Orphelins et Enfants Trouvés
L’aube n’était pas encore levée lorsque Rahne Sinclair se réveilla. À contrecœur, elle se glissa hors de ses couvertures et se hâta d’aller aux toilettes. Quelques minutes plus tard, elle revint dans la chambre, soulagée, et s’apprêta à se remettre sous la couette quand la curiosité s’empara d’elle, et la jeune rouquine se dirigea vers la fenêtre. Elle tira l’épais rideau et regarda dehors. Tandis qu’elle contemplait la neige fraîchement tombée, elle se rendit compte qu’on l’observait. La mutante reporta son regard sur le lit : Dani Moonstar avait sorti la tête de sous les couvertures et lui souriait d’un air endormi. Dans l’obscurité, une personne ordinaire aurait été incapable de discerner son expression. Mais Rahne le distinguait sans aucun problème. Elle lui sourit en retour.
-T’es encore en train de me mater le cul ?
-Rahne, reviens te coucher, la supplia Dani, toujours à moitié endormie. Il est trop tôt et il fait trop froid pour se lever.
Rahne ne se fit pas prier. Elle laissa le rideau retomber sur la fenêtre et retourna rapidement dans la chaleur accueillante du lit. Une fois sous la couette, Dani la prit dans ses bras, posa sa joue contre son épaule et glissa un bras protecteur autour de son thorax en posant une main sur son sein. Rahne prit sa main libre pour entremêler ses doigts avec les siens. La jeune Écossaise poussa alors un soupir de bien-être.
-C’est comment, dehors ? la questionna Dani.
-Va falloir qu'on creuse, aujourd’hui, répondit Rahne.
Dani ronchonna de mécontentement.
-On va peut-être pas se presser pour le petit-déjeuner, si tu es d'accord, suggéra-t-elle.
-Ok, acquiesça Rahne de tout coeur.
Quelques instants plus tard, les deux amoureuses s'endormirent à nouveau profondément.
* * *
Il se mit à y avoir du mouvement peu de temps après l'apparition des premiers rayons de soleil. Sam Guthrie et Roberto Da Costa furent les premiers à descendre et à entamer leurs tâches habituelles du matin. Ils s’arrêtèrent pour jeter un œil à travers la fenêtre du salon.
-Ouah, murmura Roberto en contemplant le banc de neige de l’autre côté de la fenêtre dont le niveau arrivait facilement à hauteur de poitrine.
-J'sens qu'on va pas faire grand-chose, aujourd’hui, fit Sam.
Roberto chercha la télécommande de la télévision sous les coussins du canapé et, une fois qu’il mit la main dessus, mit les infos locales, le son toujours muet. Les deux garçons regardèrent suffisamment longtemps pour avoir la confirmation que la tempête avait recouvert l’état entier et que les amoncellements de neige s’élevaient à plus de soixante centimètres. Dans l'état actuelle, seules les grandes routes demeureraient ouvertes.
Sam secoua la tête d’un air résigné.
-Je pense qu'il faudra qu'on attende au moins deux ou trois jours avant de pouvoir aller faire un tour en ville.
D’un commun accord, les garçons s’attelèrent ensuite à la tâche de préparer le domaine pour la journée qui s'annonçait : Sam nettoya la cheminée, empila un tas de bûche à côté de l’âtre et alluma un nouveau feu car le froid régnait dans le bâtiment malgré le fait que le chauffage soit resté allumé toute la nuit ; Roberto, quant à lui, se rendit dans la cuisine, alluma les fourneaux et commença à préparer le petit-déjeuner.
Peu de temps après, Illyana Rasputin descendit les escaliers. Elle avait les yeux gonflés et le nez rouge comme une tomate ; effets persistants de son coup de froid. Mais la jeune élève s’était entièrement habillée, et sourit en entrant dans la cuisine.
-Salut, lui dit Roberto en souriant. J’allais t’apporter le petit-déjeuner au lit.
-Je sais, et j’apprécie beaucoup l’intention, lui répondit Illyana. Mais si je dois rester toute seule dans ma chambre une journée de plus, je crois que je vais crier.
-On dirait que tu as meilleure mine, constata Sam. Comment tu te sens ?
-Beaucoup mieux. Merci, Sam.
Roberto fouilla le placard à la recherche de thé orange pékoe mais la jeune blonde l’arrêta en affichant un sourire.
-Il y aurait pas de la camomille, plutôt ?
-Oui, si tu veux. répondit le jeune homme en fronçant les sourcils, inquiet. Ton estomac te joue des tours ?
Illyana grimaça.
-Ça va, c’est juste que j’ai avalé beaucoup de morve.
-Thé à la camomille, ça arrive tout de suite.
