Bell de Bilgewater
Le passage chez la prêtresse, bien qu’ayant écarté la possibilité d’une malédiction lancée à l’encontre de la jeune fille, n’avait fait qu’accentuer l’état d’inquiétude dans lequel les jeunes voyageurs se trouvaient. Dans leur chambre à l’auberge, le trio ne discutait que très peu, en effet, ce dernier hésitait sur la manière d’aborder leur journée avec le reste de l’équipage. Finalement, elles rejoignirent leurs camarades pour le repas, emportant le carnet de la yordle avec elles.
- Alors, cette capitale elle est comment ? Sourit Anna assise en face d’elles.
Bell sourit, sans grande conviction. Elle avait adoré sa promenade dans la ville, accompagnée de ses amies, mais la séance dans l’arrière-boutique avait terni l’atmosphère.
- Vous avez mauvaise mine, soupira Nâmis, racontez-nous comment ça s’est passé.
- Nous avons rencontré le contact d’Amara, expliqua Ileae, elle a pratiqué une sorte de rituel sur Bell pour déterminer la cause de ses troubles.
- A-t-elle réussi ?
- Elle a exclu la possibilité d’une malédiction, sourit la vastaya, ce qui est déjà rassurant.
- Mais elle s’est montrée très méfiante tout de même, compléta la yordle, elle pense qu’il est peu probable que je sois en danger.
La freljordienne posa ses énormes mains sur les siennes, lui adressant un regard souriant.
- Quoi qu’il se passe nous t’aiderons autant que possible, tu fais partie des nôtres et tu as toute notre confiance.
- Justement… il y a quelque chose dont je ne vous ai pas encore parlé.
Tout le reste du groupe afficha un air interrogateur, écoutant avec sérieux ce que les jeunes filles avaient à leur dire. Ileae sortit le carnet de Bell qu’elle ouvrit précautionneusement, pour en sortir une esquisse. Le dessin reproduisait à l’identique celui retrouvé dans les laboratoires des Ratels, à Zaun, représentant une yordle à la peau bleutée, aux cheveux azur, et aux yeux violets. Cette dernière portait un collier avec un petit pendentif, une fleur violette en forme de cloche. Une digitale pourpre.
- Nous avons trouvé ceci, peu avant d’affronter le Baron, au sein des Tréfonds. Nous pensons qu’il s’agit de la mère de Bell.
L’équipage resta bouché bé, fixant le dessin en silence.
- Je suppose que comme le doyen Hekins, soupira Anna, tes parents devaient utiliser leurs capacités pour cacher leur véritable appare…
Un hoquet vint interrompre la phrase de la freljordienne. A côté, d’elle, Nâmis se mit à trembler, il affichait une expression horrifiée, les yeux rougis, semblant au bord des larmes.
- Je… je suis désolé, hoqueta-t-il.
- Nâmis est-ce que ça va !? s’exclama Reiner inquiet en attrapant ses épaules.
Le sage fixait le vide, hagard. Pas un mot ne fut prononcé durant les minutes qui suivirent.
- Je me souviens, finit-il par dire. Des… bribes de mémoire me reviennent.
- Hekins a évoqué le fait que certains yordles pourraient user de leur capacité à disparaître en modifiant le sort, altérant la mémoire des gens les ayant connus, expliqua Ileae. Ce qui expliquerai pourquoi les proches de ses parents ne semblent en savoir que très peu sur eux.
Nâmis retrouvait doucement sa respiration, tentant de se calmer.
- J’ai bien connu tes parents… soupira-t-il, je me souviens. Ta mère comme l’indique ce dessin, s’appelait Îola, c’était une femme douce, mais forte, très forte. Elle avait eu une période avec son mari… Koban, à l’ancienne Zaun et ses écoles de magie, dont tu as trouvé les registres à Piltover. Elle, comme on te l’a dit, était mage, experte en déplacement, téléportation, et lui était un éminent botaniste, passionné par la nature. Ils ont voyagé avec ton Papy, c’est comme cela que je les ai connus.
La gorge de Bell se serrait, elle n’était plus capable de prononcer le moindre mot. Elle était heureuse d’avoir enfin une trace de ses parents, des réponses, mais la présence de ce dessin dans les locaux des Ratels à Zaun ne présageait rien de bon. Tout au fond d’elle, elle espérait secrètement
- Je me souviens qu’ils habitaient ce qui est devenu l’archipel des îles obscures avant de vivre sur les routes, sourit le sage. Je me souviens qu’un jour, ils nous ont retrouvé à Bilgewater, pour nous annoncer une grande nouvelle : ta naissance. Tu étais si petite Bell, si vive. Eux semblaient exténués, harassés, ils nous ont expliqué qu’ils devaient disparaître, et nous laisser cacher ta présence. Je me souviens d’un sort, et ensuite… c’est comme si j’avais toujours eu ses souvenirs, mais que mon esprit refusait de les laisser remonter… Je suis tellement désolé jeune fille…
Sans un mot, la yordle posa ses mains sur celle du vieillard à la mine décomposée. Ni lui, ni les autres n’étaient responsables de ce sort.
