Orphelins et Enfants Trouvés
Peu de temps après que l’aube se soit levée, Dani Moonstar et Rahne Sinclair sortirent de leur chambre commune, prêtes à entamer leur routine du matin. Dani était en vêtements de sport et Rahne sous sa forme louve. En descendant le couloir, elles remarquèrent que la porte de la chambre d’Illyana était ouverte et que la lumière était allumée à l’intérieur. Dani s’arrêta au niveau de l’embrasure pour y jeter un œil.
-Illyana ? Tout va bien ?
Faisant face à la porte, Illyana était assise au bord de son lit et portait un peignoir froissé bleu pastel orné de diables rouges par-dessus sa chemise de nuit ainsi qu’une paire de duveteux chaussons violets en forme de dragon aux pieds. Elle leva la tête vers Dani et émit un gémissement en affichant un air attristé.
-Je voulais descendre me faire un peu de thé mais j’arrive pas à aller plus loin, expliqua-t-elle, la voix toujours extrêmement enrouée à cause de son rhume. Salut, toi.
Rahne posa sa tête sur la jambe d’Illyana qui se mit alors à la caresser. Dani s’apprêtait à dire quelque chose mais, en les regardant, se rendit compte que la jeune blonde ne s’y prenait pas d’une quelconque manière moqueuse. Au contraire, elle se montrait sincèrement affectueuse dans ses gestes. Néanmoins, la jeune brune ne fut pas réellement surprise puisqu’elle se doutait depuis longtemps que sa camarade appréciait davantage la plupart de ceux qui l’entouraient que ce qu’elle avait toujours laissé entendre. Toutefois, agir de cette façon ne lui ressemblait pas du tout.
-Eh ben, au moins, ce matin, tu ne ressembles plus à Frankenstein, commenta Dani. C’est pas encore le top. Mais il y a du progrès.
Illyana ne répondit pas tout de suite. Totalement concentrée, elle continuait de caresser la tête et les oreilles de la louve. Elle leva ensuite les yeux avec un sourire embarrassé.
-C’est un bon chien de thérapie, tu trouves pas ?
-Oh, arrête un peu de te moquer d’elle, râla Dani.
-Je me moque pas d’elle. Qu’est-ce qui te fait croire ça ? Cette fille, c’est vraiment notre thérapeute de groupe. Réfléchis un peu, Dani. Il n’y a pas une seule personne ici qui n’a pas été malade, blessée, ou qui n’a pas simplement traversé une mauvaise passe sans que Rahne arrive et qu’elle nous laisse craquer sur elle. Et à chaque fois, tout d’un coup, ça va mieux. Elle a dû m’empêcher une demi-douzaine de fois de me foutre en l’air. Il n’y a qu’elle, dans cette école, qui arrive à nous remonter le moral comme ça.
Illyana se pencha et Rahne lui lécha la joue. En retour, la blonde lui caressa le cou et la touffe de fourrure blanche sur sa poitrine.
-Ouais, ouais. Moi aussi, je t’aime. Mais on se calme avec les bisous, car je sais très bien où est-ce que tu as été fourrer ta langue, avant, fit-elle avant de poser à nouveau les yeux sur Dani. Vous êtes prêtes pour votre jogging ?
-Ouais, mais avant d’y aller, on peut t’apporter une tasse de thé, si tu veux, répondit la jeune sportive. Orange pekoe pour toi, c’est ça ? Avec une rondelle de citron et une cuillère à soupe de miel ? Par contre... pour le whisky, je ne peux pas t’aider.
Surprise, la jeune blonde la fixa.
-Comment t’es au courant ?
-Tu sous-estimes beaucoup trop ce que tes amis savent, Illy. C’est juste qu’on dit rien car d’habitude, tu réagis comme une connasse.
Illyana haussa tristement les épaules, résignée, puis poussa un soupir :
-Ouais… je sais. J’te déteste pas, Dani. Je t’ai jamais détestée. Mais j’ai été élevée par des démons. Sur le plan social, je suis complètement paumée. C’est vrai, se confia-t-elle en lui lançant un regard de chien battu. C’est pour ça que j’ai vraiment besoin que mes amis me fassent remarquer quand je déconne trop, ça m’aide à rester humaine. C’est vital pour moi.
« Ok, là, je suis sur le cul », se dit Dani. Elle jugea qu’il s’agissait d’une opportunité à ne pas laisser passer. Elle écarquilla alors les yeux, feignant la surprise.
-Oh, alors maintenant, je suis ton amie.
-Ne fais pas la maline, Moonstar. Je peux toujours redevenir la Rasputin classique.
-Je me contenterais bien de la « Illyana en voie de guérison » pour l’instant.
-Putain ! À qui le dis-tu, répliqua Illyana en poussant un soupir exaspéré qui se changea en une forte toux. Discrètement, elle attrapa un mouchoir.