Illyana lui sourit de nouveau, reconnaissante. Quelques minutes plus tard, Rahne Sinclair descendit les escaliers en s’étirant et en bâillant à s’en décrocher la mâchoire. Toutefois, elle s’arrêta net en se rendant compte que tout le monde la fixait, les yeux écarquillés et la bouche ouverte.
-Quoi ? questionna-t-elle. Qu’est-ce qu’il y a ?
-Euh, Rahne, t’aurais pas oublié quelque chose par hasard ? demanda Sam.
-Hein ?
-Comme tes vêtements ? suggéra gentiment Roberto.
Perplexe, Rahne les fixa un moment, avant de baisser les yeux : la jeune mutante était complètement nue. Elle gémit, honteuse.
-Vraiment désolée ! s’excusa-t-elle. J’ai pas fait attention ! D’habitude, quand je descends le matin, je suis sous ma forme louve ! J’reviens tout de suite !
Elle fit demi-tour et remonta les escaliers en courant.
Roberto sourit à Sam d’un air amusé :
-Eh ben... on comprend maintenant ce que Dani voit en elle.
Illyana sourit depuis la table de la cuisine, toujours en train de se délecter de la chaleur de sa tasse de thé près de son visage.
-Je crois qu’on pourra dire que ce matin, on a vu le loup sortir de sa tanière, gloussa-t-elle. Je pensais qu’elle crierait, qu’elle couinerait ou un truc dans le genre. Décidément, notre petite fille grandit.
-On dirait presque que tu es toute gaie ce matin, constata Sam. Tu n’aurais pas de nouveau de la fièvre ?
-Je surmonte enfin ce putain de rhume, répondit Illyana. Ça fait tellement du bien de pouvoir être debout et de ne pas avoir l’impression que je vais constamment me rétamer par terre.
-Tu m’étonnes, murmura admirativement Sam.
Le docteur MacTaggert fit son entrée dans la cuisine.
-L’électricité est coupée, annonça-t-elle.
Sam regarda autour de lui sans comprendre.
-Pourtant, tout fonctionne.
-Le générateur auxiliaire a rendu l’âme cette nuit. Ce sont les batteries de secours qui nous alimentent ; les lignes électriques ont dû céder à cause de la tempête. Comment c’est, dehors ?
-Allez voir à la fenêtre du salon, suggéra Sam.
-La vue parle d’elle-même, ajouta Roberto.
Le docteur MacTaggert jeta un coup d’œil à l'extérieur. Sa seule réaction fut un grommèlement sourd d’exaspération.
-Sam et moi, on va aller chercher les pelles après le petit-déj’, la rassura Roberto qui lui tendit une tasse de café bien chaud. On va dégager les allées et voir si on peut enlever assez de neige de la chaussée pour pouvoir atteindre la rue. Par contre, on pourra aller nulle part tant que les chasse-neige ne seront pas passés, en plus on n’est pas exactement sur la route principale.
-Merci, Roberto. Je ne trouve pas les mots pour te dire à quel point je te suis reconnaissante que tu t’occupes de la cuisine. On aura bientôt du personnel pour te remplacer.
-Il n’y a pas de soucis, docteur MacTaggert. Ça ne me dérange pas de cuisiner pour tout le monde. Même si c’est vrai que ça serait sympa de ne pas avoir à le faire tous les jours, admit-il. On pourrait peut-être s’arranger pour que je cuisine pour des occasions spéciales, comme pour des anniversaires, les vacances ou d’autres choses.
-Je suis sûre que ça ne posera aucun problème.
Amara entra dans la cuisine, entièrement habillée et affichant un sourire radieux.
-Bonjour tout le monde. Oh, ça sent super bon ici.
-Salut Amara, l’accueillit Sam. Assieds-toi. Ça ne sera pas prêt avant au moins dix minutes. Tu veux que je t’apporte du café ? Du thé ? Quelque chose à boire ?
-Un verre d’eau, ça serait gentil, merci, Sam, dit Amara en s’asseyant en face d’Illyana. Comment tu te sens ce matin ?
-Je vais bien, ça va. Toujours la goutte au nez, et je tousse encore un peu, mais je suis presque d’attaque, répondit la jeune femme.
-C’est vrai que tu as l'air en meilleure forme, constata le docteur MacTaggert avec un soulagement visible et se tourna ensuite vers Sam et Roberto. Très bien, gentlemans, puisque vous vous occupez du petit-déjeuner, je vais aller vérifier si je n’ai pas reçu des messages de monsieur Worthington, en espérant que nos relais de communication fonctionnent encore, bien sûr.
-La télé continue de marcher donc, logiquement, internet aussi, déduisit Sam.
Le docteur MacTaggert lui sourit :
-Très bien, je reviens dans cinq minutes.
