Le Cercle de la Louve
Une fois arrivées à destination, Jean, Kitty et Illyana émergèrent du disque pour se retrouver dans l’obscurité totale.
Une obscurité qui n'avait cependant rien à voir avec la pénombre de la nuit. Toute lumière avait quitté cet endroit, tout était absolument plongé dans le noir. Les trois jeunes femmes s'étaient mises dos à dos les unes contre les autres dans l’idée qu'elles seraient accueillies par la clarté à leur arrivée. Mais les ténèbres qui les accueillirent les privèrent de cette initiative dès les premières secondes.
Illyana laissa son épée de sortie et se mit dans une posture défensive par mesure de précaution.
-Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Kitty. C’est pas censé être la nuit ici… non ?
-Ça n’a rien à voir avec la nuit, intervint Jean dont l'incapacité à pouvoir discerner ses coéquipières, bien qu’à une distance de toucher, la rendait nerveuse. C’est… autre chose.
-Katya, t’avais pas dit que tu avais une lampe ? demanda Illyana.
-Si, tiens.
Kitty fouilla dans son sac, contente de pouvoir au moins distinguer sa lampe au toucher car elle non plus ne voyait absolument rien.
Au bout d’un moment, elle la trouva puis l’alluma. Toutefois, aucun rayon de lumière n’en sortit.
-Attendez, c’est quoi ce… ?
Kitty éteignit et ralluma à plusieurs reprises, mais toujours rien.
-Je vous assure que j’ai mis des piles neuves avant de partir, dit-elle sur un ton exaspéré.
-Non, attends, Kitty, l'arrêta Jean. La lumière, je la vois. Enfin, presque. Quand tu as bougé le rayon de ta lampe dans ma direction, j’ai vu que la lentille était allumée. Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais il y a quelque chose qui absorbe la lumière quand elle est émise.
-Parce que c’est possible, ça ? demanda Kitty, visiblement perplexe.
-Génial, c’est pratique, grommela Illyana, énervée. Jean, tu peux pas nous faire un scan télépathique ? Afin de vérifier si on est seules ?
Un petit moment de silence s’écoula durant lequel Jean utilisa ses pouvoirs télépathiques comme un projecteur tournant autour des filles.
-J’ai un contact à environ trente mètres, presque plein est, leur rapporta-t-elle. En dehors de ça, il n’y a personne d’autre à part de nous.
-Katya, si tu arrives à lire l’écran de ton traqueur, tu veux bien regarder si on est bien au bon endroit ? demanda Illyana.
-Bien sûr.
Le bruit de Kitty fouillant son sac d’équipement se fit de nouveau entendre. La mutante finit par en sortir l’appareil.
-Ouah, murmura-t-elle. Ouais… j’arrive à peine à lire, l’écran est hyper sombre ; c’est comme si la batterie était pratiquement morte. Mais ça va, il fonctionne. Alors, d’après le GPS, c’est là que se trouve le mutant que le professeur Xavier a localisé.
-À votre avis, c’est possible que ce soit lui le responsable de… ça ? demanda Jean.
-Tu as dit qu’il était à trentaine de mètres de nous, c’est ça ? Tu crois vraiment qu’il serait capable d’éteindre toute source de lumière à une distance pareille ?
-Je n’en sais rien. Vous voyez une autre explication ?
-La vraie question qu’il faut qu’on se pose, c’est comment on va faire pour avancer dans ce noir total ? émit Illyana. On ne peut même pas distinguer nos pieds.
-Attendez, j’essaye un truc, intervint Jean qui tendit le bras devant elle. J’espère simplement qu’on est vraiment dans un zone ouverte et dégagée et qu’il n’y a rien au-dessus de nos têtes.
La jeune rousse généra alors une bande d’énergie éclatante, une sorte de ruban de flammes, et la propulsa au-dessus d’elle. Le groupe de X-Women vit la rafale qui ne pénétra ni n’éclaira les ténèbres et qui, au bout d’un moment, finit par totalement disparaître de leur champ de vision.
-Bon, au moins, tu as essayé, soupira Kitty.
-Jean. Notre contact, tu as dit que tu l’avais mentalement localisé, c’est ça ? questionna Illyana.
-Oui.
-Tu crois que tu peux communiquer avec lui ? Tu pourrais peut-être lui demander de laisser les lumières tranquille.
