Spectres
Le retour du fameux docteur Henry « Hank » McCoy à l’Institut Xavier eut droit à une célébration simpliste, néanmoins très chaleureuse. Tous les élèves l’accueillirent avec enthousiasme, visiblement réjouis par sa présence. Tout le monde se réunit ensuite dans le salon et les jeunes mutants firent les présentations. Durant leur conversation, Hank peina à s’imaginer que ces jeunes avaient vécu tous ces événements traumatiques dont il avait eu connaissance. Tous avaient l’air parfaitement heureux et sociables. Toutefois, il était parfaitement conscient que la plupart des gens étaient capables de dissimuler leurs maux derrière un masque pendant une brève période. Bien sûr, tous ces masques finiraient par tomber tôt ou tard. Cependant, il y avait une chose qui ne laissait planer aucun doute : les élèves du domaine annexe formaient un groupe soudé dont tous les membres se soutenaient les uns les autres, et Hank ne douta pas un seul instant que chacun d’eux serait prêt à se battre pour les autres, si nécessaire. Ils étaient une vraie équipe. Autre affirmation de Moira qui crevait les yeux: Dani Moonstar était sans conteste la leader du groupe.
Après avoir passé pratiquement une demi-heure à parler et à essayer de faire connaissance, Sam et Roberto se levèrent pour aller à la cuisine afin de commencer à préparer le dîner, tandis que Dani proposa au nouveau directeur de lui faire rapidement visiter le bâtiment avant de lui montrer sa chambre.
-Je te remercie, Dani. Ce serait avec plaisir, lui répondit Hank en souriant. Mais avant, j’aimerais avoir une petite discussion en privé avec Illyana.
Cette dernière le fixa, surprise :
-Moi ?
-La bibliothèque est par-là, c’est ça ? demanda Hank en pointant du doigt la direction de la pièce. Moira acquiesça. Très bien. Dani, ne t’éloigne pas. Cela ne devrait pas être long.
Ils entrèrent dans la bibliothèque et Hank ferma la porte latérale coulissante en bois derrière eux.
-De quoi il peut bien lui parler ? questionna Dani.
Moira secoua la tête :
-Je n’en ai pas la moindre idée.
* * *
Hank observa la pièce et hocha la tête d’un air approbateur. Petite, peut-être dans les cinquante mètres carrés, mais confortablement meublée avec deux chaises droites rembourrées, des poufs et un long canapé. Du sol au plafond se trouvaient des étagères munies de livres sur tous les murs.
-Est-ce que je vais avoir des ennuis ? demanda Illyana, alors qu’ils prirent tous les deux place sur un siège.
Hank fixa la jeune fille sans comprendre :
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Illyana grimaça :
-D’habitude, quand un professeur me convoque en privé, c’est parce que j’ai fait quelque chose de mal.
-Ah.
-Et c’est vrai que, souvent, j’ai vraiment fait quelque chose de mal.
-Illyana, cela fait tout juste un peu plus d’une demi-heure que je suis arrivé, lui fit gentiment remarquer Hank en lui adressant un sourire rassurant. Me permets-tu de t’accorder le bénéfice du doute ? Au moins, pour mon premier jour parmi vous ?
La mutante se détendit peu à peu.
-Le docteur MacTaggert m’a dit que tu possédais la faculté de te téléporter.
-Oui, c’est vrai.
-Puis-je te convaincre de me faire une démonstration rapide ?
-Vous voulez que je me téléporte devant vous ?
-Si ça ne t’ennuie pas. Téléporte-toi dans le salon et reviens ici ensuite. Si cela te convient. Et aussi rapidement que possible.
Illyana, surprise par cette requête, n’y vit aucune objection.
-Très bien.
Elle se téléporta et lorsqu’elle revint, Hank était en train de consulter un petit appareil de diagnostique qu’il tenait dans une main. Le nouveau directeur sembla ravi.
Illyana fronça les sourcils sans comprendre :
-Est-ce que c’était un test ?
-Un test ? Oui. Oui, en effet. Mais ce n’étais pas toi, l’objet du test, répondit-il en posant l’engin. Illyana, je vais être franc avec toi : je t’ai convoquée parce que j’ai besoin de ton aide.
-Mon aide ?
-Comme tu dois déjà le savoir, monsieur Worthington sera des nôtres après-demain. Le docteur MacTaggert et moi avons l’intention de nous rendre au campus principal avec lui. Le but de notre visite sera de fermer le manoir sur le long terme, peut-être même pour une période indéfinie, expliqua-t-il avant de marquer un instant de pause. Cela fait combien de temps que tu n’as pas vu ton frère ?
La question prit la jeune mutante au dépourvu.
-Presque deux mois.
