Au-delà des Mers

Chapitre 28 : Quand les canons font plouf

3933 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/05/2021 14:32

Le neuvième boulet de canon fendit les airs et vint s’abîmer dans l’eau, à une quinzaine de mètres du Nazaré sous le regard médusé de l’entièreté de l’équipage. La panique, qui avait dans un premier temps animé le navire, avait à présent fait place à une circonspection difficilement descriptible. Les quelques minutes nécessaires entre deux tirs s’écoulèrent et une nouvelle salve fut ordonnée depuis les remparts du port Mahon. Une petite ville fortifiée, faisant office de capitale à l’île de Minorque. La trajectoire du projectile, à présent connue de tous, fut suivie par autant d’yeux que comptait la caravelle. Et… plouf !

Nos trois compères n’avaient pas encore ouvert la bouche et assistaient, dubitatifs, à leur agression minorquine.

– Madre de Dios, se lamenta Jiménez. Mais à quoi ils jouent ?

– Ôtez-moi d’un doute, commença Calmèque un poil sarcastique. Un canon, ça se règle, non ? On peut pas ajuster le tir quand on voit qu’on fait pas mouche ?

– Ils sont bourrés, je vois que ça, assura Jiménez.

– Ou ils n’ont pas envie qu’on approche, opposa Mendoza, les yeux fixés sur la côte, la voix songeuse.

– Franchement, j’espère que c’est ça ! assura Calmèque. Sans quoi ça expliquerait pourquoi votre civilisation stagne misérablement depuis des siècles…

Mendoza et Jiménez obliquèrent des yeux tous deux vers l’Olmèque, réprobateurs, et le petit homme fit mine de ne rien remarquer, un sourire narquois au coin des lèvres, mais depuis l’épisode du pari avec Erin, les deux navigateurs avaient tacitement accepté de faire amende d’honorable… du moins pour un certain temps. Aussi se turent-ils l’un et l’autre, même si l’envie de la répartie cinglante leur brûlait les lèvres. Mendoza inspira profondément avant de s’en retourner à ses réflexions.

Il vissa ses yeux sur les tourelles fortifiées du fort. Il devait s’être produit quelque chose de grave sur l’île pour que tout navire soit ainsi menacé du pire.

Encore quelques minutes.

– Jetez l’ancre ! ordonna-t-il brusquement.

L’ordre fut transmis et l’imposante amarre fut jetée à l’eau dans un bruit de chaîne et de craquement de bois.

Mendoza ne quittait pas l’île des yeux. Il attendait.

Aucun autre boulet ne fut envoyé et un silence prit possession des berges. Puis il se produisit ce à quoi Mendoza s’attendait, quelques âmes s’animèrent sur la jetée du port et un frêle esquif fut mis à l’eau.

– On va savoir…, lâcha-t-il.

 Un seul homme à son bord, muni de rames, le marin remonta lentement avec sa barque jusqu’à atteindre une distance de respect de la caravelle, puis il ramena les rames à l’intérieur de l’embarcation et se leva. Mis ses main en cornet autour de sa bouche et cria aussi fort que ses poumons le lui permettaient.

– Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?

Mendoza s’approcha du balustre de tribord et répondit de la même manière.

– Je m’appelle Juan Alejandro Mendoza Alvarez, je suis un ami du Comte Alazar y Carcaño. Nous avons passé plus de trois mois en mer et nous venons de Lima. Mon équipage et moi-même serions honoré de pouvoir accoster sur votre île afin de s’y ravitailler et de reprendre des forces.

L’autre se tut. Il les observait tour à tour, visiblement méfiant. Calmèque avait préféré rester en retrait, estimant qu’il valait mieux ne pas exposer sa tête étrange au premier abord.      

Dans la barque, le marin prit son temps, comme estimant le pour et le contre. Il remit ses mains en porte-voix.

– Vous n’êtes pas passés par le continent ?

– Non ! répondit Mendoza d’une voix ferme. J’avais promis à mon ami de passer le voir dès mon retour et Minorque est notre première escale espagnole ! Que se passe-t-il ? finit-il par interroger, alors qu’il commençait à entrevoir le problème mais n’en laissait rien paraître.

Doucement ballotté par les flots, la petite barque ne mettait pourtant pas en péril l’équilibre du marin qui semblait avoir grande habitude. Il mit encore quelques instants avant de satisfaire la curiosité de son interlocuteur, cherchant des yeux une quelconque preuve de mensonge. Tendant l’oreille, dévisageant chaque passager. A part de l’étonnement, il ne discernait rien de symptomatique sur les visages de l’équipage de la caravelle et il se détendit progressivement.