-Ok, une tasse de thé, je t’apporte ça, dit Dani qui voulait laisser sa camarade se nettoyer la bouche tranquille. Allez viens, Rahne.
Alors que la louve descendit les marches, Dani marqua une pause avant de revenir à l’embrasure de la porte de la chambre d’Illyana.
-Au fait, est-ce que t’étais sérieuse tout à l’heure ?
-Sur quoi ?
Dani afficha une grimace embarrassée.
-T’as dit que tu avais pensé à mettre fin à tes jours. Tu plaisantais, non ?
Illyana hésita un moment, puis secoua très brièvement la tête :
-Non.
-Rassure-moi... tu ne te sens pas mal à ce point, là, maintenant ?
-Non, répondit la blonde d’un ton catégorique.
Dani réfléchit un moment.
-Si jamais tu te sentais de nouveau comme ça... tu viendrais m’en parler ?
-Oh, s’te plaît… commence pas à me prendre la tête avec des discours censés me faire dire que tout va s’arranger, grogna Illyana.
-Non, c’est pas ce que j’allais dire. Je veux juste..., Dani marqua une pause et réfléchit bien à ce qu’elle allait dire. Je ne dis pas que je peux résoudre tes problèmes. Mais tu peux m’en parler. Je ne te jugerai pas. Et... si jamais tu ressentais le besoin de... si tu penses que ça te ferait du bien... enfin, tu sais ou me trouver. D’accord ? Maintenant qu’on est amies.
Illyana sourit tristement :
-Je sens que je vais regretter d’avoir dit ça.
-Ouais, répondit Dani en hochant énergiquement la tête. T’as pas idée.
* * *
L’air matinal était frais et le ciel bleu-pâle entièrement dégagé. Cependant, Dani sentit qu’un changement dans l’atmosphère s’annonçait : une tempête hivernale, une énorme, éclaterait probablement cette nuit ou bien le lendemain matin. Des nuages gris envahiraient le ciel et des flocons se mettraient à tomber. Il était même à prévoir qu’une grande quantité de neige s’accumule par chez eux. La semaine passée, avec l’aide de Sam et Roberto, Dani avait déjà pu préparer les écuries pour la rude saison qui s’annonçait. Mais elle nota dans un coin de sa tête qu’il fallait qu’elle pense à tout vérifier à nouveau avant de rentrer.
Peu de temps après avoir pris le petit-déjeuner, Dani, Amara et Rahne s’étaient mises en route pour le bâtiment principal de l’Institut Xavier. Dani et Amara étaient à cheval. Rahne, sous sa forme louve, gambadait à quelques mètres devant les filles, fourrant son museau dans chaque haie et buisson que le petit groupe croisait sur son chemin, flairant les lapins et les mulots ou ruminant les dépôts naturels ; vestiges de l’automne destinés à être bientôt ensevelis par l’hiver.
Dani jeta un coup d’œil à Amara. Sa camarade avait l’air bien plus détendue ce matin. Moins stressée en tout cas. La brune mit ça sur le compte de la promenade à cheval. Pour elle, il n’existait pas de meilleur moyen pour remonter le moral. La veille au soir, pendant le repas, Amara s’était montrée amicale et d’une politesse sans pareille, mais également très renfermée et réticente à parler d’elle. Personne ne lui avait forcée la main. Tout le monde avait senti que leur nouvelle camarade n’était pas encore suffisamment à l’aise pour s’ouvrir au groupe, même si les autres désiraient clairement en savoir plus sur elle. Toutefois, ils comprenaient qu’ils n’étaient encore que des étrangers pour la jeune femme. Leur faire confiance lui demanderait un peu de temps. La nouvelle élève nourrissait une profonde détresse, Dani en était sûre. Quelque chose qu’elle avait du mal à partager. Hier soir, chaque sourire qu’elle avait affiché était forcé. Peut-être l’idée d’Illyana était-elle bonne : peut-être était-il temps de mettre en pratique leur thérapie de groupe.
Une fois arrivées au portail en fer forgé de l’entrée principale, Dani mit pied à terre, entra le code, et les grandes portes commencèrent à lentement s’ouvrir.
-Tu connais déjà le coin des inadaptés, dit-elle en souriant à Amara. Maintenant, on va visiter l’atelier du Père Noël.
Sa nouvelle camarade n’avait manifestement toujours pas compris la référence, mais lui adressa un sourire. Un sourire qui, du moins, paraissait sincère.
-Oh, donc, c’est l’école pour les enfants qui sont gentils et studieux ?
-T’as tout compris, rit Dani.
-Eh ben, voilà qui est barbant, déclara Amara.
Elle forçait toujours le trait de son comportement, mais faisait néanmoins l’effort de jouer le jeu en feignant d’être insolente. Pour Dani, en soi, c’était bon signe. Amara montrerait son vrai caractère avec le temps.
Les filles passèrent le portail, suivies de Rahne qui trottinait derrière elles. Le manoir se dressait devant le petit groupe tel un monolithe. Tout était étrangement calme. Il n’y avait pas même une petite brise. « C’est aussi silencieux qu’un cimetière », se dit Dani en réprimant un frisson.