-Il doit terriblement te manquer.
-Oui... beaucoup.
La mine sombre, Hank acquiesça.
-J’ai travaillé à ses côtés pendant de nombreuses années. C’est un ami pour moi. Et Charles Xavier est comme mon père. Nos amis, notre famille ont disparu, Illyana. Nous devons faire quelque chose.
La mutante le regarda, bouche-bée. Quoi qu’elle eût pu envisager, ce n’était certainement pas de cette façon qu’elle avait imaginé son premier entretien avec son nouveau professeur.
-Demain, je vais me rendre au manoir, annonça-t-il. J’ai l’intention de le passer au peigne fin. J’aimerais beaucoup que tu m’accompagnes ; ton pouvoir de téléportation me pourrait être d’une très grande utilité.
-Vous croyez… que vous pouvez retrouver mon frère ? demanda la jeune élève qui avait hésité à poser la question.
-Je pense que nous pourrions mener des tests qui nous permettraient de savoir ce qu’il lui est arrivé, à lui ainsi qu’aux autres X-Men, expliqua Hank, puis sa mine devint grave. Je ne veux pas te donner de faux espoirs, Illyana. Il se peut que nous ne trouvions rien ou, au contraire, que nous apprenions quelque chose que nous aurions préféré ignorer. Mais je te donne ma parole que je n’abandonnerai pas mes recherches, pas avant que nous les ayons trouvés.
Illyana avait pris l’habitude de croire qu’elle n’avait plus de cœur, qu’il avait été irrémédiablement brisé en mille morceaux depuis longtemps. C’est pourquoi elle fut surprise de le sentir fondre dans sa poitrine.
-Je ferai tout ce que vous me direz de faire, dit-elle, les larmes aux yeux.
-C’est parfait, répondit Hank McCoy en affichant un sourire. Je suis content de savoir que je peux compter sur toi. Demain, après le petit-déjeuner, nous nous rendrons tous les deux au manoir. Seulement toi et moi. Je mettrai le docteur MacTaggert au courant, alors ne te fais pas de souci à lui expliquer ton absence. En attendant, je te prierais de ne parler de notre conversation à personne d’autre.
-Comptez sur moi, lui jura la blonde qui, pour une fois, était sérieuse.
Le mutant à la fourrure bleue lui sourit de nouveau :
-Parfait. Tu peux te retirer, maintenant. On se verra ce soir au dîner avec les autres.
Tandis qu’Illyana sortit de la bibliothèque, Dani et Moira attendaient toujours dans le salon, juste à côté. Ces dernières l’interrogèrent du regard. Illyana mima brièvement un geste censé montrer son cœur traverser sa poitrine avant de se mettre à palpiter, destiné à exprimer qu’elle était transportée de joie. Elle se dirigea ensuite à toute vitesse vers les escaliers et monta les marches quatre à quatre. Dani et Moira la suivirent du regard, bouche-bées.
Hank McCoy sortit de la bibliothèque quelques instants plus tard.
-Ah, Dani. Je te remercie pour ta patience, dit-il d'un ton cordial. Je crois que nous avons maintenant assez de temps avant le repas pour que tu puisses me faire visiter l’endroit.
* * *
Dani Moonstar décida de se coucher tôt, ce soir-là. Bien que ravie d’avoir un nouveau professeur, devoir soudainement s'adapter à une nouvelle personne dans le bâtiment s’avéra étonnamment éreintant. De plus, il ne fallait pas oublier la longue conversation qu'elle avait eu avec Illy. À nouveau, elle était contente que sa camarade ait accepté de l’aider. Mais à la suite des événements de la journée, la jeune brune se sentait à bout de force et se retira dans sa chambre aussitôt qu’elle le put. Quelques minutes seulement après s'être glissée sous les couvertures, Rahne Sinclair la rejoignit.
-Je pense qu’il va me plaire, notre nouveau professeur, déclara cette dernière en enlevant et en jetant négligemment ses vêtements en tas dans la pièce. Elle se glissa sous les couvertures et frotta son nez contre Dani. Qu’est-ce que tu penses de lui ?
-Le professeur McCoy ? Je l’aime bien. Bon, on vient à peine de le rencontrer mais il a l’air assez gentil. Je ne pense pas qu’il sera aussi sévère que le professeur Xavier.
-C’est pas une mauvaise chose, déclara Rahne. Il me rendait toujours un peu... je ne sais pas... nerveuse.
- « Le poids de la responsabilité absolue repose sur nos épaules », fit Dani en faisant de son mieux pour imiter la voix de Xavier.
Rahne émit un petit rire.
-C’est ça. En plus, j’appréhendais constamment qu’il lise dans mes pensées.