– Vous n’avez aucun malade à bord ? s’inquiéta-t-il encore.

« C’était donc bien ça. » pensa Mendoza.

Il se voulu rassurant, comprenant les enjeux de toute cette mascarade.

– Non l’Ami, tout le monde se porte très bien. Tu as ma parole.

L’homme sembla réfléchir encore un peu.

– Je vais monter à votre bord pour m’en assurer, navré de devoir mettre votre parole en doute mais…

– Je comprends parfaitement, rassura Mendoza. Vous êtes mon invité, conclut-il en inclinant poliment la tête tout en faisant discrètement signe à Calmèque de se planquer quelque part. L’Olmèque prit une expression lasse et partit en direction des cales en traînant un peu des pieds.

« Et voilà, ma vie repasse en mode furtif… »

Le marin dans la barque se réjouit de la réaction du Capitaine et lâcha un pâle sourire de soulagement avant de se rassoir, de reprendre ses rames et d’amener son embarcation à hauteur de la caravelle. Il fut accueilli par Mendoza comme s’il avait été un personnage de marque.

– Je m’appelle Albañil, fit-il quand il fut sur le pont en tendant la main au maître des lieux.

Mendoza lui rendit une poignée franche et l’invita à lui expliquer la situation en lui faisant visiter son navire.

– Une épidémie de suette miliaire, lâcha enfin l’envoyé de l’île. Elle ravage tout le sud de l’Espagne depuis plusieurs semaines. Nous avons été épargnés et nous essayons de le rester.

– Je vois, fit Mendoza, le ton sombre.

La suette était une vraie plaie qui emportait la plupart de ses victimes et se propageait à la vitesse de la foudre.

Albañil voulu voir chaque personne et chaque cabine, guettant le moindre signe suspect, mais au bout d’une demi heure, il fut rassuré. Personne ne présentait aucun des symptômes caractéristiques. Bien au contraire, les gens de ce bateau paraissaient en parfaite santé et les lieux étaient tenus avec une rare propreté. Il fallait dire que Calmèque y était pour quelque chose et qu’il s’était employé à essayer de faire maintenir un minimum d’hygiène sur ce rafiot. Au début l’équipage avait un peu grincé des dents et puis finalement, nombre d’entre eux avaient fini par reconnaître qu’il était plus agréable de maintenir un endroit propre plutôt que de dormir dans sa merde.

Sur la fin de sa visite, Albañil était tellement soulagé qu’il ne demanda pas à voir les cales où l’Olmèque attendait la fin de son exile.

Ils remontèrent tous sur le pont et c’est, parfaitement apaisé que l’émissaire minorquin sortit un pavillon blanc de sa poche et l’agita à l’attention des remparts du port, signe convenu que tout allait bien.

Discrètement, Jiménez quitta la passerelle et gagna les profondeurs du navire tandis que Mendoza se chargeait des manœuvres maritimes et du protocole d’accostage.

Accompagné de bruits de pas, le petit escalier de bois, menant aux profondeurs, grinça, et la silhouette élancée de Jiménez se découpa dans la faible lumière des lieux. Un petit sourire facétieux se dessina sur son visage.

– Hey Cal ! T’es dans la cale ?

Et il rit seul de son jeu de mot facile.

– Faut vraiment que t’arrête l’humour Eugène… lâcha la voix toute proche et un peu agacée de l’Olmèque.

Jiménez sursauta et se retourna, découvrant le petit homme qui passait calmement devant lui.

– Je t’avais pas vu…

– Et oui… mi gargouille, mi ninja.

– Mi quoi ?

– Laisse tomber…

– Toi tu es de mauvais poil parce que tu dois te cacher…, constata Jiménez.

– Non ? Tu crois ?

Ils empruntèrent tous deux le petit escalier pour remonter à la surface.

– Une épidémie alors ? s’enquit Calmèque auprès du Second.

– Oui… apparemment. Mais l’île est sûre.

– Quelque chose me dit que ça va encore me retomber sur la gueule cette histoire...

Jiménez ne répondit pas, pas certain de comprendre où voulait en venir l’Olmèque. En même temps, quand il était de mauvaise composition et peu enclin à faire des efforts pour se faire comprendre, Calmèque utilisait souvent des mots auquel Jimenez ne saisissait pas grand-chose, aussi s’était-il habitué à se faire une idée globale sans trop chercher à chipoter sur les détails, surtout quand l’autre n’était pas à prendre avec des pincettes, comme en cet instant.