-On a le droit d’entrer ? demanda Amara.
-Bien sûr, répondit la jeune la jeune brune. En fait, le docteur MacTaggert m’a demandé de vérifier que toutes les portes et les fenêtres du rez-de-chaussée étaient bien fermées. Donc, tu vas pouvoir visiter toutes les pièces communes.
Amara contempla le gigantesque édifice qui ressemblait plus à une cathédrale qu’à un manoir.
-Il y a quoi, là-haut ?
-Des chambres. Beaucoup de chambres. En fait, à peu de choses près, c’est pareil que chez nous. C’est juste que c’est plus grand et plus joli. Et bien sûr, nous, on n’a pas de jet planqué dans un hangar sous-terrain.
La jeune blonde lança un regard perplexe à sa nouvelle amie.
-Ils ont un jet ? Sous terre ?
-Je n’y suis jamais descendue pour aller voir, mais… ouais.
Les filles attachèrent les chevaux dans une alcôve isolée avec un abreuvoir, située à côté de l’allée. Elles marchèrent jusqu’à l’entrée, leurs bottes crissant sur le gravier. Rahne les attendait patiemment près de l’entrée. Amara fut surprise de voir Dani tout bonnement ouvrir la porte.
-On ne devrait pas frapper ? demanda-t-elle. Ou sonner ?
La mutante secoua la tête.
-Il n’y a personne ici.
Amara fronça les sourcils, étonnée.
-Ah bon ? Mais... où est-ce qu’ils sont ?
Dani soupira tristement.
-On aimerait bien le savoir.
Elles pénètrent dans le hall, leurs pas résonnant bruyamment sur le sol à carreaux. L’entrée était beaucoup trop grande pour paraître accueillante, ce qui donnait presque la sensation de pénétrer dans un mausolée. Dani fit de son mieux pour ne pas relever que le simple fait de fermer la porte créa un écho retentissant qui se répercuta dans toute la bâtisse.
-Ok, dit-elle. C’est par ici.
Les filles se mirent à traverser toutes les pièces du rez-de-chaussée les unes après les autres, à vérifier que tous les appareils étaient éteints et qu’aucune fenêtre ou porte menant vers l’extérieur n’était restée entrouverte. Chaque pièce semblait plus grande que la précédente ; aucune ne trahissait un quelconque signe d’une utilisation récente. On aurait dit des pièces d’exposition, agencées spécialement. La bibliothèque, le bureau, le salon, la salle de séjour, un énorme escalier incurvé menant aux étages supérieurs, la salle à manger, la cuisine. Dani jeta rapidement un œil au réfrigérateur et au garde-manger : tous les aliments périssables avaient été retirés depuis longtemps. Il ne restait que des boîtes de conserve ou des produits secs, étant donné leurs longues capacités de conservation. Le frigo ne contenait plus que quelques canettes de soda, des bouteilles d’eau et des condiments.
Durant leur inspection, Amara restait silencieuse mais fronça souvent les sourcils, confuse et perplexe. Cet endroit était si grand et totalement vidé de toute vie humaine. Leur dernière étape était la laverie, au sud de la bâtisse. Aussitôt que Dani eut fini de s’assurer que tout était bien fermé, Amara lui lança un regard indiquant qu’elle préfèrerait quitter les lieux, et sa camarade ne put que lui donner raison. Rahne ne resta pas loin, ses pattes ne produisant curieusement aucun bruit quelle que soit la surface qu’elle foulait.
Une fois que les filles revinrent sur leurs pas et que la porte d’entrée fut close, Dani se tourna vers Amara.
-Alors ? À quoi tu penses ?
La nouvelle élève marqua un temps d’hésitation.
-Je ne suis pas sûre que je voudrais être admise là-dedans, on se croirait trop dans un palais, confessa-t-elle. Je préfère le bâtiment annexe : c’est plus petit et plus convivial aussi. On a l’impression que les amis et la famille peuvent s’y retrouver.
Dani acquiesça avec sympathie. Il y avait des moments où même le domaine annexe semblait bien trop grand. Mais c'était un espace bien plus intime et accueillant que tout ce qui se trouvait au sein du manoir de Xavier. Elle se dit tout de même qu’avec des élèves et de professeurs, le manoir devait paraître plus hospitalier. Mais vide, il ressemblait à un tombeau. À ce moment-là, la mutante décida de ne plus jamais revenir, et ce peu importe ce que l’avenir réservait. Elle appréciait davantage sa maison simple, modeste et rustique, bien que vétuste, comparé au manoir. Et elle était impatiente d’y retourner. Heureusement, il y avait beaucoup d’autres endroits à voir dans les environs.
-Tu viens ? dit-elle à Amara. Il y a encore plein de trucs que j’aimerais te montrer aujourd’hui, avant que la neige recouvre tout.