Le Cercle de la Louve
Le matin avait sonné neuf heure et Hank McCoy prenait place dans son bureau aux côtés de Moira MacTaggert. Le semestre venait tout juste de s’achever, par conséquent le vrai travail commençait pour eux. En effet, tandis que les élèves profitaient de trois semaines de vacances, les enseignants avaient l’occasion de passer en revue les progrès réalisés jusqu’à présent ainsi que de commencer à planifier le semestre qui allait suivre. Jean Grey arriva au niveau de l’entrée du bureau et frappa délicatement à l’encadrement.
Hank McCoy leva les yeux de la masse de papiers qu’il était occupé à parcourir et lui sourit chaleureusement :
-Jean. Entre, je t’en prie.
La mutante entra dans la pièce en prenant soin de fermer les portes derrière elle. Lorsqu’elle prit place sur la chaise vide à côté de Moira, le sourire de Hank s’évanouit. La jeune rousse arborait une expression inquiète qui l’interpela.
-Quelque chose ne va pas, murmura-t-il.
-Je suis désolée, dit Jean. Je ne voulais pas vous inquiéter, mais il y a un problème.
Soucieuse, Moira MacTaggert fronça les sourcils.
-Qu’est-ce qu’il y a, Jean ?
-C’est Amara, je me fais beaucoup de soucis pour elle : elle a des pensées suicidaires. Et ce qu’elle vit est fort, très fort…
Hank et Moira échangèrent un regard très inquiet.
-Dis-nous tout ce que tu sais, la pressa le mutant.
-La nuit dernière, j’ai senti ses pensées qui m’ont réveillée. Je pouvais sentir sa détresse… elle était si profonde qu’elle a traversé mes boucliers psychiques. Je suis allée dans sa chambre et Rahne y était déjà. Elle était restée avec elle une bonne partie de la nuit. J’ai dû lui donner un sédatif télépathique en la plaçant dans un état de fugue dissociative temporaire pour que son esprit puisse se rétablir. Elle s’est calmée et m’a expliqué que depuis quelques temps, elle ne dormait plus très bien et qu’elle faisait d’énormes cauchemars qui lui font revivre la mort de son père. Elle m’a avoué que ça faisait plusieurs jours qu’elle luttait contre des pulsions suicidaires.
Moira fronça les sourcils.
-Elle fait des cauchemars ? Les pouvoirs de Dani en sont peut-être la cause.
Jean secoua la tête :
-Je ne pense pas car j’ai procédé à un petit scan télépathique ; je n’ai rien trouvé qui puisse suggérer qu’elle y soit pour quelque chose.
-Moi non plus, mais je vais tout de même aller vérifier le journal d’activité du moniteur, déclara Moira. Je n’ai reçu aucun message d’alerte, mais on ne sait jamais. Je veux m’assurer qu’il n’y a rien eu d’inhabituel dans les données psioniques de Dani ces dernières nuits.
-Bonne idée, acquiesça Jean. Mais pour Amara, je pense que c’est dû au traumatisme qu’elle a vécu. On est en période de fêtes et c’est la première fois qu’elle ne sera pas chez elle avec sa famille. Puis il ne faut pas oublier que les souvenirs de ce qu’il s’est passé sont encore tous frais.
Elle laissa ensuite échapper un soupir saccadé.
-Mais je ne crois pas qu’elle ait réellement envie de mettre fin à ses jours. C’est vrai, elle est d’elle-même allée voir Rahne et Sam pour leur confier qu’elle se sentait déprimée. Elle leur a même demandé de venir la voir fréquemment.
Hank fronça les sourcils.
-Ils auraient dû venir nous parler de tout ça sur le champ, murmura-t-il de désapprobation.
-Je suis d’accord, mais je ne crois pas qu’Amara leur avait avoué à quel point c’était sérieux, répondit Jean. À mon avis, ils n’étaient pas conscients qu’elle se sentait aussi mal jusqu’à la nuit dernière. D’ailleurs, je leur ai rappelé qu’à l’avenir, ils devaient veiller à vous tenir au courant de tels signes, même s'ils pouvaient paraître sans importance au début.
L'ancien X-Men hocha la tête d’approbation :
-Tu as bien fait, en effet. Alors ?
-Amara a fait la démarche d’aller voir ses amis et pour moi, c’est bon signe. Mais je pense qu’elle est toujours en grand danger… et avec votre permission, j’aimerais entreprendre certaines actions.
-Explique-nous ce que tu as en tête.
-Il ne faut pas qu’Amara reste toute seule. En fait, j’aimerais que quelqu’un reste constamment avec elle pendant les prochaines soixante-douze heures environ. Scott et moi, on serait ravis de s’en occuper mais je pense que ce sera mieux pour elle si ses camarades assurent ce rôle. Et, surtout, je ne veux pas qu’elle soit toute seule la nuit. J’aimerais demander à Sam et Rahne s’ils peuvent se relayer pour rester avec elle dans sa chambre jusqu’à ce qu’on soit au moins sûrs qu’elle est hors de danger.
-Aucun problème, déclara Hank. Quoi d’autre ?