– Le gars n’est plus à bord je suppose ?

– Non, il reprenait sa barque en sens inverse quand je suis descendu te chercher.

Calmèque soupira en remontant, visiblement très contrarié.

Jiménez trouva étrange qu’il se formalise autant pour cette histoire de cale. Il devait y avoir autre chose. Quand à l’épisode avec Erin, ils s’étaient largement « expliqués » la veille.

Il fit la moue puis haussa les épaules et récupéra son air habituel de statue humaine découpée au silex, il comprendrait peut-être plus tard.

Ils gagnèrent le pont et vinrent à la rencontre de Mendoza qui était aux commandes, majestueux derrière sa barre. Il adresse un regard rapide à ses deux comparses avant de se re-concentrer sur leur entrée dans le port, puis sans crier gare, il se tourna vers Jiménez.

– Tu nous mets pas trop enclavé qu’on puisse rapidement partir toutes voiles dehors si nous devions prendre la fuite le cas échéant, précisa-t-il en faisant comprendre à son Second qu’il le laissait maître de la suite des opérations. Puis il obliqua vers l’Olmèque.

– Nous faut qu’on parle !

Ils descendirent au calme dans la cabine de poupe.

Quand ils furent seuls, Calmèque se mit directement sur la défensive.

– Mettons les choses au point ! Je n’ai que cinq litres de sang, je dois en garder un peu pour moi alors NON ! Je ne peux pas immuniser tout l’équipage !

Mendoza s’assit à demi sur la table de la cabine et croisa ses bras très calmement, un air à la fois surpris, impressionné et amusé sur le visage.

– Intéressant, lâcha-t-il laconiquement. Tu pourrais faire ça ?

Calmèque ne put cacher un léger tressaillement.

« Oupsss »

Et il réalisa, dépité, que jusqu’à cette seconde, cette possibilité n’avait même pas effleuré l’esprit de l’Espagnol et qu’il avait donc manqué une bonne occasion de se taire. Comment se passer, soi-même, la corde autour du cou ?

Maintenant, il fallait réussir à noyer le poisson. Mais face à un finaud comme Mendoza, c’était pas gagné.

– Bah…, fit-il l’air de pas y toucher, je viens de vous dire que non.

Et le regard de l’Olmèque se fit fuyant, cherchant un élément du décor qui pourrait lui servir de bouée de sauvetage.

– Oui mais pour combien de personnes « ce ne serait pas possible » ? insista un peu lourdement l’Espagnol, une soudaine mine étrange vissée au visage.

Calmèque soupira, vaincu. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même et l’agacement du début faisait à présent place à l’abattement.

– Je sais pas, finit-il pas répondre.

Il voulu rajouter quelques chose, mais renonça. Il avait l’impression que tout ce qu’il pourrait dire finirait par se retourner contre lui. Il préféra ne pas aggraver la situation.

Mendoza eut un petit sourire énigmatique et esquissa une moue à la signification sibylline avant de se saisir de quelque chose sur la table et de le lancer sans animosité en direction de son interlocuteur. Calmèque eut à peine le temps de voir arriver l’objet dans sa direction et de le rattraper au vol, interloqué.

– C’est pas de sang dont je voulais te parler, quoi que je garde cette info dans un coin de tête, ça peut servir. Mais je voulais te parler de ça, pointant l’objet du menton, il avait déjà recroisé ses bras sur son torse.

Calmèque observait ce qu’il avait entre les mains. C’était un livre, épais, couverture sombre avec une inscription devenue illisible, effacée par le temps et les manipulations. Il l’ouvrit et le parcourut distraitement, sans chercher à comprendre.

– T’en es où dans l’apprentissage de notre système d’écriture ? l’interrogea Mendoza. Ce dernier savait qu’il avait continué à s’exercer de son côté pour passer le temps.

L’Olmèque prit un air détaché.

– Ca va…

En fait ça allait très bien, l’écriture utilisée par les Européens était très facile à maîtriser.

Mendoza sourit de ce petit sourire entendu qui lui était propre et qui voulait dire « Puisque nous savons tous deux ce que nous savons que nous savons… passons à la suite. »

– Je veux que tu lises ça ! ordonna-t-il.

