L'Art mérite que l'on souffre

Chapitre 16 : Acte IV - Scène 3

3687 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/06/2024 18:13

Acte IV - Scène 3

« En toute chose, c'est la fin qui compte »


Il est saisissant de constater comme la valeur du temps fleurit à mesure qu'il nous est compté. Ces dernières semaines avaient bien plus animé mon cœur qu'une vie toute entière parce que chaque seconde était un pas irrévocable vers le dénouement final.

Nous avions constitué un chaleureux groupe d'interprètes lorsque Jhin s'était montré satisfait de la performance de nos nouveaux partenaires. Chaque jour, nous répétions inlassablement ; chaque geste, chaque intonation, chaque détail, aussi minime soit-il, devait trouver grâce aux yeux de notre implacable metteur en scène. Sur mon peu de temps libre, Jhin exigea que je comble mes lacunes en dramaturgie et c'est avec ferveur et détermination que je m'imprégnais d'une quantité démesurée d'ouvrages sur la scénographie et l'art théâtral. Léo, Swen et Margaux ne manquaient pas de m'épauler de leurs conseils experts lorsqu'ils en avaient le temps et l'énergie.

Chaque soir à la nuit tombée, nous descendions au Séraphin savourer un repas chaud et nous échangions sur notre journée de travail. Bien souvent, après le dîner, Jhin nous abandonnait pour retrouver son bureau et nous restions tous les quatre à profiter de bières et de cocktails, à dépenser le semblant d'énergie qu'il nous restait en danse, en chant et en jeux de cartes. Swen était bon joueur, Léo, au contraire, râlait constamment lorsque la chance l'abandonnait, mais la pire était Margaux. Prête à tout pour gagner, il n'était pas rare qu'elle pioche plus de cartes que permis. Selon elle, « quitte à perdre » il était acceptable de prendre des risques. Ses mesquineries échappaient à la vigilance des deux comédiens, mais lorsque Jhin se joignait à nous, rien ne le trompait, aussi s'était-elle retrouvée hors-jeu d'office à plusieurs reprises. Évidemment, elle avait ces fois-là quitté la table penaud pour se pinter à l'écart. Quant à moi, je savourais chaque instant en leur compagnie, osant tout juste m'avouer que je les aimais, et surtout que, pour la première fois, j'aimais la vie.


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Sous la direction de Jhin, j'avais consciencieusement composé une toile pour chacun de nos costumes. La muse qu'il était à mes yeux guidait aussi bien mon esprit que mes pinceaux. Chaque trait, chaque couleur ou élément trouvait toujours sa place sous ses ordres. Sa juste place.

Je m'attardais sur le portrait Margaux. Le temps n'avait guère apaisé les sensations infernales qu'elle déchaînait en moi mais j'avais appris à les ignorer comme on exorcise un darkin pour se préserver de son fléau.

« C'est dingue, t'es vachement douée, Ari, déclara-t-elle en découvrant la toile qui la représentait.

— Merci... »

D'une main tremblante, je repoussai ma frange en arrière. L'absence soudaine de Jhin m'avait rattrapé. En compagnie de Léo et Swen, il s'était rendu chez le styliste pour finaliser leurs costumes. Par conséquent, et pour la première fois depuis un mois et demi, je me retrouvais réellement seule avec Margaux. Et, bien que j'appréhendais particulièrement cette situation, elle me prenait au dépourvu.

« Tu veux du thé en attendant qu'ils reviennent ? proposai-je, battant en retraite vers la cuisine. »

Margaux garda le silence, ignora ma question, les yeux braqués sur sa toile.

« Dis-moi, Ari... (elle croisa les bras en se redressant) Le creux de ma hanche est pas vraiment à mon avantage. Tu dessines bien mieux les formes masculines ...

— Oh... Peut être... Je suis désolée... Je peux la rectifier... répondis-je en plaçant nerveusement la bouilloire en cuivre sur le feu.

— J'ai une meilleure idée... Refais-en une... Avec le modèle.

— Es-tu sérieuse ? me renfrognai-je. Le costume sera conçu sur-mesure...

— S'il te plaiiiit ! Allez... ! »

Je la rejoignis avec une appréhension certaine alors qu'elle installait déjà une toile vierge sur le chevalet. Je soufflai bruyamment mais dans le fond, je le savais : sa ténacité ne me laissait aucune chance d'esquive.