-Et on sait, toi et moi, que tu n’as qu’un truc en tête, la taquina gentiment Dani.
En réponse, la jeune Écossaise l’embrassa avec passion.
-J’aime bien sa fourrure bleue, dit-elle une fois qu’elle et Dani reprirent leur souffle.
Cette dernière gloussa :
Rahne, tu as faible pour tout ce qui a de la fourrure.
La fille-louve glissa malicieusement sa main entre les cuisses de Dani, arrachant un glapissement de surprise à cette dernière. Elle se mit alors à grimper sur Rahne, qui la repoussa avant de prendre sa place.
-Oh, donc c’est toi qui veux me monter, ce soir ? fit Dani, gloussant de nouveau. Est-ce que ma magnifique princesse louve sera satisfaite ?
-Ouais, déclara Rahne.
Les deux filles partagèrent un long et langoureux baiser.
-Alors, de quoi est-ce que vous parliez, Illy et toi, aujourd’hui ? demanda la rouquine, sa respiration chaude se mêlant à celle de sa compagne.
-Illy et moi ?
-Je vous ai aperçues sur le porche arrière. Vous êtes restées là-bas longtemps. Je ne sais pas de quoi vous parliez mais ça avait l'air important.
Dani marqua un temps d'hésitation. Évoquer son idée impliquant l’Ours Démon dans un combat provoquerait un malaise à coups sûrs. Mais jusqu’à présent, la jeune Cheyenne n’avait jamais menti une seule fois à Rahne depuis qu’elles étaient en couple, et elle n’avait pas l’intention de commencer ce soir. La jeune élève avala difficilement sa salive.
-J’ai dit à Illy que je voulais invoquer l’Ours et qu’elle soit là pour l’arrêter au cas où je n’arrive pas à le contrôler.
Rahne devint aussitôt livide.
-Tu as QUOI ?!
-Je lui ai demandé de m’affronter ; mon Ours contre son épée. J’ai fait ça car j’aimerais apprendre à maîtriser mes projections.
-Dani, tu as perdu la tête ?! s'exclama Rahne qui se souleva sur un bras afin d’avoir une bonne vue sur le visage de la jeune Amérindienne. Je ne suis pas d’accord !
-Quoi ? laissa échapper Dani, stupéfaite de la réaction de sa copine.
-Non, Dani, non ! C’est ridicule ! Il est hors de question que je laisse Illy te réduire en charpie avec son épée !
Dani mit un doigt sur la bouche de sa copine pour la faire taire.
-Baisse d’un ton, ma puce. Moins fort, murmura-t-elle. C’est pas la peine que tout le bâtiment nous entende.
Rahne hésita un moment avant de reprendre la parole avec, cette fois-ci, une voix plus basse.
-Il n’en est pas question, Dani. Tu entends ? déclara-t-elle. C’est une mauvaise idée. Non, pas mauvaise. Stupide !
Dani était abasourdie. Elle croyait avoir éte témoin de toutes les humeurs possibles chez sa copine, mais la voir dans un état d’agitation frisant la colère était nouveau. La jeune femme avait déjà vu Rahne inquiète, contrariée, triste, mais jamais furieuse. Elle s’était vraisemblablement aventurée sur un terrain miné.
-Rahne…
-Dani, non ! Il est hors de question que je te laisse faire ça, c’est… c’est complètement débile ! En fait, dit-elle avec une soudaine conviction, je te l’interdis.
Les yeux de la brune s’écarquillèrent de stupéfaction.
-Tu me l’interdis ?
-Oui. Tu m’as bien entendue, dit Rahne d’un ton catégorique, se surprenant elle-même au passage.
La bouche de Dani resta suspendue. Elle avait touché un point sensible, c’était sûr. Jamais Rahne ne s’était aussi fermement opposée à une décision. Jusqu’à aujourd’hui. C’était une situation inédite et déterminante dans leur relation. Rahne venait de tirer un trait sur ce sujet et si Dani voulait faire preuve de bon sens, elle ne franchirait pas cette limite. Après avoir mis un long moment pour se remettre du choc, la jeune Amérindienne fit la seule chose qui lui venait à l'esprit.
Elle se rétracta.
-Ok, se contenta-t-elle de répondre.
-Ok ? fit Rahne qui sembla déconcertée devant la soudaine capitulation de sa copine.
-Ok, répéta Dani. Je ne le ferai pas.
-C’est vrai ?
-Si tu ne veux pas que je le fasse, alors non. Je n’y pense plus.
-Tu es vraiment sérieuse ?
-Rahne… quand je dois prendre une décision, la toute première chose qui m’importe, c’est de savoir ce que tu en penses, expliqua Dani. Si cette décision t’inquiète, alors je reviens dessus. Il faut juste que je trouve une autre méthode pour aborder le problème. Une méthode que tu approuveras.