Calmèque ne cacha pas son manque d’enthousiasme.

– Ne le prenez pas mal Mendoza, mais si c’est votre journal intime, ça m’intéresse moyen…

Le Navigateur laissa s’échappé un petit rire amusé. Avant de redevenir plus sérieux, presque solennel.

– C’est la Sainte Bible Calmèque…

Le petit homme faillit s’étrangler.

– Quoi ? Vous voulez que je lise le tissu d’inepties qui est le fondement de votre religion débile ?

Dans la foulée, il ouvrit l’ouvrage et en tourna les pages en rafales.

– Et c’est tout en Latin en plus !

– Un nouveau défit ! Ca devrait t’amuser !

– Non ça m’amuse pas ! Vous plaisantez j’espère?

– Pas du tout !

Mendoza se leva et se dirigea vers la porte, signe que la réunion était terminée.

– Et interdiction de descendre de ce bateau tant que je ne t’en donne pas la permission, ajouta-t-il sur un ton qui se voulait sans appel.

Calmèque resta médusé, le livre entre les mains et Mendoza le planta là en quittant lentement les lieux, se remémorant une partie de leur conversation volontairement à haute voix.

– Intéressant cette histoire de sang… vraiment…

Puis il ajouta alors qu’il était déjà à quelques mètres.

– Et pour ta gouverne, notre civilisation ne stagne pas misérablement depuis des siècles !...

Une épidémie de suette, cette simple nouvelle avait glacé Erin d’effroi. Cette maladie avait fait des ravages dans son pays à plusieurs reprises et cette saloperie avait emporté sa grand-mère bien des années plus tôt, la privant de la seule personne de sa famille auprès de laquelle elle se sentait comprise. Sa mort avait laissé à jamais un énorme vide dans son cœur. Et puis il y avait eu cette dispute stupide au sujet de ce pari… elle détestait les disputes. Elle soupira et une profonde tristesse assombrit son visage, d’habitude si insouciant, et ses pensées et ses regrets vinrent happer sa joie de vivre pour un moment. Son violon était posé sur sa couche, tout près d’elle et comme incapable de gérer son émotion autrement, elle le porta à son épaule et se mit à faire pleurer son instrument de façon tellement triste que n’importe quelle âme en aurait été bouleversée. La plainte monta jusque sur le pont et chacun se figea un instant. Tous avaient perdu à un moment de leur vie un être cher, emporté par la maladie ou la malchance, tous avait des blessures et des regrets et tous pouvaient ressentir la douleur de l’instant. Le navire entrait en rade, glissant lentement sur les eaux claires, des marins venaient à leur rencontre pour aider à accoster et amarrer l’élégante caravelle. La complainte devint un élément du décor et s’imprima à jamais dans les esprits de tous, à la fois triste, immuable et magnifique.

Marinchè était là, aussi belle qu’à son habitude, vêtue simplement mais pas trop, un savant mélange de nouveau monde et d’ancien. Elle avait su tirer le meilleur profit des quelques vêtements offerts par les femmes de La Myrta et de quelques autres prêtées par Catherine, elle savait se mettre en valeur, y’avait pas à dire. Son attention était focalisée sur son ami Olmèque dont le regard s’était porté vers les cabines dès l’instant où les premières notes de violon leur étaient parvenues. Il ne fallait pas être devin pour voir qu’il ne vivait pas bien la situation et qu’il faisait au mieux pour ne pas y penser, quand c’était possible, mais là…

Elle s’approcha sans précipitation, avec beaucoup de dignité.

– Tu devrais aller la voir, dit-elle simplement en arrivant à sa hauteur.

– C’est ça oui, grogna-t-il. Qu’elle aille au diable !

– Stupide ! assena-t-elle sans équivoque. Vous êtes comme ça, vous, les hommes, vous passez votre temps à faire exactement l’inverse de ce que vous avez envie de faire, juste par orgueil… Vous avez l’orgueil-idiot chevillé au corps et la taille des oreilles n’y change visiblement pas grand-chose !

Calmèque se renfrogna un peu, estimant qu’il était dans son bon droit et peu disposé à se faire faire la morale.

– J’ai des circonstances atténuantes.

– Oui, concéda-t-elle d’une voix douce. Mais n’oublie jamais que des « Erin » il n’y en a pas cinquante et que parfois ravaler son orgueil peut aider à ne pas passer à côté de l’essentiel ! Personne n’est parfait Cal. Personne.