« Allez, je veux voir tes doigts de fée s'atteler à la tâche ! supplia-t-elle en empoignant quelques pinceaux. »

D'un geste franc, elle saisit ma main pour y déposer les pinceaux. Le contact de sa peau sur la mienne m'arracha un frisson. Je soupirai nerveusement alors qu'elle s'amusait déjà à prendre la pose. Je pris place contre mon gré sur le tabouret et l'observai quelques instants, contrainte d'esquisser du regard les courbes de son corps que je m'étais jusqu'ici abstenue de contempler. Dans une posture guerrière, elle bomba exagérément la poitrine avant de glisser ses mains le long de sa nuque.

« Cesse de bouger, la priai-je en me concentrant tant que possible sur mon esquisse.

— Pardon... Mais oublie pas de mettre en valeur ces formes-la.. »

Ses mains longèrent délicatement son cou avant de s'arrêter sur sa généreuse poitrine. Mon souffle se suspendit. Mes pensées me trahissaient et j'imaginai nettement mes doigts parcourir sa peau, ses muscles, puis mes lèvres... Le sol se déroba et je manquai de tomber de mon siège.

« Qu'est-ce que tu fais... ? bredouillai-je.

— Peut-être que tu préfères que je pose nue ? Les peintres prennent souvent ce genre de modèles, non ? »

Cette simple idée me valu un nouveau vertige. Je reposai sèchement mes pinceaux et repoussai mes pensées malsaines en même temps que le chevalet.

« C'est bon, on arrête ! m'exaspérai-je. »

Je me levai d'un bond pour retirer la bouilloire sifflante du feu. Alors que d'une main tremblante je versais l'eau dans une tasse, je sentis Margaux se glisser derrière moi, sa chaleur frôla mon dos, mes hanches, ma nuque. Je frémis.

« Excuse-moi... souffla-t-elle au creux de mon oreille. Je croyais que c'était réciproque. »

A la caresse de son souffle, je fis volte-face et une partie de l'eau bouillante gicla sur elle. Dans une plainte, elle recula brusquement.

« Putain ! rugit-elle.

— Oh non, je suis désolée... Je t'ai brûlé ? »

Elle agrippa sa main en grimaçant et retourna s'asseoir sur le rebord du lit. Désarçonnée, je m'empressai de poser la bouilloire sur le bord de la table basse pour la rejoindre et constater l'ampleur de ma maladresse. Je m'assis à côté d'elle et me penchai sur la main qu'elle dissimulait sous la seconde.

« Fais-moi voir... lui ordonnai-je doucement. »

Une marque rougeâtre avait coloré le dessus de sa main.

« Tu devrais la mettre sous l'eau froide...

— Ça va... C'est rien.. »

Quelle entêtée ! Je me levai et la tirai par la main de toute ma force. Elle résista quelques secondes avant de se lever légèrement, puis profita que je relâchai ma pression pour m'emporter brutalement contre elle. Elle bascula à la renverse contre le matelas et je m'écrasai lourdement contre son corps. Ses bras se verrouillèrent dans mon dos et ma tête s'enfonça dans son cou contre mon gré. Mon corps tout entier s'embrasa.

« Tu pensais rivaliser avec moi ? Vraiment ? »

Sa prise se resserra un peu plus. Son parfum était doux comme une caresse, la peau de sa nuque si tendre que je peinai à contenir l'envie d'y déposer mes lèvres... Toute volonté de résister se brisa lorsqu'elle me fit basculer pour se hisser au-dessus de moi. Ses yeux d'azur trahissaient ses intentions de faire de moi son plat de résistance. Mon cœur tambourina et je tentai de dissimuler les saccades de ma respiration. Sous son emprise, mon corps se tendit contre le sien, submergé par une vague de désir qui fit taire ma raison. J'en avais cruellement envie. Ses lèvres plongèrent dangereusement vers les miennes et je fermai les yeux, enivrée à l'idée de les savourer. Pourtant, si je cédais maintenant, que restait-il de mon amour pour Jhin ? Jhin ?! Ma main se dressa comme un rempart à son baiser.

« Arrête ! suppliai-je.

— Oh Ari... mais pourquoi résister, je sais que tu en as envie...

— J'aime Jh-James !

— Et alors ? Il n'en saura rien...

— Moi je le saurais...

— Oh... oublie ta bonne conscience... On ne fait que s'amuser... Il n'y a aucun mal...

— S'il te plaît, Margaux, arrête...

— (Le timbre de sa voix plongea dans les graves) Très bien, comme tu voudras... »

Margaux se redressa et se leva d'un bond. Je peinai à me redresser à mon tour, déchirée jusqu'à l'âme, l'estomac noué ; une part de moi s'opposait à ma propre décision. Ma chair désirait lui succomber et pourtant, mon cœur me le défendait. Cette discorde intérieure me brisait, me lacérait toute entière. Une torture sournoise et cruelle. Choisir d'assouvir mes désirs était aussi fatalement choisir de trahir Jhin ; cette idée m'était insupportable.