- Très bien, lança Anna, faisons un bref résumé de tout ce qu’on sait, parce que je m’y perds.
Le groupe acquiesça, laissant à la yordle et au sage le temps de se remettre de leurs émotions.
- On a Hekins, doyen de l’académie membre d’une organisation secrète qui nous emploie pour effectuer des recherches sur la Brume Noire.
- Cette dernière, compléta Reiner, affecte êtres vivants, soit les transformant en goules, soit prenant possession d’eux, ou pire les tuant.
- Une bête possédée nous a d’abord attaqué en mer, continua la freljordienne, puis nous avons trouvé à Zaun un laboratoire dans lequel un renégat menait des expériences, transformant volontairement des cobayes. Son gang était à la recherche de Bell, et avaient dans leur labo ce dessin de sa mère. Une équipe se dirige vers Ixtal en espérant trouver des éléments susceptibles d’aider la recherche, et l’autre, nous, se dirige vers Targon, suivant les indication d’Hekins, yordle sous couverture, qui pense que les parents de notre navigatrice auraient mené des recherches sur la Ruine.
- Fouiller une région entière ça risque d’être compliqué, soupira Reiner.
- La Targonienne qui accompagnait Hekins nous a donné quelques informations, sourit Anna, mais pour le moment les théories de ce vieillard semblent concorder. Je sens qu’on s’approche de quelques chose, j’espère qu’il s’agit de réponses.
Le groupe resta silencieux, plongé dans la réflexion.
- Demain vous avez quartier libre, reposez-vous, prenez le temps de visiter, nous partirons le jour suivant.
Un long trajet les séparait encore de l’entrée de la région targonienne, une distance presque deux fois supérieure à celle parcourue en plein désert. Cette fois, ils longeraient le fleuve principal partant de la capitale.
***
Bien qu’elle en eût fortement envie de sortir, Bell choisit de rester se reposer à l’auberge plutôt que de déambuler dans la cité. Cynthia et Ileae étaient toutes deux parties pour explorer les chaudes rues de la capitale, tandis que le reste de l’équipe était aussi absente, laissant la yordle seule. Après sa capture à Piltover, et les semaines passées à se cacher au fond de Zaun, à fuir, elle avait besoin de rester à l’écart quelques temps.
Finalement, cette étape par Shurima est plus que bienvenue, pensa-t-elle en frottant la tête de Clapper qui se reposait à ses côtés.
- Tu fais une de ses têtes, dit Anna en lui apportant son déjeuner, les autres sont partis sans toi ?
- Non du tout, sourit tristement la jeune fille, j’ai juste besoin d’un peu de repos.
L’imposante freljordienne posa son plateau, et s’assit en face de la yordle.
- Nâmis et les autres m’ont raconté quelques détails sur ce que tu sembles ressentir en ce moment, dit-elle. Je doute pouvoir comprendre ce que tu traverses, mais il est certain que tu t’inquiètes un poil trop.
- Vous seriez bien mieux sans moi… marmonna Bell. Je vous mets en danger, je n’apporte rien au groupe, et j’inquiète tout le monde, si je n’étais pas là tout irait mieux.
La lieutenante la regarda agiter nerveusement sa fourchette, le regard plongé dans son assiette.
- Tu te trompes lourdement, sourit-elle, tout l’équipage a une haute estime de toi. Tu es leur future navigatrice, ta présence est destinée à être des plus importantes, elle l’est déjà par ailleurs. Tu ne t’en rends pas forcément compte, mais tout le monde autour de toi a changé, et en bien, tout comme toi. Chacun d’entre vous fait avancer les autres à sa manière, et tu fais partie de tout ça.
- Ileae a perdu ses parents, Cynthia a failli être tuée, Jay est à fond d’une jungle loin de ses parents. Si je n’étais pas venue, Klem ne serait pas dans le coma, et Holly serait chez elle.
Anna posa son énorme main sur le bras de la yordle, et planta son regard son regard dans les yeux vides qui lui faisaient face.
- Holly vit pour la traque, si elle n’était pas avec nous elle serait sur une autre mission du même genre. Cynthia deviendra une mage de renom grâce à ses efforts et voyages, Jay devient un homme qui rend fier ses parents, et ceux de ton amie vastaya ont été tués par l’autre malade à Zaun. Quand je regarde leurs visages, ce que je vois au fond de leur regard, ce n’est aucunement de la déception, du désespoir. Certes, parfois ils sont tristes, inquiets, parfois ils ont peur, mais aucun ne regrette d’être ici, et aucun ne voudrait te voir partir. Je suis ravie de te compter parmi nous.