Et sur ce, elle le laissa tranquille et gagna la passerelle qui était placée, en ce moment-même, entre le navire et le quai. Elle avait hâte de refouler la terre ferme ! Ces longs mois en mer l’avaient rassasiée de l’eau pour un moment !

L’équipage plaça la passerelle de bois et les uns après les autres, sous les regards de Mendoza et Jiménez, descendaient avec bonheur. Quand tous eurent à peu près quitté le navire, Mendoza fit signe à Calmèque de venir le rejoindre pour lui adresser une dernière recommandation.

– La Comtesse semble ne pas vouloir descendre, je m’en doutais. Garde-un œil sur elle, elle ne m’inspire pas confiance.

– Comme ça on est deux, avoua l’Olmèque qui trouvait depuis le début que la comtesse avait quelque chose de dérangeant.

L’Espagnol fit mine de s’en aller, mais se ravisa une seconde pour ajouter une dernière chose.

– Et bonne lecture !

Calmèque fit la grimace.

– Non mais vous déconnez… c’est vraiment nécessaire ?

– Oh que oui ! Il faut que tu saches contre quoi tu risques d’avoir à te défendre. Il faut connaître son ennemi mieux que ses amis Calmèque, on ne t’a pas appris ça ?

– Un résumé dans une langue que je comprends, et je vous vénère jusqu’à la fin de ma vie ! tenta-t-il de négocier.

L’espoir d’esquive du petit homme fit sourire notre Navigateur et il s’en fut pour de bon en secouant la tête négativement. Toujours content de pouvoir l’asticoter un peu !

Au loin, derrière les éclats de voix du port qui avait repris vie, on entendait toujours le violon d’Erin, plus déchirant que jamais. Calmèque repensa aux paroles de l’Indienne. Il faudrait qu’il médite là-dessus. Mais pour l’heure, c’était trop tôt, trop frais, trop humiliant… enfin, c’est comme ça qu’il l’avait vécu. Et il serra les dents et partit en direction de la cuisine. Il avait un petit creux.

Ortega avait été un des premiers à toucher terre et la cuisine était déserte. Calmèque laissa errer son regard de-ci de-là à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Son choix s’arrêta sur une fin de « jamón serrano » maintenu sur un porte-jambon dont il entreprit de se découper quelques tranches. Ca ferait l’affaire. On pouvait leur reprocher beaucoup de choses, mais ces Espagnol produisaient la meilleure viande salée qui lui ait été donné de gouter dans toute sa vie ! Un délice ! Avec un morceau de pain sorti du four le matin-même et ça valait tous les plaisir du monde !

Il savourait son petit en-cas quand une fugace odeur désagréable vint lui gâcher son plaisir. Il s’interrompit, se concentra sur les odeurs alentour, plus rien… peut-être Ortega avait-il fait tomber un petit morceau de viande quelque part qui était occupé à mal tourner… et comme l’odeur ne réapparût pas, il laissa tomber. Il n’avait pas envie de se mettre en chasse après un bout de nourriture avariée. Il le signalerait à Ortega et puis c’est tout. Chacun son boulot. A cette pensée, il lui revint à l’esprit qu’il allait devoir se taper plus d’un millier de pages d’âneries en Latin. Et il souffla de lassitude rien qu’à l’idée. Au loin, il entendit le violon d’Erin qui venait de se taire. Il avait espérer que l’épaisseur de la paroi du four de la cuisine lui permettrait de ne pas trop entendre l’instrument de la Rousse, mais peine perdue…

Encore aurait-il fallu qu’il arrive à ne pas y penser…

Re-peine perdue…

« Pourvu qu’elle ne reste pas sur le bateau… »

La perspective d’un tête-à-tête forcé ne l’enchantait guère.

Il s’accorda encore quelques minutes avant de décider de retourner à la cabine de Mendoza pour récupérer le maudit bouquin qu’il avait laissé sur la table avant de sortir, espérant qu’il s’était agit d’une mauvaise plaisanterie du Navigateur.

Au moment où il sortit de la cuisine, il s’immobilisa. A quelques mètres de là, Erin s’apprêtait à prendre la passerelle pour quitter le bateau. Trop tard, elle l’avait vu. Ils s’observèrent comme des chiens de faïence durant des secondes qui parurent interminables. Puis elle détourna la tête avec une pointe de dédain, visiblement peu disposée à débrayer la première. Et elle descendit du navire sans plus un regard.

Comme ça, c’était clair !


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