Margaux me fixa un instant et ajouta sur un ton désolé :

« T'imagines pas à quel point c'est dur...

— Je ne l'imagine pas, non. Je le sais très bien ! Ça l'est pour moi aussi... alors arrête de jeter de l'huile sur le feu, (ma voix s'affaiblit) je t'en supplie...

— D'accord d'accord... Promis. »



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Et elle tint sa promesse. Elle cessa ce jour-là, et tous ceux qui suivirent, ses tentatives déplacées de me séduire, ce qui, je devais l'avouer, me rendit la tâche plus simple. Le démon que je gardais enchaîné au fond de moi cessa d'être alimenté. Malgré tout, quelque chose m'effrayait. Cette faille avait-elle toujours été tapie en moi ? Margaux l'avait-elle fait naître, ou l'avait-elle seulement réveillée ?

Mon corps et mon cœur n'appartenaient qu'à Jhin, Il était mon monde ; et l'amour que je Lui portais n'avait aucun égal. Lorsque je m'abandonnais dans Ses bras, l'existence toute entière se dissipait dans une brume d'insignifiance. Son art animait mon cœur, Son esprit disposait de mon corps et Ses mains scelleraient mon sort. Et pourtant, aussi sincère que je pouvais l'être envers Lui, envers moi, poser les yeux sur Margaux, respirer son parfum entêtant ou simplement entendre sa voix profonde, emportait mon corps et mon esprit si loin de Lui. Aux cotés de Margaux, j'étais secrètement vulnérable, ce qui me coûta quelques longues nuits blanches à rendre des comptes à ma conscience. Le démon sommeillait toujours au fond de moi, et je demeurais à jamais seule pour l'affronter.



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Nous y étions. La représentation finale de Jhin aurait lieu demain. Pour moi, elle serait la dernière. Le travail acharné de ces derniers mois tendait vers cet unique instant. Swen, Léo, Margaux et moi, ainsi que tout un tas de figurants, nous apprêtions à livrer notre ultime performance et j'étais la seule à en connaître l'issue fatale.

L'heure était au repos, aucune bière ni aucun jeu ne vint animer cette soirée, et pourtant la nuit me sembla particulièrement douce. J'observais la rue déserte et faiblement éclairée depuis le balcon au-dessus du Séraphin quand les premières gouttes de pluie se mirent à ruisseler.

« Le dénouement approche. Es-tu prête à devenir ma divine création, très chère ? »

La voix profonde de Jhin me fit frémir. Il s'était silencieusement glissé derrière moi et me rejoignait sur le perron.

— Plus que jamais... répondis-je avec sincérité. »

Je levai le visage vers le ciel nébuleux pour profiter de la fraîcheur de la brume sur ma peau.

« Je m'en vais faire quelques ajustement pour la représentation.

— Je vois... répondis-je lorsqu'il s'arrêta à mon niveau. »

Sa main de métal se posa sur mon épaule, et malgré le tissus de ma robe, la fraîcheur de l'acier me glaça peau.

« Le vent se lève, tu devrais rentrer. Il semblerait qu'un orage approche. Je serais de retour dans une heure tout au plus...

— Je... Je vais rester ici encore un peu... »

Sans insister, Jhin me laissa seule. Il disparu dans la nuit. 

La douceur de l'air laissa lentement place à un début d'averse. Je humai l'agréable parfum de l'humidité sur le pavé où l'eau commençait à s'étendre. Les arbres frémirent sous les assauts du vent, le bruissement des feuilles s'évapora en un murmure long et plaintif. Je frissonnai, songeuse et fermai les yeux pour m'abandonner au chant de la pluie.

Un éclair scintillant déchira la nuit. Le ciel gronda comme s'il changeait d'humeur et soudain le déluge s'abattit sur mon corps. Mon cœur palpita, animé par la ferveur des flots.

Je souris bêtement. La plus belle des fins m'attendait et pourtant un torrent d'émotions vives mais insaisissables se déversait sur mon cœur. C'est alors que je perçus la mesure. Un deux trois. Un deux trois. La pluie m'invitait à danser. Une étrange énergie me traversa de toutes parts avant de me revenir. Familière, agréable. Magique. Je levai mes mains et les flots se mirent à valser avec mes pensées. Lorsque je rouvris les yeux : je faisais tournoyer la pluie. Mes dons m'étaient rendus !