-Je peux tenter le coup, mais il ne parle peut-être pas notre langue, répondit Jean. Et je ne parle pas un mot d’hindi, ni de bengalais. Je ne connais d’ailleurs aucun dialecte indien.
-Bon, essaye quand même, insista Illyana. Vois si tu peux communiquer avec lui même sans que ce soit verbal, il faut qu’il comprenne qu’on vient l’aider à condition qu’il arrête son… truc.
-D’accord. Je m’excuse d’avance les filles, mais ça va sûrement me prendre quelques minutes. Alors, soyez patientes.
-Prends tout ton temps, répondit Illyana en reprenant une position normale sans pour autant faire disparaître son épée. Bien que détendant ses bras, la jeune blonde gardait les mains fermement agrippées sur la poignée de son arme, au cas où.
Au bout d’un certain temps, Jean gémit avec effroi.
-C’est un petit garçon ! leur apprit-elle. De quatre ans, je dirais. Cinq tout au plus…
-Quoi ? Qu’est-ce qu’il fait ici tout seul ? fit Kitty, horrifiée.
-Ses pensées partent dans tous les sens, on dirait qu’il est blessé à la tête ou… ou…
-Qu’il est mort de faim ? intervint Illyana pour compléter ce que Jean ne parvenait pas à dire.
-Il est mort de peur… Je ne sais pas si je peux lui parler, mais je vais tenter de lui faire parvenir des sensations de réconfort pour qu’il se sente un peu plus rassuré. Mais ça n’aura rien d’une discussion directe avec un esprit adulte cohérent et parfaitement développé alors, ça va me prendre un peu de temps.
-Vas-y, Jean. Tout ce qui peut aider, on prend.
Au bout d’un moment, l’obscurité se mit à décliner. Même si on pouvait difficilement dire que leur environnement était éclairé, les jeunes femmes pouvaient désormais voir à quelques mètres d’elles. Les ténèbres se dissipaient lentement et l'endroit donna plus l'impression d'être en proie à un brouillard dense de particules huileuses vaporisées.
-J’ai réussi à apaiser un peu son esprit, reprit Jean. Je suis désolée Illy, mais je n’ose pas en faire plus. J’ignore dans quel état il se trouve et j'ai peur d'en faire trop.
-Non, t’inquiète. C’est déjà ça, lui assura Illyana. Au moins, c’est suffisant pour voir qu’on n’est pas au bord d’un précipice. Allez, il faut qu’on le trouve.
Du peu que les filles pouvaient distinguer, elles se rendirent compte qu’elles se trouvaient sur le flanc d’un colline rocheuse, pentue et jonchée d’assez gros rochers et d’autres débris. La végétation était vraiment clairsemée. Le groupe de mutantes avança petit à petit le long de ce qui semblait être une corniche, se frayant prudemment un passage pour atteindre le sol rugueux.
À mesure qu’elles approchèrent du mutant qu’elles recherchaient, la pénombre commença à se dissiper entièrement.
-Je suis en contact avec lui, dit Jean. J’essaye encore de lui transmettre un sentiment de réconfort et on dirait qu’il est réceptif. Normalement, on devrait tomber sur lui d’un moment à l’autre.
Enfin, elles aperçurent le petit garçon dans un profond cul-de-sac qui avait tout l’air d’être le vestige d’un vieil éboulement. Caché à l’ombre d’un surplomb, il était appuyé contre un rocher. Contre toute attente, ses vêtements étaient propres. En revanche, il avait le visage boursouflé, probablement dû à une insolation.
En voyant les trois jeunes femmes approcher, il se recroquevilla, apparemment trop faible pour s’enfuir ou se débattre. Mais il était clair que le petit garçon était terrorisé.
-Ça serait peut-être mieux qu’il n’y ait qu’une de nous qui l’approche, suggéra Kitty. De cette façon, il aura peut-être moins peur.
Jean tenta de faire le premier pas mais l’enfant gémit, apeuré, et elle s’arrêta avant d’avoir pu avancer.
-Vous croyez que ce serait une bonne idée que je l'attrape juste ? demanda-t-elle à ses coéquipières. Je manipulerais bien son cerveau pour le placer dans un état second mais il est vraiment dans un sale état, le pauvre… je ne suis absolument pas certaine des résultats.
-Attends, laisse-moi essayer, intervint Illyana. Katya, tu peux me passer la bouteille d’eau ?
-Bien sûr.