-Si c’est nécessaire, je procèderai à un autre sédatif télépathique. Mais en toute franchise, je ne suis pas trop pour cette approche. Vous n’êtes pas sans savoir que Charles était plein de bonnes intentions quand il a voulu bloquer le souvenir de la mort de ma mère… il l’avait enfoui au plus profond de mon esprit pour qu’il ne ressurgisse jamais. On sait tous comment ça s’est terminé…, fit Jean en affichant un sourire triste. Je vais tout faire pour qu’elle reste émotionnellement stable mais il faudra qu’elle le surmonte elle-même. Si vraiment on doit en arriver à manipuler son état émotionnel, je veux que ce soit en dernier recours.
-Je suis d’accord, tu as raison, acquiesça le professeur.
-D’ailleurs, Amara n’est pas la seule élève dont il faut se préoccuper : Dani est en train de vivre des moments de dépression, elle aussi. Elle est loin d’être au même point qu’Amara, mais ça m’inquiète quand même. Elle n’en a encore parlé à personne. Si je le sais, c’est parce que je l’ai senti lorsque j’ai fait mon scan la nuit dernière. Dans un mois, ça fera un an que son père est décédé. Elle ne veut pas le montrer mais elle souffre. Il faut qu’on garde un oeil sur elle aussi. Ce qui m’amène à ma dernière suggestion…
-Je ne lis pas dans les esprits mais je crois déjà deviner de quoi il s’agit, fit Hank en essayant d’afficher un sourire que Jean lui rendit.
-Je voudrais désactiver mes boucliers psychiques… temporairement. Je sais que ce serait invasif de ma part mais de cette façon, je serai attentive aux émotions qui règnent dans cette maison. En fait, j’aimerais faire ça pendant tout le restant des vacances parce que pour beaucoup d’élèves, c’est la période où ils pensent plus que d’habitude à leurs proches qu’ils ont perdu ou à leurs foyers qu’ils ont dû quitter. C’est les vacances de Noël et la plupart ne peuvent pas aller les passer en famille et, en soi, c’est une situation qui génère du stress et de l’anxiété.
Moira fronça les sourcils, inquiète :
-Mais si tu désactives tes boucliers psychiques, les pensées de tout le monde ne risquent pas de te bombarder la tête jour et nuit ?
Jean parvint à afficher un sourire.
-Ne t’inquiète pas, je suis capable de baisser le volume de ce que j’entends, ne serait-ce que pour parler. Mais si je sens que quelqu’un est en détresse, ça résonnera dans ma tête comme un cri et je veux pouvoir lui venir en aide avant que quelque chose n’arrive. Mais je vous promets de rester autant que possible en dehors de vos têtes. Je veux que vos pensées restent privées.
-Je ne vois aucune objection à émettre à tout ce que tu viens de nous suggérer, déclara Hank avant de se tourner vers Moira pour obtenir sa confirmation, ce que cette dernière lui accorda d'un hochement de tête. Je t’en prie, vas-y. Tu as carte blanche. Bien sûr, je te demanderais de nous tenir informés de tout changement même infime.
-Oui, bien sûr, promit Jean.
Hank tourna de nouveau la tête vers Moira :
-Il va falloir aller parler à Amara. Ainsi qu’à Dani, probablement.
-Pour Amara, laissez-moi faire, suggéra le docteur. Elle me connaît, du moins… de tous les enseignants, c’est moi qu’elle connaît le plus. Je pense qu’elle me fait confiance. Si j’apprends quelque chose de critique, je vous en informerai.
-Si vous pensez pouvoir l’aider du mieux possible, allez-y.
-Si ça ne vous ennuie pas, j’aimerais essayer de parler à Dani, intervint Jean. Je réalise que je viens d’arriver et qu’elle ne me connaît pas encore très bien. Mais je pense pouvoir l’aborder et la convaincre de s’ouvrir à moi.
-Très bien, acquiesça le mutant bleu. N'oublie pas de me tenir au courant. Et Jean, merci. Je sais que tu n’aimes pas spécialement rapporter des informations personnelles sur les pensées qui circulent, mais tu as bien fait de faire ce que tu as fait. Il ne faut pas laisser passer des choses pareilles.
-On devrait peut-être également surveiller Illy, suggéra Moira. Je sais qu’il n’y a pas si longtemps, elle a eu de sérieux problèmes de dépression et des pensées suicidaires.
Jean sourit.
-Pour l’instant, s’il y a deux personnes pour qui nous n’avons pas besoin de nous soucier, c’est d’elle et Roberto, leur assura-t-elle. À l’heure où on parle, ils sont littéralement en train de nager dans un océan d’endorphines.
-Aah… l’amour, soupira Hank. Le fortifiant éternel.
Jean ne sut s’il était sérieux ou non.
-L’amour guérit, insista-t-elle. Je sais qu’on dirait une phrase sortie tout droit d’une carte de vœux, mais c’est vrai. C’est même la seule chose qui m’a maintenue en vie. Maintenant, je crois plus que jamais en sa puissance. L’amour est vraiment source de miracles.
De façon inattendue, Hank la fixa avec des yeux poignants.
-Oui, je sais, confirma-t-il d’un ton posé.