Aussitôt, la pluie se changea en un tableau tourbillonnant dont j'étais le centre d'inertie. Tantôt fluides, tantôt vapeur, explosives et douces à la fois, les gouttes se lièrent, se délièrent, cascadèrent dans le prolongement de âme. Je laissai le vent me bousculer, et je jouai à compacter le flux pour mieux lâcher prise, le rattraper encore et écouter. Ecouter ce que mon cœur fredonnait, là, dans ma poitrine agitée. Je soufflai doucement tandis que la pluie s'unifiait en une silhouette sculptée à mesure que je la découvrais. Ses hanches, sa musculature, ses formes divines, ses cheveux ondulant au rythme de ses mouvements... Margaux. Mon cœur pulsa et en un instant la sculpture se brisa sur le pavé comme une vague sur un récif. 

Je m'immobilisai, le cœur perforé par le regret de ne jamais lui avoir cédé. Je tremblais de froid, pourtant mon cœur se ravivait doucement. Le souffle d'une fin imminente attisa cette sensation tenace, que j'avais jusqu'ici repoussé jusqu'à se faire aussi vive qu'une brulure, un brasier qui échappait désormais à tout contrôle. N'avais-je pas le droit à une dernière parenthèse à mon existence ? 

Je m'élançai à toutes jambes sous la pluie battante, manquai de glisser sur les marches que je descendis quatre à quatre. Mes pieds s'enlisèrent dans la boue, mon champ de vision s'amoindrit et le vent freina ma course.

Le cœur palpitant, je tambourinai à la porte de la seule roulotte près du fleuve.

« Margaux ?! m'écriai-je. C'est Ariane, ouvre-moi... »

La porte s'ouvrit et je fis face à Swen. Son regard étonné glissa le long de mon corps. Aussitôt, Margaux le bouscula pour prendre sa place.

« Ari ? sourit-elle. Bon sang, t'as pris la saucée ! »

Son regard à lui seul ébranla tout mon être.

« Est-ce que je peux... entrer ? demandai-je timidement.

— Évidemment ! C'est un peu le foutoir... mais tant pis. »

Elle m'invita à entrer et, pour la première fois, je découvrais son intimité : une tanière restreinte mais judicieusement agencée, étroite sans être étouffante, au contraire. C'était chaleureux et rassurant. 

Margaux cacha précipitamment quelques vêtements qui traînaient sur le sol et s'adressa à son colocataire :

« Swen, tu devais pas rejoindre Léo au Séraphin... ?

— Quoi ?! Te fou pas de moi ! Il est parti rejoindre sa Lise... »

Margaux insista d'un regard en biais.

« Non mais sérieux ?! Tu fais chier ! Il pleut des trombes ! »

Visiblement, Swen comprit le message. Il enfila rapidement une veste et sortit en claquant la porte.

Margaux me lança un regard complice souligné d'un sourire satisfait. Mais le silence soudain me noua l'estomac.

« Stressée pour demain ? tenta-t-elle de deviner.

— Un peu... Mais... En réalité... Je voulais... »

Le clapotis de la pluie sur le toit s'intensifia. La panique me gagna. Je me défilais.

« Je t'écoutes... »

Je me perdis dans le ciel de son regard attentif, suspendu à ce que je m'apprêtais à lui dire. Mais mon corps s'était pétrifié et il me fût impossible de prononcer le moindre mot.

« Tout va bien ? s'inquiéta-t-elle.

— Je n'aurais peut être pas du venir, en fait... Je... ne... »

Je rejoignis la porte, en proie à un intense désarroi. Les doigts de Margaux enlacèrent mon poignet cuivré.

« Hé... souffla-t-elle doucement. »

Son corps s'avança jusqu'au mien, sa proximité alluma la flamme de chaque fibre de mon être. Mon souffle se suspendit. Ses lèvres étaient si proches... N'était-ce pas pour les goûter avant la fin que j'étais venue ? L'occasion unique et sans nul doute la dernière de succomber m'appelait. Irrésistible.

Sa main agrippa ma hanche et je devinai sans peine ses intentions. Mais cette fois, j'étais prête à assumer les miennes. Alors je fermai les yeux et me laissai glisser contre son corps brûlant. Mon cœur tambourina. Mes lèvres se posèrent sur les siennes, douces, chaudes... délicieuses et délicieusement interdites. Sa langue s'invita contre la mienne avec impatience et je saisis à quel point son désir était semblable au mien. Une familière chaleur me traversa et je cessai enfin de lutter. Je caressai doucement sa langue, me laissai consumer par le désir. Sa main glissa jusqu'à ma cuisse et souleva ma jambe pour la ramener au creux de ses reins. Elle me souleva du sol pour me plaquer contre la paroi en bois. Son bassin s'enfonça entre mes cuisses, elle toucha la pointe de mes seins. Une décharge de plaisir m'arracha un soupir qui mit fin à notre baiser. Ses lèvres glissèrent dans mon cou. Elle n'avait plus aucune limite. Je n'avais plus aucune retenue. 