Kitty tendit la bouteille à Illyana et celle-ci avança prudemment vers le petit garçon sans toutefois l’approcher directement. Méfiant, ce dernier la fixa toutefois avec une curiosité évidente. Illyana s’assit par terre à quelques mètres de lui et ouvrit la bouteille afin que l’enfant puisse clairement voir ce qu’elle contenait.
-Allez, mon ange, babilla-t-elle doucement. On ne te veut aucun mal. Viens par là. Viens me voir.
-Illy, il est peut-être trop faible pour bouger, observa Kitty.
-Dans ce cas, je vais m’approcher un peu, tout doucement. Je m’arrêterai avant qu’il ait peur, j’espère.
Au bout d’un moment, le petit garçon se leva et traversa la faible distance qui le séparait d’Illyana en titubant à cause de ses jambes toutes tremblantes. Ce fut tout juste s’il s’écroula sur les genoux de la mutante. Cette dernière l’attrapa et le prit délicatement dans ses bras.
-Coucou, hé… qui c’est ce petit costaud qui est venu jusqu’à moi ? continua-t-elle de babiller, espérant ainsi que, même s’il n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait bien lui dire, il pourrait reconnaître au ton de sa voix qu’elle ne lui voulait que du bien.
Elle lui donna la bouteille d’eau débouchée mais se rendit compte avec désarroi qu’il n’avait plus de force pour la tenir. Alors elle le lui porta à la bouche et le laissa boire son contenu.
Avec prudence, Jean et Kitty s’avancèrent. L’enfant se blottit contre Illyana, ayant apparemment décidé de lui faire confiance.
-Mon Dieu, on est arrivées juste à temps, murmura Jean, horrifiée. Il serait resté seul encore une journée et ça aurait été trop tard.
-Mais comment a-t-il atterri ici ? demanda Kitty. Où est sa famille ? Personne n’est à sa recherche, c’est bizarre, non ?
-On n’a pas vu grand-chose du paysage mais, si tu veux mon avis, cet endroit est totalement abandonné, dit Illyana qui caressait délicatement les cheveux sales du petit garçon.
Ce dernier était suffisamment conscient pour prendre une des longues mèches blondes de la mutante dans ses petites mains ; il fixait sa chevelure, totalement stupéfait.
-Ça doit être la première fois qu’il voit quelqu’un comme toi, Illy, en déduisit Kitty. Une peau blanche et des cheveux blonds, on ne peut pas dire que ça court les rues dans cette partie du monde.
Soudain, Jean se redressa et s’éloigna de quelques mètres. Kitty et Illyana échangèrent un regard d’incompréhension. Kitty se releva pour aller la suivre.
-Jean, ça va pas ?
La jeune rousse leur tournait le dos en portant sa main à sa bouche, de grosses larmes lui emplissant les yeux.
-Ils l’ont abandonné…, prononça-t-elle d’une voix étranglée. Ses parents… ils ont eu peur de lui… de son pouvoir d’invoquer le noir. J’ai vu ses souvenirs… Ils l’ont laissé ici pour mort… son père et sa mère… Ils l’ont abandonné !
-Oh, non…, soupira tristement Kitty.
-Comment on peut faire ça à son enfant…, gémit Jean en contenant sa rage, les larmes lui dévalant les joues. Comment ont-ils pu faire une chose pareille ?
Kitty se mit à réaliser que, au vu de sa réaction, la situation désastreuse de cet enfant avait déclenché quelque chose chez son équipière qui allait au-delà de la simple compassion.
-Respire un grand coup, Jean, suggéra Kitty.
La jeune femme s’exécuta. Elle prit une profonde inspiration et l’expulsa furieusement. Après un moment de silence, elle retrouva son calme mais les larmes continuaient de couler le long de son visage.
-Mon père m’a abandonnée, confia-t-elle d’une voix à peine audible. Après ce que j’ai fait à ma mère… c’était un accident, mais ça ne changeait rien pour lui… il ne voulait plus entendre parler de moi. Je lui faisais peur… il avait peur de ce que j'étais capable de faire. À ses yeux, j’étais devenue un monstre… Il m’a laissée à Charles et a voulu oublier qu’il avait eu une fille dans sa vie. Il… je…
Elle dut s’arrêter. Les mots ne sortaient plus, mais les larmes coulaient toujours à flot. Elle demeura immobile à regarder dans le vide tout en essayant de reprendre le contrôle de ses émotions qui bouillonnaient en elle.
-Jean, je suis sincèrement désolée, murmura Kitty.