-Oh ! Ah… ok… super. Parfait, balbutia Rahne tout en se demandant tout d’un coup si sa victoire était vraiment une bonne chose. Est-ce que… c’était notre première dispute ?
-Eh ben… en tout cas, c’est la première fois qu’on n’est pas d’accord sur un truc, lui dit Dani en affichant un sourire. Honnêtement, Rahne, jamais je n’aurais pensé que tu réagirais comme ça. Si j’avais su, je ne serais même pas allée en parler à Illy. Mais comme tu t'y opposes, je trouverai une autre solution.
-Pourquoi tu envisageais de faire un truc pareil ?
Dani poussa un soupir.
-J’ai comme l’impression que…, débuta-t-elle en haussant les épaules en signe d’impuissance, si je n’arrive pas à maîtriser mon pouvoir, que… j’ai pas vraiment d’avenir qui m’attend. Et si je n’ai aucun avenir, alors comment on peut en avoir un, toutes les deux ? Et mon avenir, c’est à tes côtés que je le veux, Rahne. Rien ne compte plus pour moi. Je ne sais pas du tout où nos vies vont nous mener, mais tout ce que je sais, c’est que, quoiqu’il arrive, je veux être avec toi. J’ai le sentiment que les chances que ça arrive seront tellement meilleures si je ne suis plus paralysée par ce pouvoir qui me dépasse.
-C’est vraiment comme ça que tu te vois ? demanda Rahne, consternée. Paralysée ?
-Ouais, je pense que c’est le mot, répondit tristement Dani. D’une façon ou d’une autre, je dois vaincre l’Ours, Rahne. Il faut que j’arrive à le contrôler parce que, honnêtement, ce n’est pas lui le problème. C’est moi.
Elle tendit le bras et parcourut délicatement de la main la cicatrice au cou de la rousse.
-Je ne veux pas que ce qu’il s’est passé arrive à nouveau.
-Dani, je ne t’en ai jamais voulu, dit Rahne d’un ton plaintif. C’est du passé, tout ça. Ne me dis pas que toi, tu t'en veux encore ?
-Rahne, si c'était toujours le cas, je n’arriverais même pas à rester dans la même pièce que toi, répliqua l’Amérindienne. Je veux connaître le bonheur à tes côtés. On a tellement… souffert dans nos vies. Et ce n’est pas ce que je veux. Je t’ai déjà fait du mal et tu n’imagines pas à quel point j’ai peur à l’idée que ça se reproduire un jour. Mais je ne peux pas vivre comme ça. C’est au-dessus de mes forces.
Les yeux de Dani s’embuèrent de larmes. Rahne posa sa main sur le sein de la jeune brune et le pressa délicatement, non pas dans un geste d’excitation, mais de confort.
-Tu ne me ferais jamais de mal, murmura-t-elle.
-Intentionnellement, non, acquiesça tristement Dani. Mais je sais que mes bonnes intentions ne suffisent pas.
Elle posa une main sur le cou de la fille-louve, passant tendrement ses doigts sur la marque de la cicatrice.
Rahne, déroutée, baissa de nouveau les yeux vers Dani. Elle comprit alors que la meilleure chance de garantir un futur empli de bonheur à sa compagne résidait en l’acceptation de son choix. Non, pas seulement le bonheur ; une vie comblée à toutes les deux. Dans l’immédiat, impossible pour Rahne de revenir sur sa décision. Cependant, la jeune élève pouvait toujours se calmer et y penser à tête reposée.
-Je… je dois y réfléchir, prononça-t-elle doucement.
Dani acquiesça :
-Prend tout le temps qu’il te faut.
-On va trouver un moyen, la consola Rahne dont la voix était devenue un doux murmure. Je te le promets.
Ça aussi, c’était nouveau : la voix de Rahne trahissait maintenant de l’assurance, une confiance discrète qui ne s’était jamais fait entendre auparavant. Sous les yeux de Dani, elle devenait une jeune femme mûre. Plus aussi innocente, mais tellement plus forte dans sa volonté, tout en restant toujours aussi gentille. Une métamorphose aussi fluide et miraculeuse que lorsqu’elle avait assumé sa forme lupine. Dani sentit son cœur s'emballer d'euphorie.
-Je t’aime, Dani Moonstar, lui chuchota Rahne.
-Je t’aime, Rahne Sinclair, lui susurra Dani en retour. De tout mon cœur.
Rahne s’installa lentement sur Dani, l'embrassant, d'abord doucement, puis avec une plus grande passion et un désir croissant.
Pendant un moment, le couple oublia le sujet sur l’Ours Démon.