๑๑இ๑๑


Mon corps convulsa plus fort que la pluie tambourinait sur toutes les parois. Il me fallut quelques longues minutes avant de reprendre mes esprits, de me rappeler où j'étais, qui j'étais. Et je restai lovée contre Margaux, allongée, nue, étourdie. Elle déposa un baiser sur mes lèvres et me dévora de ses yeux d'azur.

« Mon Dieu, je rêvais de cet instant depuis notre première rencontre... déclara-t-elle malicieusement. »

Je répondis d'un sourire comblé. C'était donc cela, consommer le fruit défendu ? 

Margaux caressa doucement ma nuque et ma main glissa sur son visage si harmonieux. Et soudain, ma vision se troubla. De ses traits ne restèrent que la chair et le sangC'était ce que nous étions. Tous. Et son visage se déploya en de grandes corolles de chair à vif. Mon sang se glaça. Non ! Pas elle.

Elle se redressa avec un air inquiet.

« Tout va bien ? »

Elle avait remarqué ma tourmente. 

« Je vais rentrer... déclarai-je en me relevant pour revêtir ma robe encore détrempée.

— Hé ! On fait que s'amuser, j'espère que t'as pas des remords par rapport à James ?

— Non... Je suis seulement fatiguée... Merci Margaux, c'était... Je crois qu'il existe un monde où... je suis tombée amoureuse de toi... »

Margaux éclata de rire.

« T'en fais pas, va, t'es pas amoureuse de moi. C'est juste l'effet que ça fait, quand on prend trop de plaisir... une hormone il paraît...

— Ah ! C'est ce que tu dis à toutes les femmes qui tombent amoureuses de toi ? plaisantai-je.

— Je suis démasquée ! »

Je m'apprêtais à sortir à la hâte quand Margaux me rattrapa par le bras. Je fis volte-face, me laissai capturer par son regard tendre. Elle sourit en murmurant :

« Mon vrai prénom, c'est Silyane...

— Hirose... 

— Embrasse-moi une dernière fois, Hirose... »

Elle se jeta sur mes lèvres. Les larmes me montaient aux yeux tandis que je la repoussais doucement pour fuir avant qu'elle ne comprenne mon déchirement.

« Bonne nuit, ma jolie, à demain !

— A demain ! »

Je lui souris malgré la peine qui transperçait mon cœur, espérant que la nuit ait estompé la tristesse de mon regard.


Je remontai les marches quatre à quatre sous la pluie diluvienne, le cœur fragmenté d'émotions contradictoires et priai pour rentrer avant Jhin. Lorsque j'ouvris la porte, mon cœur s'affola. Il était là, assis derrière son bureau à relire ses parchemins. Son regard d'ambre se noircit lorsqu'il se leva vers moi.

« J'ignorais que tu appréciais les promenades sous la pluie... lança-t-il.

— J'en avais besoin ce soir... répondis-je simplement. »

Je me précipitai vers la penderie pour trouver une robe de nuit sèche.

« Tu vas avoir du mal à y croire, déclarai-je en me déshabillant, mais... mes dons me sont revenus ce soir...

— Effectivement, c'était inespéré. »

Je finissais d'enfiler ma robe quand Jhin m'enlaça par derrière. Je sursautai, tendue. Ses mains se posèrent sur mes hanches et son souffle caressa ma nuque encore humide. Je frissonnai. Il inspira profondément.

« Quel doux parfum... »

Ses doigts se resserrèrent sur mes hanches, plus fort que d'habitude.

« ... à la fois étranger et familier... poursuivit-il en inspirant une seconde fois. »

A cet instant, je compris qu'il sentait le parfum de Margaux. Ma gorge se noua et je me retournai brusquement vers lui. Son regard me sondait.

« Hé bien... fis-je. Je ne sens rien moi... »

Gênée, je me frottai le bout du nez en reniflant. Puis je m'agrippai à son cou et me hissai légèrement sur la pointe des pieds pour baiser ses lèvres. Sa mâchoire s'était crispée. Il rompit notre bref baiser. Son regard s'était durcit. Avait-il des doutes ?

« Dors bien, je tiens à ce que tu profites pleinement du spectacle... » dit-il avant de s'en retourner à son bureau.


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