La gorge de Bell se serra, l’empêchant de répondre le moindre mot. Des larmes montaient petit à petit la forçant à éviter le regard de la freljordienne.
- Tu as besoin de rester un peu seule je suppose, finit-elle en se levant, prends un peu de temps pour toi, et reviens nous plus forte que jamais.
Après un repas passé en seule compagnie de ses pensées, Bell se dirigea vers le bâtiment qui accueillait la caravane. Les Skallashis, paisibles, dormaient points fermés à l’ombre des grandes toiles de tissus colorés qui pendaient en l’air. Le nombre de caravaniers cette fois était moindre que lors de leur premier voyage, quelques-uns étaient d’ailleurs inconnus de la jeune fille.
Victor, maître caravanier, accueillit la voyageuse avec le sourire, discutant volontiers avec elle. Elle proposa son aide, et passa le reste de la journée à aider aux préparatifs, croisant le couple qui l’avait accueilli sur le premier trajet. Mora, fils du maître, et sa compagne Jolyne étaient affairés au chargement des marchandises qui transiteraient sur leur monture jusqu’à Nerimazeth. Les deux semblaient si fusionnels, ils formaient un couple complet, et adorable. Chaque fois que la yordle posait son regard sur eux, elle ne pouvait s’empêcher de s’imaginer dans une situation similaire, en compagnie d’Ileae.
Une fois lancée, même la chaleur shurimienne ne parvenait à ralentir Bell, qui, tellement plongée dans le travail, ne pensait plus à rien d’autre, donnant de sa personnes auprès de tout caravanier ayant besoin. Alors que le brûlant soleil du désert commençait à descendre et disparaître derrière les bâtiments, le maître annonça d’une voix forte que le convoi était fin prêt à partir le lendemain. Ce dernier, accompagné de camarades, remercia chaudement la yordle, qui rentra à l’auberge le sourire aux lèvres.
Dans la salle principale, ses amis l’accueillirent avec des grands et joyeux éclats de voix. Elle s’assit à côté de son amie vastaya, qui se pencha pour lui déposer un baiser sur la joue, avant de passer son bras autour de ses épaules. Le groupe reprit le cours de ses discussions diverses, amenant comme bien souvient une ambiance joviale dans l’établissement.
***
Une chaleur, pesant telle une chape de plomb sur les épaules, accueillit les voyageurs alors qu’ils traversaient les immenses passerelles de pierre qui conduisaient hors de la ville. La jeune yordle était de retour sur le Skallashi du couple de caravaniers avec lequel elle avait fait la première partie du voyage. Elle était à nouveau accompagnée de Nâmis, cependant cette fois Ileae les avait rejoints, cette dernière ayant demandé à suivre les enseignements du vieux sage en même temps que son amie.
Aux abords de la ville, l’air était moins sec que dans le désert qu’ils avaient traversé les précédents jours, car le fleuve, qui prenait sa source à la capitale, sillonnait en contrebas les immenses ravins, en direction de Targon. La caravane, dont les voyageurs étaient un peu moins nombreux cette fois, commença à suivre doucement la crevasse humide, mettant petit à petit une distance entre eux et la cité shurimienne. Autour, des très nombreux autres Skallashis prenaient le départ, ou s’apprêtaient à faire une escale entre les épaisses murailles que le groupe laissait derrière lui.
Durant les jours qui suivirent, les deux jeunes filles suivirent assidûment les longs discours de leur professeur, qui leur parlait de la région. Bell, qui avait déjà lu quelques ouvrages sur l’empire, connaissait à présent une bonne partie de l’histoire de ce dernier au cours des derniers siècles. Ce que Nâmis apportait de plus, était souvent un point de vue narré par ses ancêtres, plus proche et personnel que celui des historiens et érudits d’autres régions. Jolyne, qui alternait la conduite du Skallashi avec son mari Mora, était ravie de partager ses connaissances avec ses compagnons de voyage. Elle était née près de l’ancienne région rebelle d’Icathia, dans une tribu qui craignait les assauts de créatures invoquées par les renégats d’innombrables auparavant.
- Comment vous et Mora vous êtes-vous rencontrés alors ? demanda Ileae curieuse.
- Eh bien, réfléchit la jeune femme. Il faisait partie d’une caravane venue nous ravitailler, c’est lors des repas de fêtes que nous avons fait connaissance.
- Comment êtes-vous tombés amoureux ?
- Bien peu de convois osent s’approcher autant des terres maudites, sourit timidement Jolyne, je les trouvais tellement courageux, et lui encore plus. Ils sont restés quelques jours, puis ont dû repartir.
- Et tu es partie avec eux ?