Elle sortit de la pièce pour se rendre à son bureau.
Rahne revint, cette fois-ci vêtue d'un pantalon de survêtement et d'une camisole rose flatteuse avec des bretelles spaghetti et un col échancré. Pour ses camarades, elle aurait tout aussi bien pu ne rien porter. Même si la jeune rousse se promenait presque toujours pieds nus, elle avait l’habitude de porter des vêtements larges et amples qui lui recouvraient entièrement le corps afin de cacher sa silhouette et les vilaines cicatrices situées sur son cou et son dos. Ce qu’elle portait aujourd’hui n’avait rien à voir.
-Bonjour, Amara, salua Rahne en donnant une brève étreinte à sa nouvelle camarade, avant de se diriger vers l’autre côté de la table pour se draper sur Illyana. Bonjour, Magik. C’est bon de te revoir assise à cette table, ce matin.
-Bonjour à toi, Croc-Blanc. Je suis d’accord avec toi. Mais là, c'est plutôt toi notre petit rayon de soleil, t'es pas d'accord ? dit sèchement Illyana, qui lui rendit toutefois son étreinte du mieux qu'elle put avec son bras de libre. Où est passée ton autre moitié ?
-Elle descend, on a fait la grasse matinée.
-Ouais, vous vous êtes levées, vous avez jeté un œil par la fenêtre et ça vous a tellement motivées que vous vous êtes recouchées.
-C’est un peu ça, admit Rahne en se servant une banane dans le bol de fruits posé au milieu de la table.
-Est-ce que c’est moi ou il y a quelque chose de... bizarre... ce matin ? demanda Sam à Roberto.
-C’est à dire ?
-Rahne ne fait pas sa timide et Illy est contente... J’sais pas. Les choses ne sont pas à leurs places.
-On t’entend, tu sais, cria Illyana.
-En quoi c’est mal d’être contente ? ajouta Rahne. Ou de pas faire sa timide ?
Sam leva les mains en signe de paix.
-C’est pas pour me plaindre, protesta-t-il. Je dis pas que c’est mal. C’est juste... pas comme d'habitude.
Dani Moonstar entra dans la cuisine, les yeux fatigués mais le sourire aux lèvres.
-Bonjour tout le monde, les salua-t-elle avant de prendre place à côté d’Amara. Tu as bien dormi cette nuit ?
-Super bien. En fait, je n’avais pas aussi bien dormi depuis... un bon bout de temps, avoua la jeune élève.
-J’espère qu’on ne t’a pas trop fait flipper hier soir, avec notre Cercle de Vérité, dit Dani en prenant la tasse de thé que Sam lui tendit et en le remerciant d’un sourire. J’ai eu peur qu’on soit allés trop loin.
-Non, non, pas du tout, lui assura Amara. J’ai eu la chance d'apprendre à vous connaître.
Elle ajouta ensuite en s’adressant au groupe :
-Et vous avez tous été tellement gentils. Je me suis sentie si bien accueillie... Je ne sais pas comment vous dire à quel point ça compte pour moi.
-Comme l’a dit Dani, on est heureux de t’avoir parmi nous, intervint Illyana.
-Ouah, on dirait que ça va mieux, toi, s'étonna Dani. C'est génial. Pendant un moment, on a vraiment cru qu'on allait devoir te piquer, Rasputin.
-Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement, Moonstar, rétorqua la concernée d’un ton et d’un sourire enjoués et bon enfant.
-Parfait, fit Dani d’un ton vigoureux avant d'à nouveau reporter son attention sur Amara. J’espérais que tu pourrais m’aider ce matin, dans l’écurie : il faut faire sortir les chevaux, vérifier que les mangeoires et les abreuvoirs n’aient pas gelé et faire un peu de nettoyage.
-Bien sûr, avec grand plaisir, lui répondit Amara.
-Super ! Bon, on s’y mettra juste après le petit-déj’.
-Pas si vite, Dani, râla Roberto. C’est toi qui t’es levée la dernière. Donc, c’est toi qui fais la vaisselle.
-Je vais m’en occuper, intervint Rahne.
-Ah, ah. C’est pas juste de couvrir ta copine, déclara le jeune cuisinier. Les règles sont les règles. Le dernier qui se lève fait la vaisselle.
-Je ne la couvre pas, protesta la fille-louve. Mais la tempête a été violente cette nuit ; Dani devrait vite aller vérifier que les chevaux vont bien. En plus, Amara va faire connaissance avec la neige.
-En fait, ça serait peut-être même l’occasion idéale pour qu'elle nous fasse voir son pouvoir, ajouta Illyana.
