La Renaissance du Phénix
Jean Grey était assise dans le long canapé du salon et contemplait les dernières braises du feu. Il était bien minuit passé, et la seule luminosité encore présente dans la pièce émanait de la blancheur de la lune dont l’éclat traversait la fenêtre.
Toute la nuit, le cerveau de la mutante s'était retrouvé en ébullition. Bien après que tout le monde soit parti se coucher, la jeune femme était redescendue dans le salon pour profiter de la chaleur persistante émanant du feu. Ce dernier se consumait peu à peu en cendres froides.
C'est alors que Jean réalisa que quelqu’un était là. Elle n’entendit ni ne vient rien, mais ressentit l’esprit d'une personne debout qui n’était pas loin. Qui que ce soit, elle se déplaçait sans faire le moindre bruit. Jean ne s’attendait pas à anticiper un quelconque danger mais, pour être totalement sûre, procéda tout de même à un rapide scan télépathique avant de se détendre. Ce n’était qu’un élève.
Peu de temps après, Rahne Sinclair pénétra dans la pièce. Sous les rayons lunaires, la jeune élève n’était guère plus qu’une silhouette. Elle était sous sa forme humaine et portait un pyjama très large et trop grand pour elle, ainsi qu’une croix dorée sur une fine chaîne qui brillait sous la lumière pâle.
-Est-ce que je te dérange ? demanda-t-elle à voix basse, bien que personne n’était susceptible de les entendre.
-Non, pas du tout.
-J’ai pensé que tu voudrais un peu de compagnie, vu qu’on dirait que t’arrives pas à dormir.
Jean sourit dans l’obscurité.
-En fait… c’est rare que je dorme, admit-elle. Ça m’arrive encore, par habitude. Mais mon corps n’a pas besoin de sommeil.
Rahne prit place sur le canapé en face de celui de Jean et replia ses jambes sous son corps, dans une position indienne.
-Donc, t’es tout le temps éveillée ?
-Pas toujours, mais la plupart du temps. C’est Rahne, c’est ça ?
-Ouais.
-Tu fais un peu d’insomnie ce soir, Rahne ?
-Non. À cette heure-ci, je suis souvent debout. C’est juste que je suis pas en humaine, d’habitude.
Jean fronça les sourcils, perplexe. Elle se doutait cependant qu'elle faisait référence à sa mutation.
-Ok… parce que d’habitude, tu es comment ?
-En louve.
-Ah oui ? s’exclama Jean, intriguée.
-Ouais. Donc si jamais tu aperçois un loup roux, ici ou dehors, c’est juste moi.
-Ok, c’est bon à savoir. Effectivement, si j’avais croisé un loup en train de se promener au milieu de la nuit, je crois que ça m’aurait un peu inquiétée.
-Je suis la louve de thérapie de l’école, clama fièrement Rahne.
Jean ne put s’empêcher d’éclater de rire :
-Excuse-moi, tu es la quoi ?
-J’suis la louve de thérapie. Tu sais, quand quelqu’un est malade ou triste à cause d’un truc, je me transforme et je le laisse me caresser. Ça lui fait du bien.
-Ah oui. En fait, j’ai entendu parler d’animaux de thérapie qu’on utilise dans les hôpitaux. Enfin… même si normalement, c’est avec des chiens.
-Eh ben… un loup c’est comme un chien. Presque, je crois, hésita Rahne.
-C’est de la même famille, lui assura Jean.
-Enfin, bref. Je voulais seulement savoir si tu allais bien. Dès le départ, j’ai remarqué que tu étais triste. Et… il se pourrait que je t’aie un peu entendue crier dans le bureau du docteur MacTaggert tout à l’heure avec le professeur, ajouta timidement la jeune élève.
-Ouais, soupira Jean. C’est vrai que c’est difficile de parler en privé si je hurle. Je suis désolée de t'avoir perturbée.
-Pas du tout. Mais est-ce que tout va bien ? Je peux faire quelque chose pour t’aider ?
Jean secoua tristement la tête :
-Non. Non… c’est juste que… je suis rentrée aujourd’hui ; j’étais partie depuis très longtemps. Mais à mon retour, j’ai constaté que je n’étais plus la bienvenue. Et j’ai énormément de mal à avaler la pilule.