Jean expira de manière saccadée.
-Pardon, excuse-moi, fit-elle en s’essuyant le visage du dos de la main. Je pensais avoir complètement tourné la page, faut croire que non…
-Personne ne t’en voudra de te sentir un peu touchée.
-En fait, c’est là que je me rends compte que j’ai eu beaucoup de chance, confia-t-elle, la voix teintée de chagrin. Mon père m’a peut-être effacée de sa vie mais Charles, lui, m’a recueillie sans aucune hésitation et, de ce que je sais, il ne l'a jamais regretté une seconde. Pourtant ce n’est pas rien de prendre un enfant en charge… de devenir son tuteur. Surtout quand il a assez de puissance pour faire exploser tout le manoir en un claquement de doigts.
Malgré ses larmes, elle afficha un sourire. Puis elle reprit la parole :
-Charles m’a toujours traitée comme sa fille, depuis le premier jour. Quand je pense à quel point je lui en ai voulu pour m’avoir caché la vérité sur mon père… mais ce qui est vrai, c’est qu’il a aussi renoncé à une énorme partie de sa vie pour moi, pour que je sois en sécurité. Il a sacrifié tellement de choses pour mon bien à moi… Je me dis souvent que… très peu de gens dans ce monde auraient pris un tel risque pour moi.
-Tu lui en veux toujours un peu pour t’avoir menti ?
Les larmes plein les yeux, Jean secoua négativement la tête :
-J’ai déjà pardonné à Charles pour tout ce qu’il m’a fait. Il a commis des erreurs, c’est vrai… mais chaque fois qu’il m’a blessée, qu’il m’a fait du tort, ce n’était pas intentionnel. La seule chose qu’il a toujours voulu, c’est me protéger. Ce n’est pas possible d’haïr quelqu’un pour ça. Mais après, tu vois ça et… mon Dieu… Ces souvenirs sont trop horribles...
C’est alors que Kitty entendit un rire d’enfant derrière elle. Elle prit Jean par le coude.
-Jean, dit-elle en lui indiquant d’un signe de tête ce qu’il y avait à voir.
Illyana, qui tenait toujours le garçon dans ses bras, avait invoqué une petite marionnette en forme de dragon et le taquinait gentiment avec. Le petit rescapé poussait des petits rires aigus.
-Ouah, je n’aurais jamais cru voir ça un jour, murmura Kitty.
-Voir quoi ? Illyana en train de s’amuser avec un enfant ? demanda Jean qui essuyait les dernières larmes encore présentes.
-Elle a toujours insisté sur le fait qu’elle n’était pas du tout comme ça.
-Oh, je n’y crois pas une seconde, répondit Jean à voix basse. Pour moi, elle l’a toujours été. C’est simplement qu’elle s’autorise enfin à ressentir toutes ces choses-là et à les exprimer. Tu vois un peu comment elle s’est laissé aller en aussi peu de temps ?
Les deux mutantes rejoignirent leur coéquipière blonde, toujours assise par terre. Cette dernière leva la tête, un grand sourire aux lèvres.
-Alors, tu t’es fait un nouvel ami ? la taquina Kitty.
-Excuse-moi, Illy, soupira Jean. J’ai eu… j’ai un peu craqué.
-T’inquiète, Jean. T’as vraiment pas à t’excuser, lui assura Illyana.
Elle se leva doucement en tenant toujours l’enfant dans le creux de son bras et en soutenant son poids à l’aide de sa hanche.
-Bon, j’crois qu’il est temps qu’on l’emmène à l’infirmerie. Là-bas, on s’occupera de lui et on lui trouvera un lit. En plus, il aura un repas chaud. T’entends ça, mon petit costaud ? fit Illyana en s’adressant de nouveau à lui. Tu veux bien venir avec nous ?
Kitty rigola :
-Illy, tu es au courant qu’il ne comprend pas un mot de ce que tu dis ?
-Oh, ce n’est pas vrai, bien sûr qu’il comprend, objecta la blonde. Il comprend même très bien. Hein ? Pas vrai, mon petit ange ?
Elle créa ensuite un nouveau portail de téléportation.
-Allez, les filles, dit-elle dans un sourire. On rentre à la maison.
Peu de temps après, les trois jeunes femmes ainsi que le petit garçon qu’elles avaient secouru se volatilisèrent, laissant la corniche désolée en proie à la soudaine chaleur du soleil qui s'apprêtait à se lever.