Amara se raidit instantanément :
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-J'veux dire que vu qu'on est enterrés sous une montagne de neige, tu ne risques pas de mettre le feu à quelque chose. Aucun danger.
Cependant, la nouvelle mutante se rétrécit sur sa chaise.
-Je... je suis pas sûre de ça, protesta-t-elle.
-En fait, c’est une bonne idée, Illy, intervint Dani en hochant la tête d’un air approbateur et en se tournant vers Amara. C’est une situation qu’il faudra que tu affrontes tôt ou tard. Et Illy a raison : le risque de faire des dégâts ne pourrait pas être plus faible.
-Je sais ça, mais je ne suis pas sure d’être prête à tenter le coup, fit Amara en se tordant les mains.
-Qu’est-ce que tu as à perdre ? insista Illyana. Admettons que tu dérailles et que tu te transformes en fille de lave, tu n’as qu’à te jeter dans la première congère que tu vois ; je te garantis que ça éteindra tout. Le pire qu’y puisse arriver, c’est que tu fasses fondre un bon paquet de neige. Ou que tu attrapes froid, comme moi.
-Il y a une vraie différence entre manifester intentionnellement ton pouvoir et le déclencher par accident, dit Dani d’un ton rassurant.
-C'est vrai qu'on aimerait beaucoup que tu nous montres, Amara, ajouta Rahne.
Mal à l'aise, la jeune fille se tortilla sur sa chaise.
-J’en sais rien, les gars...
-S’te plaît, ronronna Illyana. Si tu fais ça, on te fera voir les nôtres.
-Les filles, les filles, les filles..., protesta Roberto, tandis que Sam et lui commençaient à apporter les plateaux. Vous ne vous y prenez pas de la bonne façon.
Après avoir posé le dernier plateau sur la table, il se tourna vers Amara :
-Je te propose un truc, Amara. Tu nous montres ton pouvoir aujourd’hui, peu importe si tu le contrôles entièrement ou pas, et je ferai des tortas au dîner, ce soir. Et par là, je veux dire des vraies tortas, des super bonnes ! Tu vois de quoi je parle ?
-Ooh, tu fais du chantage ! s’exclama Dani avec approbation. Pas mal. Bien joué, Roberto !
-Oh, yes, super ! s'exclama Illyana. Allez, Amara ! Dis oui. Cède à la tentation !
Angoissée, Amara se tourna vers Sam à la recherche de soutien. Mais ce dernier lui adressa un sourire encourageant.
-Ils ont raison, Amara, dit-il. C’est peut-être une bonne occasion pour toi de t’entrainer à contrôler ton pouvoir sans risquer de blesser quelqu’un. Une chance pareille, ça n’arrive pas tous les jours. Je pense que tu devrais au moins essayer.
-Amara, ici, tu es entourée d'amis qui veulent que tu réussisses ; on fera tout notre possible pour t’aider, lui assura Dani. Tu n’es plus toute seule. On est là.
Les larmes montèrent aux yeux de la jeune élève :
-Dani, j’ai peur...
-Oh, ma grande... je sais, je sais que tu as peur, dit Dani qui l’enlaça pour la rassurer. Mais regarde autour de toi ; on est tous passés par ce que tu es en train de vivre. Chacun d’entre nous. On veut tous t’aider. Ça va bien se passer, tu vas t’en sortir. Tu trouves que t’as bien dormi cette nuit ? Pense à quel point tu dormiras mieux quand tu verras que ce sera toi qui contrôleras ton pouvoir, et pas l’inverse.
Après un moment de réflexion, Rahne se leva de sa chaise, s’agenouilla à côté de celle d’Amara et prit ses mains dans les siennes.
-Ça sera différent, Amara, lui dit-elle. La dernière fois que ça t’est arrivé, tout le monde était aussi effrayés que toi, pas vrai ? Ici, personne n’aura peur. C’est le seul endroit au monde où tu peux montrer qui tu es, ce que tu es, sans avoir à craindre quoi que ce soit. Personne ici n'aura peur de ce que tu peux faire. On trouvera même ça vraiment cool.
Amara fixa tous les sourires encourageants autour de la table :
-Vous resterez avec moi ? Vous serez pas loin ?
-On sera tous là, Amara, lui promit Sam.
La jeune fille prit une grande inspiration.
-Ok, dit-elle en hochant la tête avec vigueur. Ok. Je vais essayer. Je vous promets d’essayer.
Un murmure d’approbation s'éleva autour de la table. Puis, Rahne enlaça fermement Amara.
-Ça va bien se passer. Tu verras, lui jura-t-elle.
-Ok, maintenant que c’est réglé, on peut manger ? dit Illyana en se servant des œufs brouillés. Ça fait des jours que j’ai presque rien avalé de solide et je meurs de faim !