- Non pas cette fois, j’étais trop jeune, selon mon père. Avec Mora on s’est promis de se revoir, et je l’ai attendu.
- Combien de temps ?
- Cinq ans.
Un air surpris et impressionné vint peindre le visage des deux filles.
- Je l’ai attendu, ça a été long, mais il est revenu, lui aussi avait attendu pour moi. Je suis partie, ce qui n’a pas plus à mes parents, puis après quelques années passées parmi les dunes, Victor m’a accepté et Mora et moi nous sommes mariés.
- C’est si romantique, lâcha Ileae la gorge serrée et les yeux rougis.
Bell sourit, en regardant la vastaya, qui lui tenait la main.
- Vous connaitrez ça vous deux, dit malicieusement la shurimienne, un jour.
Les jeune filles rougirent. Malgré le fait qu’elles n’en aient pas particulièrement parlé, la nouvelle avait finalement fait le tour du convoi.
- Ta famille te manque ?
Un air un peu triste se dessina sur le visage de la jeune femme, nuancé d’un sourire.
- Parfois oui, mais je sais qu’ils vont bien, des messages transitent entre caravanes et j’ai de leurs nouvelles régulièrement. L’année prochaine nous pensons faire le trajet jusqu’à leur village.
- Je vois, dit Bell. J’aimerais retourner voir Papy quelques jours après ce voyage, c’est la première fois que je le quitte aussi longtemps il me manque…
- Je suis sûre qu’il t’attend avec impatience, sourit la caravanière. Et toi ? Demanda-t-elle en se tournant vers Ileae.
La mine de la vastaya devint sombre, elle détourna le regard pour fixer le désert rocailleux autour d’eux.
- Ses parents… expliqua la yordle, ont été tués il y a peu à Zaun, et sa sœur y réside pour l’instant.
- Oh je… je suis désolée, bredouilla Jolyne confuse, je ne savais pas.
Ileae sourit, excusant leur hôte. La perte de ses parents l’avait convaincue de partir, et d’accompagner Bell, même s’ils le sont plus là pour le voir, elle était certaine qu’ils seraient fiers de ce que la jeune scientifique accomplissait.
Le soleil, impitoyable, ne laissait aux voyageurs qu’un repos temporaire commençant aux dernières heures de la journée. À mesure qu’il descendait doucement vers la ligne d’horizon, l’atmosphère devenait moins pesante, plus agréable. Une fois à terre, comme à leurs habitudes, Bell et Ileae prenaient un peu de leur temps pour apporter leur aide aux itinérants, ravis de compter des mains en plus durant leurs tâches. Cynthia était plus à l’aise avec la cuisine, suivant l’exemple de Reiner qui s’avérait être un véritable chef. Le duo s’installa près des autres membres de l’équipage, toujours en groupe.
- Vous ne vous quittez vraiment plus, taquina Cynthia en aidant ses deux amies à dresser leur tente.
Ces dernières rougirent de concert, en effet elles avaient décidé de dormir ensemble, étant données leurs confessions quelques jours auparavant.
- En même temps, lança Holly de loin, pour ce que Bell prend en place pas sûre que ce soit très incommodant.
La jeune mage éclata d’un rire qui, accompagné de la surprise de voir la commandante plaisanter, fit encore plus rougir la yordle.
- C’est vrai que c’est un peu comme avoir une peluche, ajouta Ileae en souriant à son tour.
La navigatrice accueillit la remarque avec une petite tape sur la cuisse, avant de finalement les rejoindre dans leur fou rire.
D’une manière générale, l’atmosphère au sein du convoi était joviale, le voyage était bien moins ardu que la traversée du désert à la verticale, pour les Skallashis qui avançaient à bon rythme sans se fatiguer. Le fleuve Mère un peu plus bas, tempérait l’air et apportait de quoi se désaltérer. La nuit venue, Bell et Ileae se retrouvaient pour discuter sous les étoiles avant de dormir. La yordle avait accepté de lui donner quelque cours de dessins, du moins sur son aspect artistique. En réalité, Ileae savait très bien utiliser un crayon, mais cette dernière avait bien plus l’habitude de coucher sur papier ses idées, plans, de manière très schématique. La navigatrice quant à elle obtint des notions plus concrètes sur l’aspect technique des dessins, comment synthétiser et représenter les choses de la manière la plus fiable et claire.
Parfois, elles et Cynthia retrouvaient Amara, après ses patrouilles, pour écouter quelques-uns de ses chants. Ce dernier avait en sa possession plusieurs instruments, et fut même ravi de laisser les jeunes voyageuses s’y essayer. Contre toute attente, c’est Ileae qui s’avéra avoir le plus d’affinité avec la musique, et promit à Bell d’apprendre à jouer d’un instrument pour lui en faire profiter le soir, et tenter d’adoucir ses cauchemars.