soient sauvagement assassinés, il nous faut des noms, des localisations et à ce jour, vous n’en avez rien. Par conséquent, je pense qu’il est grand temps que je reprenne ce dossier en main. Nous devons agir vite et fort.
– Je vous trouve bien présomptueuse, Bouda, siffla Dawson. Avez-vous écouté ce que nous vous avons expliqué? Nous sommes à bout touchant. Notre agente nous a transmis les noms de ceux qui nous mèneront à la tête de la résistance. C’est une question de jours.
Bouda s’avança légèrement sur sa chaise, fixant Dawson droit dans les yeux.
– Je connais ce refrain. Je suis prête à parier qu’au lieu de jours, ce seront des semaines. (Elle tira un autre document de son dossier et le poussa vers Dawson.) Mais passons. De toute façon, vous devrez vous plier à la volonté du conseil de transition, qui me donnera les pleins pouvoirs sur cette affaire dès la semaine prochaine.
Rebecca Dawson blêmit lorsqu’elle prit connaissance du feuillet. A force d’un patient travail d’usure mêlant flatteries, promesses et menaces, Bouda avait finalement convaincu la majorité des membres du conseil de voir les choses de son point de vue. Et elle avait un argument de poids dans la balance: les meurtres s’enchaînaient à une vitesse inquiétante. Si on ne les arrêtait pas, une guerre civile menaçait d’éclater.
– Je devrai peut-être demander à reprendre la main sur les affaires internationales et particulièrement sur celles qui concernent nos relations avec les Etats-Confédérés, finit par lâcher Dawson.
Cette vieille peau avait encore du fiel à cracher.
Bouda lui adressa sont plus beau sourire:
– Rebecca, je n’aime pas les menaces voilées, je vous suggérerai donc de vous exprimer plus clairement.
– Vous savez très bien de quoi je parle, répliqua la roturière, les yeux flamboyants.
– Ce n’est pas le cas. Mais si vous ne voulez pas m’éclairer, laissons ce sujet et finissons cette réunion. J’ai beaucoup à faire.
– Ce que Mme Dawson veut dire, c’est qu’il semblerait que les Etats Confédérés soient sur le point de nous déclarer la guerre. Vos pourparlers se sont embourbés parce que vous n’arrivez jamais à rendre ses pouvoirs au fil du président, intervint Abigail Hadley.
– Tu te fies à ces rumeurs ridicules? J’avais pourtant entendu dire que tu étais une jeune fille brillante…
– Ai-je tort? la coupa Abi.
Bouda n’aurait pas été plus choquée si la jeune fille s’était jetée sur elle, toutes griffes dehors: elle avait osé lui couper la parole.
– Bien sûr que tu as tort. J’ai la situation bien en main. Je vous serai gré de vous occuper de ce qui vous regarde en me laissant faire mon travail.
Se recomposant à nouveau un sourire éblouissant, Bouda se leva gracieusement et planta là les deux roturières.