-Tu vivais au manoir du professeur Xavier ?
-J’ai fait partie de ses élèves, autrefois. Il y a longtemps.
-Pourquoi ils ne veulent pas de toi ? la questionna Rahne, ayant visiblement beaucoup de mal à concevoir que Charles Xavier puisse être capable de tourner le dos à quelqu’un.
Jean sourit tristement dans la pénombre.
-C’est parce que j’ai fait du mal à quelqu’un. En fait, non. J’ai tué quelqu’un, rectifia-t-elle. Beaucoup de gens, même. Pas intentionnellement. Enfin… pour une des personnes, en tout cas, c’était un accident. Pour tous les autres, je n’en suis pas si sûre.
-Tu veux dire que tu as perdu le contrôle de tes pouvoirs ?
-Ouais. Je pense qu’on peut dire ça.
-Bon, ben… peut-être que le domaine annexe est l’endroit idéal pour toi. Peut-être que tu devrais rester ici.
-Ah bon ? Pourquoi ça ?
-Parce que qu’il est spécialement dédié à ceux qui ont des problèmes avec leurs mutations, c’est pour ça qu’on est là. Beaucoup d’entre nous avons accidentellement tué quelqu’un à cause de nos pouvoirs.
Jean fronça les sourcils :
-Et toi, c’est ton cas ?
-Non. Je crois qu’il n’y a que Roberto et moi qui n’avons pas de sang sur les mains. Mais les autres, oui. Souvent, c’était des proches...
-Je sais ce que ça fait, dit Jean d’un ton grave.
-Dans ce cas, raison de plus pour que tu restes, s’exclama Rahne.
Mais la mutante secoua la tête :
-Je ne pense pas que ce soit une très bonne idée, Rahne.
-Pourquoi ?
-Parce qu’une de mes victimes… était quelqu’un que le professeur McCoy aimait énormément.
-Oh…, laissa échapper Rahne, bouche-bée.
-C’était un accident. J’en suis consciente. Et Hank… enfin, le professeur McCoy… il le sait, lui aussi. Mais on n’oublie jamais ce genre de choses. Et le pardonner, c’est encore plus dur.
-Peut-être, répondit la fille-louve. Mais je persuadée que si tu faisais savoir au professeur que tu es désolée, il te pardonnerait.
Jean émit un petit rire malgré les larmes qui lui montaient aux yeux.
-Tu as décidément une foi inébranlable en la bonté de tes semblables, Rahne.
-Je crois que la plupart des gens sont bons, souvent en tout cas, expliqua la jeune Écossaise. Mais qu’on peut devenir agressif si on est blessé, malade ou si on a beaucoup de chagrin.
-Je voudrais bien te croire, répliqua Jean dont les larmes commencèrent à couler sur les joues.
-Ça te dirait que… je me transforme en loup ? lui demanda timidement Rahne. Ça pourrait peut-être te soulager, non ?
-Je crois que ça me ferait beaucoup de bien, acquiesça Jean, la voix cassée.
Rahne se leva, se débarrassa de son pyjama, et enleva son collier qu’elle plaça précautionneusement sur la table-basse. Désormais complètement nue, elle se hissa sur le canapé, à côté de Jean, avant de poser sa tête sur les genoux de la mutante.
-À part Dani, ma petite-amie, personne ne m’a jamais vue me transformer.
-Tu préfères peut-être que je regarde ailleurs ?
-Non, il y a pas de problème. C’est juste que si c’est la première fois que tu vois ça, tu risques de trouver ça un peu bizarre.
-Je pense que je suis capable de supporter un truc un peu bizarre, déclara solennellement Jean.
Rahne détendit ses muscles et, peu de temps après, Jean se retrouva avec un énorme loup au pelage roux couché juste à côté d’elle, la tête posée sur ses genoux.
-Oh. Oh, c’est…, s’exclama Jean qui en oublia un instant ses larmes. Tu es absolument majestueuse, Rahne. C’est magnifique.
Jean se pencha en avant et l'enlaça fermement, faisant glisser ses doigts sur son doux pelage roussâtre. La mutante expira de façon irrégulière et, alors que les larmes se mirent de nouveau à couler, caressa gentiment la louve, assise dans le noir, à contempler les braises qui s’éteignaient petit à petit, les unes après les autres.